Sur l'ile - Chapitre 2

Par Sad

- Adam... Nous ne sommes pas sortis d’affaire.

Adam se releva difficilement et regarda l’endroit où ils avaient échoué.

- C’est…

Il fit quelques pas pour rejoindre le couvert des arbres, l’herbe dense, les fougèrent et autres buissons.

- C’est l’océan, tout ce bleu derrière les arbres… n’est-ce pas ? souffla-t-il.

- Oui, approuva-t-elle. À quoi on s’attendait… Nous sommes à trois jours de la côte…

- Une île… Minuscule…

Il soupira profondément, dépité.

- Essayons de voir si on peut trouver de l’eau et quelque chose à manger, proposa-t-il d’un ton las. Séparons-nous. Je pense que vu la taille de ce caillou, vous ne risquez pas grand-chose…

Elle fronça les sourcils.

- Je n’ai pas besoin de vous pour me protéger, s’offusqua-t-elle en s’éloignant à l’opposé de lui.

- C’est cela, oui, dit-il en partant de son côté. Prenez quand même garde aux serpents et aux araignées…

- Pauvre type…

Il s’arrêta devant un buisson chargé de fruit à la forte odeur d’amande. Il s’en méfia. Dans les enseignements de survie qu’on lui avait donnés lors de sa formation militaire, il se rappelait que c’était l’odeur d’un poison mortel.

- Surtout, n’avalez rien sans m’en parler d’abord, d’accord ? cria-t-il inquiet pour la jeune fille.

- C’est ça, prenez-moi pour une idiote, aussi ! s’insurgea-t-elle.

Elle était déjà de l’autre côté de l’île pourtant elle entendait parfaitement sa voix malgré le flux et le reflux des vagues. Cette île était vraiment toute petite. Ce qu’elle regardait, elle, c’était les noix de coco par grappes entières qui poussaient sous les feuilles des palmiers. Elle eut beau chercher, elle n’en trouva qu’une tombée au sol. Ce ne serait pas suffisant, il fallait qu’elle en fasse tomber plusieurs. Elle n’avait jamais été douée pour grimper aux arbres, alors elle essaya de le secouer. Sa tentative réveilla la douleur à son front, lui arrachant un gémissement. Comment faire tomber ces trucs !

- Est-ce que ça va ? demanda Adam qui revenait dans sa direction.

- Oui, c’est bon ! gronda-t-elle en serrant des dents. Laissez-moi tranquille et allez chercher des trucs utiles.  

- C’est sur que ce n’est pas auprès de vous que je vais trouver ça, ricana-t-il en se détournant.

- Pauvre type.

Amélie ramassa une pierre. Dents serrées, elle la lança sur les noix de coco, et à sa grande surprise, l’une d’elles se détacha et tomba droit sur Adam, le percutant à l’épaule.

- Oh, mon dieu, je suis désolée, fit-elle paniquer. Pardon ! Est-ce que ça va ?

- Est-ce que vous cherchez à me tuer ? gronda-t-il en se tournant vers elle.

- Je n’ai pas fait exprès, je vous le jure… j’essaie de la faire tomber depuis tout à l’heure et c’est seulement maintenant qu’elle…

Elle leva les mains en signe de paix.

- Je suis désolée, dit-elle plus calmement. Je vous la donne, en signe de paix, si vous voulez.

Il se pencha pour la ramasser et la lança le plus fort qu’il put en direction de l’eau.

- Mais vous êtes idiot ! s’insurgea-t-elle.

Il ne répondit pas, de mauvaise humeur, et s’éloigna.

La princesse se précipita vers la noix qui dérivait déjà. Ils n’avaient pas idée de combien de temps ils devraient passer sur cette île, ils ne pouvaient pas se permettre de gâcher quoi que ce soit. Elle retira ses chaussures et sa robe puis elle entra dans l’eau. Elle ne nageait pas très bien, mais elle n’avait plus qu’à espérer que ce serait suffisant puisque déjà elle s’était lancée, luttant contre les vagues. L’une d’elles lui fit boire la tasse, elle se rattrapa de justesse et parvint à la traverser, et c’est fière qu’elle réussit à récupérer la noix de coco. Mais les choses se corsèrent au retour lorsqu’elle se rendit compte que le courant la poussait en dehors de l’île et non vers l’île et qu’elle avait beau nager de toutes ses forces, elle ne se rapprochait pas. Alors commencèrent les crampes. Crispée sur la douleur, elle se sentit couler. Elle cria.

Les bras d’Adam se refermèrent sur elle et il la tira sans ménagement hors de l’eau avant de les ramener sur la plage.

- Vous êtes complètement folle, cria-t-il.

Allongée sur le sable, Amélie écarquilla les yeux en voyant Adam la fusiller du regard. Ça n’aurait pas été si impressionnant s’il n’avait pas été penché sur elle, la bloquant de part et d’autre avec ses bras.

- Mais il ne faut rien gâcher, se justifia-t-elle.

- Il y a des dizaines et des dizaines de fruits comme celui-là, ici ! Il n’y a même que ça ! Et vous voulez mourir pour celui-ci ?

Il criait toujours, furieux. Cette fille aurait raison de ses nerfs avant la fin, c’était certain.

- On ne sait pas combien de temps on va rester sur cette île. Cette noix de coco est peut-être celle qui nous sauvera la vie, se défendit-elle sans conviction. Adam, s’il vous plait…

Comment lui faire comprendre que c’était un peu gênant ?

Il inspira profondément pour retrouver un peu de calme.

- Vous… délirez, soupira-t-il.

Seulement à cet instant, il sembla se rendre compte de leur position compromettante. Au lieu de s’écarter, ses yeux se retrouvèrent comme aimantés par sa bouche. Avec ses cheveux épars et ce tic qui lui faisait mordre ses lèvres, elle était…

- Oh non, non, non…

Elle avait saisi ce regard, et elle le connaissait très bien. Elle donna un coup dans l’un de ses bras et se dégagea pour se relever.

- N’y pensez même pas.

Il se pencha pour appuyer son front sur son avant-bras et resta crispé une seconde.

- Bref, soupira-t-il en se redressant. Arrêtez vos bêtises et soyez plus prudente, d’accord ?

Il n’attendit pas de réponse et s’éloigna.

- Mes bêtises ? s’insurgea Amélie vexée.

Elle se battait contre son cocotier depuis tout à l’heure, il y avait certes plein de noix de coco, mais elles étaient si hautes, qu’elle n’arrivait pas à trouver de solution pour les faire descendre. Et lui, il les balançait ! Bon, d’accord, ce n’était pas exactement le sujet de son énervement. Elle lui en voulait aussi d’avoir osé loucher sur ses lèvres. Ça lui rappelait ce baiser dans le bateau. Ça lui rappelait sa culpabilité d’y avoir répondu. Adam était quelqu’un de dangereux et elle ne devait pas se laisser briser comme deux ans auparavant. Elle espérait s’être endurcie. Pourtant…

Elle poussa un long soupir. Pourtant elle sentait son cœur s’affoler quand il était au-dessus d’elle, elle sentait ses lèvres picoter quand il descendait les yeux dessus, quand elle repensait à ce baiser qui l’avait tant soulagée sur le bateau. Elle s’en voulait tellement de ressentir encore des choses ! Elle avait accepté les fiançailles imposées par son père la tête haute, sans émotion, elle s’était dit qu’elle avait grandi, qu’elle avait muri, mais de toute évidence, elle se trompait, et il allait falloir qu’elle fasse preuve de vigilance.

Adam avait fait le tour de l’ile sans trouver d’eau ni rien qui puisse leur être utile, à part peut-être cette pierre tranchante qu’il soupesait. Il avait bu un reste de pluie au creux qu’une large feuille et jaugeait maintenant la hauteur d’un cocotier. En temps normal, l’escalade ne lui aurait pas fait peur, mais il avait dû forcer pour les garder hors de l’eau pendant la tempête, sans compter son épaule qui lui faisait un mal de chien.

Il décida de tenter quand même, coinçant la pierre dans son pantalon, puis grimpant le long du tronc avec agilité. Il atteint le sommet avec soulagement et fit tomber les fruits avec sa pierre.

Revenu en bas, il attaqua l’épaisse enveloppe, assis à l’ombre des arbres à l’endroit où ils avaient échoué, attendant que sa princesse se décide à le rejoindre. Il faudrait bien qu’elle finisse par admettre qu’elle avait besoin de lui… À moins que ce ne soit lui qui avait besoin d’elle… Mais ça, il ne l’aurait admis pour rien au monde.

Amélie n’avait aucune intention de retourner près d’Adam tant qu’elle n’aurait pas une montagne de noix de coco à lui offrir, et ça commençait mal, puisque pour l’instant elle n’en avait qu’une. Elle lança des pierres, elle tenta de le secouer encore et encore et à défaut de parvenir à un quelconque résultat, elle tenta aussi de l’escalader. En vain. Épuisée, elle renonça et s’assit sur la plage où elle chercha un moyen d’ouvrir sa noix, avec ses mains puis avec le talon d’une de ses chaussures.

Lorsqu’Adam parvint enfin à scalper sa deuxième noix de coco au sacrifice de ses doigts, il se décida à faire le premier pas et retourna là où il avait laissé sa princesse en espérant qu’elle ne se soit pas noyé de désespoir, empoisonnée ou assommée elle-même…

Assise sur la plage, à l’ombre, il la trouva en train de s’acharner sur une noix de coco. Il ralentit en admirant ses épaules délicates, la naissance de ses seins que laissait entrevoir le corset, ses longues jambes fuselées qu’il devinait sous le jupon blanc trempé, ses mains fines qui maltraitait avec rage l’écorce retorse. Une vraie nymphe. Une nymphe enragée, certes, mais divinement belle dans son obstination.

- Qu’est-ce que tu veux ? demanda-t-elle venimeuse en le voyant approcher.

- Pourquoi tu es toujours sur la défensive ? demanda-t-il en lui tendant l’un de ses trésors. Tu as bu au moins ?

- Non, évidemment que non.

Elle lutta pour passer sa frustration sur sa noix de coco plutôt que sur Adam et se rendit seulement compte de celle qu’il lui tendait. Elle hésita entre sa fierté et sa soif, mais la soif l’emporta. Elle récupéra le fruit et laissa le précieux liquide de la noix lui réhydrater la gorge avec délice. Immédiatement, elle se sentit déjà mieux.

- Comment as-tu fait ? Ce truc est dur comme du bois ! Tu as un couteau ?

- Quelque chose du genre, dit-il en lui montrant sa pierre et ses doigts écorchés.

- Ça va être l’enfer à chaque fois qu’on va vouloir manger ou boire.

Il hocha la tête en savourant son fruit à son tour.

- Pas le choix, dit-il, à part les noix de coco, je ne connais aucune plante d’ici. Par contre, on peut encore récupérer un peu d’eau de la tempête sur les feuilles. Mais plus pour longtemps avec la chaleur qu’il fait. On devrait remplir les coques.

- C’est une bonne idée. Je t’avouerai que j’ai beaucoup cherché comment faire descendre les noix de coco des arbres, pas trop fouillé les plantes. Rien que ça, c’est impossible.

- Ca, ce n’est pas un problème. J’en ai fait tomber plein de l’autre côté.

- Oh… Et comment tu as fait ? 

- Tu veux une démonstration ? demanda-t-il amusé.

- Oui.

Il la dévisagea, surpris par son sérieux.

- Tu n’as pas pitié de moi… soupira-t-il en faisant jouer son épaule douloureuse.

Il lui confia sa noix de coco, puis s’approcha d’un palmier pour l’escalader comme la première fois et en fit tomber les fruits.

Amélie le regarda monter, d’abord stupéfaite par son agilité, un peu jalouse, puis oublia complètement sa jalousie pour baisser les yeux sur son corps. La respiration coupée, elle se demanda si elle ne s’était jamais rendu compte à quel point les fesses d’Adam pouvaient être magnifiques, moulées dans son pantalon trempé.

Adam retomba souplement sur le sol avec l’impression d’avoir effectué un numéro de cirque.

- On va chercher l’eau ?

- Euh… de l’eau ? Mais où ? Sur des feuilles ? Ah oui ! 

Il la dévisagea avec un petit sourire moqueur.

- Ce que tu vois te plait ? susurra-t-il.

Elle le foudroya du regard et tourna les talons, prise en faute. Il ricana et partit de son côté pour se mettre à la tâche, de bonne humeur.

Amélie fouilla dans les arbres pour retrouver les restes de pluie gardés par les feuilles et lorsqu’elle eut rempli sa noix et une gourde faite d’une longue et large feuille de palme, elle passa à autre chose. Elle avait vu des plantes qui ne lui étaient pas inconnues. Alors elle chercha parmi les buissons pour les retrouver. Lorsqu’elle rejoignit Adam un moment plus tard, elle avait dans ses bras comme un berceau de fougères et de feuilles.

- J’ai trouvé de petites choses intéressantes, annonça-t-elle.

Adam la regarda, elle et son chargement, ne voyant pas vraiment où elle voulait en venir.

- Il n’y a pas que des noix de coco. Ces fougères sont comestibles, expliqua-t-elle. J’ai aussi trouvé du taro et de la pomme de terre sauvage, mais ça ne se mange que bouilli. Et de l’ail sauvage… ça va être parfait pour assainir nos plaies et éviter les infections.

Adam sourit, impressionné.

- Ca me rappelle le jour où je t’avais grondée parce que tu mangeais des baies étranges… Tu m’avais répondu par un cours magistral sur les plantes comestibles.

Il secoua la tête.

- Ma petite marchande de fleurs…

Elle fit la moue.

- Si tu savais… Je suis encore plus calée sur le sujet qu’avant...

Elle lui sourit.

- Bref. Il faut faire un feu.

- Je m’en occupe.

Il avait déjà commencé à rassembler du bois alors il l’emporta avec lui et se mit en quête d’un endroit où il ne risquerait pas de mettre le feu à la végétation.

Amélie poussa un soupir qui ressemblait presque à un sanglot et déposa sa cueillette près des réserves d’eau. Alors, elle scruta l’océan, le vague à l’âme. Jamais elle ne lui pardonnerait ces jours de pur bonheur qu’il avait brisé deux années auparavant. Sa tromperie, sa traitrise.

- Épouse-moi, épouse-moi, petite marchande de fleurs, murmura-t-elle.

Puis elle se figea. Une tache noire dansait-elle devant ses yeux ou bien… Non ! Elle voyait bien quelque chose qui flottait dans l’eau.
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