Songes

Des cheveux épars s'étaient échappés de sa coiffe, et venaient gifler le tissu blanc à chacune de ses accélérations. On lui avait appris le silence et la discrétion. Elle était un meuble. Un meuble serviable, un meuble docile, toujours prompt et à disposition. Un meuble muet, puisqu'un meuble ne parle pas. Toutefois, aujourd'hui, elle avait laissé derrière elle tout ce bel apprentissage, et courait sans retenue et sans une once de grâce au travers de ces interminables couloirs dont elle ne voyait pas le bout. Avait-on idée de construire des bâtiments aussi grandioses ? Impressionner le voisin, toujours faire mieux, plus grand, plus flamboyant que l'autre. C'était l'apanage des hommes modernes. Elle se serait contentée d'un dixième de cette immensité, si tant est qu'elle eut été de condition à posséder quoique soit. Elle n'avait pas la naissance qu'il fallait. Un jour, Henry, le chef des cuisines, lui avait confié que Monsieur était de faible extraction, lui aussi, et qu'à cœur vaillant, rien d'impossible. Elle avait bien du mal à imaginer la plus grosse fortune du monde autrement que comme tel, la plus grosse fortune du monde. 

Le monde. Vous rendez-vous compte ? Le monde. Ce devait être immense. Cependant, Caroline ne connaissait rien d'autre que cette multitude de murs qui l'abritait depuis sa petite enfance. Sa mère était déjà au service de Madame avant même sa naissance. Alors il en allait de même pour elle. Madame était la belle-fille de Monsieur. Et Mademoiselle, la fille de Madame. Caroline était au service de Mademoiselle, mais c'était sur ordre de Madame qu'elle cavalait sur le marbre qui avait traversé l'Atlantique pour venir parer ce sol. Jupes et jupons relevés, ses petites jambes n’en finissaient plus de réduire la distance entre l'aile nord et l'aile sud. Elle devait faire vite, très vite, c'était ce que Madame avait dit. Le Duc ne devait pas attendre. On ne pouvait pas faire attendre un Duc. Est-ce que Caroline comprenait ? Non. Pas vraiment. Elle ne savait même pas ce qu'était un Duc. Elle avait entendu Madame expliquer à Mademoiselle à quel point il était important d'acquérir un titre de noblesse, tout comme elle avait entendu Mademoiselle étouffer, dans ses oreillers de soie, de nombreux sanglots. 

Mademoiselle n'était-elle donc pas enthousiaste à l'idée de se marier et rejoindre le vieux continent ? Le monde, elle allait voir le monde ! N'était-ce pas le rêve de Mademoiselle ? C'était celui de Caroline. Mais Caroline n'épouserait jamais un Duc. Au mieux, elle serait prise par un autre domestique, comme Richard, le fils du chauffeur de Madame. Au pire, elle finirait seule et ce serait là un moindre mal. Elle n'aimait pas Richard, elle le trouvait grossier et empoté. Mais il était déjà bien aimable de s'intéresser à elle. Le souffle court, elle calculait mentalement la distance qui lui restait encore à parcourir. Combien de minutes encore ? Si le Duc patientait trop longtemps, ce n'est pas Mademoiselle qu'on blâmerait pour l'attente, mais bien Caroline. Et c'était normal. Elle imaginait mal Madame priver sa si frêle Mademoiselle d'un quelconque repas. Non, Mademoiselle ne le supporterait pas, tandis que Caroline, elle, elle en avait l’habitude. 

Il lui fallait encore arpenter deux couloirs, et remonter un escalier pour atteindre les appartements de Mademoiselle. Mais avant ça, il lui fallait traverser la salle des expositions. Elle ne devrait pas, elle devait emprunter les couloirs destinés à ce que la domesticité ne croise jamais les riches pensionnaires, mais cela signifierait se rallonger d'une bonne dizaine de minutes. Et on ne fait pas attendre un Duc. De plus, à cette heure-ci, elle devait être vide, il n'y avait guère que Monsieur Junior, fils de Monsieur, pour en apprécier l'aura. Et Monsieur Junior n'était toujours pas rentré de son voyage d'affaire. Alors, comptant sur sa chance, le meuble qu'elle était s'élança par la double porte battante jusque sous la voûte peinte, exacte réplique de celle qu'on trouvait en France, et qui datait du XVIIIème siècle. Mais Caroline ne connaissait rien de tout ça. Caroline n'était pas très instruite. Caroline ne savait même pas lire. Elle savait juste qu'elle en appréciait les couleurs, et que parfois, occupée à lustrer le parquet, lui aussi ramené de France, elle se plaisait à inventer des histoires à tous ces anges et ces hommes à moitié nus.

Mais cette fois-ci, en traversant la salle des expositions à toute allure, elle n'eut pas le temps de jeter un œil à la fresque. Non. Elle n'eut que le temps de freiner avant de rentrer de plein fouet dans l'inconnu qui se tenait là, immobile, au centre de la vaste salle. Ses petites chaussures de mauvaise qualité dérapèrent sur ce parquet qu'elle avait trop bien lustré, et ses bras battant l'air tel un maladroit albatros, ne lui évitèrent pas la chute aux pieds de cette immensité tout de noir vêtu. La bienséance aurait voulu qu'elle se relève prestement, se fende d'une révérence, et baisse la tête jusqu'à ce que le verdict tombe. Ce serait à l'inconnu de décider ce qu'il adviendrait d'elle après cet outrage qu'elle venait de lui faire subir. Au lieu de quoi, les fesses clouées au sol, ses jupes répandues autour d'elle, les bras ballants, elle était incapable de détacher son regard de cet obstacle qui avait écourté sa course. Ce n'était pas ses traits fins, sa majestueuse allure, ses riches vêtements, ses mèches sombres maintenues vers l'arrière et que la cire rendait encore plus brillantes, ou encore son incroyable regard bleu acier, qui la fascinait de la sorte. 

C'était autre chose, quelque chose qu'elle ne comprenait pas. Mais dans la mesure où elle ne comprenait jamais grand-chose... Sans retenue, elle détaillait ses lèvres qu'il avait de finement ourlées, son nez droit tirant légèrement vers la gauche, ses traits si magnifiquement ciselés, et ses sourcils, deux lignes droites surplombant ces yeux-là. Deux éclats froids cernés d'écrins en amande. Il n'était pas beau. Non, il était au-delà de ça. Dans ce palais où les trésors rivalisaient de beauté et splendeur, il était le plus précieux. C'était comme si quelque chose s'était éveillé en elle, comme si un organe en sommeil, et pourtant vital, au plus profond de son corps, venait de reprendre vie et se délestait des années de poussières accumulées durant sa veille. Bouche ouverte, l'absolue errance que devait traduire son regard, n'avait d'égal que la surprise qu'elle percevait dans le sien. Pas la surprise de se retrouver face à une idiote et insolente domestique, mais la surprise d'être face à elle, tout simplement. Comme s'il percevait au-delà de sa robe flétrie, son tablier ridicule, et son bonnet de travers. Elle n'en fut pas certaine, mais elle crut percevoir un sourire étirer ses lèvres avant qu'il ne sorte une main de ses poches pour la lui tendre. 

C'est à cet instant que Caroline parvint à sortir de sa transe, refusant la main qu'on lui offrait pour se relever d'elle-même, avec autant de distinction que ses jupes emmêlées le lui permettaient. Si elle n'avait aucunement le droit de courir dans les salons d'apparat, encore moins de chuter au pied d'un noble inconnu, et le fixer sans vergogne pendant ce qui lui sembla être une petite pincée d'éternité, elle était encore à peu près excusable. Glisser sa main dans celle de ce même homme, frôler sa peau de la sienne, représentait une faute bien plus grave. Aussi divinement tentant que cela puisse être, elle ne voulait pas prendre le risque d'être congédiée. Alors elle se redressa seule, s'arracha à sa contemplation pour lisser ses jupes, cou ployé en signe de soumission. Elle était de nouveau le meuble qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être. Un meuble qui attendait qu'on lui permette de prendre congé. Un meuble qui se rappelait enfin sa mission, et ce Duc qui attendait toujours. Madame allait être folle de rage. Madame allait se venger sur elle. Si tant est qu'elle parvienne à rejoindre, un jour, les appartements de Mademoiselle, puisque le bel inconnu ne semblait pas tout à fait disposé à lui rendre sa liberté.

Au contraire, après avoir rangé sa main dans la poche qu'elle venait à peine de quitter, il s'en retourna vers la vitrine qu'il observait avant l'apparition de Caroline. Très calme, et surtout très silencieux, il la laissait là, debout, immobile, tête basse, sans plus lui jeter le moindre regard. C'était donc cela, sa punition ? L'ignorer ? La retarder ? L'obliger à rester à ses côtés plutôt que de lui permettre de reprendre sa course ? C'était à la fois sadique et génial. De cette manière, il la punissait indirectement, ne se rendant coupable d'aucun mauvais traitement. C'était Madame qui s'en chargerait pour lui. Caroline, résignée, pinça les lèvres et serra un peu plus ses jupes entre ses doigts. Et contre toute attente, l'inconnu pris parole, sa voix chaude et caressante glissant jusqu'à elle comme autant de gestes tendres invisibles. Il ne lui offrit pas congé, pas plus qu'il ne lui demanda les excuses qu'il était en droit de recevoir. Non, il lui parla comme si elle était tout à fait autre chose qu'un meuble.

— Sais-tu de quoi il s'agit ?

Voilà ce qu'il avait demandé, doucement, très doucement, et calmement aussi, très calmement. Craignait-il qu'elle prenne peur s'il parlait plus fort ? Craignait-il qu'elle se remette à courir lorsque, en toute objectivité, il n'y avait pas un seul autre lieu au monde où elle avait plus envie de s'enraciner qu'ici même, dans cette pièce ? Elle qui ne rêvait que du Monde, quelques minutes auparavant. Puisqu’elle ne savait à quoi il faisait référence, elle s'autorisa à relever la tête pour suivre son regard. Il était occupé à contempler un épais volume ouvert sous une cloche. Non, elle ne savait pas de quoi il s'agissait. Un gros livre avec quelques belles images. Elle savait juste qu'il devait être extrêmement précieux pour se trouver ici. Alors elle ne répondit rien. Il n'attendait probablement aucune réponse, de toute façon. Pourtant, lorsqu'il reporta son regard sur elle, pour la contempler encore plus fixement qu'il ne l'avait fait avec le gros livre, il lui prouva le contraire. Il espérait vraiment une réponse. Pourquoi ? N'aurait-il pas préféré converser avec quelqu'un de sa condition, quelqu'un qui, au moins, savait lire ? Elle se contenta de secouer la tête et prit soin de ne pas croiser son regard plus de quelques secondes, de peur que la transe ne la reprenne. L’homme ne se démonta pas devant cette réponse négative, et reprit :

  • — Il s'agit d'un exemplaire original de la Bible de Gutenberg. On dit qu'il n'en existe plus qu'une cinquantaine dans le monde.

Sa voix si douce, si chaleureuse se tut un instant, et Caroline ressenti un tel manque fulgurant qu'elle aurait pu en pleurer. Non, elle ne voulait pas qu'il s'arrête de parler, elle voulait l'entendre encore, elle voulait que plus jamais il ne se taise.

  • — Comprends-tu la valeur de cet objet ?

Cette fois, Caroline n'hésita pas, et secoua la tête très rapidement, afin qu'il reprenne le plus vite possible, afin de raccourcir le silence à son maximum.

  • — Tu as sous les yeux le premier livre jamais imprimé, réalisé entre 1452 et 1455... Et là-bas, un triptyque en or et pierres précieuses... poursuivait-il en désignant une nouvelle vitrine. Mais c'est le morceau de bois en son centre qui fait toute sa valeur réelle. Un morceau de la croix du Christ, dit-on.

Il fit quelques pas, laissa Caroline à son immobilisme, et entreprit d’arpenter la vaste pièce en caressant du regard chaque trésor, avant de reposer ses yeux -Ô ces yeux !!- sur elle, à nouveau, comme si elle était partie intégrante des biens si précieux de cette exposition.

  • — Ces nouveaux riches qui n'en finissent plus d'entasser leurs lingots, d'exposer leur fortune de manière totalement obscène, ne se contentent plus de copier le vieux continent... ajouta-t-il avant de se laisser tomber sur une banquette au velours rouge, son regard désormais empli de ce dégoût qu’il glissait sur les moulures et les fresques du plafond. Ils le pillent, conclut-il dans un soupir.

La jeune domestique ne comprenait pas vraiment où il voulait en venir, ni pourquoi il évoquait tout cela avec elle. S'attendait-il à une réponse pleine d'esprit ? Elle n'en avait pas, d'esprit. Pas plus qu'elle ne saurait quoi lui répondre. Il avait sans doute raison. Elle ne parvenait à se faire à l'idée que cet homme-là puisse avoir tort sur quoique ce soit. Mais elle se refusait à hocher de la tête bêtement, juste parce qu'il la fascinait.

  • — Leur argent neuf achète jusqu'à nos titres d'une noblesse, d'une Histoire à laquelle ils n'appartiennent pas. À laquelle ils ne comprennent absolument rien. Et cette culture qu'ils pillent à coup de billets verts, que leur offre-t-elle ?

Il semblait réellement réfléchir à la finalité d'une pareille salle, tandis que ses longs doigts creusaient un peu plus ses joues avant d'achever leur course sur son menton, accentuant la petite fossette qui s'y trouvait, et que Caroline remarquait pour la première fois. Elle aurait pu se contenter de garder le silence, ce qu'elle faisait si bien depuis le début de cet échange qui n'en était pas un, et pourtant elle s’entendit répondre :

  • — L'immortalité.

Elle avait eu du mal à reconnaître sa voix, mais n'aurait su dire lequel des deux fut le plus surprit, elle ou lui. Il la fixa un instant, avant que ce sourire, qu'elle avait entraperçu un peu plus tôt, elle en était certaine à présent, ne refasse son apparition sur sa bouche si tendre.

  • — Ainsi elle parle, murmura-t-il avec une forme d'amusement qui tendait vers autre chose. Je t'en prie, poursuis.

Et d'un mouvement de main, il lui signifia qu'elle n'avait pas vraiment le choix. Alors, Caroline s'éclaircit la voix, gagnant du temps pendant qu'elle cherchait comment formuler ce qu'elle avait à dire. Avait-elle seulement quelque chose à dire ?

  • — Ils... Mes maîtres... commença-t-elle, hésitante et le regard fuyant. Ils possèdent tout. L'argent, le luxe, le pouvoir, de belles demeures, de belles toilettes, une domesticité suppléant à toute tâche un peu ingrate. Ils ont les plus beaux bijoux, les locomotives les plus rapides, les automobiles les plus puissantes, les fêtes les plus grandes. Et maintenant, des titres... ajouta-t-elle bien qu'elle ne sache toujours pas à quoi cela correspondait. Ils ont acheté tout ce qu'ils pouvaient acheter, et malgré ça, ils leur restent encore de l'argent, trop d'argent.

L'inconnu gardait le silence, mais son regard ne quittait jamais la petite silhouette noyée dans un torrent de jupes, et dont la voix n'était guère plus qu'un souffle timide. Pourtant, il restait attentif. Elle n'était pas très sûre de ce qu'elle racontait, mais puisqu'il ne l'interrompait pas, puisque ce qu'elle disait semblait avoir un sens pour lui, elle poursuivait.

  • — Alors, ils créent des endroits comme celui-ci, des endroits regorgeant de trésors si précieux qu'ils n'existent nulle part ailleurs. Ils dépensent des fortunes pour amasser une collection toujours plus importante, qu'ils céderont, après leur mort, à la ville, au pays. Un trésor qu'ils offriront avec la demeure, transformant leur passage sur Terre en Musée à leur nom.

Du moins, il s'agissait de son avis, l'avis qu'elle s'était forgé en entendant Monsieur expliquer son projet à quelques privilégiés.

  • — Ils s'achètent l'immortalité, conclut-elle, à son tour, la tête et la voix à nouveau basses, achevant son explication les yeux au sol.

Dans cette position, elle ne le vit pas se relever, elle ne perçut que le bruit de ses pas sur le parquet, sur son parquet, celui qu'elle avait entretenu avec soin. Puis, ses souliers apparurent dans son champ de vision, si grands comparés à ses propres pieds perdus, quelque part, sous sa robe trop longue. Et puis elle vit sa main, une main qui fut si rapide, qu'elle ne parvint pas à se reculer avant qu'elle ne se saisisse de son menton pour l'obliger à relever les yeux. Un regard qu'elle s'employa à projeter au-delà de lui. Elle n'était pas supposée regarder dans les yeux, elle n'y était pas autorisée, aussi perdait-elle son regard par-dessus son épaule droite, sur ce bout de plafond tant il était grand.

  • — Et la tienne, combien t'a-t-elle coûté ? demanda-t-il toujours aussi calmement, aussi doucement, presque... tendrement.

Interloquée par sa question, elle en oublia les convenances, et ramena son regard perdu vers le sien. Qu'entendait-il par-là ? Pensait-il qu'elle convoitait, elle aussi, une forme d'immortalité ? Quand bien même elle en aurait les moyens, elle ne partageait pas les mêmes préoccupations que ses maîtres. Son passage sur Terre serait tellement insignifiant qu'elle ne jugeait pas vraiment intéressant que l'humanité en garde une trace quelconque. Elle aurait aimé lui poser la question, mais à peine ses lèvres eurent-elles esquissé un frémissement, que ce fut une autre voix que la sienne qui se fit entendre, bien que tout aussi féminine.

  • — Caroline ! hurla Madame, par-delà l'immensité que représentait l'inconnu tout contre elle. 

La jeune servante n'eut que le temps de percevoir le mouvement de surprise courroucée du bel inconnu à l'encontre de Madame, avant de profiter de cet instant pour prendre la fuite. Elle aurait dû attendre, très probablement, au moins le temps des réprimandes méritées de Madame. Elle savait qu'en prenant la fuite de la sorte elle s'exposait à un châtiment plus cruel encore, mais elle ne voulait pas affronter ses actes tout de suite. Pas son retard, non, mais bien cet instant étrange et totalement déplacé qu'elle venait de vivre en compagnie d'un des invités de Madame. Un invité que Madame saluait d'un très respectueux « monsieur le Duc » et d'une révérence ridicule. Mais ça, elle ne le vit pas. Pas plus qu'elle ne perçu le regard du Duc se teinter de panique, tandis qu'il hésitait entre rendre les hommages à Madame et se lancer à la poursuite de cette petite domestique. Caroline était déjà dans l'escalier, les joues rouges de honte et de confusion, le corps animé de quelque chose qu'elle ne connaissait pas encore, et qu'elle ne connaîtrait plus jamais par la suite : du désir.

 

*

​​​​​​​

Le front en sueur, le palpitant frénétique, Astrée s’extirpa du sommeil comme on sort d’une apnée prolongée. Bouche grande ouverte, poumons qui peinent à se rassasier, elle s’arqueboutait dans le fauteuil hors d’âge. Où était-elle ? Qui était-elle ? Elle mit quelques instants à reconnaître le vieux salon de Beynac et plus encore à se rappeler comment elle avait atterri ici. La nuit était tombée depuis longtemps, si bien qu’elle ne discernait plus que les contours des meubles encore drapés. Lorsqu’elle se redressa, un bruit sourd attira son attention, et elle se plia en deux pour ramasser le vieil album photos qu’elle consultait quelques instants avant de sombrer d’épuisement. Elle n’avait même eu conscience de s’endormir, elle ne s’était pas senti partir.

Les rideaux tirés et la porte verrouillée, elle regagna l'étage, une barre de céréales entre les dents. Elle ignora la chambre de son enfance, au profit de celle, plus vaste et fraîchement aérée, de feus ses grands-parents. Elle renonça à la simple idée de chercher des draps, et fini par se recroqueviller sur un matelas nu. Un large pull emprunté à Pâris en guise de couverture de fortune, et elle eut à peine le temps d'un bâillement avant de regagner les bras de Morphée. Le portable en silencieux sur la table de nuit poussiéreuse, elle ne remarqua même pas l'écran s'allumer pour afficher le visage grimaçant d'un frère qui l'appelait pour la dixième fois, sans trouver plus de réponse que les neufs fois précédentes.

Pas plus qu'elle ne prit conscience de l'ombre qui arpentait le parc en sa direction. Cela-même qui s'étonnait de découvrir un changement infime, un changement imperceptible. Un détail que la silhouette ne comprenait ni ne concevait encore, mais qui transformait sa prison en quelque chose d'autre d'infiniment plus... acceptable. Comme si cette ombre n'était plus là contre sa volonté. Comme si elle se trouvait exactement où elle devait être, et non plus où on l'avait, de force, placé.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Tac
Posté le 20/04/2021
Yo Ophelie !
J'ai trouvé ce chapitre bien monté et très intrigant. J'ai une remarque sur un petit point de détail : à un moment dans sa course la servante pense que Madame ne laisserait jamais mademoiselle sauter un repas, et j'ai trouvé que ça déboulait comme un cheveu sur la soupe et en plus j'ai pas vraiment réussi à voir le lien avec le reste des événements. Donc je n'ai pas compris ce que cette réfléxion faisait là, elle ne ma pas parue nécessaire pour ton propos actuel.
Plein de bisous !
OphelieDlc
Posté le 23/04/2021
En effet, ça ne sert pas à grand chose. C'est de l'ordre du détail, je pense que j'ai certainement cherché à faire un comparatif entre deux jeunes filles du même âge mais pas de la même caste. Cependant, puisque Mademoiselle n'apparaît pas par la suite, ça ne fait pas sens de le laisser là.

Merci Tac !
Alie
Posté le 04/03/2021
Bonjour :)
J'aime toujours beaucoup ce que tu écris et la manière dont tu l'écris, ainsi que les thèmes que tu abordes et le fantastique que tu distilles avec parcimonie. J'ai juste trouvé ce songe moins percutant que le premier, sans doute parce que celui-ci est plus long mais malgré tout c'était très bien maîtrisé !
OphelieDlc
Posté le 05/03/2021
Merci !
Oui, le style de ce songe est très différent du premier. J'ai tenté d'imprégner la personnalité de ces femmes dans la narration. Dagmar était plus "primitive" plus combative aussi, que peut l'être Caroline la petite servante. Les époques différent également, et le statut de la Femme évolue (ou régresse parfois) au cours des siècles. Même si le fond de la personnalité reste toujours le même, les réactions peuvent différer d'un songe à un autre, du fait de l'endoctrinement, de la société, etc.
Ce songe-ci est plus long pour finalement moins d'actions, parce que la vie de Caroline est bien moins percutante que celle de Dagmar. La violence y est plus psychologique.
Le prochain songe sera encore différent. J'espère qu'il te séduira un peu plus. :)
Alie
Posté le 05/03/2021
Je conçois tout à fait que tu insuffles à chaque songe une personnalité un peu différente à ton héroïne, bien que le noyau de son âme reste le même à chaque réincarnation, c'est logique que l'environnement conditionne Astrée dans ses vies antérieures. Tu arrives à nous immerger dans chaque époque que tu abordes avec brio, alors bravo. J'ai hâte d'en lire plus. J'espère que dans cette vie, au moins, le lion et la louve pourront être ensemble de nouveau. ;)
Morgane64
Posté le 13/02/2021
Bonjour bonjour !
Je suis ravie, j'ai l'impression que tu prends un rythme de croisière, que tu gagnes en fluidité dans le récit de ce rêve. J'aèrerais juste un peu les paragraphes pour gagner encore en facilité de lecture, juste aller à la ligne de temps en temps, mais ce n'est qu'un avis
J'ai noté quelques coquilles rien de grave. le dernier mot, "placé", au féminin.
"perçu " mettre un "t". "l'inconnu pris parole".
Voilà voilà, à bientôt !
OphelieDlc
Posté le 19/02/2021
Merci beaucoup pour ton retour !
Je trouve, mais je ne suis pas forcément objective, que la narration des songes est assez inégales. D'une période historique à l'autre, j'y arrive plus ou moins bien. Je précise pour que tu ne sois pas déçue en découvrant un prochain songe à la rédaction plus laborieuse.

Et oui, tu as totalement raison, je vais aérer un peu plus les paragraphes. Et m'empresser de corriger les coquilles.

Merci encore !
MayPhoenix
Posté le 08/01/2021
J'ai adoré la partie du rêve avec Caroline et le Duc, il y avait vraiment une ambiance différente et particulière qui correspond bien à un rêve/souvenir. Je suis juste curieuse de connaître la date approximative des évènements vu qu'ils mentionnent des musées....(et c'est ce que j'étudie ahah)

Je n'ai pas vu le temps passer en lisant ce chapitre!!
OphelieDlc
Posté le 08/01/2021
Haha, merci !
Alors, très bonne question. J'avais basé ce "songe" au début du siècle dernier. Dans mon imaginaire, Caroline est née en 1901. Cette histoire se déroulerait donc un peu avant la première guerre mondiale. J'avais en tête l'histoire de John D. Rockefeller, par exemple, et sa pseudo philanthropie. Ils étaient légions, à l'époque.
MayPhoenix
Posté le 08/01/2021
Merci pour la réponse!
Notsil
Posté le 03/09/2020
J'ai adoré la partie avec Caroline ! J'ai eu l'impression qu'on plongeait dans l'histoire de l'antique demeure.

Et ce Duc, très mystérieux, qui en savait bien plus sur Caroline qu'elle-même. J'ai eu l'impression de voir des liens émerger entre les époques... ^^

Je me demande pourquoi son frère cherche à l'appeler si frénétiquement. L'album photo provient-il de la boite mystérieuse ?

Et toujours cette touche de mystère, cette aura d'étrangeté... une ombre, une silhouette, cette fois. Et si ce n'était pas le chat, qui avait claqué les portes ? ^^

J'aime beaucoup ton univers, je suis curieuse de la suite !
OphelieDlc
Posté le 05/09/2020
Ravie que l'univers te plaise :))

Oui, visiblement, le Duc sait des choses, ou du moins, il "savait" des choses.

Tes interrogations sont légitimes, tu te poses les bonnes questions, mais je ne peux, malheureusement, pas y répondre pour l'instant, haha.

La suite arrive très bientôt ! ;)
Vous lisez