Suite for flute and jazz piano trio - Claude Bolling & Jean-Pierre Rampal

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Baroque and blue :
https://youtu.be/w-_QOlCJUek

Sentimentale :
https://youtu.be/iWn85KBmBE4

Irlandaise :
https://youtu.be/sllIdERNDrA

Je ne sais pas quand j’ai pu entendre cette suite pour la première fois. Elle était peut-être un cadeau de mon père, que j’ai pu écouter avant même ma naissance. Mon père aime tellement le jazz… Cette suite est peut-être l’une des raisons pour laquelle a sept ans, j’ai décidé d’apprendre la flûte traversière. J’ai l’impression de l’avoir toujours entendu de loin. Elle passait peut-être parfois sur les enceintes familiales, dans un après-midi sans école ou une soirée de vacances. Pendant longtemps, elle a été pour moi comme une sorte de mirage, qui hantait la maison sans jamais vraiment se montrer ou se faire remarquer.

 

Puis, à treize ans, je m’y suis arrêté. Je ne me rappelle même plus comment j’avais pu la redécouvrir, trouver son titre. Peut-être que je me fiais simplement à des souvenirs lointains ? Il me semble avoir pris ma flûte et entonné maladroitement le premier morceau de cette suite, « Baroque and Blue ». Elle avait un début facile et sautillant, presque enfantin, à peine soutenu par le piano qui paraissait reprendre son thème en canon avant de le transformer en un solo en swing. Je n’avais peut-être tenté qu’une dizaine de notes, recherchant dans ma mémoire lesquelles étaient les bonnes, quand mon père entra dans ma chambre. Il était courant de le voir arriver sans frapper, ravi de m’écouter travailler. Mais cette fois-là fut différente. Il était réellement heureux de m’entendre essayer quelque chose qui résonnait depuis longtemps en lui.

 

En quelques minutes, il m’en acheta la partition. Moi, j’avais juste expérimenté de retrouver un air sans trop de prétention, trouvant qu’il sonnait bien, mais sans savoir vraiment ce que j’en cherchais. C’était sûrement bien moins que ce que pensait mon père, fébrile de partager avec moi quelque chose qu’il adorait. À peine deux semaines plus tard, voilà que j’avais le recueil complet de la suite de Claude Bolling et Jean-Pierre Rampal, et que je me lançais dans l’apprentissage pour le plus grand plaisir de mon père, sans en parler à mon professeur de conservatoire.

 

Jouer avec le piano enregistré sur un CD inclus dans la partition toutes ces pièces était un bonheur insoupçonnable. « Baroque and Blue », au-delà son thème simple et innocent se révélait d’une véritable complexité quand le piano et la flûte se mélangeaient, changeant de ligne mélodique, faisant comme du contrepoint jazzy. Sa subtilité harmonique transportait bien plus loin que ce que j’avais pu imaginer, me donnant l’impression de ne plus savoir où porter l’oreille alors même que je jouais, sa richesse m’enveloppait, me galvanisait.

 

Puis, vint « Sentimentale ». Son calme rassurant, pavanant avec lenteur comme un félin dans la nuit. S’installait alors la flûte, dans une mélodie aux longues notes vibrantes comme les reflets de la lune sur l’eau. Tout était difficile, car je manquais très souvent d’air en l’interprétant et je ne voulais pas donner l’impression de me noyer. Très longtemps je travaillais ma respiration, sans ma flûte, apprenant à ressentir l’air entrer en moi jusqu’à se loger dans le ventre et l’arrière du dos. Je devais créer mes propres bouteilles à oxygène, pour devenir aussi léger qu’un oiseau.

 

Enfin, je jouai « l’Irlandaise ». Je souhaitais l’entonner rien que pour son titre. Puis, en l’écoutant, elle devint ma pièce préférée de toute la suite. J’y retrouvais la lenteur superbe de la sentimentale, avec un thème simple qui prenait son temps. Mais rien ne pouvait égaler la puissance précise du solo de Bolling, transformant la mélodie avant que Rampal ne la reprenne. La batterie créait l’envie de danser paresseusement, comme un slow. Jamais, en écoutant « l’Irlandaise », je n’ai pu rester immobile. Ma tête suivait les glissandos de la flûte alors que mon corps balançait au son de la contrebasse. Peut-être que certains pouvaient la trouver trop simple ; c’était justement ça que j’aimais en elle. Elle transformait la facilité en beauté.

 

Enfin, j’avais déterré ce fantôme qui hantait anonymement la maison. C’était de superbes pièces dont j’étais tombé amoureux. Et mon père, si fier de m’entendre les interpréter du mieux que je pouvais, brancha pour moi tout son matériel d’enregistrement pour garder en mémoire ces airs où l’on se retrouvait. On passa des heures ensemble à faire les prises dans son petit studio amateur. J’étais si heureux d’enfin jouer des musiques que j’affectionnais, depuis le temps que j’enchaînais des morceaux d’études et de travail au conservatoire, que jamais je n’aurais pu m’en plaindre.

 

Je les aimais tant, moi qui portais avec ces pièces un bout de ma famille entre les mains, que je les présentais avec tout mon courage à mon professeur de conservatoire. À ma grande surprise, il n’avait rien contre cette suite, interprétée par le plus célèbre flûtiste de tous les temps. Il savait même plaquer les accords de base au piano. Sentant mes espoirs s’enflammer, je lui demandais si l’on pouvait les travailler ensemble pour que je puisse me perfectionner, et peut-être même proposer l’un de ces morceaux en audition. J’avais en tête mon père, qui depuis dix ans ne ratait jamais une de mes représentations ; je rêvais de voir ses yeux une fois sur scène, à jouer « l’Irlandaise ». Mon professeur refusa sans que je puisse vraiment m’en étonner. Les pièces étaient belles, mais trop faciles. Il me fit remarquer que mon CD contenait des erreurs dans l’enregistrement, et me redonna ma partition après plusieurs minutes de critique pour ne plus jamais s’y intéresser.

 

La suite pour flûte et piano de Bolling fut pour moi comme une parenthèse dans l’espace-temps. Ce genre de moment où tout s’arrête en se rejoignant et où dans une pause, les sens s’entremêlent. Ce fut l’une des rares périodes de ma vie où je travaillais un morceau que j’aimais vraiment et bien que ce fut dans le dos de mon professeur, ce sentiment fut si unique qu’il me marqua durablement. Peut-être que la suite de Bolling est « trop facile », trop jazz ou trop classique, je ne saurai dire. En l’écoutant, je ne peux même pas dissocier ces mouvements qui ont tous leur âme et leurs émotions si distinctes qu’ils ont tous, à leur manière, influé sur une partie de moi.

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