Trois bêtes enragées

Seul le clapotis de l’eau brisait le silence pesant. Une brise froide balaya le lieu, le faisant frissonner. L’hiver arrivait à grands pas. Il ‘approcha de la rivière avec prudence. Son regard balayait sans cesse les environs. Il était seul. Ils étaient partis. Tous avaient fui la menace. Tous. Sauf lui. Cet endroit, c’était chez lui. Impossible de l’abandonner. Il continua à avancer lentement sur le sol rocailleux. Sa famille. Ses connaissances. Tous étaient parti. Même les oiseaux avaient déserté l’endroit. Mais pas lui. Il était vieux. Se remettre en route, migrer pour ailleurs, ce n’était plus pour lui. Arrivé devant le cours d’eau, il balaya encore une fois les environs du regard. La forêt était dangereusement silencieuse. Même pour lui. Il connaissait les arbres, les bosquets, les cours d’eau et les vallons. Mais il n’avait jamais connu ce silence pesant. Après une brève hésitation, il se baissa pour se désaltérer. Le bruit de l’eau emplit également ses oreilles, lui apportant un moment de sérénité. Il ferma les yeux pour faire durer l’instant. Se faisant, il n’entendit pas le léger sifflement de l’air s’approcher. Ne vit pas l’ombre courir sur le sol dans sa direction. Le javelot traversa sa tête et renversa son corps sans vie dans la rivière.

Quelques dizaines de mètres plus loin, une silhouette sortie d’un bosquet. Sakti s’autorisa un petit cri de joie. Pour la première fois depuis plus d’une semaine, elle avait trouvé une proie. Un vieux chevreuil, c’était toujours mieux que les rares baies dont elle avait dû se contenter jusqu’alors. Elle s’approcha et tira prestement le corps hors de l’eau. Son estomac l’implorait de dévorer la bête sur place. Mais la prochaine chasse pouvait être encore plus longue, valait mieux économiser.

Elle fit disparaitre le javelot dans une lueur violine puis matérialisa un couteau dans sa main et commença à dépecer l’animal. Elle jeta immédiatement la peau, n’ayant pas les connaissances nécessaires pour la rendre utile, puis se mit à découper la chair en petits pavés, facilement transportable. Elle ne pu s’empêcher d’avaler quelques morceaux de viande crue au passage afin de faire patienter son estomac. Une fois la carcasse évidée, elle s’éloigna rapidement, laissant les restes aux charognards qui ne tarderai pas à faire leur apparition. L’important était de rendre cette viande conservable.

Quelques heures plus tard, Sakti contemplait sa besace, pleine de morceaux de viandes encore fumant. L’envie d’engloutir une partie de ces rations était forte mais elle ne pouvait pas se le permettre. Elle éteignit les dernières braises de son feu et cacha au mieux les traces de son passage. Ce territoire était dangereux, aucune précaution n’était superflue. Chargeant sa besace sur son épaule, elle repartie en direction de la rivière, souhaitant se débarrasser au plus vite de la terre et du sang collé le long de ses bras.

Arrivé au bord du cours d’eau, elle jeta rapidement un œil au cadavre qu’elle avait quitté quelques heures plus tôt. Il était toujours intact et aucune trace d’un quelconque charognard. Inquiétant. Si un monstre avait élu domicile dans le secteur, il fallait qu’elle s’en occupe. Malgré la situation, c’était une des tâches de son ordre. Elle eut un sourire crispé alors que les souvenirs commençaient à remonter. Elle les écarta, n’ayant pas le temps de s’apitoyer sur son sort. Elle déposa sa besace et ses vêtements dans un renfoncement rocheux puis s’immergea dans la rivière. La morsure glaciale de l’eau l’aida à retrouver sa concentration habituelle. Un problème à la fois. Elle resta une dizaine de minutes dans l’eau, surveillant régulièrement les environs. Mais rien de vint troubler son moment de repos. Elle se redressa avec l’intention de se remettre en route mais fut interrompu par le regard que lui lança son propre reflet.

Elle pouvait lire sa propre détermination dans ses yeux noisette. Sa peau d’une blancheur albâtre faisait ressortir ses cheveux, sombre comme une nuit sans lune, qui coulaient dans son dos jusqu’à ses hanches. Ses deux petites cornes blanches frontales ressortaient dans cet océan de noirceur. Un peu plus en retrait, les pointes de ses oreilles faisaient de même.  Ses bras et son torse étaient recouvert d’arabesques spirituelles de la bénédiction de Kyralia, marque indélébile de son appartenance à la déesse de la mort. Gardienne de l’équilibre. Sa plus grande fierté. Peu de personnes pouvait prétendre avoir eut une relation aussi privilégiée avec la déesse. Aucune à son âge. Elle avait été choisie. Et pourtant cela n’avait pas suffi à la protéger. Chassée du territoire de l’Empire par l’Impératrice et reniée par les autres membres de son ordre, Kyralia était la seule à ces côtés depuis qu’elle avait posé le pied en territoire ennemi. Ces derniers mois avaient été difficile, mais elle était toujours vivante.

Elle se rhabilla prestement. Sa tenue commençait à accuser le manque d’entretien mais elle n’avait pas le loisir d’en changer. Elle passa lentement la main sur la surface du cuir, sentant les craquelures se former sous ses doigts. L’armure des Sœurs de Kyralia faisait des merveilles. Légère et souple, elle ne gênait aucunement les mouvements en cas de combat. Sa main poursuivie sa course et s’arrêta au milieu de l’amure. Le symbole de sa déesse s’étendait sur le torse, comme un pâle reflet des marques tracées dans sa peau. Une améthyste étoilée ressortait légèrement en son centre, seule touche de couleur dans l’armure presque aussi blanche que sa peau. Les frères et sœurs de Kyralia ne se cachaient pas et arborait fièrement leur appartenance. Symbole de puissance au sein de l’Empire où ils étaient craints et respectés, l’armure agissait plus comme une cible géante sur ce territoire. Aucun doute que n’importe lequel de ses habitants l’entrapercevant donnerai l’alerte ou l’attaquerai. Sakti chassa ces pensées sinistres. Elle chargea sa besace sur son dos, rabattit sa capuche sur ses cornes et se mit en route. Elle avait un mystère à éclaircir.

Elle parcourue la forêt à la recherche d’un signe, d’une anomalie, qui pourrait lui indiquer qui ou quoi provoquait l’irrégularité dans l’ordre des choses. Elle darda un œil accusateur vers le corps sans vie du chevreuil, toujours vierge de charognard. En une semaine elle avait parcouru une bonne distance et pourtant ce silence pesant était présent partout dans la région. Impossible d’y échapper. Il s’agissait soit d’une créature particulièrement puissante, soit d’un groupe de monstres et aucune des deux suppositions de l’enchantait. Mais bannie ou non, veiller sur l’équilibre faisait partie de ses tâches.

Alors que le soleil commençait à descendre lentement dans le ciel, un rugissement balaya la région. Sakti grimaça. Un monstre puissant donc. Toutes les traces qu’elle avait découvert concordait vers ce fait mais elle avait tout de même espéré être dans l’erreur. Elle se dirigea rapidement vers la provenance puis marqua un temps d’arrêt lorsqu’elle arriva dans une zone dégagée. Celle-ci formait un long corridor au travers de la forêt, des pierres taillées usées par le temps délimitant ses bordures.

Une route.

Elle jura intérieurement et se replia rapidement dans la pénombre de la forêt, réfléchissant à toute vitesse. L’empreinte d’un passage récent était visible sur cette route. Une vingtaine de personne à en juger la multiplicité des traces de pas. Des locaux, probablement. Hostiles, assurément. Uniquement si elle était découverte. Elle commença à se retirer. Depuis son bannissement dans ces terres inhospitalières, elle avait fait de larges détours pour éviter tout se qui pouvait ressembler à un axe de passage ou une zone habitée. Sa survie en dépendait. Et voilà qu’elle courrait directement dessus. Le rugissement retenti à nouveau, bien plus proche. Elle jura de nouveau, à voix haute cette fois-ci. Sa sécurité ou sa tâche ? Elle se morfondit sur cette question pendant de longues minutes. Un troisième rugissement commença à résonner mais fut interrompu par le bruit d’une explosion. La créature affrontait quelque chose. Quelqu’un. Sakti se rapprocha à nouveau de la route et étudia plus en détail les traces de pas. Malgré le fouillis, elle décela une certaine régularité dans le pas. Les traces s’enfonçaient profondément dans la terre sèche. Des chausses métalliques. Une patrouille ? Des mercenaires ? Les habitants de la région étaient peut-être conscients de la présence d’un monstre sur leur territoire et tentaient de s’en débarrasser.

Elle se surpris à sourire. Les forces locales étaient potentiellement capable de tuer eux-mêmes la créature. Il suffisait qu’elle s’en assure. Elle n’aurait même pas à se montrer. Avec cette pensée en tête, elle longea rapidement la route en direction du combat. Son sourire se transforma rapidement en une moue agacée quand elle découvrit le combat. La route plongeait au milieu d’une formation rocheuse, derrière laquelle s’ouvrait une grande clairière. Du haut de la formation, elle avait vue sur l’ensemble de la scène.

De toutes les créatures possibles il avait fallu que ce soit un Pukeï-Yaku. Une espèce de vouivre ailée, dont les écailles luisaient d’un éclat ocre. Deux immenses yeux globuleux étaient rivés sur sa tête trapue, lui donnant l’air stupide. De nombreux chasseurs étaient morts à cause de cette apparente stupidité. Malgré le fait que la créature mesura une dizaine de mètres de long, beaucoup sous-estimait sa puissance. Ses pattes pouvaient facilement broyer une armure en quelques coups et elle utilisait sa langue démesurément longue comme une massue pour étourdir ses victimes. Ceux qui avaient la malchance de s’effondrer devant elle finissait bien souvent entre ses rangées de crocs. Entourant la créature, les êtres que Sakti avait évité à tout prix depuis son arrivée sur leur territoire.

Les humains.

Ils étaient moins d’une dizaine. Elle n’en n’avait jamais vu avant et difficile de savoir à quoi ils ressemblaient sous leurs armures bleutées. La plupart étaient armés de lances, d’autres d’épées. Tous portaient un bouclier. Elle approuva intérieurement ce choix. La meilleure technique pour tuer une Pukeï-Yaku consistait à le désorienter avec des bruits forts, comme une arme frappant un bouclier, puis à s’attaquer aux yeux, partie la plus sensible de la créature. Elle déchanta rapidement en les voyants attaquer directement la créature. Ils n’étaient visiblement pas au courant de cette faiblesse. Deux hommes furent fauchés par la riposte de cette dernière. De son point d’observation, Sakti vit les gerbes de sang jaillir à travers les trous laissé par le passage des griffes. Ils ne se relèveraient pas.

Un hurlement de rage attira son attention. A l’autre bout de la clairière, une silhouette courue vers la créature, épée à la main. Elle esquiva habillement un coup de queue de la vouivre et répliqua en frappant sur sa patte arrière. Alors que Sakti s’attendait à voir l’attaque rebondir, cette dernière provoqua une explosion à l’impact, projetant légèrement la créature sur le côté. La silhouette ne fut cependant pas capable d’anticiper le mouvement de l’aile de la créature et fut projetée par son mouvement. Elle se releva cependant rapidement. D’un geste brusque, elle extirpa sa tête de son casque et le laissa tomber au sol, dévoilant un visage féminin anguleux.

La vision des cheveux ambrés fit frissonner Sakti. Elle n’avait pas participé à la dernière grande guerre de conquête de l’Empire, mais elle avait entendu les récits. Ces guerriers étaient bien connus : ils étaient la première protection des humains face à l’Empire. Une ligne de défense qui courrait tout le long des massifs montagneux et qui descendait jusqu’à l’Océan des Tempêtes. Leur résistance acharnée avait permis aux autres royaumes humains de s’unir et de venir en renfort, mettant en échec la stratégie de conquête de son peuple. Elle tira un peu plus sur sa capuche, vérifiant que cette dernière couvrait toujours bien ses cornes. De mieux en mieux. Elle risquait de devoir aider le pire ennemi de son peuple pour préserver l’ordre naturel des choses.

La femme hurla des ordres aux hommes restants mais le Pukeï-Yaku, passablement énervé par la précédente attaque, s’éleva d’un battement d’aile, pulvérisa un premier homme en retombant dessus et broya un second entre ses immenses mâchoires sans laisser à quiconque le temps de réagir. Il rugit une nouvelle fois et darda son regard vers les trois personnes encore debout. Ces dernières s’étaient regroupées autour de la femme aux cheveux blonds, en garde, prêt à bondir sur la créature à la moindre ouverture. Ils n’avaient aucune chance.

Sakti posa son sac au sol. Elle se redressa lentement et fit apparaitre une lourde hache dans le creux de ses mains. Le contact de l’acier froid sur sa paume la mit immédiatement en confiance. Qu’importe les différents entre les peuples, entre les races. La tâche première des Sœurs de Kyralia est de présenter l’ordre naturel. La mort est la même chez tout le monde, il n’y a aucune discrimination pour le passage à trépas. Si elle arrivait à nouer une relation autre qu’une haine réciproque avec les humains, peut être bien qu’elle pourrait un jour aller rabattre le caquet de l’Impératrice. Et si elle était tuée après avoir vaincue cette aberration du chaos, elle aura été fidèle à son Ordre, sa déesse, ses principes. Avec un sourire féroce sur le visage, elle s’élança au combat.

 

***

 

Adrianne haletait. L’armure de cette créature semblait impossible à percer. Quand elle était partie en patrouille pour enquêter sur des disparitions de troupeaux, elle pensait tomber sur un Grand Loup. Un dragon de terre en vadrouille, au pire. Pas un monstre insensible à la magie capable de broyer ses hommes à une vitesse affolante. Plus de la moitié du détachement était déjà au sol et elle n’arrivait pas à visualiser une issue positive à ce combat. Prendre la fuite était exclu au vu de la rapidité de cette bête. Alors qu’elle finissait de reprendre son souffle, deux de ses hommes tentèrent de s’attaquer aux yeux du monstre. Ce dernier réussit à se protéger de l’attaque et répliqua par un coup de griffe qui découpa l’armure et la chair des deux malheureux.

Elle hurla de frustration. Tout en se ruant sur la vouivre, elle canalisa le flux le long de son épée. Aussi insensible à la magie que pouvait être cette bestiole, celui-ci avait forcément un point faible. Il suffisait de le trouver avant de perdre le combat. Adrianne esquiva habilement un coup de queue qui tentait de l’intercepter et abattit sa lame à la jonction du corps et de la patte arrière. Au moment de l’impact, elle relâcha l’énergie qu’elle avait accumulé dans la lame.

L’explosion que cela produit fit vaciller la créature constata avec plaisir Adrianne, qui n’eut cependant pas le temps d’éviter le soubresaut de l’aile qu’avait provoqué son attaque. Elle fut projetée en arrière, son casque frappant violemment un rocher à l’atterrissage. Se relevant péniblement, elle arracha le heaume déformé de sa tête et le jeta au sol dans une grimace de douleur. Cet adversaire était redoutable et menaçait toute la région. Elle ne pouvait pas se permettre de le laisser gambader à sa guise.

Elle cria à ses hommes de se regrouper sur sa position. Mais le monstre, visiblement agacé par sa dernière attaque, faucha deux vies supplémentaires en quelques secondes. Elle retint un second cri de frustration. Ils avaient la réputation d’être les meilleurs soldats des Sept Royaumes. La Ligne de Fer et de Sang face à l’envahisseur. Mais face à cet ennemi totalement inconnu, elle avait l’impression d’être complètement démunie. Elle jeta un coup d’œil à ses hommes. Plus que trois. Terrifiés, mais tous prêt à en découdre jusqu’au bout. Si au moins ils pouvaient la faire se replier vers les massifs rocheux, cela l’éloignerai temporairement des plus proches villages. Le temps de revenir avec une légion complète des meilleurs guerriers de son père afin de mettre fin à cette menace.

Alors qu’elle s’apprêtait à donner ses ordres, une silhouette blanche, la tête masquée par une capuche, apparue aux côtés du monstre. Elle impacta le flan de ce dernier avec une immense hache noire, le projetant contre la paroi rocheuse toute proche, lui arrachant un long hurlement de douleur. Sans attendre, elle repartie à l’assaut, sans cesse en mouvement, frappant la créature là où elle ne pouvait pas de défendre avec une vitesse impressionnante pour l’arme qu’elle utilisait. Adrianne ne savait pas s’il s’agissait d’un mercenaire engagé par des villageois ou un chasseur des environs ayant décidé de les aider, mais son aide était plus que bienvenue.

Elle attaqua de concert avec ses hommes, la créature se concentrant essentiellement sur le nouvel arrivant. Plutôt que s’en prendre au corps, dont la carapace était visiblement trop épaisse pour qu’ils puissent espérer faire le moindre dégât, ils se concentrèrent sur les pattes arrière, dans le mince espoir de les endommager suffisamment pour ralentir la bête. Leurs efforts finirent par payer lorsque qu’une de leur lance réussie à se glisser entre deux écailles et à s’enfoncer profondément dans le muscle. Mais le prix à payer pour cette petite victoire fut terrible.

Le monstre hurla de douleur. Un spasme de son aile décapita le soldat sur la gauche d’Adrianne, couvrant instantanément d’un rouge vermillon le bleu de son armure. A peine avait-elle prit conscience de ce fait qu’une patte s’abattit sur elle. Seul un automatisme acquis au cours de longues heures d’entrainement lui sauva la vie. Elle esquiva le coup en se propulsant en arrière. Juste à temps. Elle entendit le cri de ses derniers camarades s’interrompre dans un funeste craquement. Le sol vibra sous l’impact. Lorsqu’elle releva la tête, elle se retrouva, seule, face à une rangée de crocs furieux.

Quelque chose céda en elle. Elle avait déjà perdu des hommes. C’est un risque dont tout le monde avait conscience. Deux sur un Grand Loup. Six dans une embuscade de bandits. Quatre dans une avalanche. Neuf contre une vouivre. Les pertes l’avaient toujours accompagnées. Jamais aussi vite. Jamais une patrouille entière. Jamais de manière aussi inéluctable. Elle tomba à genoux, incapable de réagir. Dans un état second, elle observa la mâchoire de la créature s’ouvrir pour l’engloutir. Elle devait bouger. S’enfuir. Contre-attaquer. Crier. Pleurer. Agir. Maintenant ! Mais elle était impuissante. Condamnée à mort, elle ferma les yeux, résolue.

La violence du choc éjecta l’air de ses poumons. Adrianne se sentie partir en arrière, tel un pantin désarticulé. Après quelques secondes, elle heurta lourdement le sol. La douleur intense de la chute lui fit ouvrir les yeux. Elle était sur le dos. Le ciel orageux était toujours là. Les arbres également. Elle se redressa d’un coup. Elle n’était pas morte. Pourquoi ? Tournant son regard vers le monstre, elle vit la silhouette blanche qui faisait face au monstre. C’est elle qui l’avait frappé ? Elle tenta de se relever mais une douleur à son torse la fit retomber aussitôt. La respiration sifflante elle ne put qu’observer pour essayer de comprendre.

L’inconnue repartie à l’assaut à l’aide de son immense hache mais la vouivre avait visiblement réussi à prévoir son attaque et la contra en frappant également, arrachant la hache des mains de sa propriétaire. La seconde patte de la créature s’abattit à toute vitesse vers sa proie. Alors qu’Adrianne pensait être en train d’assister à une mort de plus, un bouclier métallique apparu soudain dans les mains de la combattante, lui permettant de se protéger. Le choc produit un crissement stridant. Malgré l’utilité de ce rempart, elle fut à son tour projetée sur plusieurs mètres par l’impact. Lorsqu’elle se releva, elle n’avait plus de bouclier en main mais deux lames sombres aux reflets mauves. La capuche avait été rejetée en arrière, dévoilant une somptueuse chevelure noire. Cette dernière semblait danser en suivant sa propriétaire, qui virevoltait entre les pattes du monstre. À la suite d’une acrobatie de plus, elle retomba face à Adrianne, à quelques mètres de distance et dû rapidement esquiver une boule de feu qui s’écrasa dans un crépitement furieux à son emplacement un instant plus tôt.

Adrianne regarda son bras tremblant. Elle n’avait même pas eu conscience d’avoir canalisé le flux pour lancer cette attaque. La terreur pure qui l’avait saisie à la vue du visage de l’inconnue lui avait fait perdre le contrôle pendant quelques secondes. Elle se tourna de nouveau vers la raison de son épouvante. Cette dernière combattait à nouveau le monstre à une vitesse qui la rendait difficile à suivre du regard. Les Faucheuses Blanches. C’est ainsi que les soldats les avaient surnommées au cours des Grandes Guerres. Elles étaient la plus grande crainte des combattants sur le champ de bataille. Elles arrivaient sans prévenir, décimaient des bataillons entiers de soldats et se retiraient derrière leurs lignes avant de se faire piéger. Son père lui avait affirmé que si elles avaient été plus nombreuses au sein des rangs ennemis, les Sept Royaumes n’auraient eu aucune chance contre l’Empire. Et voilà que le pire cauchemar de son peuple apparaissait devant elle.

Elle reprit partiellement le contrôle de ses pensées. La présence d’un monstre inconnu passait au second plan. Une Faucheuse était bien plus dangereuse. Elle devait impérativement prévenir son père. Sa présence pouvait impliquer bien trop de choses. Elle ramassa son épée, tourna les talons et se mit à courir vers la bordure de la clarière. Rester en vie, c’était tout se qui comptait. L’avenir des royaumes pouvait en dépendre. Le bruit du combat faisait toujours rage derrière elle. Si ses deux ennemis pouvaient s’entre-tuer, cela l’arrangeait grandement. La lisière de la forêt était presque à portée.

« Attention ! »

Le cri fusa dans l’air. Adrianne se retourna, en garde, prête à faire face au danger. La créature avait décidé de l’empêcher de s’enfuir et arrivait à toute allure par la voie des airs. Elle esquiva habilement l’impact de son atterrissage et ses deux premières attaques. Cependant elle fut prise de vitesse sur un coup de patte qui lui arriva droit sur la tête. Décidément se dit-elle, elle avait encore de nombreux progrès à faire en combat.

Mais l’impact ne vint pas. A la place, elle se retrouva encore une fois allongée par terre avec une nouvelle douleur à la poitrine. Cette fois-ci elle en était certaine, on l’avait poussée. Elle se redressa d’un bond. Au bout de la patte du monstre se tenait la Faucheuse. Cette dernière semblait avoir pris le coup pour elle. Elle se dégagea dan un cri de douleur et fit apparaitre un marteau d’une taille démesurée, semblant presque perdre l’équilibre sous son poids. Elle hurla à pleins poumons et Adrianne senti une énergie étrange se rassembler autour de la Faucheuse. Ce flux n’était pas habituel. Presque malsain. A ses côtés, le monstre se rassembla sur lui-même et feula, tout aussi inquiet qu’elle, son attention toute orientée vers la menace se préparant à frapper. Adrianne n’osa bouger de peur qu’elle se jette à nouveau sur elle. Elle était condamnée à rester ici et à attendre la prochaine action.

Un instant.

Un instant. C’est tout se qu’il avait fallu. Un instant avant, la Faucheuse Blanche leur faisait face, entourée de son étrange aura. Un instant après, la Faucheuse était à ses côtés, couverte de sang, au milieu du crâne éventrée de la créature. L’impact avait enlevé un bond tiers de la mâchoire et arraché toute la partie supérieure, laissant à nu l’intérieur, broyé par l’impact. Le combat était terminé.

Adrianne fixait la Faucheuse sans oser agir. Des centaines de questions se bousculait dans sa tête mais une vérité implacable s’imposait. Elle ne pouvait ni la vaincre, ni la fuir. Elle croisa son regard. Elle fut surprise de la douceur que dégageaient ses yeux marrons, contrastant singulièrement avec la scène. Le marteau disparu dans une étrange brume violine et elle fit un pas vers elle. Adrianne retint son souffle, se demandant de quelle manière elle allait être exécutée, seule fin possible d’une confrontation avec un tel phénomène. Elle espéra seulement que son père réussirait à gérer la situation à venir.

Le second pas ne vint jamais. La Faucheuse s’effondra à ses pieds. Adrianne resta interdite. De toutes les actions possibles elle n’avait pas imaginé celle-ci. Etrange stratégie. Son esprit se remit à fonctionner normalement quand elle constata que la Faucheuse ne bougeait plus. Elle s’agenouilla et vit une flaque de sang plus clair commencer à recouvrir le sol imbibé déjà rouge. Elle prit un risque et retourna le corps. Le sang dont elle était recouverte n’était visiblement pas que celui de la créature. Trois longues déchirures traversaient l’armure. L’une d’elle avait tenté de briser l’étoile d’améthyste au centre sans succès. Les entailles se prolongeaient profondément dans la chair. L’hémorragie était importante et sans soin, aucun doute qu’elle mourrait d’ici quelques minutes. Adrianne réfléchit à toute allure. La mort d’une Faucheuse Blanche ne pouvait être qu’une bonne nouvelle. De toute la dernière Grande Guerre, aucune n’avait été abattue. Voir le cadavre de l’une d’entre-elle revigorerai très certainement le moral un peu morose des soldats. Elle repensa au cri d’avertissement qui lui avait sauvé la vie et grimaça. Elle voulait comprendre. Elle avait trop de questions. Sa vie, celle de sa famille, de son peuple, étaient toutes dédiées à la protection de cette région, cette frontière. Dans le doute, elle ne devait jamais risquer cette dernière et avait toujours respecté ce principe. Mais la situation était trop étrange. Jamais une Faucheuse n’aurait dû essayer de la protéger. Elle dénoua les sangles de l’armure, faisant attention à ne pas toucher aux plaies. Elle n’arrivait pas à croire qu’elle allait tout risquer sur une intuition. Et pourtant… Elle darda un œil mauvais sur le cadavre du monstre et commença les premiers soins, l’orage grondant au loin se faisant l’écho de la tempête faisant rage dans ses pensées.

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Cocochoup
Posté le 03/02/2020
Oh j'ai été décontenancée. Je pensais poursuive avec Saruya
Super chapitre, avec beaucoup d'action et de rythme !
Ça se lit très vite, la scène de combat est très clair (alors que je me doute que ça n'a pas dû être simple de chorégraphier l'ensemble).
Danalieth
Posté le 05/02/2020
Et non ! Mais tu en entendras de nouveau parler, pas d'inquiétude.
Merci pour ton retour sur la scène de combat et le rythme, j'ai tendance à la trouver confuse et mal rythmée (mais vu que c'est moi qui écrit je n'ai un avis objectif sur la question) et j'avais notamment peur que le lecteur se puisse se perdre entre qui fait quoi. En effet, ça n'a pas été simple, surtout pour limiter un maximum les répétitions...
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