Sortie

Gwenn errait dans les couloirs.

Ses pieds nus s’enfonçaient dans la mousse d’un tapis moelleux, rouge, qui lui traçait un chemin d’honneur.

Elle penchait la tête à chaque porte croisée, furtivement, balayait du regard les couloirs, dortoirs, chambres, vérandas, salles d’eau, buanderies, loges, cabanes, boudoirs, salles d’eau, de jeux, de machines, jardins d’intérieur, elle glissait au habitantEs croiséEs, d’une voix douce : « Tu n’aurais pas vu D ? » et on lui répondait que non, avec un sourire de douceur ou un regard peiné, sans oser lui poser de questions, ni sur sur sa quête, ni sur son bec, ses plumes ou cette voix feutrée. Gwenn continuait sa traversée de la Maison, le cœur serré, consciente pourtant dans tous ses os d’une force nouvelle qui aplanissait le sol sous ses pieds, qui repoussait l’air autour d’elle pour lui ménager une bulle de confort et d’aisance où elle se sentait évoluer avec bonheur.

Dans un couloir aux murs couverts d’une tapisserie royale, pourpre tissée d’or, des hublots s’ouvraient vers des paysages fabuleux. Dans le premier, un cygne lui faisait face, flottant sur le canal d’une ville ensoleillée, sous le ciel azur. Elle avança dans le couloir et de hublot en hublot, le cygne et elle se suivaient, ne se quittaient pas des yeux, elle, avançant sur son tapis, lui, flottant dans des paysages variés, sur le lac d’une forêt, sur l’étang gris bordant des maisons perdues, enfin, se dandinant sous un paysage de pluie.

Gwenn quitta le cygne à regret et observa qu’elle lui avait emprunté des rémiges, grises, qui poussaient à présent le long de ses bras nus, grandissaient et blanchissaient à vue d’oeil.

Des habitantEs, qu’elle connaissait pour la plupart, la saluaient avec des sourires, des hochements de tête entendus, même si quelques inconnuEs arrivéEs depuis peu regardaient son bec ou ses plumes avec des regards effrayés, non accoutuméEs encore aux formes changeantes sous ce grand toit aux étranges occupantEs.

Enfin, une odeur de sucre et de feu de bois annonça que la prochaine grande double porte entrouverte était celle du Salon. Un rouge feu lui empourpra les joues jusqu’aux sourcils quand les dernières images de l’Assemblée lui revinrent en mémoire. Le couloir finissait là, alors elle poussa le battant et entra. Elle ignora superbement Justin, enfoncé dans son fauteuil auquel elle souhaita qu’il reste collé à jamais. Les chaises, fauteuils et sofas étaient toujours disposés autour d’un centre imaginaire et, fait inhabituel, des interlocuteurices échangeaient d’un air concentré et sérieux. Les discussions tenues à voix basse s’interrompirent à son entrée et les regards se posèrent sur elle.

Elle tâcha d’ignorer la panique pour se concentrer sur le visage de D, qu’elle cherchait en vain, tandis qu’elle parcourait des yeux, rapidement, les silhouettes, toujours plus ou moins assemblées en rond comme si le Salon avait gardé la forme de l’Assemblée ; sans pouvoir s’empêcher de nommer intérieurement ces gens avec lesquels elle avait tant partagé, les vieilles Hulettes, Charles, Thérèse, Armand, Nany, les solitaires, Astrid, le garçon tournesol dont personne ne connaissait le nom, Mam’s Angélique qui cherchait à accrocher son regard, Clarence caché dans un coin, appareil sur les genoux, Christine qui lui souriait, donc, D n’était nulle part.

La bulle tendue de silence creva d’un coup. Plusieurs personnes parlèrent en même temps :

« Ah, Gwenn, ouf, tu es là.

- Excuse-moi, je ne voulais pas te faire de la peine.

- Je cherche D, vous l’auriez pas vue ?

- Tu sais, moi j’ai bien aimé, la fête. On ne danse pas assez, ici.

- Non, pas vue.

- Oui, elle est passée en coup de vent.

- Ah ? Mais c’est fou, je n’ai pas bougé de là, je ne l’ai pas vue. »

Christine lui montra du menton un carreau de la grande baie vitrée. Si bien que Gwenn dut traverser à nouveau la pièce, dans l’autre sens cette fois, pour s’approcher de l’immense fenêtre qui mangeait le mur et offrait une vue constante sur le tableau du ciel, présentement vert pâle touchant au jaune doré. Se découpant nettement sur le carreau immaculé, tracé au rouge à lèvre en lettres capitales, il était écrit : Je serai encore là quand tu reviendras. Un cœur dessiné en dessous faisait office de signature.

Alors Gwenn prit la poignée dorée de la porte-fenêtre, l’enclencha, laissant entrer un vent puissant et joyeux qui souleva les protestations outrées des frileuxes ; d’une patte lourdaude elle grimpa sur le fauteuil, sur la table, sur le rebord de fenêtre, elle écarta les bras face au vent et se laissa emporter. Elle plongea dans l’or du ciel, battant des ailes avec sa nouvelle vigueur, vers ce qu’elle pensait être l’horizon, s’orientant par le vol des Etournelles sur sa droite, par les cris d’encouragements et d’« au revoir » derrière elle, et par le fil d’espoir et de force qui la tirait en avant, sur la route du retour.

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