Un mardi, le Président est en visite à l’IHU de Marseille. Il a rendez-vous avec un professeur en vue. Le virologue et youtuber est aujourd’hui un homme médiatique qui pèse lourd dans le « game politique ». Chloroquine Dundee, comme on le surnomme, est devenu viral grâce à son tutoriel Youtube « Astuces médicales pour se débarrasser du Covid19 vite fait bien fait ». Le Président déclarera le mercredi « se passionner pour les travaux de ce grand scientifique ». Le jour d’après, le voilà en goguette dans le nord-est près de Mulhouse. On le retrouve sérieux, concentré, se félicitant du formidable travail abattu par les soignants et les militaires venus en renfort. Cela fait longtemps qu’il ne fait plus attention aux caméras, pourtant elles sont fort nombreuses ce jour-là. En direct de Coronaland, un certain tumulte se crée lors de la visite et la distanciation se concilie mal avec la production de ces images. C’est regrettable, mais il est important pour la nation que tout le monde voit le leader en première ligne. De retour à Paris, il reçoit le Président de l'association des directeurs de maison de retraite. Il réaffirme sa volonté inébranlable de porter secours à chaque ainé, avec un plan ambitieux que le Premier Ministre portera sur le devant de la scène dès qu’il aura été finalisé : « c’est-à-dire largement avant le 11 mai prochain », date programmée pour l’armistice. Car après la guerre, il est temps de décréter la paix, se félicite-t-on dans l’entourage de l’exécutif.
Le Docteur Jardin ne manqua rien de la tournée présidentielle. Il suivit pas à pas l’itinéraire du cortège officiel, consciencieusement, il disséqua toutes les déclarations et consigna dans son carnet l’évolution du Président de jour en jour. Claquemuré dans son bureau à l’hôpital, où il avait dormi presque tous les soirs depuis la vague, il avait observé les vaines tentatives du Président pour rassembler les français derrière lui. À chaque allocution, il avait noté les efforts - sans doute importants - du Président pour toucher les gens avec des mots sensibles et des gestes justes comme les yeux dans les yeux ou une voix chuchotante. Quand survint l’épisode de l’annonce du déconfinement, le praticien remarqua comme bon nombre de commentateurs que le Président s’était essayé à une interprétation différente, à rebours des prestations livrées jusque lors. Il avait endossé ce qu’au cinéma on appelle un rôle à contre-emploi. C’était osé pour le libéral qui l’était, de parler ouvertement de protectionnisme et pour les spectateurs, c’était non moins déconcertant de découvrir un Jupiter presque humble, redescendu sur terre, revenu en somme à hauteur d’homme. Le pari était de taille. Cependant, il est vrai qu’au cinéma les exemples de réussite ne manquaient pas. Le contre-emploi avait fait ses preuves depuis longtemps. En outre, ces choix audacieux s’étaient avérés payants pour la carrière ou l’image de ces comédiens. Henry Fonda en salaud… Glaçant ! Mastroianni en homosexuel... Mémorable ! Coluche en pompiste… Magnifique ! Mais le Président en altermondialiste... Courage ! Courage ! Enfin, quand on a pas le choix, on est amené à prendre des risques, à innover. C’est précisément ce que lui avait fait. Encore trente minutes avant sa prise de service. Devant le miroir, il s’examinait sous toutes les coutures pour s’assurer qu’il tenait bien son rôle de grand médecin à la tête froide. Ce qu’il vit sembla lui convenir, car il hocha la tête en signe d’approbation : il savait qu’il arriverait à donner le change à tous les membres de l’équipe. Personne ne verrait la rage qui pulsait dans ses veines. Il devrait néanmoins éviter de sourire, car la forme de ses dents lui donnait cet air carnassier sinon méchant qui aurait risqué d’attirer l’attention sur lui. Hors de question de se laisser trahir par une émotion. Il respira en profondeur trois fois. Pour rassurer son cerveau en alerte, il se fit la remarque que les occasions de sourire étaient de toute façon plutôt rares en ce moment. L’arrivée du coronavirus avait été inespérée pour lui. Il n’aurait jamais imaginé pareille opportunité. En tant que chef du service de pneumologie, il savait qu’il était le mieux placé pour agir. Il était libre. Ses parents étaient décédés depuis longtemps. Il n’avait ni femme, ni enfants, et il avait les couilles qu’il fallait pour passer à l’acte. Il allait leur faire rendre gorge. Et ainsi, il sauverait peut-être l’hôpital public. D’une pierre deux coups.
Lentement, il se dirigea vers son service. Deux heures de sommeil lui avaient redonné une démarche plus relâchée. Au moment où il vérifiait pour la troisième fois la présence des flacons au fond de sa poche , il se sentit plus léger presque. Il fit le calcul mentalement, il devait pouvoir s’occuper de cent trente-huit patients d’ici vendredi. S’il ajoutait à ceux-là, les six-cent quinze de la semaine passée, et bien sûr les quatre mille six cents du mois de mars, il totalisait environ cinq mille décès à lui tout seul. C’était bien mais pas encore assez significatif. Il fallait se hisser à la hauteur de l’Italie rapidement pour marquer les esprits. Et bien sûr, il était essentiel de creuser l’écart avec l’Allemagne. Heureusement, il pouvait compter à présent sur le soutien actif de deux équipes en région parisienne dirigées par d’anciens camarades de promo. Et il sentait que Müller et Santoni n’étaient pas loin de dire oui. Si les renforts se confirmaient, ils pouvaient espérer atteindre le cap des trente-mille morts avant la fin du mois. Toutes choses étant égales par ailleurs, il avait fallu deux cent-mille victimes à Hiroshima et Nagasaki pour faire plier le gouvernement japonais. Il espérait que trente-mille suffiraient en France. Il fallait cet électrochoc. Il n’y avait que comme ça que les Français arrêteraient d’être des moutons et qu’ils se révolteraient contre ceux qui avaient conduit la France à cette catastrophe. À certain niveau de drame, cela leur deviendrait insupportable. Ceux qui avaient méthodiquement détruit l’hôpital public seraient balayés. Voilà pourquoi, il fallait que le virus frappât fort, les chances de survie de l’hôpital public en dépendaient. Les Français n’oublieraient pas les morts. Mais un traumatisme puissant était nécessaire pour les aider à se souvenir.
Il repensa au Président. Il songea à cet instant qu’ils se ressemblaient un peu. Ce n’était pas un monstre au fond, il faisait ce qu’il avait à faire. À chacun son camp et ses responsabilités. A chacun sa sale besogne aussi. S’il devait éliminer un à un tous les patients infectés, il le ferait. La fin justifiait les moyens, c’est une guerre se disait-il en saluant une aide-soignante. Le Docteur Jardin se garda bien de lui rendre son sourire.
Belle distanciation avec une actualité encore récente... ou non ? (Non, ne me dites pas qu'il y a du vrai dans tout ça, oh non ! Aaaaaah !!!)
Cette période est en effet propice aux hallucinations... si on en juge par le nombre de conneries qu'on peut entendre ou lire.. Au moins chez moi c'est clair, TOUT EST VRAI!