Un.

Par Quine
Notes de l’auteur : Bienvenue par ici ! Deus Ex Machina a bien évolué, et bien que je ne sache pas du tout ce que ça donne, j'ai pris énormément de plaisir à lui confectionner une nouvelle tenue de bal. N'hésitez surtout à pas à me signaler d'éventuelles coquilles et à me reporter longueurs et incompréhensions.
 

– Chapitre I –

Au commencement était le Verbe.

Deux, trois, quatre... Sept. Les pas d'Arsène martelaient les marches de métal qui grinçaient. Pendant ce temps, ses pensées voyageaient.

Verbe de l'éternité avant le temps de la création. Mais pourtant aux yeux d'Arsène c'était la création avant le Verbe, c'était la création la première marque sur la grande pierre, la première goutte sur le sol aride. La première note aussi, ni aiguë, ni grave, seulement immense, pleine, totale.

La création, et non pas un mot mais un cri ; le cri comme un baptême de l'enfanté alors que les chairs se gonflent d'air, semblables à des voiles tendues par le vent.

Selon Arsène c'était le Verbe le voile translucide qui venait épouser les formes du cœur qui bat, de la main qui travaille le bois, la courbure de l’œil dont la paupière se plisse d'émoi face à la beauté du spectacle. La création comme point de départ. Mais issue de quoi ?

Arsène éprouvait une véritable fascination envers Dieu. Bien loin d'elle une croyance dévote, mais plutôt une curiosité pour ceux qui brûlaient de vénération. Elle nourrissait aussi un intérêt pour l'immensité du mythe, la prégnance de la figure. L'idée que quelqu'un, une entité soit désignée comme la source, la lumière elle-même, la fascinait. Arsène, la longue vue de ses passions bien serrée dans ses mains, rivait son attention aux feux qui dansaient, scrutait.

Une figure anthropomorphe dite source du monde, mais par résonance, génitrice de tant d’œuvres ! La main créatrice si puissante qu'elle passe sa verve dans de plus petites mains, dont elle fait frémir en chœur les mille doigts minuscules. L'illustration la plus complète de l'acte créateur ; Dieu lui-même créateur, et créateur de la création. Créateur de créatures créatrices plus petites. Un jeu de gigognes.

Arsène se disait que cela devait être un beau rôle, démiurge. Elle imaginait une grande forme mouvante, d'une force extraordinaire. Non pas lourde, mais dense et magnétique.

Quelques soirs pour s'amuser elle imaginait que le démiurge portait un grand chapeau haut-de-forme. Puis elle pouffait face à l'absurdité de cette image, et voyait à nouveau cette grande masse forte.

La jeune fille se penche à la fenêtre et balaie du regard les environs, encore plongés dans l'obscurité pâle du matin, les hautes herbes bercées dans un silence encore tout endormi.

Et cette forme qui crée, songea-t-elle en reprenant le cours de ses pensées, personne ne sait pourquoi. Elle crée, simplement, puis s'en va, se détourne. Peut-être qu'il arrivait à la forme de regarder son œuvre ? Non, elle était certainement désintéressée, ayant comme seule finalité de créer. Et ça, pfffiou, quelle valeur !

Les yeux d'Arsène pétillaient quand elle pensait à tout cela. Cette immensité lui faisait vrombir les doigts.

*

Les bruits de câbles métalliques qu'on tire, le bip lointain du monte-charge, « Hep ! Non, à droite ! Gaffe ! Pose tranquille ». Arsène s'affairait au milieu de ce concert mécanique. Essuie ses mains pleines de cambouis sur son bleu de travail, d'un geste du revers de la main se gratte le nez, souffle. La mise en place des décors avance à bon rythme, cela plaît à Arsène ; l'efficacité d'un bon machiniste.

Le théâtre dans lequel elle travaille prend dans son esprit une toute autre ampleur. Il se déploie, se ramifie. Ses méninges sont des méandres de câbles, de masques usés, de morceaux de décors et de velours rouge. Arsène et son théâtre se sont tant emmêlés qu'on ne saurait dire lequel est l'extension de l'autre, c'est une coexistence organique. Le théâtre n'est plus un lieu dans une rue au croisement d'un faubourg d'une ville implantée quelque part dans le sol, il est le Grand Théâtre. Un monde dans la grosse boîte qui termine les hauteurs du corps d'Arsène.

Arsène aimait la tombée du soir et les puzzles. Machiniste était un beau métier. Un beau métier pour ceux qui savaient voir, mais surtout ceux qui aimaient assembler des pièces à l'ombre. Parfait. Elle prenait un véritable plaisir à étudier les plans des scénographies, à décharger les décors, les monter, rectifier et peaufiner des mécanismes. Tout s'emboîtait. S'emboîter pour être beau. L'emboîtement en cours comme ayant aussi sa part belle.

Néanmoins, Arsène était un âtre qui abritait un désir fulgurant de création. Elle aussi elle avait envie de plonger ses mains noircies dans l'argile dramaturgique. Cette petite étincelle avait toujours été présente, même dans l'enfance où la petite Arsène, cheveux déjà courts et ébouriffés, avant de manger ses pommes les faisait rouler et déclamer de colorés et tragiques soliloques. Puis Arsène avait grandi, et avec elle son dedans s'était transformé en brasier. Les flammes doraient son regard et animaient ses longs doigts. Arsène désirait être comédienne.

En repensant à tout cela, la planche qu'Arsène tenait lui échappa des mains et tomba dans un grand bruit sur le sol. Pour toute réponse aux regards interrogateurs de ses collèges elle se confondit en excuses. « Tu vois bien où ça te mène de penser à tout ça, ça te déconcentre et tu fais n'importe quoi. Tu sais bien que ce n'est pas pour toi. Laisse tomber l'idée, enterre-la même. Ton seul avenir est auprès de ces machines ronronnantes. »

Alors que la jeune machiniste aidait à visser les panneaux de bois, parvint à ses oreilles un rire d'une fraîcheur de fin de printemps. Un rire senteur romarin. Personne ne semblait entendre la même chose, alors Arsène en revint à son travail, et se laissa guider par ses mains habilement habituées. Puis soudain, dans son dos, à nouveau un bouquet de romarin. Se retournant, elle tomba nez à nez avec une figure penchée vers elle qui arborait un sourire éclatant sous des yeux couleur mousse humide.

-- Euh, bonjour. Je peux vous aider ? demanda poliment Arsène. Vous cherchez quelque chose ?

Pour toute réponse, la demoiselle ria de plus belle. Arsène fronça les sourcils.

-- Qui es-tu ?

-- Comment, tu ne sais pas ? C'est drôle, pourtant tu connais tout le monde, petite machiniste enregistreuse. Moi c'est Rhòs. »

Rhòs porta son attention ailleurs, ce qui l'emmena plus loin, chantonnant et faisant onduler les pans de sa robe blanche. Arsène reprit son ouvrage.

*

Cette nuit, une terre dénudée soulignée de vagues de lavandes. Leurs brins effleuraient les murs de pierres d'une cathédrale qui se perchait là, une cathédrale sans toit. Avec pour seule voûte le ciel. Les larges colonnes étaient lézardées sous l'effet du temps, s'effritaient parfois. Les petits gravillons tombés ricochaient sur le sol et leur bruit résonnait. Les arches nues s'élançaient, se découpaient sur le bleu du ciel. Avec pour seule voûte le ciel.

Allègrement remplie d'un inexprimable sentiment d'infini, Arsène avait l'impression de flotter.

                          Avec

               pour seule voûte

               le ciel.

Au loin, un rire romarin.

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Plumedecriture
Posté le 27/08/2019
Bonjour Quine,
Tu écris très très bien et malgré quelques incompréhensions, ton premier chapitre est génial.
Merci de nous faire partager ton très beau style d'écriture.
Quine
Posté le 19/09/2019
Bonjour !
Est-ce que tu pourrais m'indiquer les passages qui te semblent flous ?
En tout cas, merci beaucoup pour ta lecture !
Liné
Posté le 29/07/2018
Bonjour Arlequine,
Ravie de découvrir ta plume ! C'est un très joi premier chapitre que tu proposes, tout en douceur et en images "éclatées" (des moments d'introspection de ton personnage entrecoupés de scènes plus précises). 
Je me demande comment ton histoire va dériver vers du fantasy. En lisant ces quelques paragraphes, j'ai plutôt l'impression d'un univers réaliste (un théâtre, avec ses acteurs) au sein duquel ton héroïne impulse des idées bien à elle, un peu fantaisistes/magiques. Ce qui me plait d'autant plus !
La suite au prochain chapitre, je suppose =)
A très vite
Liné
Quine
Posté le 29/07/2018
Salut Liné ! Ravie de te rencontrer et de t'accueillir par ici ! 
J'avoue avoir un peu peur que l'aspect "éclaté" soit trop présent dans mon histoire, et de me retrouver avec des bouts décousus x) 
Pour ce qui est de la fantasy, c'est une classification totalement arbitraire que j'ai choisie tout simplement parce que je ne savais pas dans quelle case rentrer mon bazar ! 
En tout cas merci pour ton retour, j'ai hâte de savoir ce que tu penses de la suite ! 
 
À bientôt,
Quine (eh oui, Arlequine est la version obsolète du pseudo ! )
Hinata
Posté le 14/03/2019
  Il faudrait peut-être revoir parfois la ponctuation au tout début du chapitre
  J'aime beaucoup quand tu parles d'Arsène et son théâtre, c'est un début qui sans m'enthousiasmer m'intrigue énormément ...  
Quine
Posté le 14/03/2019
Bonjour,
Merci de me rapporter ce qui te semble possible d'améliorer. Mais ceci dit j'aimerais bien obtenir un peu plus de précisions quant aux modifications que, selon toi, devrait recevoir la ponctuation. J'espère que l'enthousiasme s'ajoutera à la curiosité !
Merci de ton passage
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