Un Monde en Larmes : Chapitre IV

Par Rânoh
Notes de l’auteur : Dernier chapitre de cette nouvelle, merci à vous !

— Je ne suis pas venue ici pour écouter le discours d’une démente en mal de rédemption, lâcha Maeva. Tu penses t’incarner en ma personne, tu me jalouses depuis notre première rencontre, cependant, mes actes ont toujours été en faveur de la communauté et du plus grand nombre. Oui, je suis une femme du passé, je ne peux me défaire de cet état de fait, mon corps en porte les séquelles, j’ai peut-être été une mère absente aussi. Mais n’oublie jamais, Sibilha, n’oublie jamais que sans ma contribution lors des affrontements à Phylas, toi et tous ceux que tu as connus n’auriez pas vécu aussi longtemps. Ce monde n’est pas le mien, c’est mon intime conviction. Il est celui de mes enfants, eux trouveront le bonheur et la liberté grâce à mon sacrifice. Et toi, qu’as-tu fait pour ce monde ? Tu te lamentes sur ton sort, pourtant, tu affirmes être en paix. Sottises ! La prêtresse de Korag est une marque sur la chair nouvelle de l’humanité, elle l’a souillée à jamais de ses actes odieux, voilà ce que sont les choses. Mon nom ne sera jamais maudit, qu’importe s’il est oublié. Si je vis dans le passé, c’est afin d’offrir un avenir à ceux qui sont innocents, je suis heureuse ainsi, car j’ai accepté ce fardeau le jour où j’ai perdu mon œil.

La mère parla sans s’énerver. Le visage de glace, ses lèvres articulaient lentement chacun des mots prononcés, elle les aiguisait telles les pointes des flèches qui emplissaient le carquois de son argumentaire, puis les tirait une à une sur sa cible. Son but n’était point de peiner Sibilha, elle comprenait ses souffrances et l’honnêteté de son repentir. En réalité, Maeva se montrait tout à fait sincère, se confiant à quelqu’un pour la première fois de sa vie, le destin voulut que ce fût à l’être qu’elle haïssait jadis. Il n’y avait aucune similitude entre elles, rien, il s’agissait de deux êtres que tout opposait. Le passé, le présent et l’avenir. L’une se dotait d’une vie caractérisée par une constante lutte, une lutte contre le souvenir douloureux d’un deuil à l’origine d’un engagement. L’autre ne fut jamais qu’une âme résignée, lâche, abandonnée aux bras attrayants de la folie, promesse d’une existence faite d’extase et de vices. Au bout de cela, la récompense du service rendu aux autres, des enfants en bonne santé, un mari, aimant, bien que vagabond, et le respect de ses contemporains. Ou l’oublie, un corps brisé par les sévices du temps et des lamentations, le regret d’une voie sans issue heureuse et les marques du repentir imprimée sur un visage d’ange.

Maeva porta ses mains au bandeau qui cernait sa tête et dissimulait la crevasse qui la défigurait depuis trente ans. Elle le défit, révélant cette marque répugnante aux yeux, alors grands ouverts, de Sibilha. L’ancienne prêtresse fut médusée, paralysée par une curieuse sensation, allant du dégoût à l’admiration. Car elle voyait, en ce trou résorbé de chair informe, la formation discrète d’un pleur de tristesse, le témoin d’une affliction cachée sous les couches épaisses d’une armure en plate, d’un haubert en mailles et d’un pourpoint de glace qui entourait ce cœur pourtant insensible. Maeva versa une larme à la pureté cristalline en réalisant sa faute. Une pensée venait de s’installer au creux de sa tête, en un endroit inatteignable.

— Mon unique faute, Sibilha, fut de ne pas avoir entendu ton appel à l’aide. Au lieu de te rejeter parmi la foule de fous à Ombra Negra, mon devoir envers l’humanité était de te ramener à Eve pour que tu y sois jugée, à l’instar de Dorian. Nous voici toutes les deux fautives.

Honteuse, la Princalienne baissa le regard sur la silhouette endormie auprès d’elle, l’enfant héritier de sa chair et de son sang. Sa culpabilité demeurait immense, ses membres s’affaissèrent, sa volonté s’affaiblit. Elle laissa la prêtresse s’approcher et l’entourer de ses bras blancs comme l’albâtre, tombant sous l’emprise réconfortante d’une âme damnée.

Dehors, l’air glacial emporté par le vent s’était transformé en tempête, tandis que le sifflement régulier de l’air ressemblait désormais aux hurlements d’un chien aux abois. Les étoiles se cachaient derrière une épaisse masse nuageuse, qui déversait un flot continu de neige sur la région et étouffait terres et roches sous le drap froid de l’hiver. Les ténèbres régnaient en maîtresses, c’était le noir absolu, le néant sans équivoque dans sa définition même. Le monde extérieur venait de disparaître de la surface de l’univers, il demeurait vide, exempt de vie et de matière. Seule se dressait encore, au milieu de cet immense rien, un refuge, une modeste construction élevée de la main de l’Homme en de troubles périodes. Depuis ce havre de paix, d’où s’échappaient les fumerolles d’un feu, un vif éclair vert détonna, brisant le silence de la nuit par l’écho terrifiant qu’il produisit. Lorsque la lueur s’estompa, aussi vite qu’elle apparut, la Mort s’était déjà enfuie avec le fruit de sa récolte.

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