J’aime la neige. C’est blanc, c’est froid. C’est silencieux.
La neige, elle ne me voit pas non plus, mais au moins ce n’est pas pour rien.
D’ailleurs, la neige je la sens. Je la sens juste là, au fond de ma paume, et dans le creux de mon cœur aussi.
Un homme passe devant moi. Encore. Il me marche sur le pied. J’ai envie de lui dire “Eh, oh ! Faites attention un peu !”, mais… je m’arrête. À quoi bon ? Personne ne fait attention à moi. Personne ne m’a regardée dans les yeux et parlé franchement depuis… Oui, c’est bien cela, depuis le jour de mes dix-huit ans.
Cela fait trois ans, aujourd’hui, et je m'en souviens comme si je le vivais encore…
ΩΩΩ
– À demain ! Merci d’être venue !
– C’était super ! Merci à toi ! Pour tout. Et bon anniversaire encore !
Amelie était la dernière à partir. J’avais fermé la porte derrière elle, rapidement pour que les flocons qui tombaient du ciel n’aient pas le temps de venir mouiller l’entrée.
Il était cinq heures, il allait bientôt faire nuit. Je me retournai et vis un ballon par terre, dans le couloir. J’avais du travail si je voulais avoir fini de ranger tout cela ce soir.
La table du salon était presque rangée, mais par terre je trouvais des miettes un peu partout, et les ballons que Sidony avait amenés avaient volé jusque dans la salle de bain. C’était peut-être à cause de la bataille de ballons de la fin d’après-midi…
La cuisine, elle, je n’avais pas eu le temps de la nettoyer avant que tout le monde arrive. J’avais de la vaisselle sale dans l’évier, à côté, et aussi sur la table. Je remontai donc mes manches et me mis à l’ouvrage : les grands bols tout d’abord, que je posais ensuite sur ma droite pour qu’ils sèchent. Puis, les assiettes. Finalement, tous les ustensiles et autres couverts. Mais alors que j’avais presque fini, un bruit me fit tourner la tête.
Dling !
Quelque chose qui tombait sur le carrelage… Je fronçai les sourcils et me retournai. Rien par terre… Bon, ce n’était rien de grave, je trouverais bien plus tard.
ΩΩΩ
La neige, quand elle vient, elle vient vraiment. Elle se pose petit à petit. Flocon après flocon. Et elle reste parfois. Alors je la regarde, je la touche, et je me sens mieux. C’est beau, c’est agréable. C’est comme une couverture pour la Terre, elle lui permet de rester bien au chaud, à l’abri.
ΩΩΩ
La nuit, il faisait très froid. Cela ne m’avais pas étonnée. Et puis, je dormais, comment aurais-je pu m’en étonner.
Mais, au milieu de la nuit, je me réveillai. Et je vis une chose blanche et légère s’approcher de moi par la droite. Je tournai vivement la tête, au moment même où le vent poussa mon rideau jusqu’à mon visage.
Le tissu caressa lentement mes joues, dans un mouvement fatigué. Froid. J’avais très froid. Mais… mais pourquoi ma fenêtre était-elle ouverte ? Assise sur mon lit, je regardais cette ouverture sur le ciel gris. Il neigeait toujours. Il avait neigé à l’intérieur de ma chambre. Un petit tas se formait déjà sous ma fenêtre, et déjà il fondait. Une flaque s’était formée, qui coulait, s’étirait jusqu’au pied de mon lit. Je serrai mes genoux contre moi. Cette fenêtre ne s’était pas ouverte toute seule. Le vent, sans doute. Oui, le vent.
ΩΩΩ
Les passants, il n’y en a plus beaucoup à cette heure, surtout sous la neige. Je n’aime pas les autres. Ils ont tous peur. Peur d’attraper froid, peur du noir, peur de se perdre, peur parce qu’ils sont déjà perdus.
Moi je n’ai pas peur. En tout cas, pas quand il neige. Quand il neige, tout est différent. Je regarde les nuages, là-haut, qui tournent et tournent et tournent encore. Et je tourne avec eux. J’écarte les bras, et je sens les petits flocons sur ma peau.
ΩΩΩ
En me levant, je regardai le sol. Il était sec, et il ne restait rien de l’incident d’hier soir. Bien. Je soulevai mes draps et posai mes pieds nus sur l’épais tapis vert de ma chambre. Mes posters sur les murs semblaient intacts aussi, toutes mes affaires également.
Une fois en bas, dans la cuisine, j’ouvris le frigo et cherchai le lait au fond de cet univers froid de glace artificielle.
Bang !
Je sursautai. Je me retournai vivement, mais ne vis rien. Puis, en examinant mieux mon champ de vision, je remarquai par terre, sur le tapis du couloir, entre la porte de la cuisine et celle du salon, les restes d’un ballon qui venait d’éclater. Je croyais pourtant les avoir tous récupérés… Hésitante, je marchai jusqu’au couloir et ramassai le plastique rouge étiré par le temps. Il était normal.
Je m’apprêtais à retourner à mon petit-déjeuner lorsqu’une forme bleue mouvante dans le coin de mon œil attira mon attention. Un ballon rebondit sur les marches de l’escalier, sauta avec légèreté et atterrit à mes pieds.
Et il explosa. Bang !
Effrayée, je fis un pas en arrière. Mais je me calmai : “Ce n’est rien, c’est un ballon. Un ballon, Maya. Est-ce qu’un ballon t’a déjà fait quelque chose ?” Oui. Un ballon venait de se poser à mes pieds et d’exploser. Je chassai cette pensée. Non, jamais un ballon n’avait agressé qui que ce soit. C’était ridicule. Ri-di-cule.
Je fis demi-tour et me réinstallai dans la cuisine, sur l’une des chaises de paille. Après avoir trouvé le lait, je le versai dans ma tasse jaune.
ΩΩΩ
Un petit garçon saute sur une colline blanche. Il trempe son pantalon, et sa mère le rappelle, mécontente.
Mais qui déteste ainsi la neige ? Et pourquoi détester la neige ? Ce n’est que de l’eau. Un pantalon, ça sèche. Il faut bien qu’elle mouille. Sinon que ferait-elle ? Tomber et disparaître immédiatement ?
Quand on aime la neige, alors il faut l’aimer jusqu’au bout. C’est comme n’importe qui : on l’accepte comme elle est.
ΩΩΩ
Un violent courant d’air fit claquer la porte de la cuisine. Je lâchai ma tasse, qui s’en alla se briser contre le carrelage. Le lait coula entre les petits ilots de porcelaine, jaunes comme des dunes de sable au milieu de cette mer blanche.
Je levai les yeux vers la poignée de la porte : j’étais sûre de l’avoir vue tourner toute seule. Mais durant plusieurs secondes, rien ne se passa. Alors j’allai ouvrir. Et découvrit le couloir dévasté. Dévasté par la neige qui entrait au gré des coups de vents, poussée à travers la porte d’entrée.
La porte d’entrée. Qui devrait être fermée.
Je m’approchai d’elle. La neige se collait à mes bras nus et fondait. Je voulais fermer la porte, mais… quelque chose me retenait.
Tout était blanc. Blanc clair sur blanc foncé. Ou peut-être le blanc ne pouvait-il qu’être clair ?
À mes pieds, le tapis rouge était trempé, lourd d’eau.
Je n’avais pas froid. Pourquoi n’avais-je pas froid ?
J’avançai un pied dehors. Il s’enfonça dans la masse cristalline. Elle était froide, oui, mais je n’avais pas froid. Pas vraiment. Je le sentais sans en souffrir. Sans le rejeter. J’aimais le froid. Mon deuxième pied vint rejoindre le second. Je souris.
ΩΩΩ
La neige, c’est plus beau, plus blanc, plus pur que tout.
Elle se tait, elle ne fait que venir et observer. Elle écoute, et elle entend tout. Les autres, ils n’aiment pas la neige.
Et je les observe tous passer, et je les regarde qui m’ignorent.
Je n’ai pas froid. Mais je sens son froid. Je sens mon froid aussi.
La neige, c’est blanc, c’est froid, C’est silencieux. Un peu comme moi, finalement…
Exactement comme moi, même. Puisque c’est moi.
ΩΩΩ
Elle m’entoura. Tout autour de moi, elle tournait.
J’écartai les bras. Je sentais son souffle passer entre mes doigts, je sentais les siens caresser mon visage. C’était un appel. Un appel à la folie, un appel à l’aide. Un appel à la vie. À elle.
La neige était venue me chercher, et je la trouvais maintenant, perdue au fond de ce brouillard animé, force brute.
Et je la comprenais. Je comprenait ses murmures, ses plaintes. Elle était toute faite d’un message : le bonheur.
J’aimais la neige. Et j’étais la neige.
ΩΩΩ
Peut-être le bonheur est-il là, tout près, caché très profondément au cœur de nos cœurs, voilé par l’ignorance, par l’illusion de la raison.
Très agréable comme entrée je trouve entre la neige et le personnage, il y a un effet de retardement et de suspense qui fonctionne. Peut-être que les nombreux allers retours peuvent perdre un peu mais en même temps ça ne reste pas trop gênant.
Très poétique!
Merci pour ce commentaire ! Il relève des aspects très justes du texte, j'avoue que je ne m'étais pas trop inquiétée des changements d'époque, d'autant plus que j'ai écrit ce texte d'une traite sans bien savoir où il me mènerait ^^'
En tout cas merci d'avoir partagé ton opinion, je la prendrai en compte pour la suite de mes écrits ^^
Je n'ai pas vraiment l'habitude de lire des nouvelles, mais je me suis laissée tenter pour une fois, et je ne suis pas déçu ! Je ne m'attendais pas à cette ambiance assez paradoxale où l'on est partagé entre l'inquiétude et la sérénité. Au file de la lecture, je pensais qu'il y aurait du fantastique ou du surnaturel dans l'histoire mais...non, enfin je ne crois pas ? Ou peut-être un peu, mais je m'attendais à ce que ça le soit davantage (ce n'est pas un reproche hein, je trouve au contraire ce doute intéressant et permet au lecteur d'interpréter les choses comme il le sent). Concernant la fin, étrangement, je la trouve aussi douce que triste. Et je me demande ce qui est vraiment arriver au personnage.
En tout cas, j'ai bien aimé ta plume fluide et même un brin poétique. Je lirai probablement la suite.
A bientôt !
Merci pour ton retour ! Il fait très plaisir :)
Disons que ce n'est pas là du fantastique très prononcé, en effet il ne s'agit pas de quelque chose de défini et complètement irréaliste mais plutôt d'un phénomène qui se soude à la réalité.
La fin est assez libre d'interprétation, c'est vrai. Tu es libre d'imaginer ! ;)
Tes remarques sont très intéressantes et constructives, et je suis très contente que tu aies aimé (et que cela t'ait donné envie de lire la suite !)^^
J'espère que tu apprécieras les autres nouvelles, alors ! :)
J'ai beaucoup aimé la neige qui entre. Au début, je me suis dit : «Tiens, du fantastique avec de la neige ? Mais l'ambiance est assez rassurante, il y a un truc qui cloche...» Mais j'ai compris à la fin pourquoi cet histoire est si paradoxale. En tout cas, j'ai beaucoup aimé, et l'alternance entre le présent et le passé apporte un bon rythme. Bravo !
Merci pour ton retour ! C'est très encourageant :)
Oui, on m'a dit que cette histoire étonnait pour son côté “apaisé”... Les gens ne s'attendent pas forcément à cela en entendant parler de neige et d'une jeune fille que personne ne voit... ;)
Merci beaucoup pour ton commentaire ! :)
Pour l'histoire, tu n'as pas bien compris ce qui arrive au personnage, c'est cela ? À la fin surtout, je suppose ? Si tu arrives à préciser je peux essayer de t'expliquer et de rendre la nouvelle plus claire ;)
Je suis très heureuse que l'ambiance t'ait plu, c'était en fait cette ambiance le principal objectif du texte, dont l'histoire n'est pas très développée...
Donc cela me touche beaucoup que l'atmosphère t'ait plu, et ce malgré le fait que le récit n'ait pas été très clair :)
(Encore désolée pour la réponse tardive... :( )
Quelle fin inattendue.
J'aime beaucoup ce mélange de froid, de solitude et de vide pourtant pas si angoissant que cela. Il y avait quelque chose de serein dans ma lecture.
Au plaisir de te lire.
Je suis ravie que cela te plaise ! Ça me fait très plaisir ;)
Je n’ai qu’une chose à te dire ; Whaou!!
Ton texte est juste magique, on est captivé par le récit, tu sais merveilleusement bien raconter !
Une très jolie nouvelle portée par une plume toute délicate, c'était une lecture très agréable. J'aime beaucoup l'idée de la personnification, de ce glissement du personnage humain vers la neige, avec toute la symbolique que l'on peut imaginer autour.
Je crois que les premiers paragraphes m'ont induite en erreur, j'ai cru que l'on suivait deux personnages différents mais en fait, il n'y en a qu'un seul ? Qui se transforme en neige ? La toute première partie mentionne "depuis le jour de mes douze ans", donc j'imaginais un-e ado. Dans la partie suivante il s'agit de gérer des invité-es et de nettoyer la cuisine, j'ai donc visualisé un personnage adulte. Si je ne me suis pas trompée, peut-être ajouter un ou deux éléments (sans en faire trop) pour que les lecteurices aient bien dans l’œil combien de persos sont présents, et qu'on fasse bien les bons liens ?
Sur la forme, quelques coquilles de rien du tout :
« n’aient pas le temps d’entrer et de mouiller l’entrée » : répétition entrée/entrée
« J’avait de la vaisselle sale » : j’avais
« Le tissus caressa lentement » : tissu
« Mon deuxième pieds » : pied
« je la comprenait » : comprenais
A bientôt !
Merci beaucoup pour ton retour, il me fait très plaisir :)
Oui, effectivement, il est censé n'y avoir qu'un seul personnage ; je me rends compte que ce n'est pas évident, c'est certainement dû au fait que j'ai improvisé ce texte. Je n'avais aucune idée de la suite en écrivant, ce qui a engendré cette incohérence. Je vais tenter d'arranger cela...
Merci aussi pour les petites fautes formelles que je me suis empressée de faire disparaître ;)