– Si vous êtes dans cette salle de réunion miteuse ce soir, c’est pour enquêter sur un crime abominable. Alors je sais que nos conditions de travail ont été meilleures par le passé, mais aussi que vous êtes des professionnels et que rien ne peut changer ça.
Son ton est sincère. J’acquiesce. En tout cas sur les conditions de travail. La salle est d’un gris-crasse très seyant. Nous sommes assis sur des chaises en plastique qui grincent dès qu’on bouge. Ça sent l’urine de chat et la vieille huile de moteur. Et c’est sans compter sur la température proche de zéro. J’exagère peut-être sur ce dernier point… on parlera donc de température ressentie, comme pour la météo.
« Il fera dix degrés Celsius sur vos thermomètres, et moins deux de température ressentie dans ce bureau coincé entre deux places de parking, trop petit pour quatre personnes. »
Un épais dossier pressé contre la poitrine, Ernest passe chacun d’entre nous en revue. Estelle et son costume couvert de poils de chats, Maurice et ses lunettes de soleil posées un peu trop loin sur sa tête, et moi avec mon t-shirt « Je peux pas, j’ai mojito » - c’est mon t-shirt détente après le boulot, j’avais pas prévu d’être rappelé pendant l’apéro. Quant à lui, il n’offre pas une image beaucoup plus sérieuse avec sa main trempée de sueur qui imbibe le carton et fait gondoler la pochette. Y a pas à dire, on est une équipe de pros, il a raison.
Tiens, si on retire le « pro » de « professionnel », il reste quoi ? « Fessionnel »?
Dans ma tête, j’entends « les fesses Lionel » et je me mords la langue pour ne pas glousser comme un con. On a quand même un crime sur les bras. Fichu cerveau, toujours en train de penser à des trucs débiles. On s’est bien choisi lui et moi.
Mon sourire en coin se perd à l’instant même où il apparaît. Ernest tapote le dossier avec insistance, au point de laisser la marque de son ongle sur le carton mouillé. Je le regarde faire avec un faux air sérieux en pensant aux fesses de Lionel et j’attends la suite.
– Vous êtes prêts à travailler sur les indices que j’ai rassemblés ?
De concert, nous hochons tous la tête. Plus vite nous aurons résolu l’affaire, et plus vite je pourrai retourner à mon apéro saucisson-mojito avec Félix, mon chat de gouttière. Il a beau râler tout le temps, il me distrait plus qu’Ernest qui attend qu’on regarde ailleurs pour se fouiller le nez. Les gens sont tous crados, même dans notre milieu.
– Préparez-vous, c’est une des scènes de crime les plus laides que j’ai pu voir dans toute ma carrière.
Choquée sans rien avoir vu, Estelle pose une main sur sa bouche. Maurice qui en pince pour elle depuis des années, se penche pour la rassurer. Grand chevalier, il interrompt même Ernest pour avoir les infos d’abord.
– Très bien. En fin de journée, à dix-huit heures trente cinq pour être précis, dans la suite nuptiale de l’hôtel MontSoupir, a été trouvé un corps sans vie jeté dans la douche deux places. C’est un agent d’entretien qui l’a trouvé alors que le couple se promenait. L’eau coulait encore et on a perdu une partie des indices. On a même perdu une partie du corps pour être honnête. Il a fallu que leur technicien vienne avec sa caisse à outils pour récupérer les morceaux partis dans la canalisation. Une vraie bouillie.
Estelle pousse un cri de canard blessé qu’Ernest balaie d’un geste de la main.
– On a tout envoyé à la morgue. Les résultats arriveront dans la nuit. On est sur une priorité absolue. Les occupants sont connus du grand public et, même si on garde l’esprit ouvert à toutes les possibilités, les premiers relevés indiquent qu’il pourrait s’agir de jeux ayant mal tourné.
– Quel genre de jeux ?
Je me mords la lèvre inférieure. J’aurais dû me taire. On ne va jamais en finir.
– Des jeux alcoolisés.
Il souffle et secoue la tête, sa main toujours collée sur la pochette toute ramollie. Est-ce que ça a traversé ? Beurk. Maintenant j’imagine sa vieille sueur agglutiner les pages et les digérer.
– Vous allez bien vite le savoir alors estimez-vous prévenus : la victime a été cuite.
Maurice passe les doigts dans sa tignasse brûlée au soleil. Estelle rapproche les deux pans de son chemisier comme si les photos pouvaient la désacraliser. J’en suis à regretter de ne pas avoir apporté le mojito qui s’évapore sur mon plan de travail. Il va falloir que j’en refasse un en rentrant, si je passe la porte avant l’aube. Mon visage se tord, c’est mal barré.
Je peux comprendre qu'Estelle pousse un cri de canard blessé, j'ai été surprise aussi lol
Je m'attaque à la suite ^^
Ils sont tellement drôles et pas sérieux ces flics, je ne sais pas à quoi m'attendre, si ce sera une scène d'horreur ou si je vais me marrer tout du long ! Je continue alors....