Un cadeau empoisonné

Léonard et Marie,
sont enchantés de vous annoncer la venue par une nuit étoilée
de Merlin...
leur petit prodige au  charme ravageur !

Merlin s’attarda devant le faire-part de sa naissance encadré neuf ans plus tôt avec fierté, comme on encadre un diplôme. Il soupira. Ses parents n’avaient vraiment pas fait dans la nuance en lui décernant d’emblée le statut de prodige. Alors oui, il était plutôt doué à l’école, mais pour le reste il se trouvait à la traîne, surtout au niveau de sa taille. Cela faisait belle lurette que sa mère avait cessé d’observer sa courbe de croissance. Quand elle le sentait triste, elle lui souriait tendrement et ajoutait : « Tu vas grandir d’un coup, tu verras comme par magie ». Ca tombait bien son père était magicien, pourtant  il ne possédait pas de tour pour lui permettre de gagner quelques centimètres.

Son prénom : une fausse bonne idée, qui la plupart du temps lui attirait les moqueries de ses camarades. Enfin « camarades », c’était vite dit, il n’avait pas d’amis. Merlin Petitbond était ce qu’on appelle un solitaire, malgré lui. Le maître le pensait HPI, autrement dit « super intello », autrement dit plus à l’aise avec les adultes.

Merlin, lui se disait qu’avec un autre prénom, quelques centimètres en plus, un appareil dentaire en moins, sa vie aurait été bien différente. Quand sa mère lui avait appris que la famille allait déménager, il avait cru que c’était une chance de repartir à zéro, un genre de nouveau départ. C’est justement de ça, dont il était question.  Elle avait décidé de plaquer son boulot de secrétaire pour monter un food truck. Vu ses talents culinaires, Merlin était resté perplexe face à cette annonce. Comme devançant ses critiques, sa mère avait expliqué qu’elle avait besoin de changer d’univers pour se ressourcer. Il avait eu envie de crier que lui, il avait envie de changer de prénom pour exister.  Et puis, elle avait ajouté qu’elle avait une grande nouvelle. Encore une !

Sa grand-mère leur proposait de venir emménager dans son manoir.  Merlin ne voyait pas trop comment on pouvait qualifier cela de grande ou bonne nouvelle. Il essaya de chercher dans ses souvenirs. Sa grand-mère maternelle, c’était bien celle autour de laquelle planait un lourd mystère. C’est simple, dès qu’on abordait le sujet, on préférait les messes basses. Du coup, il ne savait rien ou presque sur elle, sauf que c’était une antiquité peu commode.

Comme si elle lisait dans ses pensées, sa mère s’était empressée de le rassurer:

« Ne t’inquiète pas mon chéri, nous ne la verrons que très peu. Le manoir est immense, un vrai château avec un parc gigantesque, presque une forêt ! »

C’est juste après qu’était venu le pire.

« Tu vas adorer la région ! »

L’ancêtre vivait en Bretagne, près de Paimpont, autrement dit à côté de la mythique  Brocéliande.

« Tu seras dans ton élément, avait-elle conclu. " Il était parti se réfugier dans sa chambre avant de fondre en larmes.

Ce prénom était un fardeau, mais s’appeler Merlin en Bretagne quand on a une taille de gnome, ça tenait du boulet XXL. Les jours étaient passés, il avait dû se résoudre à l'idée qu'encore une fois il allait en baver.

Il sentit la main affectueuse de sa mère caresser sa chevelure. Elle décrocha avec précaution le cadre qui célébrait sa naissance, et l'enveloppa délicatement dans du papier de soie comme un précieux trésor.

« Allez mon grand, lui dit-elle sans comprendre combien cette expression le blessait à chaque fois, il est temps de partir vers de nouvelles aventures ! »