Une sonnerie, la porte s'ouvre, quoi dire ?
Sarah doute, mais regarde, droit dans les yeux, serre fort la main de Simon dans la sienne, pense que cette ride là, sous l'oeil, sa mère ne l'avait pas avant. Elle est là, plantée, ça te fait quoi de voir ta fille après cinq ans, avec juste le mot menteuse que tu lui vomissais, la dernière fois que tu l'as vue ?
"...Tu veux un café ?.."
Sarah se mord les lèvres, entre, a envi de crier, parce que c'est tout ce que tu trouves à dire ? Là, tu me vois, puis un café, après une demi dizaine d'années à s'imaginer qu'un jour on se reverrait, tout ce que t'as trouvé à dire c'est juste... Tu veux un café ?!
Cinq minutes.
Simon est dans l'ancienne chambre -maintenant un débarra- de Sarah, qui est dans le salon, en train de touiller son café comme pour mélanger un sucre inexistant, et bordel c'est toujours le même ce canapé, toujours ce même lustre, putain rien a changé ici à part sa présence.
Sa mère ferme les yeux, comme pour ne pas y croire: "Tu... Tu habites où ?"
"Tu aurais pu le savoir si t'étais partie chez les flics pour signaler ma disparition, mais au final ça t'arrangeais non ?"
Elle ne l'a contredit même pas: "Le petit c'est..."
"Simon. Ton petit fils."
Crispation.
"Donc tu n'as pas avorté finalement..."
Sarah fulmine: "J'étais à six mois de grossesse, je ne pouvais plus avorter."
"Mais... Il est de qui..?"
Enfin ! On crève l'abcès !
Regard droit, prendre une gorgée -brûlure à la langue, amer-, ne pas broncher: "Je ne sais pas qui m'a violé, donc je sais pas."
"TAIS TOI ! C'est de graves accusations ça ! Si tu avais admis que tu avais couché avec un garçon, que tu t'étais mal protégée, on se serait pas énervée ! T'as pas honte, un viol ? C'est une insulte aux vrais victimes de ce genre d'horeur ! Moi et ton père, tu... Nous as déçu."
Sa mère tremble du menton, les yeux brillants.
Sarah ferme les yeux, sourire déçu: "Quoi ? Tu crois toujours que je mens c'est ça ? Tu crois qu'après cinq ans, je suis toujours la menteuse que tu m'as accusée d'être ? Et tu penses qu'en plus je devrais avoir HONTE ?! C'EST UNE INSULTE AUX VRAIS VICTIMES ?!"
"TAIS TOI !"
"TA GUEULE MAMAN !"
Sarah prend la tasse, la jette contre le mur, le bruit fait un son d'enfer, alors faut que je me fasse violence pour que tu m'écoutes c'est ça ?! FAUT QUE JE CASSE TOUT POUR QUE TU ME CROIS ENFIN ?!
La vieille -ouais vieille, elle a la peau qui pend- ne bouge plus, mains tremblantes.
Et Sarah les voient, ces images sous le saule pleureur, mais non, les efface, prend une voix calme, ce qui inquiète: "C'est vrai que ce genre de truc horrible n'arrive qu'aux autres... Seuleument tu vois maman, je fais apparement partie des autres, j'en ai été la première horrifiée. Je vous ai fait honte à toi et papa ? Je suis une victime, je vous fais honte car vous m'accusez de mentir. Seuleument voilà maman, je te regarde, je te le répète: C'ETAIT UN VIOL. J'avais quinze ans, et vous... Juste... MENTEUSE. Parce que c'est vrai qu'une histoire pareille ça s'invente, hein maman ?"
"Si... -larmes, larmes, ça tremble la voix- si tu avais vraiment été violée, tu aurais porté plainte !"
"Avec votre soutien, je l'aurais fait."
"Tu n'aurais jamais pu survivre sans argent."
Sarah sourit, la rage se débloque: "Je suis devenue une PUTE maman."
Sans prévenir, la matriarche lui saute dessus, crit enragée, la secoue, bave, postillonne, et mille insultes à la fois: "TU N'AS PAS HONTE ?! ET TU SAIS QUOI JE TE CROIS ! OK, TU AS ETE VIOLEE, MAIS TU Y AS PRIS DU PLAISIR ! SINON POURQUOI TU FERAIS PROSTITUEE HEIN ? POURQUOI TU FERAIS LA PUTE ?!"
Trop. C'est. Trop.
Sarah réentend, les voix du passé;
Menteuse !
Menteuse !
MENTEUSE !
"Tu crois vraiment que c'est un choix ? De vendre mon cul à des mecs qui pourraient être mon père ?
Tu dis que je te déguoutes ?
Tu me crois, mais parce que je me vends tout entière, j'y ai pris du plaisir ?
Quand t'avais quinze ans, tu t'es réveilllée quasi nue dehors ?
Avec du sperme dans la bouche, l'intérieur brûlant ?
Le sentiment que ça peut pas t'arriver ?
Non, pas à toi ?
Que c'est faux, ça peut pas être vrai ?
Que t'as pas pu croiser un monstre ?
Eux, faudrait leur mettre une marque pour les reconnaître, mais le plus effrayant, c'est que justement ils n'en ont pas. A quoi ça pense un pédophile ?
Comment ça s'habille ? Comme tout le monde.
Que mange t'il ? Comme tout le monde.
Comment ça se coiffe ? Comme tout le monde.
Coment il gagne sa vie ? Comme tout le monde.
Tu vois maman, je me suis fait violée par un monsieur tout le monde. Pour survivre, je dois me forcer à coucher avec des gars qui aime bien mon physique, -plus celui d'une fille de treize que de vingt ans-, c'est des monsieurs toutle monde.
Que tu le veuilles ou non je ne mens pas.
Maintenant que tu me crois ou pas je m'en fous.
Ca n'a plus d'importance. De toutes manières ça doit faire cinq ans que je suis plus votre fille, non ? Je vais prendre Simon, me barrer, et on va plus se voir. Je te laisse avec ta concience. Si t'en as une."
Sortir de la maison. Sarah ne se retourne pas. Pas besoin de regarder en arrière, c'est de l'avant qu'il faut aller.
"On va où maintenant maman ?"
Sourire, elle même ne sais pas, où fait semblant, parce qu'elle sait, qu'il l'attend, le saule pleureur.
Mais des parents défaillants ça existe, et c'est sans doute courant. Ça reste des humains avec des failles, comme tout le monde, les plus dangereux sont ceux qui les cachent à eux même. Mais c'est à chialer de se rendre compte que ça existe, et que si on a des parents ne seraient ce que décents, alors on a déjà beaucoup de chance.
Chacun a sa croix à porter sur ce site, mais j'ai l'impression que certaines sont sacrément lourdes...
Tout y est, la colère, la rage, même un certain soulagement qu'elle ait pu enfin vider son sac sur cette merde (mère), qui, faute de ne pas l'avoir crue et soutenue dans un moment terrible, se permet de rajouter une couche d'abomination derrière.
Tu fais du très bon travail visuel avec ta mise en page, c'est très vivant.
L'envie de gerber passée, on s'interroge sur ces fameux "monsieur tout le monde", tu ne pouvais pas mieux les décrire.
Merci de parler (même si c'est par écrit) avec autant de sincérité et d'honnêteté, ça va droit au cœur. Après tout, les mots vont se loger d'où ils émanent.
Bon courage pour la suite de ton œuvre.
Je continue la lecture !