Ils jugèrent que le plus important était de protéger le feu pour qu’un éventuel bateau puisse les repérer au plus vite, alors ils entreprirent de le surélever et de le protéger du vent avec des pierres. Amélie fabriqua un mortier de terre mêlée d’herbes dont ils se servirent pour souder leur construction.
- Ca me rappelle quand on a essayé de se faire un potager, lâcha Adam avec un petit sourire aux lèvres alors qu’ils jouaient avec la boue.
Elle pouffa.
- J’y croyais vraiment… approuva-t-elle. Si ça se trouve, il a fini par pousser. Tu es déjà retourné voir ?
- Non… Je me demande si la cabane y est toujours… Ils ont dû la détruire.
- Je ne sais pas. C’est vrai qu’il y a peu de chances pour qu’il reste quoi que ce soit. On avait si bien travaillé !
Il secoua la tête.
- Heureusement que c’était l’été, si tu veux mon avis…
- Oui. Heureusement.
Elle rit en silence.
- C’était génial. J’ai adoré.
- Oui… c’est le genre de chose que je n’aurais jamais cru refaire un jour…
Il essuya la sueur sur son front en tentant de ne pas se mettre de la boue partout. Le vent soufflait toujours, l’horizon restait menaçant, mais pour l’heure, le soleil s’abattait sur eux sans pitié.
- Tu crois que ça vaudrait le coup de le retenter ? demanda-t-il. Le potager, je veux dire.
- Pas pour l’instant, nous n’avons pas de graines, mais si nous restons plus d’un mois, alors oui. Là… ce serait bien. Mais je n’espère pas !
- Un mois... soupira-t-il. Non. Ce n’est pas envisageable. Nous ne sommes pas si loin des côtes et on va vite organiser des recherches. Autant pour toi que pour moi. Surtout pour toi, en fait. À moins que ton père ne préfère taire notre mésaventure. C’est une possibilité.
- Non, mais il sera sans doute discret.
Une fois leur construction achevée, ils allèrent au bord de l’eau pour laver leurs mains pleines de boue. Amélie se mordit la lèvre, pensive.
- Et si on faisait comme si on restait pour toujours ? demanda-t-elle avec un sourire adorable.
- C’est à dire ? demanda-t-il sceptique.
Il ne pouvait pas résister à ce sourire. Il le faisait complètement fondre.
- Si on doit rester, il faut faire un jardin, pas le choix. Et… on ne parle plus de l’extérieur. Notre futur, c’est ici. Tu comprends ?
Il la dévisagea longuement. Ses yeux pétillants, ses lèvres roses tordues en une moue adorable… Il connaissait cette expression par coeur. Sa princesse avait envie de jouer. De s’évader, ne serait-ce que dans sa tête. Il lui sourit alors que son coeur battait fort sous les sentiments profonds qu’elle lui inspirait.
- Comme tu voudras, fit-il faussement blasé. Te voilà reine de l’île perdue. Fière ?
- Très, approuva-t-elle. Mais… il lui faut un nom. L’Ilotrésors, c’est parfait. Et si j’en suis la reine, qui es-tu ?
- Je ne peux pas être le roi ?
- Hors de question.
Elle lui fit son plus beau sourire.
- Tu ne peux pas avoir un grade plus haut que le mien. Si tu le veux… il faut le gagner !
- Il me reste quoi alors ? Jardinier, c’est ça ?
Elle se mordit la lèvre.
- D’accord, tu seras mon jardinier, puisque c’est ce que tu veux. Au boulot ! ajouta-t-elle en riant.
- Tu oses ! gronda-t-il. Viens là, Sa Majesté !
Il courut sur elle.
- La garde ! Arrêtez-le ! Ah ! Je n’ai pas de garde !
Elle s’enfuit sur la plage puis se retourna pour lui faire face.
- Sois mon garde et protège-moi du jardinier, alors !
- Oh… dit-il en s’arrêtant à un pas d’elle. On dirait que je viens de monter en grade…
Elle hocha la tête, sur la défensive, riant encore de leur petit jeu idiot.
- Bien, mais si je suis garde, je ne fais pas dans les travaux manuels. Je vais rester vers le feu monter la garde, dit-il en faisant demi-tour.
- Tu es dur en affaire, soupira-t-elle en le retenant. J’ai une idée ! Soit mon courtisan !
- Ca t’arrange bien, ça, ricana-t-il. Ca signifie que je dois simplement tout faire pour te plaire…
- Exactement, approuva-t-elle. Ça te plait ? Tu montes encore en grade !
- Bien, dit-il en croisant les bras. Dans ce cas, ordonne. Je t’écoute.
- je veux un abri pouvant supporter la tempête. Si ça me satisfait, tu deviendras mon favori et je te récompenserai.
- voilà qui est prometteur, ma reine, dit-il d’une voix suave en s’inclinant. Ce sera fait.
Il prit sa main et la baisa avant de lui proposer son bras pour la ramener à leur campement.
- Ah oui, là c’est bien, approuva-t-elle en prenant son bras. Mais… ça ne me change pas beaucoup de ma vraie vie, en fait… J’ai juste pris du galon, moi aussi. Je n’ai plus qu’à dire… ma vie est formidable, conclut-elle.
- Ca change tout, assura-t-il. Car te voilà reine sans partage. Tu vas devoir prendre sur toi toutes les décisions et responsabilités qui en découlent. Tu as ma vie, et celle de tous tes sujets de l’Ilotresor entre les mains.
- Oui… sourit-elle. Y comprit qui je vais épouser.
- Et tu as déjà un favori ? demanda-t-il. Le comte serpent, peut être, ou le marquis poisson ?
- Figure-toi que le marquis poisson à un regard affolant. Mais en réalité, celui qui est mon favori n’est autre que le prince crabe. Il est fort, et je crois que j’en pince pour lui.
Il rit.
- Je crois qu’on frôle l’absurde là…
- Et alors ? plaisanta-t-elle. C’est amusant.
Elle s’arrêta devant leur abri.
- Tu t’en occupes ? Je vais aller chercher notre repas du soir, il doit bien y avoir une pierre qui ait la forme d’un bol…
- Si tu trouves quelque chose d’approchant, je te la creuserai.
- D’accord.
Elle s’éloigna et fouilla dans les herbes hautes là où la végétation était plus dense. Penchée entre les fougères, elle ne vit qu’au dernier moment le gros crabe qui la fixait. Elle cria de frayeur et recula brusquement. Son pied se prit dans quelque chose et elle tomba en arrière, mais tandis qu’elle croyait atterrir par terre, elle tomba dans un trou, atterrissant durement dans le gouffre. Elle releva les yeux et vit le crabe la regarder en contournant l’ouverture de sa démarche trainante.
- Amé ! appela Adam inquiet. Tu vas bien ? Où es-tu ?
- Là ! répondit-elle depuis son trou. Attention ne tombe pas, je suis dans une fosse, devant le gros crabe !
Adam trouva le crabe, puis avisa la fosse.
- Qu’est-ce que c’est ça ? souffla-t-il en se penchant vers elle. Ce n’était pas là hier, j’en suis certain.
Elle regarda autour d’elle et poussa un cri étranglé en reculant vers la paroi. Elle se précipita vers la main qu’Adam lui tendait et la serra pour remonter le plus vite possible.
- J’ai trébuché sur un truc et le sol s’est ouvert sous moi, expliqua-t-elle, paniquée. On ne voit pas très bien, c’est très sombre, mais je jurerais que j’ai vu un squelette. Un squelette sur un trône, paré comme un roi sur une montagne d’or et de trucs précieux.
- Alors là, ma reine, soit ton imagination te joue encore des tours, soit…
Il pinça les lèvres en la réceptionnant dans ses bras.
- Dans tous les cas, ça vaut le coup de jeter un œil. Je vais nous faire une torche.
- Soit quoi ? demanda-t-elle en relâchant Adam pour tenter de revoir ce qui se trouvait à l’intérieur.
- Soit nous sommes dans de beaux draps… grimaça-t-il en s’éloignant.
Il revint quelques minutes plus tard avec une torche improvisée et sauta dans le trou pour découvrir la caverne.
- Par tous les dieux, souffla-t-il en s’avançant.
- Je n’ai pas rêvé n’est-ce pas ? demanda Amélie. Il y avait bien un squelette ?
- Si ce n’était que ça… Ne descends pas. Ça pourrait être piègé.
Autour de lui s’empilait de la vaisselle, des statues et autres objets d’art et devant lui, comme l’avait dit Amélie, un squelette reconstitué siégeait sur un trône posé sur une montagne d’or, de pierres et de bijoux précieux.
- Cet humour particulier... Amé, je crains qu’on ne se soit échoué sur une cache de pirate…
- C’est une catastrophe, murmura-t-elle. Doit-on étouffer le feu et détruire toute trace du phare ?
- Non, répondit-il. Mais il va falloir monter la garde au cas où le bateau qui nous repère ne soit pas celui qu’on attendait.
Il inspecta l’intérieur, puis finit par trouver une lampe à huile qu’il alluma. Alors, par un jeu de miroir, toute la caverne s’illumina.
- Ca n’a pas l’air piègé, mais mieux vaut se méfier. En tout cas, ajouta-t-il en se tournant vers elle le sourire aux lèvres. Tu l’as ton abri contre la tempête, ma reine.
Elle rit.
- Je ne sais pas si je dois t’épouser ou te disgracier, remarqua-t-elle. Donne-moi une de ces vasques et un couteau, je vais m’occuper de la popote de ce soir.
Il vida une sorte de marmite en or de son précieux contenu et la lui tendit, ainsi qu’un poignard incrusté de pierreries.
- J’espère qu’il coupe, lui dit-il.
- Ça a l’air d’aller. Tu vas rester ici pour trouver d’éventuels pièges ?
- Oui, et voir ce que je peux trouver d’utile. Fais attention à toi.
- C’est exactement ce que je voulais te dire.
- Oh, attends.
Il se dirigea vers la sortie et grimpa l’échelle qui était incrustée dans le mur.
- Me ferez-vous la grâce d’un baiser ? Si je n’en ressortais pas vivant, je veux emporter le goût de vos lèvres avec moi.
Elle s’agenouilla devant lui et lui sourit. Alors elle posa une main sur sa nuque et se pencha sur ses lèvres avant de l’embrasser, doucement, tendrement, s’attardant encore et encore jusqu’à ce que la tête lui tourne. Il ne chercha pas à prendre plus que ce qu’elle lui offrait, se laissant totalement envoûter pas son baiser fiévreux.
- Si vous survivez, alors nous nous fiancerons, promit-elle contre ses lèvres avant de s’écarter à regret.
- Alors je viens de devenir immortel, je crois, sourit-il le cœur battant en retournant à son exploration.
Il avait fouillé partout sans trouver de piège, fort heureusement. C’était une cache, une caverne au trésor, pas un lieu de vie. Il n’avait rien trouvé de vraiment utile à part les plats, des armes, de l’huile et des caisses entières de rhum. Pas d’eau et évidemment pas de nourriture. Mais pour eux qui étaient si démunis, cette maigre récolte était un trésor plus grand que tout l’or réuni ici.