Le mois de juin s’était installé dans les rues de Nîmes. Les cigales cachées dans les platanes chantaient alors que l’agitation touristique animait les alentours des arènes. La chaleur du soleil accumulée dans le goudron fondu me revenait dans le visage, tandis que j’observais, immobile, la vie circuler dans cette ville que j’avais tant détestée. J’avais 19 ans, et après huit ans de conservatoire, dont une année de redoublement, j’avais enfin obtenu mon diplôme de fin d’études musicale.
Ce n’était pas encore officiel, mais je le savais déjà. Le diplôme était constitué de plusieurs cours indépendants les uns des autres qu’il fallait valider un par un, dans l’ordre plus ou moins choisi par l’élève et les professeurs. Depuis deux ans, il me restait à valider la pratique instrumentale à haut niveau de ma flûte traversière, les cours théoriques de solfège en entretien oral et la pratique de la musique de chambre : j’avais tout échoué l’année précédente. J’avais tout repris de zéro, après une rupture difficile et un traitement antidépressif qui m’avait volé six mois de mon année.
Je n’y aurai pas cru, et j’aurais abandonné, si mon professeur de solfège ne m’avait pas accompagné autant qu’il l’avait pu. Il avait insisté pour que je vienne en cours, même si c’était pour partir en crise de larmes ou d’angoisse. Il lui était arrivé de laisser ses élèves dans la salle en autonomie, juste pour m’encourager alors que je pleurais seul dans les escaliers. Il me motiva tant que je travaillai d’arrache-pied. Il était dans l’assistance, durant mon examen de solfège. Quand il m’annonça le résultat positif, il était presque plus ému que moi. Cela se voyait dans ses yeux brillants qu’il était authentiquement heureux pour moi. Dans ma tête, à moi, résonnait du vide. J’avais enfin réussi quelque chose. J’en étais capable.
Les deux autres épreuves passèrent. Elles furent validées haut la main. Ainsi, désormais, ce n’était plus qu’une question d’encre. Quelques jours plus tard, j’allais être appelé lors de la remise des diplômes, récupérer ce bout de papier qui représentait tant. Mais pour l’heure, j’étais tout juste sorti du conservatoire miteux, profitant d’un peu de bon temps avant de quitter, pour de bon, cette petite ville jaune et sale, dans laquelle j’avais emprunté tous les chemins. Je ne savais pas où j’allais aller. Montpellier, Aix-en-Provence… J’attendais les résultats d’une école de journalisme et de la faculté de langue et de culture japonaise pour mieux me fixer. Je n’avais qu’une certitude : j’abandonnai là la musique classique. J’avais obtenu ce diplôme non pas pour un objectif professionnel, mais juste pour me prouver que tout ceci avait mené quelque part. Peut-être que plus jeune, j’avais des rêves de musicien. Mais après tant d’horreurs et de traumatismes dans ce conservatoire en ruine, un seul professeur de solfège ne pouvait pas me réparer. Je ne voulais plus rien avoir à faire avec ce milieu qui était responsable de beaucoup trop de mes souffrances. Je me préparai donc à ranger ma flûte dans un placard, après plus de douze ans de pratique, pour ne plus jamais la ressortir.
J’étais assez tranquille à cette idée. Immobile au milieu de l’esplanade, je me disais que les gens étaient bien petits face à ces immenses arènes romaines qui faisaient la fierté de la ville. Presque surpris d’avoir entendu enfin un jury me complimenter, j’étais incapable de penser correctement. Je n’étais pas euphorique, je n’étais pas surexcité, comme si quelque chose, quelque part, était triste. Me revint alors une chanson que ce garçon, fan du seigneur des anneaux, avait pendant longtemps mise en boucle quand j’étais dans les parages. Sans y réfléchir, je la fis résonner depuis mon téléphone dans mon casque. Cette musique, devenue Capsule, était The Last Goodbye, de Billy Boyd.
Avant lui, je ne connaissais pas les œuvres de Tolkien. Me montrer les six films en version longue était l’une des premières choses qu’il avait faites. Quand il était parti, j’avais passé beaucoup de temps à lire et relire « Le Hobbit », un livre que nous avions acheté ensemble et que j’avais gardé. Désormais, j’étais seul, marchant au tempo lent des accords mélancoliques de la guitare. Le soleil se décrochait du ciel et la chaleur de la journée commençait à tomber. « I saw the light fade from the sky; on the wind I heard a sigh… As the snowflakes cover my fallen brothers, I will sing this last goodbye… »
Je déambulais dans des rues que je ne prenais jamais d’ordinaire. Pour la première fois, je me déplaçais sans l’objectif d’aller quelque part. Je n’avais pas besoin de me presser pour le lycée, le conservatoire, une salle de concert… Je n’avais aucun but. J’admirais ce qui m’entourait, comme si j’étais un touriste de passage. Mon sac et ma flûte à l’intérieur rebondissaient, toujours au rythme de la musique. Dans ma tête, je disais adieu à cette ville, à cette vie, comme si j’allais partir sans jamais y revenir.
« Many places I have been… Many sorrows I have seen… But I don't regret nor will I forget all who took that road with me. » Je me laissais porter par le courant de la foule jusqu’à la tombée du jour. Dans la fraîcheur du soir, alors que l’agitation des bars s’accentuait, je repris enfin mes esprits après cette longue balade et m’installais dans l’un des derniers trains m’emmenant chez mes parents. Mon diplôme fut fêté en bonne et due forme, mais je restai silencieux. The Last Goodbye, même dans l’obscurité de la nuit, perdu dans les collines des Cévennes, continuait d’être les seuls mots que j’étais capable de prononcer.
La remise des diplômes eut lieu quelques semaines plus tard. Pour souligner mon abnégation, le directeur fit un discours spécialement pour moi. Je récupérai le bout de papier et quelques chèques cadeaux en récompense. Et bien sûr, ce ne fut pas la dernière fois que je fus à Nîmes. Mais depuis ce jour, ses rues n’ont plus la même couleur. Je reconnais les lieux, car malgré les années rien ne change, mais tout est différent. Seulement, Nîmes n’est plus ma ville, et ce fait m’apporta autant de joie que de peine, comme ces fins épiques des récits de Tolkien, où la fin calme est douce-amère. Plus de combats, plus de lutte, plus de courage ; désormais, ma route est ailleurs.
Je ne ferai pas un commentaire trop long sur certains passages où se trouvent quelques fautes syntaxiques et autres "s" oubliés, puisque si j'ai bien compris tu publies, puis tu prends un temps pour relire plus tard ;)
Mais de toute manière le fond de la plupart de (si ce ne sont toutes) tes musiques capsules rattrapent chaque fois largement la forme, qui aurait simplement besoin d'une petite relecture.
Et à nouveau, tu me fais apprécier des musiques que je n'aurais pas écouté autrement 😋 Le pouvoir des mots, ça !
En vrai j'avais totalement oublié l'existence de cette musique, très longtemps que je l'avais plus écoutée, et je l'ai remise et je me suis dit "mais d'où j'ai rien écrit sur elle, là" xD Donc j'me suis un peu pressé, c'est venu très vite, j'avais qu'une demi heure avant de devoir enregistrer une musique après x')
Peut-être que je changerai même le chapitre de place, parce que j'hésite encore, si on lit dans l'ordre on le sait que finalement j'ai pas abandonné la musique et que j'y suis revenu en tant qu'intervenant dans les écoles... donc je sais pas, je me dis que ça peut atténuer le sentiment de "fin" que j'avais, ou j'étais vraiment persuadé que je n'allais plus jamais faire de musique de ma vie (fou que j'étais)
Merci beaucoup, je vais corriger pardon xD