Le lendemain, la tempête avaient redoublé. La houle se faisait de plus en plus forte, et il devenait difficile de se tenir debout.
Adam, assit au bureau devant le hublot regardait l’océan agité d’un air songeur. Amélie était toujours retranchée sur la couchette et s’était installée de sorte à ne pas trop perdre l’équilibre. Elle leva la tête et respira profondément. Elle commençait à se sentir mal, et surtout à avoir peur. Il était facile de se dire que les marins avaient la situation bien en main. Mais beaucoup moins d’y croire...
Une vague plus haute que les autres fit tanguer violemment le bateau. Adam se tourna vers la princesse et se leva pour la rejoindre prudemment. Il la regarda et ouvrit les bras dans une invitation muette.
Oui, elle avait peur, mais elle avait encore sa fierté. Elle détourna les yeux et se cramponna aux draps. Dehors, l’orage grondait et un vent violent soufflait contre la coque et poussait la pluie avec fracas contre le hublot.
- C’est l’enfer, murmura-t-elle sans le vouloir. Mais s’il faut ça pour vous empêcher de vous emparer de ce qui ne vous appartient pas, alors soit.
Il lui prit le poignet et l’attira vers lui.
- Vous m’appartenez, princesse. N’en doutez pas.
Elle ne se défendit pas et le laissa refermer ses bras autour d’elle. Automatiquement ses doigts se refèremèrent sur sa chemise, encore ces fichus habitudes. Une vague plus haute que les autres fit brusquement pencher le bateau les poussant en arrière contre la paroi.
- Ce n’est pas bon, murmura-t-elle.
- Ca va aller, assura-t-il en la serrant plus fort contre lui, veillant à ce qu’elle ne risque pas de se cogner.
- J’ai entendu un bruit étrange...
- Ne t’inqui... ne vous inquiètez pas. S’il y a un problème, nous serons vite prévenus.
- Tu n’en es pas sûr toi-même, insista-t-elle. Tu cherches tes mots.
- Ce n’est pas ça, souffla-t-il.
- Alors c’est quoi ?
Il l’écarta un peu pour la regarder dans les yeux. Le bruit de la pluie et des vagues lui donnait l’impression qu’ils étaient seuls au monde, loin des gens et des responsabilités. C’est peut-être pour ça qu’il perdit la tête au point de se pencher sur ses lèvres.
Sans doute à cause d’une vague juste à ce moment là, elle s’accrocha à lui à s’en faire mal aux mains. Le souffle coupé, elle s’abandonna à ses lèvres. Pendant une longue seconde la tempête se calma totalement, du moins dans sa tête et elle se sentit rassurée, revenue dans un passé qui se faisait de plus en plus lointain, mais dont le souvenir était doux. Un souvenir d’été et de tendresse qu’elle aurait voulu faire durer par ce baiser, jusqu’à ce qu’elle se reprenne et le repousse un peu trop rapidement.
- Oh non, souffla-t-elle en se dégageant de ses bras. Certainement pas...
- Ecoute, je... commença-t-il.
A ce moment là, des coups résonnèrent dans le couloirs, bientôt suivis par des éclats de voix.
- Ne bougez pas, ordonna-t-il en se levant.
Il ouvrit la porte et le vacarme emplit la cabine.
- Il y a une voie d’eau dans la coque, gardez votre calme et rejoignez les canots.
C’était la voix d’un marin qui tentait de se faire entendre au-dessus des cris de panique, le brouhaha des affaires empilées à la hâtes et les pas précipités sur le plancher. Adam se jeta sur la porte de la cabine attenante.
- Eleanor ! appela-t-il. Tu as entendu, monte tout de suite sur le pont avec Maria. On n’emporte rien, dépèchez-vous.
Il n’attendit pas de réponse et se dirigea vers la princesse.
- Venez, dit-il. Il ne faut pas perdre une minute.
Déboussolée, elle prit sa main et le suivit sans poser de questions. Le bateau trangua longuement, les repoussant l’un et l’autre dans la cabine tandis que des cris retentissaient par la porte ouverte. Dès que ce fut possible, ils quittèrent la pièce et montèrent sur le pont. Là, tous les passagers se bousculaient au gré des caprices de l’océan.
“ Les femmes et les enfants d’abord !” cria un des matelots.
En voyant l’un des canots presque plein, Amélie réagit au quart de tour. Elle lacha la main du comte et se précipita dans la foule pour prendre la fuite avec les autres passagers. Elle n’y avait pas réfléchi, elle n’avait songé à rien d’autre qu’à l’idée qu’elle puisse fausser compagnie à l’homme qui tentait de s’imiscer dans sa famille, si bien que quand les matelots poussèrent le canot à l’eau avec elle à l’intérieur, elle ne put que jubiler malgré la tempête.
Elle releva les yeux, vit qu’Adam l’observait au loin, alors elle baissa les yeux et la tête comme elle avait dû le faire pour lui depuis hier.
- Ma femme !
Elle ne réussit pas tout de suite à comprendre ce qui arrivait. Une femme était tombée à l’eau. On la hissa à bord et des bras d’hommes attrapèrent la princesse par les hanches pour la soulever.
- Il n’y a plus de place pour les domestiques, cria-t-il en la faisant passer par dessus bord. Laissez votre place à ma femme...
L’eau était glacée et la tétanisa complètement. Une vague se referma sur elle, la coque du canot se rapprochait à toute vitesse, elle la heurta violemment à la tête, le choc lui fit perdre connaissance sur le coup. Evasion trop bien réussie...
Adam, les deux mains agrippées à la balustrade ne put qu’assister à la scène avec impuissance. Ce n’est que lorsque l’eau glacée électrisa tout son corps qu’il comprit qu’il avait sauté. Il ne perdit pas de temps à réfléchir et plongea. Sous l’eau tout paraissait calme. Il repéra le corps de la princesse qui flottait, inanimé à quelques mêtres de lui et mis toute ses forces pour la rejoindre. Quand ses bras se refermèrent sur elle, un immense soulagement le submergea, occultant pendant une seconde la détresse de leur situation. Il les ramena à la surface et chercha les canots des yeux, mais il s’aperçut que le bateau était déjà loin. Ils avaient dérivé trop loin pour le rejoindre. Il lutta contre la panique et tenta de réveiller la jeune fille en faisant son possible pour garder sa tête hors de l’eau. Voyant qu’il n’arrivait à rien, il se contenta de lutter contre les vagues d’une hauteur démesurée.