# 1 - Sous la neige
— Regarde !
Le château disparaissait sous les volutes de brumes qui le paraient d’une robe fantomatique. Il était splendide ainsi apprêté. Si les lumières avaient brillé aux fenêtres, il aurait été plus incroyable encore.
— On ne le voit presque plus…
À mesure que la calèche progressait, cahotant sur les petits chemins qui serpentaient entre les sommets des monts pointus, la grande et glorieuse demeure rapetissait et s’éloignait. Déjà, elle était inaccessible.
— Reviendrons-nous un jour ?
— Je ne sais, princesse… soupira le majordome.
— Si seulement…
Soulane ne parvenait plus à contenir son angoisse. Le froid s’intensifiait. Bientôt, la pluie se changerait en glace… et alors, comme l’annonçait la prophétie, le pays disparaitrait sous la neige. Et elle serait seule à pouvoir le sauver.
# 2 - Glace tranchante
Le carrosse stoppa net. Le majordome fut projeté de son siège et la princesse se cramponna aux rideaux. Une bourrasque ballota l’habitacle et le silence tomba, laissant une impression de vide après ces heures de route.
Les pas du cocher crissèrent dans la neige, et bientôt ses jurons.
— Bon sang de givre ! Les roues ! Elles… ont gelé !
Curieux, ils le rejoignirent dans la tourmente. Le métal givré s’était brisé. Ils étaient bloqués. Alors des hurlements se firent entendre.
— Princesse, mettez-vous vite à l’abri !
— Ce ne sont pas des loups, murmura-t-elle. Mais bien pire.
— Qu’est-ce donc ?
— Parfois, le froid est si mordant qu’il obtient des crocs.
Elle se saisit d’une stalactite qui s’était formée sur le carrosse.
— Qu’allons-nous faire !
— Le froid mord… mais la glace tranche, répondit-elle en l’empoignant comme une épée.
# 3 - Les autres…
Il avait suffi de quelques créatures griffues tranchées par la glace pour que les cris des bêtes avides cessent. Mais rien n’était arrangé pour autant. Le carrosse était inutilisable et le froid avait tant et si bien forci qu’ils étaient tous conscients qu’ils ne trouveraient plus d’aide dans les environs. Qui sait s’ils pourraient seulement le retrouver après s’en être éloignés. PAs le choix, il fallait continuer à pied.
Soulane n’avait jamais beaucoup marché. Ses escarpins cristallins et sa robe floconneuse n’étaient pas adaptés pour une randonnée. Vaillante, elle tâchait de progresser la tête haute. Pour elle, ça irait… mais pour les autres…
Pliés en deux sous le blizzard, ils grelottaient, la barbe et les sourcils cristallisés, la peau bleuie. Si elle ne faisait rien, elle les perdrait eux aussi.
# 4 — Le mur du village
— Vous… vous êtes sûre, princesse ?
— Très.
Les deux hommes échangèrent un regard, perturbés et reculèrent.
— C’est un ordre de votre princesse ! s’impatienta-t-elle.
Aussitôt les deux hommes se précipitèrent vers elle. Ils se glissèrent sous ses longues jupes blanches. Pivoine, elle sentit des mains se poser sur ses cuisses et la soulever. Elle se retrouva alors assise une fesse sur chacune de leurs épaules. Heureusement pour elle, ils faisaient la même taille.
— Vous… vous avez moins froid ? demanda-t-elle mal à l’aise.
— Oui, Votre Altesse, assurèrent-ils. Tout droit ?
— Tout droit, je vous guide.
Ainsi, ils progressaient plus vite. Et elle s’inquiétait moins pour leur sécurité. Mais il leur fallut quand même plusieurs heures afin d’atteindre le village. Du moins son mur protecteur, hérissé de glace et surtout… hermétiquement fermé.
# 5 - Coup de vent
— Trouvée ! La fameuse princesse de l’hiver… souffla une voix d’homme à l’haleine de chocolat chaud.
Surprise, Soulane renonça à son escalade des murs gelés.
— Prince Octobre ! Nous avons des ennuis et…
— Oh, je sais… Je suis là pour ça. C’est moi, et moi seul qui mettrai fin à l’horrible prophétie. L’automne rayonnera et vous serez bien plus à l’aise dans notre chaleureux royaume…
Oh non… elle aurait dû s’en douter.
— Ça n’a rien d’une histoire de confort ! Lâchez-moi !
— Jamais, affirma-t-il.
Elle le repoussa rudement. Il sourit.
— Vos coups… c’est mignon, mais c’est du vent. Découvrez les miens.
D’un seul geste, il réveilla une bourrasque qui la projeta dans les airs. Droit vers le royaume de l’automne.
# 6 - Les noces rose châtaigne
Debout sur l’estrade, prisonnière d’une robe Rose Châtaigne, Soulane observait son « futur mari » remonter l’allée au son de la musique grandiloquente. Elle avait toujours adoré le prince Octobre, mais… pas comme ça.
Les invités, ravis, applaudissaient, les tables débordaient de mets… Soulane cherchait désespérément une échappatoire lorsqu’elle aperçut le chapeau de son majordome dépasser de derrière la pièce montée.
Aussitôt, elle retrouva courage.
— Soulane, princesse de l’Hiver, voulez-vous prendre pour…
— Attendez ! dit-elle. C’est un mariage princier, par une course ! J’aimerais que mon futur époux nous enchante d’un de ses somptueux discours !
Octobre lui sourit et de son charisme chaleureux, il commença à improviser quelques mots sur la beauté de sa future femme. Alors mine de rien, Soulane recula, encore et encore, jusqu’à disparaitre sous les tentures.
— Par ici, souffla le cocher. Les murs sont en pain d’épice !
# 7 - Clou de girofle
— C’est vraiment splendide. Regardez ! C’est de l’écorce d’orange. Le carrosse est fait en écorce d’orange ! Et je pense… mais oui ! Il est laqué d’amaretto ! Et avez-vous remarqué la banquette ! Je parierais sur du spéculos. Oh princesse… je suis si nerveux à l’idée d’avoir osé dérober…
— Emprunté, corrigea Soulane, la tête entre les mains.
— Le carrosse du prince Octobre, mais c’est une pure merveille ! Cette odeur est tout simplement envoutante, c’est de la cannelle n’est-ce pas ? Et là, ces petites incrustations… je parierais sur de la badiane. Quelle inventivité ! Et les poignées… mmh… ça sent bon, mais qu’est-ce que c’est… c’est si excitant !
— Du clou de girofle, souffla Soulane d’une voix cassée.
— Vous êtes sur ? C’est un peu volumineux…
— Oui, je suis sûre, dit-elle en dévoilant son visage boursouflé. Je suis allergique aux clous de girofle.
— Oh ! M…isère !
# 8 - Le roi du Nord
L’arrivée au pays du Sud fut catastrophique. La robe s’était fanée, l’allergie n’avait fait qu’empirer et la chaleur… Soulane suait, se liquéfiait, peinait à faire le moindre geste.
C’est ainsi qu’elle fut présentée à la cour où tout le monde bruissait de dégout à sa vue. Le Roi du Sud et son fils étaient scandalisés. Mais Soulane avait une mission.
— Prince Beach, je suis ici pour vous proposer ma main, afin de mettre fin à la prophétie, unir nos deux royaumes et faire de vous le Roi du Nord.
Dans le silence outré qui suivit, une petite voix murmura.
— Quelle idiote !
Soulane se retourna vivement, mais n’aperçut qu’un chapeau pointu décoré de feuilles mortes. Elle l’oublia vite, tandis que le prince Beach venait à sa rencontre.
— Si c’est pour la prophétie, grimaça-t-il. Alors soit.
# 9 - Emmitoufler
— Je crois qu’on a touché le fond, gémit le majordome emmitouflé dans un jupon de la robe rose châtaigne.
Soulane acquiesça. Le roi du Sud les avait fait enfermer dans la chambre froide et ils étaient désormais assis sur des tonneaux de sodas, entre des étagères de sorbets et des pièces de viande à barbecue.
— Tu sais où est le cocher ?
— Christal ? Oh… je l’ai vu jeter ses vêtements en l’air et partir en courant vers la plage en criant comme un dément. Je ne sais pas si nous le reverrons un jour. Princesse… je suis désolé d’avoir à vous dire ça, mais vous allez devoir faire un effort.
Elle passa ses doigts sur sa peau qui retrouvait son aspect normal.
— Je sais… mais la vérité éclate. Je suis incapable de répondre à la prophétie. C’est… au-delà de mes forces.
# 10 - Les empreintes
Le majordome s’était absenté. Soulane avait été réveillée par une jeune soubrette s’excusant encore et encore…
Elle quitta son frigo et une vague de chaleur la submergea. Où aller ? Ce palais était immense… elle repéra de traces de pas boueuses et décida de les suivre. Elles sortaient en direction de la plage où une foule de gens s’amusaient. Le soleil cru frappait si fort qu’elle ruisselait déjà de sueur. Les empreintes continuaient droit vers un petit bungalow. Elle l’atteignit péniblement, épuisée. Lorsqu’elle poussa la porte, elle trouva le prince Beach assis sur un canapé, une fille en maillot de bain sur chaque cuisse.
— Oups, ma future femme ! rigola-t-il.
Les filles s’éloignèrent brusquement. Le prince blêmit. Tout le bungalow était en train de geler.
— Il va falloir que nous ayons une petite discussion, souffla Soulane.
# 11 - Obsidienne
Soulane avait à peine ouvert la bouche qu’on frappait à la porte du bungalow. Elle découvrit Christal, en caleçon, tremblant de tous ses membres.
— Je crois qu’il faut partir, princesse.
Elle lança un bref regard au prince Beach, du genre « ce n’est que partie remise » et sortit. Dehors, il neigeait. L’océan s’était figé, capturant certains baigneurs que les autres tentaient de dégager avec des outils improvisés.
— Oh…
Christal la prit par la main et l’entraina. Le majordome les rejoignit au carrosse, une chemise à fleurs dans le poing et un air coupable au visage.
— Que s’est-il passé ? demanda-t-il en grimpant dans le véhicule.
— « Quand la princesse laissera entrer l’été dans son cœur »… c’est raté.
— Misère…
— Où allons-nous ? demanda Christal.
Soulane réfléchit. Chapeau à feuilles, bottes boueuses…
— Prends la route d’obsidienne. Je dois retrouver quelqu’un.
# 12 - Dragon de compagnie
— Qui cherchons-nous ?
— Une sorcière, répondit Soulane en fendant la foule.
— Une sorcière ? s’étouffa le majordome. Dans le Royaume de l’Ouest ?
Il fit un geste large. Plusieurs femmes avec des chapeaux pointus et des balais s’écartèrent pour ne pas le percuter.
— Pas n’importe laquelle… je cherche la sorcière qui a prédit la prophétie.
— Oh… et comment allons-nous la retrouver ?
— Elle a des bottes boueuses…
— Comme tous les habitants de l’Automne. Et comme nous, aussi. Quelle engelure cette gadoue !
— Elle a cousu des feuilles mortes sur son chapeau.
— Jusque là, rien de bien nouveau non plus. Ça a même l’air à la mode.
— Et elle a un dragon de compagnie.
— Hein ?
Presque aussitôt, un souffle de vent balaya les feuilles mortes et une sorcière juchée sur un dragon fila droit vers une maisonnette au sommet d’une colline.
— Nous tenons une piste.
# 13 - Près du feu
— Je vous attendais.
Un feu crépitait dans la cheminée. L’air sentait la patate douce grillée.
— Princesse Soulane et Majordome Frima, asseyez-vous, mettez-vous à l’aise. Je suis Monite. Ainsi donc, vous avez renoncé à épouser le prince Beach ?
— Non, répondit Soulane.
— Oh foudre, j’avais eu un peu d’espoir.
— Mais…
— Que dit la prophétie déjà ? Ah oui, « Le Pays du Nord disparaitra sous la neige tant que la princesse n’aura pas fait entrer l’été dans son cœur. »
— Oui, mais…
— Et vous pensiez aimer l’été en épousant le prince du Sud ? Où est la logique ?
— Ce n’est pas…
— Taratata, j’ai entendu assez de niaiseries. Restez près du feu et au moins une fois dans votre vie, arrêtez-vous cinq minutes pour réfléchir au lieu de foncer tête baissée. Je vais faire des cookies.
# 14 - Habits blancs
Soulane s’éveilla alors que Monite déposait les cookies sur la table.
— Désolée, murmura-t-elle en s’étirant. J’étais fatiguée.
— Bien dormi ?
— J’ai fait un rêve…
— Racontez-donc !
Soulane réfléchit.
— J’étais… en train de me marier, mais pas avec le prince Beach.
Monite sourit avec approbation.
— C’était un moment magnifique et joyeux. Je portais un bel habit blanc cousu de flocons, une robe du Nord.
— Formidable !
— Je me souviens…
— Stop !
Les deux femmes sursautèrent. Le majordome se précipita vers elles.
— Princesse, il faut partir, vite !
Soulane n’hésita pas. Elle attrapa trois gâteaux et se rua jusqu’au carrosse.
— Quoi ? Que se passe-t-il ? demanda la princesse en cherchant des signes de gel.
— Je serais vous, je ne toucherais pas à ces cookies.
— Mais pourquoi ?
— Faites-moi confiance, cette femme n’avait qu’un seul but, provoquer notre perte.
Merci !
Oui ! Je m’étais dit la même chose à propos de certaines création de ce mois d’Octobre. C’est fou comme on a mélangé les genres et les sensibilités sur ces thèmes. J’ai aussi envie de relire les sagas.
Le prince Beach… j’étais morte de rire à chaque fois et un peu surprise que personne n’ai relevé. Ça va, mon humour n’est pas si nul XD
Merci pour ce commentaire ! <3
-Vitale
Il y a de l'action, de l'humour, l'héroïne n'est pas épargnée et en même temps, elle ne se laisse pas faire non plus. Tous les ingrédients sont là pour que j'accroche et je compte bien lire la suite ! :)
Je suis contente que ça te plaise. Pourtant je galère ! Je passe plus de temps à couper qu’à écrire 😅
Je t’avouerai aussi que c’est toi qui m’a donné l’envie de faire un feuilleton. J’aime tellement les tiens qu’il fallait que je tente.
Merci pour ton commentaire ! <3