Sous la Neige - 2nde partie

# 15 - Trahisons et complots

Le carrosse fonçait.

— Où allons-nous ? demanda Soulane.
— Au royaume du Sud, que nous n’aurions jamais dû quitter.
— Mais… que reprochez-vous à Monite ?
— J’ai une mission et une seule. Je dois sauver mon pays en vous faisant épouser le prince de l’été. Et cette… sorcière ! N’avez-vous donc pas compris ? Une prophétie, pfff… C’est elle qui a maudit le Royaume du Nord ! Et elle était prête à vous corrompre en vous tournant la tête avec ses idées stupides.

Des idées stupides ? Une robe de son pays ? De l’amour ? De la joie ?

— Et si elle avait raison ? demanda-t-elle prudemment.
— Elle a tort ! Vous épouserez ce prince. N’oubliez jamais qu’il n’existe que deux options.
— Deux ?
— Soit vous accomplissez la « prophétie » soit…

Il dévoila un couteau dans sa manche.

— Plus de princesse, plus de problème.

# 16 - Givre

Soulane pleurait.
Des larmes gelées,
Les bras croisés
Autour d’elle-même.
Se rassurer…

Et derrière elle,
Le beau carrosse
Scellé de givre
Tient prisonnier
Ses deux alliés.
 
Sous ses souliers,
Des fleurs de glace.
Et dans son cœur,
Un vide immense.
Mais plus d’espoir.

# 17 - Île du nord

Soulane se retourna en entendant des pas. Des volutes de glace jaillirent, prêtes à frapper.

— Doucement, ce n’est que moi !
— Prince Octobre ? Ce n’est pas le moment.
— Je viens en paix. C’est Monite qui m’envoie.
— Oh…
— J’ai trouvé mon carrosse… il est sublime avec toutes ces paillettes. Mes hommes vont tâcher de libérer ses prisonniers…
— Je suis désolée… La situation m’échappe complètement.
— Qu’est-ce que tu comptes faire ? Retourner en été ?
— Non, inutile. Chaque minute que je passe là-bas renforce la malédiction, dit-elle en regardant ses mains. Je pensais plutôt m’exiler sur l’île du Nord en attendant une meilleure idée.
— J’en ai une, dit-il. Laisse-moi organiser une rencontre avec une amie qui vient du Sud. En terrain neutre ? Pourquoi pas en terre printanière ? Elle serait de bon conseil.
— … D’accord. Merci Octobre.
— C’est tout naturel.

# 18 - Peau de loup

Lorsque Soulane vit l’amie d’Octobre, elle eut un mouvement de recul. C’était une guerrière. Sa peau noire ombrée de rouge était tatouée de signes dorés. Couteaux et sabres pendaient à la ceinture de sa robe minimaliste en lin, mais surtout, elle était entièrement recouverte d’une cape épaisse qui semblait faite d’une peau de loup énorme et terrifiant. Si cette femme voulait la tuer, alors elle serait incapable de lui échapper. Ça se voyait à sa façon de marcher, dans le jeu de ses muscles redoutables. Elle s’arrêta et réprima une grimace. Elle frotta son bras. Elle avait la chair de poule.  

— Puissante, murmura-t-elle en tendant néanmoins une main amicale.

Soulane répondit à son geste. Là… Octobre a dit quelque chose, mais… Soulane n’a pas relevé, les yeux rivés à ceux de la guerrière. Une chaleur sauvage la parcourait. Une chaleur… envoutante.

# 19 - Le jeu des plumes

— Alors comme ça, tu n’aimes pas l’été ?

Soulane se crispa.

— Stop, attendez ! intervint Octobre. J’avais prévu que ça puisse dégénérer, alors j’ai pensé à organiser les choses. Vous connaissez le jeu des plumes ? Non ? Parfait. Tenez… voilà. Je serai l’arbitre. À chaque agression, l’autre gagne le droit de se défendre avec la plume. Prêtes ? C’est parti.
— Comment fait-on pour aimer l’été ? commença Soulane blasée.
— Comment fait-on pour aimer l’hiver ! rétorqua l’autre.
— Agression !

Soulane donna un coup de plume sur l’épaule de son adversaire. Ce jeu était nul.

— Cette rencontre n’a aucun sens, souffla-t-elle.
— Agression !

Contre toute attente, l’autre utilisa sa plume pour caresser son nez jusqu’à la faire éternuer. Soulane frissonnait encore quand elle reprit la parole.

— Et voilà ! approuva Octobre, content. Ça prend forme.

# 20 - Mourir (encore)

Frima gronda de douleur tandis qu’il brisait la glace qui emprisonnait ses jambes. Sa renaissance ne se faisait pas sans douleur. Ses mains tremblantes et rougies attrapèrent le couteau dans sa manche qu’il tira afin de dégager le reste de son corps. Il avait été un homme gentil, doux serviable, il avait fait les choses bien avec la princesse, patient et attentionné. Mais certaines limites avaient été franchies. Il avait une tâche, une seule… Si ce n’était pas le gentil majordome qui la mènerait à bien, ce serait le vilain. Et ce serait ô combien plus facile.

Avec un cri de colère, il repoussa un morceau de glace qui entravait sa sortie du carrosse. Un grincement le coupa dans son élan et il resta immobile, aux aguets. Le bruit s’intensifia, devint vacarme et… !

Ce qu’il restait du carrosse se perdit sous l’avalanche.

# 21 - À pierre fendre

— Quel est le problème, au final ?

Les deux femmes s’étaient tellement tordues de rire qu’elles avaient fini par s’écrouler l’une contre l’autre, non sans avoir d’abord fait succomber Octobre sous l’assaut de leurs plumes conjuguées.

— Tout ce que je sais, c’est que mon pouvoir sur la glace m’échappe depuis mon vingtième anniversaire, répondit Soulane.
— C’est arrivé brusquement ?
— Oui. Le soir même, il a gelé si fort que la pierre de la plus haute tour s’est fissurée. La prophétie était en marche… j’ai dû partir.
— J’ai entendu dire que tu avais causé des dégâts dans le sud… mais rien de tel, réfléchit Octobre. Ni à l’ouest.
— Et si on y allait ?
— Surtout pas ! Volcana, tu ne comprends pas… c’est très dangereux !
— Justement. C’est comme si… comme si on voulait te convaincre de ne pas y retourner.

# 22 - Arbre mort

— Fini le confort, se lamenta Octobre.

Son carrosse, Beurresalé, s’était enlisé dans une congère après avoir été poussé sur le verglas par une bise impitoyable. Désormais, ils devraient marcher.

— Toujours sûre de toi ? demanda Soulane.
— Oh… il en faut plus pour me faire peur.

Dans les yeux de Volcana brillaient les flammes de la curiosité. Emmitouflée dans sa peau de loup, rien ne pourrait l’arrêter, et Soulane songea qu’elle aimait ça. N’était-elle pas en train de faire entrer un morceau d’été dans son cœur ? Pourtant, l’hiver s’intensifiait encore.

— Nous n’avançons pas, remarqua Octobre qui luttait contre le vent.
— J’ai une idée.

Soulane montra l’arbre mort en travers du chemin. Son tronc creusé par le temps, son écorce rigidifiée, la route gelée et en pente douce… Elle se retroussa les manches.  

— Qui veut faire de la luge ? 

# 23 - Pôle

— Où sommes-nous ? cria Volcana.
— Tout près du château !

Le vent tourbillonnait. Octobre avait utilisé son pouvoir d’automne pour faire pousser une citrouille d’Halloween sur sa tête et semblait serein depuis. Volcana par contre, souffrait. Sa peau était rougie, ses cheveux gelés. Soulane se blottissait contre elle, l’enroulant dans sa cape et s’efforçant de canaliser sa magie au maximum… Pour la première fois de sa vie, elle aussi avait froid, vraiment froid.  

— Ça n’a jamais ressemblé à ça, l’hiver… si ? demanda Octobre d’une voix si posée qu’il avait juste l’air d’être en visite de courtoisie.
— Non. Ça ressemble plutôt au pôle.
— Oh ! C’est joli ! C’est quoi, ça ? demanda-t-il agenouillé devant une magnifique étoile de glace qui dépassait à peine de la neige.
— Le sommet de la plus haute tour du château.
— Ah ! Vraiment tout près, alors…

# 24 - Grizzly

— J’ai cru voir une forme blanche, grelotta Volcana.
— Le vent charrie beaucoup de neige, la rassura Octobre.
— Non, non… là c’était concret et gros, un peu comme un ours, mais blanc.
— Oh, ce n’est rien, répondit Soulane, les mains enfouies dans la neige. C’est un grizzly.

Elle tentait de faire pénétrer sa glace jusqu’au cœur château afin de créer des fissures à travers lesquelles ils pourraient tous se glisser. Octobre participait en faisant pousser des courges qu’il glissait dans les fentes pour les garder ouvertes. Le glacier craquait de plus en plus fort.

— C’est une créature qui vit un peu plus au nord, mais avec ce froid… S’il approche, je m’en occupe.
— Et ces grizzlys… ils portent toujours des chapeaux hauts de forme et se cachent derrière les congères ?

Octobre et Soulane échangèrent un regard.

— Gel de cerveau, murmura Octobre.

# 25 - œuf(s) endormi(s)

— Aaaaaaaaaahhhh !
— Wouhouuuuuu !!!
— Aïe !

Soulane avait tracé son toboggan à l’aveugle, si bien qu’ils avaient tous terminé leur glissade dans un sapin de Noël de la salle de bal. Ça aurait pu être pire.

— On y est ! soupira Octobre en s’époussetant. Qu’est-ce qu’on cherche ?
— La source du froid, répondit Volcana à l’affut.  
— Il n’y a pas de source, assura Soulane.
— Si, si… je le sens. Le froid qui fait mal… il est ici.

De somptueux cadeaux étaient empilés. Volcana les poussait sans ménagement. Solane soupira avec nostalgie. Sa fête d’anniversaire… Quel désastre.

— Là !

Ils découvrirent trois œufs bleus sertis d’écailles de diamant, blottis les uns contre les autres, comme endormis. Des œufs de… dragon ?

— Qui t’a offert un truc pareil ?

Soulane se retourna vers Octobre qui levait déjà les mains en signe de paix.

— C’est pas moi !
— Qui ???
— Bah… si en fait.

# 26 - Hibernation

— Pourquoi ?
— Mais heu ! gémit Octobre. C’était un joli cadeau, non ? Et il est mieux chez toi que chez nous ! Franchement jamais au grand jamais je…
— Tu en fais trop, gronda Volcana.

Octobre roula des yeux.

— Bon, d’accord… Oui, on savait… Mais est-ce qu’on avait le choix ? C’est ton père qui nous a refilé ce dragon d’hibernation à la base.
— Et quand comptais-tu nous en parler ?
— Et bien jamais. Il n’y avait pas grand monde capable d’aller fouiner jusqu’ici. Je ne connaissais que deux personnes et…

Son sourire se fit mauvais.

— Elles sont dans cette pièce. Nous allons donc pouvoir en finir avec toute cette mascarade.

Il fit apparaitre un canon à courge qu’il posa négligemment sur son épaule. À l’instant où il allait tirer, un grizzli affublé d’un chapeau jaillit du toboggan et le percuta de plein fouet.

# 27 - Poudreuse

Octobre avait été assumé par le choc.

Volcana gronda pour faire peur au grizzly, mais celui-ci leva les mains en signe de paix. Il s’ébroua, faisant voler la poudreuse, puis enleva une partie de son épaisse fourrure.

— Frima ! s’exclama Soulane.

Ce dernier tomba à genoux devant elle.

— Princesse… pardonnez-moi. Toute cette histoire m’a rendu fou. Ma femme est prisonnière sous la glace et…
— Je ne t’en veux pas. Je comprends. Tu sais maintenant comme nous ce qu’il en est, ajouta-t-elle en se tournant vers les œufs endormis. Mais que faire ?
— Le souverain de l’ouest est un crétin, répondit alors Volcana. On ne fait pas éclore les dragons en les mettant au froid. Il faut les couver.
— Certes, mais nous n’avons rien d’assez chaud.
— Si, répondit-elle avec un soupir. Vous m’avez, moi.

# 28 - Berceuse de décembre

Assise en tailleur sur le trône de l’Hiver, Volcana avait installé les œufs sur ses jambes. Elle les entourait de ses bras qui rayonnaient de chaleur. Soulane s’était assise à côté d’elle.  

Un peu plus loin, enfermé dans une cage de glace, Octobre boudait, sous la garde impitoyable de Frima.

— Pourquoi as-tu du pouvoir ? Je croyais que seuls les dirigeants en utilisaient ? questionna Soulane.
— L’actuel roi du Sud a vaincu ma grand-mère et pris sa place.
— Oh…

Les œufs semblaient soupirer d’aise et Soulane se surprit à les envier. Pour apaiser son cœur, elle décida de leur chanter la berceuse de l’hiver, un chant traditionnel de Noël. Envoutée, Volcana mêla sa voix grave à la sienne, la couvant du regard. Avec un soupir Octobre se joignit à elles.

Doucement, la neige commença à fondre.

# 29 - Averse

L’eau ruisselait et Soulane avait peur. Le froid avait été si subit, si violent. Les souverains avaient utilisé leurs pouvoirs pour protéger les habitants, mais… et si ça n’avait pas marché ? Non… impossible.

Elle échangea un regard avec Frima. Son visage grave trahissait les mêmes inquiétudes.

— Allons-y, dit-il.

Ils quittèrent la salle de bal pour grimper vers les sommets. L’eau s’infiltrait partout et jaillissait par intermittence, comme une succession d’averses traitresse, qui faisait enfler le torrent qui rugissait à leurs pieds. Soulane retint son souffle et poussa la porte. Une lueur bleue s’en échappa. Son père et sa mère se tenaient par la main, prisonniers d’un cristal de glace enchantée rayonnant de puissance. Le sort avait fonctionné !

— Ne pleurez pas princesse, murmura Frima émerveillé. Vous provoqueriez une inondation.

# 30 - La brèche

Un cri terrifia Soulane qui dévala la tour à toute vitesse. Volcana était toujours sur le trône, elle observait les œufs avec les yeux ronds.

— Que se passe-t-il ?
— Là ! Une brèche !

Les œufs étaient en train d’éclore ! Très vite, une petite tête bleue s’extirpa de son cocon avec un pépiement joyeux. Puis un autre, et encore ! Bientôt, trois bébés dragons escaladaient la poitrine de Volcana pour venir se nicher dans son cou.

— Mes enfants sont nés ! plaisanta-t-elle.

Ils étaient si mignons, si attendrissants !

— Soulane… continua-t-elle. J’ai eu le temps de réfléchir depuis que je couve et… je me demandais… si tu voudrais les élever avec moi.

Le cœur de la princesse se serra.

— Je ne suis pas le prince B…
— Oui, la coupa Soulane. Car tu es l’été que j’ai fait entrer dans mon cœur.

# 31 - La nuit la plus longue

— Vos majestés, les dégâts n’ont pas fini d’être inventoriés, annonça Frima. Mais la population est en sécurité. Et… il faudra remplacer votre cocher qui a refait sa vie au Sud.

Octobre s’inclina à son tour.

— L’Ouest reconnait ses torts. Mais nous tenons à nos liens avec le Nord. Mon père propose de l’aide pour la reconstruction et une compensation en boissons chaudes et mets sucrés par traineaux entiers.

Ce fut le tour de Soulane.

— Pardonnez-moi d’avoir échoué à ma tâche première. Ce n’est pas prince du Sud que je souhaite épouser.

Elle glissa sa main dans celle de Volcana. Aussitôt, les trois mini dragonnes roucoulèrent avec enthousiasme. Le roi et la reine échangèrent un regard tendre.

— Tant de choses à fêter… La nuit promet d’être longue !

Et dans les yeux de Soulane et Volcana, cela sonnait comme mille promesses.

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Merci à l’équipe de PA qui nous a organisé cet évènement !  Ça a été un super moment. <3

À toutes les plumes… vous êtes des amours <3