Et on est reparti ; peut-être pour dix, ou cent chansons supplémentaires. Quoi qu’il se passe, je serais toujours là.
Durant mon adolescence, de mes 12 à 16 ans, j’étais un très grand admirateur de Renaud. Je connaissais tous ses albums des années 80 par cœur. Mon père m’avait même acheté des dvd de ses concerts, que je regardais quand je me sentais seul. Renaud, c’était mon père, mon grand frère révolutionnaire, celui qui me donnait envie de crier à l’école, renverser des chaises et admettre que la vie, parfois, ça piquait bien les yeux.
Et pourtant, à mon adolescence, Renaud avait disparu du paysage médiatique. On ne parlait plus que de lui comme le vieux monsieur rongé par l’alcoolisme et la cigarette. Comme celui qui s’était fait bouffer par la société qu’il détestait, qui n’avait pas pu supporter le poids des ans et de la célébrité. Même vivant, il n’était alors plus qu’un vestige, un peu fantasmé par ceux qui l’avaient connu, et ignorés par les plus jeunes, qui, comme moi, étaient nés à la fin de sa carrière.
Ainsi, je me situais différemment des autres, avec Renaud. Les adultes étaient touchés de m’entendre chanter « la baston ». Les autres, mes camarades, me trouvaient ringard. Alors, pendant des années, j’ai rêvé qu’il revienne comme il était. Je priais pour qu’à nouveau, il soit sur le devant de la scène, et que je puisse le voir ailleurs que sur mon écran de télé, ce vieux monsieur qui m’avait appris à taper du poing sur la table. Et bien que je n’y croyais pas plus que ça, en croisant les doigts devant les étoiles filantes, mon vœux s’est exaucé. En 2016, Renaud est revenu. Et ma déception fut immense.
J’allais doucement sur mes 18 ans, à ce moment-là. En ligne de mire se trouvait mon diplôme de fin d’études musicales, beaucoup de choses tristes et choquantes étaient arrivées. J’avais mis de côté les chansons de Renaud, en m’assagissant, et je m’étais rangé sur le côté pour mieux rentrer dans le rang. Et je ne pus pas accepter que le chanteur avait fait la même chose. Son impertinence, sa révolution était terminée. Dans cet album qui portait son nom, je ne pouvais voir qu’un miroir de moi-même et de mon adolescence revancharde terminée.
Je n’ai pas pu le supporter. Après avoir écouter les chansons, j’ai jeté le CD. Quand je voyais Renaud à la télé, je l’éteignais avant de l’entendre. Il m’en devenait même difficile d’écouter toutes ces chansons fortes et poignantes de l’ancien temps, tant le nouveau visage de Renaud me dégoûtait. Alors, je me contentais de travailler et prier pour que mon examen de musique signe la fin de mes souffrances. Il est certaines évolutions que l’on ne souhaite pas constater.
Mais, cet examen, je l’ai échoué. J’avais pourtant tout mis dedans, j’avais servi mes tripes sur un plateau. Le jury me l’a renvoyé, prétextant que j’étais trop jeune et trop fragile. Mes huit ans de souffrance au conservatoire devenaient alors absurdes ; on m’a reproché d’avoir pleuré, à l’annonce des résultats. Je me suis enfui après avoir écouté mes bourreaux en serrant les dents. On m’a reproché de ne pas avoir pris assez en compte leurs remarques. On me demandait plus de sensibilité dans ma musique, tout en me grondant d’être un jeune homme touché par mon propre échec.
Mon père posa sa main sur mon épaule, une fois dans le trajet. Il me laissa m’enfermer seul dans ma chambre pour mieux pleurer dans mes coussins. C’était la fin d’un monde, la fin de mon talent ; je revoyais, tour à tour, le moi enfant qui rêvait d’une scène de concert internationale et la situation pathétique dans laquelle je me trouvais ; seul, ignoré au milieu des peluches, ridicule de ne pas avoir réussi à penser une seconde que je pouvais échouer quelque chose d’aussi important.
Le silence devint vite insupportable tant mes pensées s’enchainaient vite entre mes pleurs ; alors, pour ne pas céder au désespoir, j’ai lancé une musique, au hasard, sur les enceintes de ma chambre. Cette chanson tourna en boucle, pendant des heures. Ses paroles se gravèrent dans mon âme. Cette chanson, c’était la seule que je n’avais pas supprimée de l’album « Renaud ». Cette chanson, c’était « Ta batterie ».
« C'était ton anniversaire, tu voulais une batterie. Une grosse caisse, une caisse claire ; tu voulais faire du bruit. Tu voulais faire du bruit, comme j’en ai fait parfois ; ça m’a bouffé la vie, fais gaffe à tes petits doigts. » Avec cette chanson, il n’était pas question de tout casser. Il s’agissait de respirer le jazz, et puis de consoler un petit garçon qui n’a que le vacarme pour se faire entendre. Et quand bien même je savais qu’il s’adressait à son fils, je ne pouvais m’empêcher de l’entendre s’adresser à moi, de sa voix fatiguée, d’une certaine manière. Moi qui rêvais de reconnaissance, de la lumière, d’être aimé pour mon art, et lui qui me prévenait que cet espoir pouvait détruire un homme. Moi qui pleurais seul, enfermé, et lui qui murmurait dans l’ombre de ma chambre : « ton papa est bien là ». Je ne ressentais que la panique et le jugement, alors qu’il me parlait d’un amour inconditionnel, qui dépasse la limite des sons. « Tu voulais faire du bruit, pour que je t’entende, que je te vois ; mon amour, mon ami, je n'entends plus que toi. »
Avec ses accords de jazz et ses faux petits solos de batterie, cette chanson m’a calmé en quelques heures. Elle m’a rassuré, sur mes capacité, mes compétences, et puis sur l’amour que mes parents avaient pour moi, aussi. Quelque part sur mon ordinateur, je reçu un mail. Ma mère venait de m’envoyer tout un tas de citation sur la richesse et l’importance de tomber quelque fois. Et même si c’était maladroit, si tout ceci ne ressemblait pas à grand-chose, j’ai souris entre deux larmes. Et plus tard, j’ai repris ma flûte, et j’ai joué, joué comme si je tapais sur un tambour avec. J’ai joué peut-être avec moins de tripes, mais avec cette même volonté qu’un jour, le bruit traverse les murs de ma chambre.
Avant cet album « Renaud », il y aurait sans doute eu beaucoup plus de Musique Capsule avec Renaud en artiste phare. Il y aurait peut-être eu « la ballade nord-irlandaise » que j’ai chanté des centaines de fois, ou « Fatigué » qui a représenté l'état d’esprit de mes quatorze ans. Mais la déception de l’album, couplé à cet amour intense à « Ta batterie » a annihilé et brisé toutes ces capsules. De Renaud, dans ma tête, il ne me reste plus que cette voix, brisée et sans hauteur, ce visage boursouflé, ces cernes immenses mais surtout une douceur infinie. Cette douceur qui m’a guidé, peut-être malgré elle, à ne pas arrêter le bruit.
Heureux de lire ça, de voir qu'on est toujours un peu pareil, cette génération idiote et sacrifiée.
Heureux de voir qu'une simple musique peut tout changer.
Merci beaucoup, je suis content de la faire découvrir !