Sur l'ile - Chapitre 8

Par Sad

Amélie ne revint que longtemps plus tard avec deux bols en noix de coco dans les mains.

- Le repas est servi, mon favori, appela-t-elle. Êtes-vous encore en vie ?

- J’arrive.

Il se hissa hors du trou et lui sourit, malicieux.

- Ma reine...

Il ouvrit son poing et lui tendit une bague en or, surmonté d’un solitaire.

- Voulez-vous m’épouser ?

De surprise, elle manqua de lâcher ses bols. Elle les posa sur le sol et lui tendit sa main, tremblante.

- Oui, répondit-elle d’une voix douce. Pour la première fois, oui.

- Pour la première fois, approuva-t-il d’un air nostalgique. Peut-être que si j’avais mis les formes à l’époque, tu aurais accepté.

Il lui passa la bague au doigt et sourit de voir qu’il ne s’était pas trompé dans la taille.

- Peut-être que le prince crabe acceptera de nous marier, sourit-il. Où est-il d’ailleurs ? Il aurait fait un bon repas.

- Non, non, non. Tu ne mangeras pas mon prince crabe ! rit-elle.

Elle se suspendit au cou d’Adam et l’embrassa longuement.

- Tu seras bientôt le roi de l’Ilotrésors. Es-tu fier ?

Il la couva du regard en refermant ses bras sur elle.

- Il n’est rien dont je pourrais être plus fier, souffla-t-il.

- Dans un mois jour pour jour, si nous sommes encore en vie, et encore ici, je t’épouserai et ferai de toi mon roi. Soit digne de cet honneur.

- Un mois, c’est long...

- Préfères-tu un an ?

- Un mois, c’est très bien, se rétracta-t-il.

Elle rit.

- Et si nous fêtions cela par un banquet ? J’ai un ragout de blé aux pommes de terre sauvages et au taro à vous faire gouter, mon fiancé.

- Tu as aussi fait un stage dans les cuisines royales ? demanda-t-il en prenant son bol. Ca sent bon en plus…

- Cuisines royales, auberge… mais ça, c’est plutôt une spécialité du garde forestier.

Il la dévisagea, médusé.

- Garde forestier… Franchement, tu n’étais pas inquiète ? Tu n’as pas peur quand tu pars comme ça toute seule ?

Il regarda le contenu de son bol, suspicieux, et gouta sa part du bout des lèvres. Il fut surpris de constater que c’était loin d’être mauvais.

- Un peu, mais j’adore ça, et ça rend mon père si fier ! Son ombre n’était jamais loin. Je sais qu’il paye les gens qui m’accueillent, je sais aussi qu’il sait très précisément où je suis.

- Même quand on était tous les deux ? demanda-t-il un ton plus bas.

- Non, répondit-elle plus sombre. Il croyait que j’étais chez le fleuriste, en train d’aller chercher des fleurs rares je ne sais où. Il s’est inquiété quand le temps a commencé à être long. Le fleuriste en question a été mis en disgrâce et a dû quitter la ville pour ne pas avoir prévenu la garde.

- Oh… Je suis désolé, dit-il en tendant la main pour caresser sa joue. On a vraiment vécu comme des fugitifs, pendant ces deux mois…

- Oui. Vraiment.

- Je te jure que je ne savais pas, Amé, murmura-t-il. Quand je t’ai demandé en mariage c’était en toute bonne foi. Parce que je te voulais. Toi et personne d’autre. Je croyais que c’était par pudeur que tu refusais. Je pensais qu’en étant patient, tu comprendrais que j’étais sincère. Je t’aimais, Amé. Je t’aime toujours.

- Je te crois, répondit-elle avec douceur. Et si je ne t’ai jamais dit oui, ce n’est pas parce que je n’en avais pas envie, mais parce que c’est à mon père qu’il faut demander ma main. Et que lui seul peut décider de dire oui ou de dire non. Et toi… toi que je croyais sorti de nulle part, et qui n’avais rien à offrir au royaume, je savais déjà quelle serait la réponse… Mais je t’aimais, moi aussi. Et je t’aime toujours.

Il la couva d’un regard tendre et se pencha pour l’embrasser, longuement, amoureusement, tentant d’apaiser à ses lèvres les sentiments trop forts qui l’envahissaient. C’était un baiser doux et douloureux à la fois auquel Amélie répondit avec amour. Elle sentait son corps se réchauffer au contact de ses bras, elle avait l’impression que ce baiser ne suffirait jamais pour apaiser la soif qu’elle avait de lui. Alors elle nicha son visage dans son cou et resta contre lui.

- Mais… tu sais que le problème est toujours le même, n’est-ce pas ? murmura-t-elle.

- De Laude… C’est un très mauvais parti. Ton père ferait n’importe quoi pour que son choix n’ait pas à se porter sur moi. C’est tellement stupide, soupira-t-il.

Elle s’écarta et fronça les sourcils.

- Mon père a ses raisons.

- Bien sûr, concéda-t-il.

Il pinça les lèvres et perdit son regard dans le vide.

- Tu sais que ton père et le mien ont tous les deux été adoptés par l’ancien roi, n’est pas ?

Elle acquiesça.

- Je sais.

- Il parait qu’ils étaient comme des frères, avant, dit-il avec un petit sourire. Étonnant, non ?

- Oui. Mon père dit que c’est le pouvoir qui a cassé leur amitié.

Adam hocha la tête.

- C’est tellement dommage. Mais j’imagine comme mon père a dû être frustré.

Il rit.

- Il m’a envoyé à la cour parce qu’il pensait que ton père voudrait comme lui, réunir nos familles. Ca lui paraissait logique. Mais il n’avait pas imaginé à quel point le roi était devenu paranoïaque à notre encontre.

Amélie resta silencieuse plusieurs secondes. Elle détestait entendre parler de son père comme ça, ça la mettait si mal à l’aise.

- Ce n’est pas de la paranoïa, dit-elle finalement. Et puis… réunir nos deux familles en me présentant comme…

Elle secoua la tête.

- Qu’est-ce que tu avais dit, déjà ? Manipulatrice ?

- Tout ça, c’est de la politique, rit-il. Moi je suis un soldat et toi, une rêveuse. On est loin de tout ça…

- C’est vrai. Mais ça nous concerne quand même de près.

Elle soupira.

- Moi, tout ce que je veux, c’est rester avec toi. Et que tu ne m’annonces pas une fois mariés que tu m’as superbement mystifiée et que tu me fasses jeter dans une oubliette pour vivre avec ta maitresse.

- Si ça peut te rassurer, je n’ai pas de maitresse.

- Et Éléanor ?

Il rit.

- Éléanor est mon secrétaire particulier, répondit-il. Elle s’occupe de tout ce qui me concerne. C’est un peu comme… ma mère...

Elle fit la moue, pas convaincue.

- Si ça peut te rassurer, elle est fiancée au régisseur de la maison de Saad, conclut-il.

Il prit sa main dans la sienne.

- Tu es mignonne quand tu es jalouse.

- Je ne suis pas jalouse, se défendit-elle en récupérant sa main.

- Moi je le suis, fit-il plus sombre.

- De qui ? Du prince crabe ?

- De Laude, répondit-il.

Elle baissa les yeux.

- Oui, là il y a de quoi… Mais si ça peut te rassurer, je n’ai pas de sentiments pour lui. Ce n’est qu’un contrat, une alliance commerciale…

Elle poussa un soupir.

- Je l’espère bien, dit-il. De toute façon, tu n’as pas ton mot à dire. D’une façon ou d’une autre, tu seras à moi. J’évincerai ce petit baron, j’évincerai tous les autres jusqu’à ce qu’il ne reste plus que moi. Je ne laisserai personne, jamais personne te toucher, Amé.

Elle frissonna et lui sourit.

- D’accord. J’aime l’idée que tu sois ce que j’étais allé chercher sur l’ile du sorcier. Avec toi, je serai plus forte.

- J’aime l’idée que je sois tout ce que tu as toujours cherché, fit-il charmeur en se penchant sur ses lèvres.

- Eh ! 

Elle le repoussa en riant.

- Ce n’est pas ce que j’ai dit. Et puis doucement avec tes baisers enflammés, on n’est pas mariés ! 

Adam soupira, tragique.

- Bien… Un mois c’est long… Tu as intérêt à me tenir occupé, alors…

- Serais-tu une sorte de pervers ? demanda-t-elle suspicieuse.

- Pas un pervers, non, mais je ne suis qu’un homme. Ca fait deux ans que je rêve de toi, de ton sourire, de ton corps, de te posséder…

Le cœur de la princesse manqua un battement.

- D’accord, je vais te donner du travail.

Il rit et l’attira à lui pour lui déposer un baiser sur la tempe.

- Ne me dis pas que tu n’y penses pas un peu, princesse.

- Oh si, j’y pense, répondit-elle en se cachant dans son cou. Mais c’est plus un sujet de cauchemar.

Il prit sa main et la fit passer sous sa chemise.

- Je vais changer ça en un doux rêve, susurra-t-il.

Elle rit et le chatouilla.

- Ça prend une tournure embarrassante, cette conversation, remarqua-t-elle.

Il sourit en attrapant ses mains pour se défendre.

- Tu n’es pas joueuse, se moqua-t-il.

 

Il lui déposa un rapide baiser sur les lèvres et la relâcha.

 

- J’ai commencé à aménager en bas, dit-il. En cas de tempête ce sera parfait, mais difficile à défendre si les propriétaires débarquent. Il va falloir instaurer des tours de garde.

- Qu’est-ce que ça changerait ! remarqua Amélie. On est sur une île minuscule. On a fait un phare ! Notre présence ici est évidente. Qu’on les voie arriver ou non, on est perdu. On devrait plutôt faire de ce refuge un abri et qu’en cas “d’invasion”, il faudrait pouvoir tenir le plus longtemps possible en état de siège.

- Ca change qu’on ne sera pas pris au dépourvu, la contredit-il. J’ai aussi trouvé des armes, ce qui, en plus d’être très utile pour ouvrir les noix de coco, nous permettra de nous défendre.

- Oui, admit-elle. C’est vrai.

- Le mieux, dit-il avec un sourire rêveur c’est de se cacher pendant qu’ils vont vérifier leur trésor, monter à bord de leur navire et le détourner. Comme ça, en plus, on rentre chez nous.

- Tu sais… j’ai fait beaucoup de “voyages”, j’ai testé beaucoup de métier… mais pas combattante. Comment pourrais-je me rendre utile si on prépare ce plan ?

- Tu veux faire un stage auprès d’un soldat trop loyal ? demanda-t-il aguicheur.

- Volontier, approuva-t-elle ravie.

- Est-ce que je suis monté au rang de maitre d’arme royal ?

- Évidemment, sinon tu n’aurais même pas le droit de m’approcher. Ton salaire augmentera en conséquence, il te suffira d’aller te servir là-bas en bas.

Il rit.

- Quelle générosité, ma reine. Et en tant que fiancé, j’ai droit à quoi ?

- Des baisers et de la tendresse, sans restriction.

- Ça, c’est intéressant, dit-il en se penchant sur elle pour quémander son dû.

Elle lui offrit un baiser tendre, et par jeu, glissa une main sous sa chemise pour caresser les muscles de son torse. Elle sentit le souffle du comte se faire plus court et son baiser plus avide, alors qu’il remontait ses mains le long de son dos. En elle une vague de chaleur brulante se diffusa dans son corps à partir de son ventre, elle répondit à l’avidité de son baiser laissant l’intensité de leurs caresses augmenter et ne rompit l’instant qu’à bout de souffle, légèrement effrayée par la force de ce qu’elle ressentait.

- On n’est plus tout à fait dans le domaine de la tendresse, là, remarqua-t-elle en cachant son visage dans son cou.

Il sourit, la tête en vrac, en la berçant tout contre lui.

- Je t’aime, Amé, murmura-t-il.

Elle se détendit complètement et poussa un soupir de plaisir.

- Oui. Moi aussi, mon amour.

- Au travail ? demanda-t-il après un moment de silence.

- Oui.

Elle s’écarta et lui sourit.

- Je suis à tes ordres.

- Ça, c’est intéressant, susurra-t-il. Commençons par te trouver une arme.

Après avoir fouillé dans le trésor, il trouva une rapière richement ciselée pour elle et un sabre d’abordage pour lui. Alors, ils commencèrent immédiatement la leçon.

- Plus haute ta garde, intima Adam.

Très sérieuse et appliquée, la jeune femme obéit. Il lui montra un mouvement simple, en frappant dans sa lame qui lui échappa des mains.

- Il faut que tu la tiennes plus fermement et que ton poignet soit souple pour amortir les chocs.

- Oui, maitre, fit-elle en se baissant pour la ramasser. Mais ça fait mal ! Ça vibre dans mes bras.

- C’est parce que ta prise n’est pas assez ferme, dit-il d’un ton dur, avant d’ajouter plus bas : Et aussi parce que l’épée n’est pas à ta main, mais il faudra s’en contenter. On recommence. Et quand tu arriveras à garder ton arme, tu reproduiras l’enchainement.

Adam ne plaisantait pas quand il lui avait dit qu’il lui apprendrait, et Amélie en était ravie. C’était difficile, épuisant, mais elle s’accrocha parce dehors planait une menace. Si les pirates revenaient, s’ils mettaient le pied sur cette île, leurs chances de s’en sortir seraient tellement minces que le moindre détail avait son importance.

- Tu es douée, apprécia le comte alors qu’elle parvenait enfin à enchainer les mouvements qu’il lui avait montrés sans mal.

- Merci ! C’est que tu es un bon professeur.

- On va s’arrêter là. Si tu veux, je peux te montrer un exercice à faire pour éviter les courbatures.

- Est-ce que c’est un exercice qui suppose de coller mon corps contre le tien ? demanda-t-elle malicieuse.

- Hum… Non, fit-il destabilisé. Mais pourquoi pas...

Il rit.

- Tu es une peste.

- J’adore toujours voir ce petit moment où tes yeux s’écarquillent parce que je te surprends, avoua-t-elle amoureuse.

- Il n’y a que toi pour me faire cet effet-là, dit-il en s’approchant pour la serrer dans ses bras. Je suis un homme sérieux, la plupart du temps…

- Je sais. Tu étais… méconnaissable à la cour, répondit-elle en le serrant dans ses bras.

- La cour… C’est une jungle. Il faut s’endurcir pour y survivre. Moi, j’ai dû me construire un mur épais pour ne pas sombrer.

- Je suis désolée, murmura-t-elle. Je regrette vraiment ce qu’il s’est passé. Je n’ai pas été à la hauteur.

- Je suppose que ça n’a pas été simple pour toi non plus, souffla-t-il en posant son front sur le sien. J’aurais aimé que tu me donnes ma chance, mais je me doute que ton père ne t’a pas vraiment laissé de marge de toute façon.

- Non… mais je n’étais pas obligée de te repousser sans te laisser l’occasion de parler, de t’exprimer. Deux ans, il aura fallu deux ans pour que l’on comprenne. Je ne veux plus perdre une seule seconde et passer le reste de ma vie à tes côtés.

Il lui adressa un regard tendre et se pencha sur ses lèvres.

- Ainsi soit-il, murmura-t-il.

 

 

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