Un miroir a deux faces.

Inconditionnellement, elle les regarde. Son regard croise leurs regards, et elle s’abîme.

Chacun d’eux est une torture pour son âme. Tous lui renvoient son image.

Elle les entend, ces miroirs qui rient d’elle, qui la raillent. Ils l’ont toujours fait : trop grosse, trop froide, trop petite. Chaque miroir déforme son estime et la tord en une vision honteuse.

Elle dit qu’elle s’en moque, mais c’est un mensonge. Son reflet l’agresse. Elle ne supporte plus cette image. Elle voudrait la vomir, la laisser là, sur le bas-côté, et partir, sans image, sans jamais plus avoir à affronter sa réalité en face à face.

Elle voudrait briser tous les trumeaux, tous ces visages vitrés sur lesquels la vie glisse sans les user, ces visages de verre, ces passants fardés, endimanchés, qui la jugent d’un seul regard.

Peut-être qu’ils n’existent que dans sa tête. Spectres inventés par son esprit. Elle, tellement persuadée que tous les regards sont braqués sur elle, imagine peut-être qu’ils en jouent, qu’ils l’attaquent d’un regard armé de mépris, à coups d’yeux perçants.

C’est dur, c’est froid, et c’est tellement loin : une distance infinie la sépare de l’autre face du miroir. Elle ne rêve plus que de ça. Elle cherche, elle teste chacun d’eux. Un jour, elle le sait, elle trouvera celui qui la rend belle.

Souvent, elle y a cru. Il y avait, dans celui-ci, la bonté et la bienveillance qu’elle mérite. Ou dans celui-là, la douceur d’un amour sincère. Mais cela n’a jamais duré.
Parfois doucement, insidieusement, parfois brutalement, l’image changeait. Un matin, elle regardait, et ne se reconnaissait plus.
La violence, le choc, la prise de conscience qu’elle venait de perdre encore une part d’elle-même la rendaient folle.

Elle a rendu coups pour coups. Quand ces miroirs se brisaient, elle pleurait sur leurs faces froides et dures, pleurait d’avoir perdu encore une fois une part de sa beauté et de son âme dans un regard malaimant.
Elle sait que ceux-ci ne feront plus jamais de mal à personne : elle les a brisés, émiettés, dispersés, chaque morceau, pour qu’aucune autre femme ne soit trompée par leur reflet.

Elle poursuit son chemin. Un jour, elle le trouvera, ce regard, ces yeux posés sur elle avec l’amour inconditionnel chanté dans les chansons. Elle sentira leur chaleur pour toujours.
Elle se saura aimée et belle pour toujours, parce qu’aimée et belle pour lui.
Et elle vivra enfin Le Grand Amour avec cet homme.

Mais vous comme moi, nous savons…
On ne se dérobe pas à notre image.
Elle nous colle à la peau.
Nous vivons entourés de photos du passé, et d’idylles d’avenir trompeuses.
Rien n’est plus vrai que le regard froid et léché de notre miroir.

Et rien ne devrait nous empêcher de nous aimer de ce côté du miroir.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez