Un esprit fait d'éclairs bruts

Par Elore

C'est pas ma première soirée.

 

J'imagine que ce ne sera pas la dernière, mais qui sait ? Ça arrive à tout le monde, d'abuser. De boire ce qui traîne pour brûler la gorge et faire passer les pilules. Je ne sais même pas à combien de verres je suis, j'ai arrêté de compter. J'ai dû dormir à un moment même si je ne saurais pas dire combien de temps. Des minutes ? Des heures ? Il n'y a pas de soleil, ici, que la lumière des néons filtrée par la fumée.

 

Je suis sur l'épaule de quelqu'un, la tête à moitié dans ses cheveux. Autour de moi ça danse, ça rit, moi je m'accroche pour pas sombrer. Quand elle se rend compte de ma présence, elle se retourne et m'enlace en riant. J'ai envie de lui faire des trucs dégradants puis lui faire la peau pour me glisser au chaud dedans. A la place je m'écroule sur elle, mêle mon rire au sien quand elle me réceptionne. Je me retrouve dans sa bouche, à un moment, j'ai rien vu venir et quand je me décroche pour respirer, quelqu'un passe avec un verre que je pique. Dedans il y a un truc bleu électrique que je tente de boire tout en m'en foutant partout, la fille se marre et nettoie le jus qui dégouline le long de ma gorge. Ça me fait un truc au cerveau mais je dissocie, plus bas je suis sèche comme un désert. Quand je pars en arrière, d’autres bras m’entourent et je glisse d’une langue à l’autre, amorphe comme un truc qui flotterait dans l’air. Il me faut quelques secondes pour me redresser violemment et me dépêtrer du foutoir, quitter ce putain de canapé. Je me lève trop vite, trébuche sur une forme par terre. Quelques secondes au sol, une ombre m'aide à me relever avant de poursuivre sa route. Il y a des groupes partout, ça grouille et les lumières se mêlent aux sons, dégoulinent des néons. J'ai besoin d'air et de vide, mais je sens à peine mes jambes. D’un coup je suis dans la cuisine, on me propose de fumer un truc et je réfléchis pas.

 

Une taffe de politesse, j’inspire et je passe.

Faut que je dégage.

 

Les basses de la musique sont si fortes qu'elles font vibrer mes organes. Dans l'obscurité éphémère et stroboscopique, je me repère à peine. Je demande la sortie à un type qui se fout de moi et les restes de mon euphorie s’évaporent : je vais lui faire la peau. Je crois qu'on se bat un peu, très mollement puisque je ne ressens pas grand chose. Il doit se lasser, il se casse après avoir tenté de choper mon crâne. Je traverse le salon et ouvre fort la porte d’entrée.

 

L'extérieur m'accueille et me happe.

 

 

 

Il y a un type, appuyé contre le mur, sous un bout de tôle qui le protège tout juste de la pluie. Le bruit des gouttes contre le béton couvre tout, j'ai de la peine à me concentrer sur sa présence.

Je suis en train de descendre.

Je déteste descendre.

 

Sa voix caresse mes oreilles, fendant l’air et la pluie pour glisser le long de mes neurones. 

- Salut, toi.

Je bafouille un truc, me décale vers lui et finit par plaquer mon dos contre le mur. L’odeur de la pluie emplit le dehors entier, tout est noyé et bleu.

- Yo.

Il rit, j’ai comme une impression de déjà vu. Je vois qu’il a un truc au bec, on dirait une simple cigarette. Ma main erre vers lui et réceptionne une bouteille à la place. À l’intérieur, un truc transparent et sans odeur.

Je fronce les sourcils, il répond :

- C’est juste de l’eau.

Mes yeux roulent au moins trois fois dans leurs orbites.

- T’as pas besoin de veiller sur moi, c’est bon.

- C’est pas de la pitié, juste une occasion. Cherche pas plus loin.

J’aimerais qu’il y ait de l’orage, du tonnerre qui gronde comme ce que j’ai entre les poumons. J’ai la gorge sèche, pourtant je lui rends sa bouteille. Puis, bras décollés, je fais un pas et laisse l’onde m’emporter, faire fusion avec moi. J’ouvre la bouche, les yeux alors qu’une lumière déchire le ciel de cette ville corrompue, absorbe ma rage et me redonne vie.

Je suis cette électricité qui s’élève de l’asphalte, je suis ces éclairs qui démoliront la cité et la sculpteront à notre image.

 

Je suis cette énergie qui, sous cette pluie d’été, reprend vie.

 

Toujours au sec, mon témoin rit avec chaleur, sans se rapprocher. Ma peau ne saurait être touchée à cet instant, ni plus jamais.

 

 

 

 

C’est la promesse que je me fais et que j’oublierai dès que j’y retournerai.

Après tout, vous savez, c’est pas ma première soirée.

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