📒 Texte 1 : Une histoire de chaussettes !

Notes de l’auteur : CW/TW : Insultes, violence verbale, grossophobie, maltraitance, sexisme et harcèlement psychologique.

La lumière de la lampe éclaire à peine la pièce, mais qu'importe. Je ne comptais pas m'apprêter davantage. Ces longues soirées qui ne cessent de prolonger toutes les horloges avec ces discussions aussi ternes que vides de sens ne sont pas à mon goût. Quelle torture sociale ces réunions de famille. J'espère pouvoir ne faire qu'un avec les murs pour jouir de cette tranquillité qu'on daigne m'offrir après les sempiternelles et superficielles salutations.

Personne ne sera honnête durant ce grand repas, de notre arrivée jusqu'au moment du thé. Je n'ai jamais vu des contrefaçons aussi peu convaincantes, mais toutes et tous font mine que rien ne se verra. La grande salle à manger sera le théâtre des clowneries humaines les plus abyssales.

Comprenez mon aigreur, j'ai horreur de jouer des rôles, surtout avec des personnes avec qui nous sommes supposés être honnêtes et bienveillants. La famille étant une structure de pouvoirs aux règles particulières, je me contente de faire semblant, de jouer le jeu. Il n'y a que comme cela que je peux espérer survivre en attendant de pouvoir me libérer de ces obligations absurdes.

Comme souvent, je me regarde dans le miroir avant de quitter mon cocon que constitue ma chambre. Je scrute mon reflet tout en me demandant qui je suis, une question que je me pose quand cela touche mon apparence. Une amie m'a dit un jour que ce n'était pas la bonne question à se poser. Selon elle, il est bien plus sain de se demander qui l'on veut devenir. Je vous épargne nos discussions basées sur des questions existentielles. C'est vrai ça, qui je veux devenir ? Si cela ne tenait qu'à moi, je serais certainement un oiseau.

J'entends toquer.

— Tu es prête ?

— Presque, je dois juste préparer mon sac.

— C'est quoi cette tenue ? Ta robe est trop courte, tu vas nulle part comme ça.

— Et pourquoi pas ?

— C'est vulgaire, et ces longues chaussettes, on voit tes cuisses, puis on dirait un cirque. Tu te changes tout de suite.

— Non. Pourquoi tu fais un scandale pour une robe et des chaussettes ?

— Tu te changes ou tu restes ici à faire le ménage.

— Je préfère le ménage alors.

— Arrête de faire ta difficile et enfile autre chose.

— Non. Laisse-moi porter ce que je veux, et quoi mes cuisses ? Elles ont un problème ?

— Non, t'as pas des petites cuisses non plus, c'est juste trop court, qu'est-ce qu'on va dire sur toi après ?

— Tu ne te soucies pas de moi, tu voulais dire "nous".

— On s'en fout. Enlève-moi ça.

— Non. C'est toi qui accordes d'importance aux regards des autres. Je me suis privée tellement de fois de mettre ce que je veux avec tes jugements répétés et égoïstes.

— Égoïste ? T'es pas tranquille. Vas y comme ça, la honte sera sur toi.

— Je m'en contrefiche, d'une force...

— Arrête de faire ta tête de mule et change ta tenue, ça te grossit, on dirait une vache ! On va rire de toi.

— Non. Si j'ai mis cette robe, c'est pour pouvoir porter mes chaussettes. Je ne les ai pas achetées pour les mettre au fond du placard. Et c'est pas en me traitant de vache, de cheval, de baleine ou d'éléphant que tu me feras changer d'avis. Si mon poids te pose souci c'est le tien, pas le mien.

— T'es heureuse de ressembler à une baleine ?

— Oui, c'est joli les baleines en plus, je m'entends mieux avec elle qu'avec toi.

— Mets ce genre de tenue quand tu sors avec tes copines, pas quand on va voir la famille. Allez ma fille, change-toi.

— Et pourquoi je dois changer pour la famille ? Pourquoi c'est pas la famille qui doit changer ?

— Fais pas la bête, après on va parler de toi.

— Oui, dans notre dos, comme toujours, parce que tout le monde est hypocrite.

— Pardon ?

— Oui. Il n'y a pas plus tard qu'hier, tu étais allée prendre un café, tout ça pour casser du sucre sur le dos de tout le monde au lieu d'en mettre dans ta boisson aussi amère que ta personne. Et tout le monde fait ça, mais vous préférez vous dire que ce n'est pas le cas. Et même en m'habillant comme tu le souhaites, on me jugera. Tu vas me dire "mais qui te juge" absolument tout le monde. Tu me demandes de parler alors qu'il n'y a rien à dire, et quand je lis dans mon coin, tu me disputes comme si j'avais choisi de venir alors que je m'ennuie. Et ces chaussettes, je ne les ai pas achetées parce que je suis un mannequin. Je les aime et je veux les mettre. Si mon style te fait honte, t'as qu'à construire un robot pour me remplacer. Si c'est pas ma tenue, ce sont mes cheveux qui ne sont pas assez lissés, c'est mon maquillage qui n'est pas assez bien fait, ma bouche qui n'est pas assez bavarde, mes yeux qui ne sont pas assez ailleurs que sur mon téléphone, comme si j'avais le choix. Et même en portant des vêtements longs et amples pour cacher mes formes qui te font honte, on va continuer de me comparer à mes cousines, à me faire des remarques déplacées ou à me lancer des regards. Je mérite mieux que ce genre de soirée je pense. Au bout d'un moment, laisse-moi vivre, laissez-moi être moi, merde. Si c'est trop dur de comprendre que j'en ai rien à foutre et que je veux juste faire ma vie, alors tant pis pour vous. Je m'en fiche de paraître méchante, impolie, vulgaire ou tous les mots que tu veux. Je peux être une vache, un buffle, un ballon de baudruche, c'est mon problème. Ta fille c'est pas un panneau publicitaire, c'est pas un objet de collection, je suis pas là pour polir ta réputation auprès de gens avec qui t'es obligée de vanter mes diplômes pour être considérée. Je ne t'appartiens pas et je n'appartiendrai jamais à personne.

— T'es fatigante, tu te prends la tête pour rien avec tes polémiques, reste faire le ménage avec tes chaussettes de merde. À parler comme ça tu trouveras personne, tu vas finir toute seule en plus d'être moche.

— Je préfère être moche plutôt que de quémander le respect.

— T'as plus le droit de sortir.

— Tu pourras m'interdire tout ce que tu veux, je m'en fous. Bonne soirée avec la famille.

— C'est rien, c'est juste une tenue ! Change ça arrête de faire des histoires !

— Non, c'est pas qu'une tenue. Et si t'es pas contente, je m'en carre la poire.

— C'est toi la poire !

— Merci du compliment. Tu peux partir maintenant. Et encore une fois : c'est pas parce que pour toi c'est qu'une question de tenue que c'est normal de dire des trucs pareils. En agissant de cette façon, tu te mets des œillères sur les vrais soucis et tu ne feras que creuser notre éloignement. Le jour où je partirai pour de bon, tu vas me pleurer. Aujourd'hui, on parle de tenue, mais c'est tous les aspects de ma vie que tu veux contrôler et ça, c'est ni normal ni acceptable. Les liens du sang ça va deux secondes sur le CV après si t'es pas prête à m'accepter comme je suis tu feras sans moi, pareil pour le reste de la famille. Personne ne connaît mon livre préféré, mes autres passions que le dessin ou mon plat préféré. Tu crois me connaître, mais tout ce que tu fais c'est te rassurer en te persuadant que c'est le cas alors que pas du tout. Et c'est tout le temps comme ça avec toi et avec vous. Quand on dit que ça fait mal vous dites que je suis juste trop fragile ou sensible. Raison de plus pour ne pas passer du temps avec vous.

— Tu te prends pour qui ?! Arrête de faire ta dépressive politique. C'est tout ce que tu me souhaites hein ? Du malheur. Tu es mauvaise. Puisque c'est comme ça, viens pas pleurer le jour où il t'arrive des emmerdes.

— Si être mauvaise c'est ça, alors je suis fière de l'être.

— Je prends tes clés. Tu quittes pas la maison. Tu peux te mettre un doigt dans l'œil pour sortir. Et t'as intérêt à ce que tout soit nickel quand je reviens.

— Oui oui, c'est ça. Bonne soirée. Je me demande quelle excuse tu vas leur sortir quand on ne me verra pas, tu diras que je suis malade ou que j'ai des révisions pour pas leur dire que je ne suis pas venue juste parce que t'aimes pas mes magnifiques chaussettes ?

— Ferme-la.

La porte claque. J'entends la porte d'entrée claquer à son tour. Je suis enfin tranquille. C'est usant ce genre de moment. Au moins je suis libre, et puis... Je sais où elle cache les doubles. Je rajuste mes chaussettes et tapote joyeusement mes cuisses. On ne va pas se mentir, parfois, je complexe beaucoup, ce qui ne m'empêche pas d'aimer porter certaines choses pour mon propre petit bonheur. Maintenant que les choses sont dites, je vais changer mon programme.

 

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Pinky Nuage
Posté le 16/03/2025
Coucou ! C'est une belle première histoire qui est, je trouve, très importante. Le sujet n'est que trop d'actualité et il est nécessaire de parler de ce genre de choses en littérature aujourd'hui. Bravo pour ce texte, je l'ai beaucoup aimé. J'ai hâte de lire les prochains, ce recueil commence vraiment bien !
lukyaspyndell
Posté le 26/03/2025
Merci beaucoup pour ton commentaire, j'espère que les textes suivants te plairont également et que tu vivras une expérience littéraire chouette !
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