Un cercle dans le ciel

Notes de l’auteur : Décor : un soir de pleine lune
Ambiance : surnaturel
Mots à insérer : toast, silhouette, social

Elle dessinait un cercle. Dans le ciel. Un cercle parfait au milieu des ténèbres du ciel. Aucune étoile pourtant, mais la lune, elle, apparaissait avec clarté, si blanche qu’on avait du mal à distinguer ses contours du halo lumineux qui l’entourait.

Il ne faisait pas froid. Non, c’était même une soirée très agréable ; on voyait bien tout autour de soi, car l’astre mort répandait sa lueur pâle et décolorée aux alentours. Tout était clair, et pourtant la nuit régnait. Dès qu’une ombre faisait obstacle à la lumière, les ténèbres l’emportaient à nouveau. C’était un combat sans fin.

Cela lui rappelait toutes ces soirées passées là. Sans jamais personne. Avec toujours son éternel toast, sa gelée de coing et son thé vert. Toujours la même chose. Le même parcours. Le même paysage. Jusqu’au jour où il l’avait vue. Cette silhouette, là-bas au bout des champs de blé. De l’autre côté de cette mer, argentée à la lumière de la nuit. Elle se déplaçait tranquillement, comme sautillante. Noire comme l’encre. Ses cheveux volaient derrière son visage de profil.

Il la regarda sans un mouvement ; ne risquait-il pas de l’effrayer ? Mais son regard était captivé. Était-ce une passante ? Une insomniaque ? Une jeune fille en quête de paix ? Une artiste cherchant l’inspiration ? Une solitaire fuyant l’enfer social ?

Il ne le sut pas ce soir la. Faisant un pas léger en avant, il débuta une approche discrète. Un craquement sous son pied lui fit baisser la tête ; juste après, la jeune silhouette avait disparu.

 

Les jours suivants, il revint. Et elle aussi revint. Tous deux dans cette même situation. Il la regardait, et il était certain qu’elle faisait de même. Elle venait pour lui. Et à présent, il venait pour elle. Plus de toast, ni de gelée, et encore moins de thé vert.

Il regardait sa robe nager dans les airs, comme si cette jeune fille marchait au fond d’un océan. Jamais plus il n’avait essayé de l’atteindre. Pourtant, chaque jour l’envie était plus pressante au fond de lui. Et finalement son corps céda. Un soir il se leva et s’éloigna du grand hêtre sous lequel il s’installait toujours. Il marcha au milieu du champ, poussant les épis de blé par de grands gestes des bras. Et il atteignit enfin le chemin que toutes les nuits la petite silhouette empruntait.

Tournant la tête de tous les côtés, il chercha la mystérieuse personne. Mais elle semblait s’être volatilisée. Le désespoir s’empara de lui. Un désespoir fou, démesuré. Un peur atroce de tout ce qui n’était pas elle. Comme si sans elle tout se retournait contre lui. Comme s’il ne pouvait vivre sans elle. Alors il courut. Tout droit, dans la direction dans laquelle elle marchait toujours. Et plus il avançait, plus il se sentait seul, et plus il avait envie de la retrouver.

Où était-elle ?

 

Là.

Elle apparut soudainement. Juste devant lui. Au-dessus de sa tête, la lune brillait. Son visage était dans l’ombre, mais elle semblait étrangement sombre de là où il était. Elle semblait trembler. Il ne bougea pas, et elle restait où elle était. Il ne distinguait rien d’elle.

Tout à coup, elle tendit les bras vers lui, et les rayons de la lune éclairèrent des mains abimées, sales et maigres. Les manches de ses vêtements étaient en lambeaux. Et alors elle leva la tête, la tourna légèrement. L’horreur monta en lui.

Son visage était décharné, comme dévoré par le temps à grandes bouchées. Elle brillait sous la lune, et son esprit se contredisait lui-même : était-ce la plus belle des choses qu’il n’avait jamais vue ? Ou était-ce un monstre ? Devait-il fuir ?

Mais son corps, tout son corps s’y refusait. Il ne pouvait pas fuir. Il en était incapable.

La silhouette ouvrit la bouche. Ses lèvres sèches s’écartèrent l’une de l’autre, et dans un souffle étranglé sa mâchoire articula :

– À l’aide…

Et en entendant ses mots, son esprit s’embruma. La jeune fille s’approchait. Il ne voulait pas partir. Non, il ne partirait pas.

Mais il avait si peur…

La créature n’était plus qu’à quelques centimètres. Ses yeux étaient si proéminents qu’ils semblaient vouloir eux aussi s’enfuir au loin. Mais comme lui, ils ne pouvaient pas.

– Je suis désolée…

Et alors tout s’éteignit autour de lui. Tout était noir, et seul une lumière ronde brillait, tout là-haut, alors qu’il coulait au fond de son esprit.

 

º º º

 

Elle dessinait un cercle. Dans le ciel. Un cercle parfait au milieu des ténèbres du ciel.

 

Et lui, il marchait. Tout cela lui rappelait ces fois où il venait. Ces fois où il désirait venir. Pourquoi avait-il voulu venir ?

 

Il n’avait jamais revu la silhouette. Elle était partie. Loin, très loin. Il ne l’avait plus jamais aperçue nulle part. Mais elle avait laissé en lui un horrible sentiment de tristesse. De culpabilité. Un sentiment de honte, mais aussi de devoir. Il devait venir encore. Pour lui. Pour elle. Et pour tous ceux qui étaient venus avant lui.

Oui, elle n’était jamais revenue, et pourtant, une silhouette continuait de sillonner les champs. Une silhouette intriguait encore les passants, les insomniaques, les jeunes gens en quête de paix, les artistes cherchant l’inspiration et les solitaires fuyant l’enfer social.

Ce n’était plus elle, à présent.

C’était lui.

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A Dramallama
Posté le 08/07/2024
Superbe texte, très sensible. On se laisse charmer comme le narrateur par une ambiance en apparence nostalgique, romantique presque, au point de passer à côté des mises en gardes, et finir surpris par un fantôme!
Excellent!
Nightbringer
Posté le 08/07/2024
Coucou :))
Ooh merci^^ ça me touche beaucoup !

“On se laisse charmer comme le narrateur par une ambiance en apparence nostalgique, romantique presque, au point de passer à côté des mises en gardes”
>> Tant mieux, tant mieux hihi ;))
Kieren
Posté le 07/07/2024
C'est très beau.
Les images sont charmantes. "Il regardait sa robe nager dans les airs, comme si cette jeune fille marchait au fond d’un océan." Cette expression est tout à fait à sa place dans cette ambiance de nuit de pleine Lune.
Cette métaphore entre la peine, l'attirance et la culpabilité est tout à fait adaptée pour cet espèce de spectre, d'apparition surnaturelle. Cela me rappelle toutes les filles et tous les hommes que j'ai abandonné plus ou moins longtemps, plus ou moins vite, charmé, mais aussi écrasé par cette même tristesse.
Je ne pense pas être lâche, mais ce rejet que j'ai de l'autre se conjugue avec mon amour pour lui. Un sentiment et une fatigue qui me mènent à errer de par ce monde, sans attache, mais fidèle au genre humain, malgré mon dégoût pour lui.
Merci pour ce texte. Ca m'a fait du bien.
Nightbringer
Posté le 08/07/2024
Hello :)
Merciii^^ Merci beaucoup pour ton commentaire très encourageant !^^

Ton ressenti face au texte est très beau, très sensible. Je suis trop contente si tu y as trouvé une part de toi ! :)) et ravie s'il t'a fait du bien^^

Merci à toi ;))
Kieren
Posté le 08/07/2024
=)
CrazyFeathers
Posté le 23/06/2024
Je ne m'attendais aps du tout à ce que le récit prenne cette tournure, tu as vraiment su préserver le suspense en installant une ambiance poétique et romantique en quelques sortes pour qu'au final, la silhouette féminine se révèle comme une sorte de monstre, de démon, ou de fantôme ? En tout cas, assurément porteuse d'une malédiction !

C'est très intéressant, j'ai beaucoup aimé.
Nightbringer
Posté le 23/06/2024
Coucou !
Merciii !^^ ça me touche beaucoup ! :) Trop top si tu as aimé :))
Edouard PArle
Posté le 11/04/2024
Coucou Nightbringer !
J'adore !! Tu as vraiment une plume magnifique, j'aime beaucoup l'ambiance de cette nouvelle. Je suis très fan des paysages nocturnes donc là tu m'as régalé ahah J'ai beaucoup apprécié le halo de mystère que tu ne lèves jamais sur tes personnages, nous en donnant seulement assez pour que l'on reste accroché jusqu'à la dernière ligne.
Le mystère fonctionne bien et c'est bien de ne pas le résoudre plus que ça, de nous laisser imaginer plein de choses. Parfois, je trouve ça frustrant mais je trouve que ça se prête bien à cette nouvelle.
La contrainte de mots passe super bien, je trouve que le social est particulièrement bien placé ! Fort de l'avoir mis dans les derniers mots xD
Je ne pense qu'il faille mettre en +12, chaque lecteur se fera peur s'il en a envie. C'est plus suggestif qu'autre chose.
Mes petites remarques :
"Un craquement sous son pied le fit baisser la tête" -> lui
"Jamais plus il n’avait essayer de l’atteindre." -> essayé
"Elle était apparue soudainement." -> elle apparut soudainement ? Je trouve que ce serait plus percutant d'avoir du passé simple à ce moment décisif de la nouvelle.
"Je ne bougeais pas, et elle restait où elle était. Je ne distinguait rien d’elle." je ou il ?
"Les manches de ses vêtements étaient en lambeau." -> lambeaux
Un plaisir de découvrir ta plume !!
A bientôt (=
Nightbringer
Posté le 11/04/2024
Coucou :)

Haha, merci, merci beaucoup ça me touche^^ Oui, c'est vrai que quand j'écris de courtes nouvelles, elles se situent souvent dans un contexte très flou, mais c'est souvent parce que ce que j'écris n'est qu'un lambeau d'histoire et que je ne connais moi-même que quelques détails supplémentaires.

Je suis contente si les mots sont bien placés haha, j'avoue avoir eu quelques difficultés pour “social”, mais finalement ce n'est pas si mal^^

D'acc d'acc, c'est vrai qu'en relisant cela m'a aussi paru adapté... :)

Merci pour les petites remarques orthographiques, je changerai tout ça ;)) Et, oui, c'est vrai, j'ai écris une phrase en “je”... x)

Hihi merci encore^^
À tout vite :)
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