Une fois le déjeuner passé, Adam s’excusa à la ronde et se leva, quittant la grande salle pour aller faire un tour sur le pont. Eleanor fit de même, mais resta debout, les yeux rivés sur la princesse.
“ C’est bon, je sais ce que j’ai à faire, gronda-t-elle pour elle même en la foudroyant du regard. J’ai déjà eu une servante, figure toi...”
Dégoutée, Amélie repoussa la chaise en silence débarrassa les couverts du comte. D’un coup d’oeil elle repèra la salle des servantes où aller les desservir et se rendit compte que le caniche de de Saad la surveillait encore. Docile et soumise, mais bouillant de l’intérieur, elle se dirigea vers le pont, le plus lentement possible en signe de protestation, mais les yeux invariablement baissés.
- Vous en avez mis du temps, gronda Adam en la regardant approcher, le dos appuyé contre la balustrade. Je veux que vous restiez toujours sous mes yeux.
- Excusez moi, monsieur, répondit-elle de mauvaise humeur, mais je manque encore d’expérience.
Adam sourit. D’un sourire sans joie. Juste l’expression d’une satisfaction malsaine de savoir qu’il contrôlait parfaitement la situation.
- Venez, dit-il en se tournant vers l’océan.
Elle approcha juste d’un pas de sorte à rester encore assez loin de lui. Son regard se releva pour admirer les grands nuages noirs qui couvaient à l’horizon. Ils avaient parlés d’un orage, elle s’en souvenait. Y avait-il de quoi s’inquiéter ? Non, sans doute pas. Personne n’aurait entrepris un voyage diplomatique alors qu’il y avait un risque même infime pour que tout le gratin de ce coin de continent court le risque de finir au fond de l’eau.
Une violente crampe d’estomac la fit grimacer. Elle avait faim, elle n’avait presque rien mangé la veille. Il faudrait qu’elle trouve un moment pour s’éclipser quand tous les nobles auraient quitté la salle. Fichu métier que servante, tout son corps ne cessait de lui rappeler les efforts qu’elle avait fait la veille, la brûlure dans sa main... Mais tout ça, c’était rien comparé à l’humiliation constante... son regard se posa sur la nuque du comte, elle eut envie de le griffer, mais lui restait-il encore assez d’ongles ?
- Venez, insista-t-il en indiquant l’endroit juste à coté de lui. Ici.
Elle soupira mais avança vers lui. Il fallait qu’elle soit un minimum de bonne volonté...
- Vous voyez ? L’océan à perte de vue. Il n’y a nul part où vous enfuir. Et à l’intérieur de ce bateau, vous n’avez aucun allié.
- Je ne cherche pas à m’enfuir, je suis très mauvaise nageuse. Et je n’ai pas besoin d’allié. Si j’étais sur ce bateau à la base c’était pour me débrouiller seule, répondit-elle sans le regarder. Qu’est-ce que vous cherchez à prouver ?
- Simplement que vous n’avez aucun échappatoire. Alors je veux que vous me fassiez la promesse, sur votre honneur que vous allez respecter notre pacte. Et quand je dis, “sur votre honneur”, sachez que ce n’est pas simplement pour la formule.
Elle frissonna.
- Je ne comprends pas ce que vous voulez de plus que ce que je vous ai déjà dit.
- Je veux une promesse solennelle, sinon écrite. Je veux que vous le disiez à voix haute.
A ce moment, la pluie fine du début de matinée recommença à tomber, chassant le peu de monde en train de prendre l’air glacé de la matinée.
- Je fais le serment, sur mon honneur, de respecter notre pacte, murmura-t-elle en sentant une pierre lui tomber au fond de l’estomac.
Mais un pacte fait sous la contrainte, est-ce que ça compte ? Peut être pas, mais s’il trouvait le moyen de se venger, il se ficherait bien de le savoir, lui.
- Qui consiste en ? souffla-t-il en se penchant vers son oreille.
- Vous escorter jusque sur l’île, ne rien faire qui puisse vous trahir durant ces trois jours, vous accompagner jusque devant mon père, faire annuler les fiançailles prévues avec le baron et entamer celle que vous désirez, énuméra-t-elle de plus en plus accablée.
- C’est parfait, et en échange, je jure de prendre soin de vous.
Il passa une main sur sa joue.
- Comme avant.
Elle repoussa sa main d’un geste las.
- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, répondit-elle. Je ne crois pas avoir jamais rencontré personne d’aussi ignoble par le passé... Ou alors j’aurais fait le nécessaire pour très vite l’oublier.
Il soupira et se tourna vers l’océan avec un sourire qui aurait pu paraitre triste. Puis son visage devint sombre.
- Je ne crois pas que nous échapperons à l’orage, marmona-t-il.
- Alors rentrez vous mettre à l’abris, dit-elle en observant la progression de la lointaine masse sombre. Il n’y a que ça à faire.
- Je vais rester encore un peu. Rentrez dans la cabine et enfermez-vous. Eleanor va vous accompagner.
- Permettez moi quand même d’aller manger quelque chose, dit-elle agacée. Et je n’ai pas besoin que votre poule soit sur mes talons, je vous ai donné ma parole.
- Ne discuttez pas. Ma servante vous a déjà préparé tout ce qu’il vous faut dans ma cabine. Partez, maintenant.
Elle baissa les bras et rentra à couvert dans la cabine. Effectivement, un repas avait été préparé. Alors à défaut de pouvoir faire autre chose, elle s’assit et mangea en silence. Ce n’était d’ailleurs pas forcément une bonne idée si le bateau se mettait à tanguer. Elle n’avait pas eu le moindre problème jusque là, mais avec l’orage...
Son repas terminé, elle s’installa sur la couchette et ferma les yeux. Bon sang, ça ne pouvait pas finir comme ça, elle ne pouvait pas être responsable de son propre enlèvement et de la ruine de son pays et de sa vie toute entière... Il fallait qu’elle trouve quelque chose, et vite. En attendant, elle pouvait toujours essayer de prier les dieux d’empêcher que ça n’arrive... par tous les moyens...
Quand Adam revint dans la cabine, une bonne heure plus tard, il était trempé. Il jeta un regard à la jeune fille puis ouvrit une porte de placard pour en extirper une serviette.
- Le temps empire, annonça-t-il en entreprenant de sècher ses cheveux. Le capitaine dit que ça devrait se calmer, mais je ne suis pas tranquille.
- Vous êtes plus calé en météo qu’un marin expérimenté, alors c’est sûr, il y a de quoi s’inquièter, railla-t-elle en se redressant de la couchette.
- Certainement pas, rétorqua-t-il en ôtant sa veste et sa chemise trempées pour les étendre sur une chaise, mais j’ai vu les marins s’agiter, et j’arrive plutôt bien à cerner quand on me ment.
- C’est vrai que les mensonges, les traitrises, c’est plus votre rayon, murmura-t-elle en détournant les yeux, gènée par le spectacle qu’il offrait, torse nu, trempé et les cheveux en bataille.
- Venant d’une femme qui se déguise pour tromper son monde, ces affirmations ne me font ni chaud ni froid.
Il se dirigea vers la porte de la penderie pour trouver des vêtements de rechange.
- Qui est Eleanor pour vous ? demanda la princesse et s’adossant contre la paroi de la cabine, histoire de changer de sujet.
- Pourquoi cela vous intéresse-t-il, demanda-t-il en se tournant vers elle.
- Parce que vous vous adressez autant à elle qu’à votre servante pour votre service, mais qu’elle n’a pas la tenue appropriée. C’est votre poule ? ajouta-t-elle mesquine.
- Jalousie ? releva-t-il amusé.
Il posa sa nouvelle tenue sur le bureau acheva de se déshabiller.
- Non, je n’ai pas encore la prétention d’être la meilleure de vos servantes, gronda-t-elle en lui tournant cette fois carrément le dos, génée par son manque de pudeur devant elle.
Une fois habillé, il se rapprocha d’elle en passant ses doigts dans ses cheveux mouillés. Il saisit son menton, tourna son visage vers lui et la regarda fixement.
- Que voulez-vous ? demanda-t-elle gènée et inquiète.
- Je vérifie que vous êtes présentable.
Il se redressa et se dirigea vers la porte.
- Venez, le dîner nous attend.
- Oh...
Elle se leva et se rendit compte qu’elle était presque déçue. Certains réflexes ne disparaissent jamais et quand il avait approché son visage du sien, le frisson qu’elle avait ressenti n’avait même pas été désagréable... Elle lissa sa robe, réajusta son bonnet et baissa la tête pour marcher derrière lui, prète à subir encore une heure à attendre en faisant le pied de grue.
Le repas se passa comme celui du midi. Mis à part le fait que le bateau commençait à tanguer doucement. Rien d’inquiétant en soi, mais les conversations était quand même un peu tendues et le repas se termina assez vite. La plus part des convives allèrent s’enfermer dans leurs cabines en attendant une amélioration météorologique.
Adam regardait la pluie battre le hublot et la houle, sourcils froncés. Il n’aimait pas avoir à s’en remettre à la chance, à la météo et encore moins à d’autres pour tout ce qui touchait sa sécurité.
- Je crains que nous n’ayons à rester enfermer ici tous les deux pour un moment, dit-il pour sa princesse sans se retourner pour la regarder.
- Quelle joie, répondit-elle sans émotion. Trouvez-vous donc une occupation ce serait dommage de vous voir vous ennuyer.
Il lui adressa un long regard amusé, puis la rejoignit sur le lit.
- Il y a une occupation que je brûle d’essayer avec vous depuis longtemps… Si vous aviez accepté ma première demande, ce serait chose faite...
- Et faire monter un homme comme vous sur le trône du pays ? C’est une plaisanterie ? Il n’y a bien que par fourberie que vous pouvez obtenir cette place.
Elle s’écarta de lui avec une moue dégoutée.
- Parce que c’est la seule voie que vous m’offrez, réplica-t-il. La seule qui vous aille.
- Non, de Saad. Cette voie là ne me va pas non plus. Je préfèrerais largement que vous me laissiez tranquillement épouser le baron de Laude.
- Ne me faites pas rire, ricana-t-il en se relevant, incapable de tenir en place. De Laude est un idiot fini. Je ferai un bien meilleur roi.
- Ce n’est pas à vous d’en juger. Menteur, manipulateur, séducteur, cruel, et bas ! Non vraiment pas.
Elle croisa les bras, mais finalement se retint aux draps du lit pour rester stable.
- Et bien… sourit-il en perdant à nouveau son regard au-dehors. Nous ferons un merveilleux couple…
Dégoutée, elle ne chercha pas à répondre à sa provocation. Promesse ou pas, il fallait qu’elle trouve un moyen d’empêcher ce sale type de mettre la main sur le trône du pays. Parce que s’il y parvenait, elle aurait plus que jamais besoin de ce qu’elle allait chercher sur l’île du sorcier.