Sur l'ile - Chapitre 4

Par Sad

Assise près du feu, Amélie se recroquevilla sur elle-même. Elle aurait aimé qu’il pleuve pour noyer les larmes qu’elle n’arrivait pas à retenir. Qu’essayait-il de lui faire comprendre au juste ? Qu’elle s’était trompée ? Que son père avait menti, ou plutôt s’était trompé lui aussi ? Que tout ça n’était que le plus moche et le plus désastreux des malentendus ? Était-ce une manœuvre de plus ? Ou était-ce vrai ? L’idée qu’elle ait pu commettre cette erreur lui faisait plus mal encore que la trahison.

Adam abattit son poing une fois de plus sur le tronc de l’arbre contre lequel il était appuyé. Mensonge. Trahison. Mépris. Mensonge. Trahison. Mépris. C’était tout ce qu’il connaissait d’elle depuis deux ans. Deux longues années où il avait tout fait pour se venger en accédant au pouvoir et à sa main. Alors… pouvait-il envisager autre chose ? Non. Amélie d’Evont n’était qu’une petite garce aux jeux cruels.

Mais là… Il n’y avait qu’eux deux et l’océan à perte de vue. Qu’avait-elle à gagner à lui mentir ? Est-ce qu’il pouvait croire, rien qu’un peu, qu’on les avait sciemment séparés ? Est-ce qu’il pouvait la croire ?

Il frappa encore, puis se redressa. Il fallait qu’il se calme, qu’il arrive à mettre ses sentiments de côté pour analyser la situation plus froidement. Et pour ça, il ne connaissait qu’un moyen.

Il ôta sa chemise et se tint droit, les yeux fermés. Il laissa tomber ses bras le long de son corps, poings serrés, puis les releva dans un mouvement lent et mesuré avant d’entamer une série de gestes millimétrés qui ressemblaient à un combat au ralenti.

Se vider la tête. Ne plus penser.

Quand il sentit les battements de son cœur s’apaiser et les brumes de son cerveau se dissiper, il s’autorisa à reprendre ses réflexions sans cesser son exercice.

Leur rencontre était fortuite, c’était certain. Elle n’aurait rien pu prévoir de ce qui c’était passé ce jour-là, mais… Il avait toujours pensé qu’en découvrant qui il était, elle avait décidé de s’amuser un peu à ses dépens en jouant les marchandes de fleurs enamourée. Il savait qu’elle avait une forte propension à jouer un rôle, sans doute pour tromper l’ennui de la cour.

Maintenant, voyons les choses sous un autre angle. Il avait passé deux mois à courtiser une marchande de fleurs sans savoir qu’elle était la princesse pour qui il avait justement quitté son comté natal. Et si elle l’avait vraiment aimé ? Et si ces instants parfaits passés ensemble avaient été partagés ? Et si le roi avait appris que le fils de son frère d’adoption et rival courtisait sa fille en dehors des sentiers battus de la cour. Il pourrait avoir pris peur. Depuis deux ans, il avait pu se rendre compte que le roi d’Evont était paranoïaque à son sujet et celui de son père. Il devait admettre que ça se tenait. Oui… À une exception près…

- Pourquoi tu ne m’as jamais dit qui tu étais ? demanda-t-il dans un souffle en rouvrant les yeux.

Appuyée contre un arbre en retrait, Amélie sursauta. Elle l’observait depuis plusieurs minutes et ne s’était pas rendu compte qu’il l’avait vue.

- J’étais certaine que tu le savais, répondit-elle. Les gens m’appelaient princesse devant toi ! Tu l’as fait, toi aussi ! 

- C’était un surnom affectueux, se défendit-il. Je croyais que c’était une sorte d’ironie. Je te prenais pour une voleuse. Je croyais que c’était pour ça que tu évitais la ville.

- Non ! Je voulais juste que ça dure encore et encore et je ne voulais pas que les gardes me ramènent au château… C’est si étrange ? 

- Deux mois, Amé ! Ça a duré deux mois ! J’y ai tellement cru que je voulais t’épouser et m’enfuir avec toi ! Tu imagines ce que j’ai ressenti quand tu as disparu du jour au lendemain ? Quand je t’ai vu me regarder de haut dans ta robe de princesse ? Quand tu m’as humilié publiquement quand j’ai voulu t’approcher ? J’ai essayé d’oublier, de passer à autre chose. J’ai même voulu quitter définitivement la cour et retourner sur le Mur. Mais je te voyais sourire à d’autres, danser avec eux, rire avec eux ! Est-ce que tu as seulement une idée de ce que j’ai ressenti ? Alors j’ai appris, tellement bien appris... J’ai joué avec leurs règles. J’ai évincé tous ces types un par un… Mais comment j’aurais pu prévoir que notre bon roi jetterait son dévolu sur cet idiot de De Laude ? J’aurais du savoir qu’il loucherait sur l’alliance avec les territoires de l’est…

Amélie baissa les yeux, silencieuse. Adam soupira. Il s’était laissé emporter.

- Désolé, souffla-t-il.

Hésitant, il s’approcha d’elle et la serra dans ses bras, prêts à se faire rejeter.

- Non, répondit Amélie piteuse en répondant à son étreinte. C’est moi qui suis désolée. Je n’arrive pas à croire… qu’on ait pu être aussi bête, et surtout moi. Tu n’as pas de raisons de mentir, n’est-ce pas ?

- Je ne t’avais jamais vu, Amé. Je n’aurais pas pu te reconnaitre. Quand je suis venu à la capitale il y a deux ans, c’était la première fois que je quittais Saad. Mais… Je peux comprendre, tu sais ? Quand je suis parti, mon père m’a dressé un sacré portrait de toi. Je n’avais aucune envie de te rencontrer. J’étais plutôt soulagé quand on m’a annoncé que tu n’étais pas là…

- Quel genre de portrait ? grimaça-t-elle.

- Vaniteuse, méprisante, capricieuse, intrigante, dominatrice… franchement je n’aurais jamais imaginé tomber sur toi déguisée en marchande de fleurs, poursuivie par une horde de soldats, alors que je fuyais la cour.

Cette idée arracha un sourire à la princesse.

- Et moi, tu crois que j’aurais pu te reconnaitre ? Froid, distant, qui ne sourit jamais, qui ne plaisante jamais, un soldat trop loyal, tu vois le genre de choses qu’on m’avait dites sur toi ?

- C’est plutôt flatteur en fait, sourit-il en resserrant son étreinte sur elle. Mais je ne t’ai jamais caché qui j’étais.

- Non…

Ce qu’il était doux d’être dans ses bras ! Tout ça… c’était presque trop beau pour être vrai.

- Mais je ne te connaissais pas, c’est tout, murmura-t-elle. Je t’ai aimé à m’en rendre malade, Adam. À perdre le sommeil et l’appétit, à trouver le soleil sombre et les jours sans intérêt. J’ai souffert. Énormément. Et c’est encore pire, maintenant que je sais que toi aussi et que tout ça, c’était pour rien.

Il ne dit rien. Il ne savait pas quoi dire, pas quoi penser, pas encore sur de lui, de ce qu’il croyait et de ce qu’il ressentait.

- Tu sais... quoi qu’en pense ton père, notre famille lui est toujours restée loyale.

Amélie releva les yeux vers lui.

- Oui, et il le sait, répondit-elle. Il vante le travail accompli sur votre territoire.

- Mon père ne veut pas être roi. Saad, c’était une punition, un exil, mais c’est devenu sa fierté… Mais il pense que moi, je dois l’être. Que c’est ma place…

Il soupira et prit sa main dans la sienne pour jouer avec ses doigts.

- Et toi, tu penses quoi ? demanda-t-elle en regardant pensivement ce geste.

- Moi ? Je n’ai pas le choix. Il le faut.

Elle fit la moue.

- Bien, je vais voir si je peux nous faire un abri pour la nuit, soupira-t-elle en se levant. Pauvre type, ajouta-t-elle pour elle-même.

Il la retint, amusé.

- Ma réponse ne te convient pas, on dirait.

- C’est sûr, j’adore ma place de trophée dans ton histoire, Adam. Tu n’avais évidemment pas le choix de démonter un à un tous les prétendants les plus fragiles de ma cour, et de fragiliser les autres pour mieux les démonter ensuite ? Tu n’avais pas le choix de me séquestrer dans ta cabine pour m’arracher la promesse de soumission et de mariage ! Les hommes…

Son sourire s’accentua et il l’attira à lui, l’empêchant de se débattre.

- Exactement. Je n’avais pas le choix. Tu n’as pas écouté ce que j’ai dit ? Amé… dit-il d’une voix plus douce. Je n’ai aucun choix, parce que, que tu m’aimes ou que tu me détestes, tu es à moi. Je ne te laisserai à personne d’autre et je ne pourrai jamais… plus jamais être à quelqu’un d’autre.

Le cœur d’Amélie s’emballa.

- Tu imagines que tu es passé à deux doigts de l’échec ? demanda-t-elle en tentant de le chatouiller pour lui faire lâcher prise. Que si je n’avais pas été sur le bateau avec toi, quand tu serais rentré de l’île des sorciers, tu m’aurais retrouvée fiancée ?

- Oui… Ton père est un sacré gredin… Mais j’aurais trouvé quelque chose. Je trouve toujours. En dernier recours, je t’aurais enlevée.

Elle cessa de se débattre et le dévisagea.

- Tout ça pour le trône et ce n’est même pas toi qui le veux.

- Si je t’enlève, je n’aurai pas le trône. On devrait vivre comme des fugitifs… Peut-être… sur une ile déserte comme celle-ci ?

- Tu vivrais sur une île déserte avec une femme qui te déteste ? demanda-t-elle la gorge nouée.

- Quand je m’imaginais t’enlever le jour de ton mariage, je te voyais hurler, râler et tu regrettais amèrement ce jour où tu m’avais séduit. Aujourd’hui, je me demande comment tu aurais réagi… Je t’enlève, je renonce au trône… en fait, tu serais morte de trouille... rit-il. Je ne suis pas quelqu’un de très délicat.

- On dirait bien, en effet…

Elle lui sourit.

- Tu es un idiot. Et tu as beaucoup trop d’imagination.

- Ce n’est pas ce qu’on me dit, d’habitude…

Il posa sa tête contre son épaule, entourant sa taille fine de ses bras.

- Je suis perdu, avoua-t-il en refermant ses yeux.

Elle posa les mains sur ses cheveux.

- Oui. C’est normal. On a tout gâché. Et que ce soit une erreur ou non, plus rien ne sera comme avant.

Il hocha la tête et resta immobile encore un moment. Ce n’était pas ce qu’il avait envie d’entendre. Il avait envie qu’elle lui dise que rien n’était passé, que rien n’avait changé. Mais c’était faux. Il le savait. Il se redressa.

- Allons nous faire un abri, dit-il en la relâchant.

C’était stupide, pourtant elle n’avait pas envie de le laisser partir comme ça. Alors elle le retint par la nuque et frôla ses lèvres des siennes en un baiser doux sur lequel elle s’attarda à peine plus longtemps que nécessaire. Immédiatement, il referma à nouveau ses bras sur elle pour l’attirer tout contre lui et approfondit leur baiser avec fièvre. C’était si bon, libérateur. Elle en avait envie, elle en avait besoin, même si elle en avait honte.

Comme un nouveau coup de vent la faisait frissonner, elle mit fin au baiser et regarda Adam dans les yeux.

- Cette fois on peut y aller.

Il lui sourit avec tendresse et acquiesça, sa main fermement serrée dans la sienne.

 

 

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