Troubles

Thélio se présenta dans l’antichambre de la reine quelques minutes avant le début du repas. La perspective d’un déjeuner en compagnie de ses géniteurs ne l’enchantait guère, mais aujourd’hui sera une exception. Les meilleures dispositions devaient être prises. Alors il s’était vêtu de l’un de ses plus beaux costumes, celui d’un vert émeraude qui s’accordait à merveille avec ses cheveux blonds. Sa lavallière écrue mettait en valeur son camée symbolisant la Grande Louve. Et son teint devenu blanc produirait sans aucun doute un nuage de poudre s’il osait éternuer. 

L’officier de la salle pâli en l’apercevant car sa présence à ce repas ne lui était pas parvenue. Les orfèvres le concernant n’étaient pas en place, et les souverains arriveraient d’un instant à l’autre.

La botte du prince qui frappa le parquet Chantilly lui rappela ses devoirs, et il accourut les exercer. Les valets retirèrent un des bougeoirs pour libérer la table et apportèrent un siège en velours rouge qui s’accordait à la couleur dominante de la pièce.

L’officiel essuyait la sueur de son front lorsque les souverains entrèrent dans l’antichambre. Le roi releva un sourcil en constatant la présence de son fils, et la reine lui adressa un sourire qui l’invita à s’asseoir à leurs côtés. Le visage du prince s’habillait de jovialité contenue sous un air décent. Il acceptait le vin sans y gouter, feintant un intérêt accru pour la partie de chasse de son père le matin même avec les nobles du bal. Ses couverts glissaient dans les tourtes et les autres mets, et il s’insurgeait face aux rumeurs que sa mère racontait, issues des commérages de la gent féminine. 

Ce n’est que lorsque la viande de sanglier aux légumes de potagers fut servie que le prince devint le sujet de conversation.

. — Alors fils ? Cette soirée était-elle digne de tes attentes ?

Le prince avala sa bouchée. Son coeur battit plus fort dans sa poitrine. 

— En effet, cela a été une sublime nuit, se contenta-t-il de répondre.

— Et hum... Le roi se pencha vers lui en prenant un ton de confession. As-tu trouvé un alpha ?

— Je le crois bien, oui. Mais...

— C’était évident, le coupa la reine emprise de joie. Elle ne nous abandonnerait pas.

— Non, jamais elle ne le ferait, confirma le roi. Elle veille sur nous et notre famille, cela ne fait aucun doute. Et de qui s’agit-il ? Revint son père vers lui.

La jambe de l’oméga sursautait alors qu'ilemprisonnait sa langue entre ses dents pour travailler une meilleure formulation à sa requête. 

— Écoutez, je sais que ce bal devait être ma dernière chance, mais je vous demande d’organiser une ultime rencontre. Des jeux et affrontements.

Un lourd silence plana sur la table, et son père se redressa sur son siège.

— Est-ce encore une de tes ruses pour gagner du temps ? À quoi ces jeux serviraient-ils ? Ses paupières se plissèrent de méfiance.

Thélio secoua la tête pour ravaler un brin de panique. 

— Non, je vous l’assure. Cet alpha me plaît vraiment. Pour autant, j’aimerais confirmer mon choix en évaluant ses talents athlétiques. Après tout, il devra me protéger, n’est-ce pas ?

Le roi se garda un temps de réflexion et partagea un regard avec sa femme qui hocha positivement la tête. Cela donnera de l’animation au pays et montrerait la bravoure de leurs jeunes loups.

Le roi reprit dans un souffle :

— Très bien. La semaine prochaine se dérouleront ses jeux à la condition que tu annonces publiquement l'alpha choisi. 

Le prince inclina la tête en guise d'acceptation et continua de manger avec un poids en moins dans l'estomac.

Lorsqu’il se retrouva seul avec Jimmy dans le jardin pour une balade digestive, ses pensées l’élevèrent dans un autre monde. Son corps s’irradiait d’une puissante chaleur à chaque fois que la rencontre avec le loup noir se projetait devant ses yeux. Le garde finit même par en glousser.

— Vous feriez presque peur à voir. Cette rencontre a-t-elle été si exceptionnelle ?

— Jimmy, ne réalises-tu donc pas ce qu’il m’arrive ? J’ai rencontré mon âme-soeur.

— Si cela est vrai, pourquoi demander l’organisation de ces jeux ?

Thélio leva les yeux au ciel, mimant une exaspération face à la question alors qu’il cherchait une réponse. 

— Tu ne comprendrais pas. Tu n’es pas un oméga. 

Jimmy fronça les sourcils. 

— En effet, je ne comprends pas. Pourrais-je au moins avoir son nom ?

— Je... Hum... Thélio souffla son énervement. Ça va, tu as gagné. J’ignore son nom et son visage. J’ai besoin de le revoir pour l’identifier. 

Les pas derrière lui cessèrent et il se retourna pour constater le visage interloqué de son garde.

— Comment pouvez-vous ignorer qui il est ? N’était-il pas un invité du bal ?

— Ne panique pas déjà. Vois-tu, quand je suis sorti prendre l'air, j'ai aperçu un loup.

Thélio contempla l’eau claire de la fontaine. Jamais une rencontre ne l’avait transcendée ainsi. Il ressentait encore les tremblements d'excitations et la torsion de son estomac. Il ignorait tout de ce loup et pourtant… L’idée qu’il soit la menace qui rôdait lui traversait l’esprit, mais il ne pouvait le concevoir. Cet animal serait la solution à ses problèmes. Son être le lui criait. Personne ne réanimait un coeur aussi vite qu’une âme-soeur.

— Un loup ? Vous voulez dire que l'homme était sous sa forme lupine ?

— N’étais-tu pas censé me surveiller tout la soirée ? Ne l’as-tu donc pas vue ?

– N’étais-tu pas sensé me surveiller tout la soirée ? Ne l’as-tu donc pas vue ?

Jimmy baissa la tête face à ce contre-interrogatoire.

— Oui mais cette louve… murmura-t-il.

Thélio le coupa d’un geste de la main pour continuer sa propre histoire.

— C’était un loup qui se promenait dans le jardin.

Si le garde ne l’avait pas vue, le prince n’avait aucune raison de l’inquiéter avec ses déplacements suspects. 

— Au début, il ne m'avait pas remarqué et j'en ai profité pour le détailler. Son pelage semblait noir, du moins, foncé. Il paraissait agile, car il n'était pas spécialement imposant et même plutôt élancé, se remémorait l'oméga.

Jimmy restait sur la défensive. Pourquoi un invité du bal se métamorphoserait-il ? Cela n’avait aucun sens. Soit le prince mentait pour gagner du temps, soit ce loup n’avait rien à faire sur les terres du Palais. Dans tous les cas, le nom et le visage de cette personne lui seraient nécessaires pour une enquête appropriée. 

— Finalement, il a fui dès qu'il m'a senti, finit par admettre l’oméga.

— Oh... Attendez. Comment ça ? Un alpha qui fuit ? Me faites-vous une blague ?

— Non, je te l'assure. Et lorsque j’ai pu m’approcher de plus près. Par la Déesse, Jimmy, ses yeux ! s’extasiait-il. Des perles d’une beauté sans pareil. De la couleur noisette dans laquelle se reflétait la lune. C'était magique. Mon coeur battait tellement fort.

— Noisette ? Pas rouge ?

— Non, noisette, confirma-t-il avec béatitude. 

Les sourcils de Jimmy se formèrent, et il se mit en marche. Ses neurones s’activaient sous l’inquiétude. Les patrouilles avaient déjà été doublées mais la forêt juxtaposée au jardin donnait bien des peines aux soldats. Son nez s’agitait mais la légère brise n’apportait aucune odeur étrangère.

— Vous êtes-vous ensuite promenés tous les deux ? A-t-il regagné sa forme humaine ?

— Non. Il m'a senti la main et a fui, encore.

Jimmy ricana doucement.

— Vous étiez-vous lavé, mon prince ? Vous fuir de la sorte tout de même.

— Bien sûr que je me suis lavé !  Se révolta l’oméga avant de finalement sourire, même s'il espérait que son odeur n'avait pas déplu au loup.

— Écoutez, redevint sérieux le bêta. Je ne pense pas que vous revoir soit une bonne idée. Nous ignorons tout de lui.

— De même que j'ignore qui sont les autres alphas. En quoi serait-il différent ? Contra défensivement Thélio.

— Si je comprends bien, il est reparti dans la forêt. Des gardes ont été agressés en ce lieu. De plus, nous ne possédons aucun moyen de le retrouver. S’il vous plait, réfléchissez-y. 

Le prince balaya la remarque d’un geste de la main. Son garde était bien trop prudent. Pourtant, il se remémorait les comportements étranges du loup alors qu’il rejoignait son maître pour un cours de géographie.

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