L’horloge battait la mesure sur la commode. La bonne versait le thé. La pulsation des secondes, le bruit liquide du thé étaient les seules choses qu’on entendait dans la pièce. Axel Ingasson serrait les mains sur les genoux, les yeux rivés sur le bout pointu des chaussures de son hôte et les motifs complexes du tapis de Perse.
– Vous sentez-vous bien, Mondamoiseau ? demanda Monsieur Langlois.
Il releva la tête, déglutit.
– Très bien, monsieur, pardonnez-moi.
Monsieur Langlois avait tout du bourgeois bien installé, rond de repas riches pris en bonne compagnie, la moustache bien cirée. À l’époque où le père d’Axel l’avait connu, alors qu’ils étaient tous les deux en pensionnat, il ne cachait déjà pas son appétit. Avoir épousé une femme d’affaires réputée n’avait pas arrangé son embonpoint, en l’obligeant à participer à toutes sortes de festivités pour le bien des affaires de son épouse. Il était cependant encore vif et était souvent vu parcourant longuement les parcs à bon pas, promenant un petit chien noir qui dormait à présent dans un coin du salon. C’était ainsi qu’il avait croisé Axel, au détour d’une allée ; par miracle, il avait reconnu dans le jeune provincial le fils de son vieil ami et l’avait aussitôt convié, enchanté de sa rencontre, à un thé chez lui l’après-midi même. Le jeune homme, espérant pouvoir grignoter quelques biscuits qui lui fourniraient son repas du soir, avait accepté volontiers.
Les Langlois habitaient un appartement dont les larges baies vitrées donnaient directement dans le parc dans lequel ils s’étaient croisés. La lumière pénétrait à flot dans la pièce, illuminant la soie verte tendant les murs, les lourds meubles en bois précieux, les dorures des cadres et la porcelaine fine des vases remplis de fleurs. Le service à thé reposait sur un petit guéridon juste à côté du fauteuil de la maîtresse de maison, où se tenait son hôte ; Axel avait pris le deuxième, en face, délaissant le canapé envahi de coussins. Sur le mur, des chiens attaquaient une biche aux abois sous l’œil attentif de Diane, montée sur son cheval et suivie de ses nymphes. Le sourire de la déesse formait un contraste étrange avec le désespoir de la bête acculée et la férocité de la meute. Axel compatissait avec cette pauvre biche.
Le chien remua dans son panier. La bonne reposa la théière et sortit. Monsieur Langlois prit sa tasse. Il l’imita, veillant à ne rien renverser.
– Comment se porte votre mère ? Nous n’avons pas beaucoup de ses nouvelles, dans le nord.
– Elle est très occupée, monsieur. L’exploitation lui demande beaucoup de travail.
– Nous avons été très peinés d’apprendre le décès de votre père l’hiver dernier, ajouta son hôte, un rien d’émotion dans voix. Je vous présente toutes mes condoléances.
Axel baissa le regard sur sa tasse.
– Il est avec les dieux, répondit-il doucement.
Langlois respecta le silence qui s’imposait. La pendule battit trois secondes. Axel finit par prendre une gorgée prudente. Le thé était pile à la bonne température.
– Et vous voilà parmi nous, commenta Langlois. Comment se passe votre installation ?
– Assez bien. J’ai trouvé un appartement pour un prix modique. Le logeur sert de cuisinier avec un supplément.
– Je vois, fit Langlois. (Axel sentit la pitié dans son ton.) Savez-vous ce que vous ferez ici ?
– Voir du pays et étudier, mentit-il.
Il n’eut pas le temps de développer. Une jeune femme entra dans la pièce sans se faire annoncer, demandant à la cantonade :
– Père, n’auriez-vous pas vu mes gants ?
La voix était claire, bien posée, légèrement ennuyée par cet incident ; la jeune femme à qui elle appartenait affichait cet ennui jusque dans la moue de sa bouche dont les lèvres roses se pinçaient de contrariété. Ses cheveux roux tressés étaient enroulés en chignon au sommet de son crâne. Des taches de rousseur parsemaient ses joues rondes et pâles. Ses yeux bruns parcouraient la pièce à la recherche des égarés. Elle était habillée pour sortir ; la chaîne d’une montre dépassait d’un gilet sombre et bien coupé, enfilé sur une chemise dont les dentelles soulignaient sa large gorge et la rondeur de ses épaules. Sa jupe froufroutait à chacun de ses pas énergiques. Elle aperçut le service à thé et le jeune Suédois dans un fauteuil et s’immobilisa.
– J’ignorai que vous receviez, dit-elle, embarrassée.
Langlois vint à son secours :
– Ma fille Madeleine. Chérie, voici Mondamoiseau Ingasson, le fils de mon ami de collège, Claude Dautrieux, qui avait épousé une Suédoise venue faire son service militaire chez nous.
– Ravi de faire votre connaissance, Madame, salua Axel en se levant.
Madeleine lui serra la main distraitement, revenant à ses premiers soucis.
– J’ai besoin de mes gants, père, je dois aller voir Madame de Malaterre au journal. Êtes-vous certain de ne les avoir point vus par ici ?
– Ne les avez-vous point plutôt laissés dans l’entrée, ma chère ? Avez-vous demandé à Martin ?
Elle haussa les épaules, jeta un dernier regard aux alentours sans parvenir à localiser son bien puis quitta la pièce, remerciant son père pour son aide. Celui-ci se resservit du thé et soupira sur un ton de confidences :
– Une enfant charmante, et si pleine de talents ! Elle se pique désormais d’écrire. Sa mère aurait préféré qu’elle reprenne ses affaires. Probablement qu’elle y reviendra après un moment. Il faut bien vivre.
Axel approuva par politesse. Ils finirent le thé en discutant de la Suède, de Claude, du travail de la ferme, de sa mère aussi, que Langlois n’avait plus vu après le mariage, et de grande sœur, du même âge que Madeleine, par une heureuse coïncidence. Langlois paraissait ravi d’évoquer de vieux souvenirs et Axel s’efforçait de répondre à ses interrogations du mieux possible.
Ce ne fut qu’une fois de retour dans la rue qu’il songea à celle dont il venait de faire la connaissance. Elle écrivait, avait dit Langlois. Pourrait-elle l’aider ? Il ne lui avait pas posé la question, ce n’était pas le moment. Il se doutait aussi de l’accueil qu’il aurait reçu. Il se souvenait de la stupéfaction de sa mère, du mépris de sa sœur. Elles ne pouvaient pas comprendre ; la ferme était tout leur univers.
Sa sœur devait se marier ce printemps à un jeune homme des environs, qu’elle fréquentait depuis des années et qui lui donnerait probablement dans la foulée des enfants robustes, aptes à prendre sa suite. Il aurait pu faire de même, et il se retrouvait à la capitale, à des milliers de kilomètres de chez lui, dans une rue qui ne ressemblait à rien à celles de son village. Que dirait une demoiselle Langlois, dans ses habits à la dernière mode, des ambitions d’un campagnard comme lui ?
La conviction s’était pourtant ancrée en lui. Il devait revoir cette femme.
Un récit historique, ça m'attire tout de suite dans les parages héhé. Encore plus avec des inspirations du côté du XIXe siècle et de Maupassant. C'est une lecture très agréable que celle de ce premier chapitre. Juste un conseil : ton texte gagnerait vraiment à être justifié des deux côtés, et aussi d'être aéré avec un peu plus de sauts de lignes. Notamment avant et après les dialogues par exemple.
Deux trois autres chipotages au fil du texte :
>> "Les battements des secondes" > répétition de "battait" un peu plus haut
>> "Mondamoiseau ?" > Je ne suis pas sûre du tout qu'on utilisait cette appellation au XIXe siècle. C'est plutôt dans le cadre de répartie au fait d'appeler les femmes célibataires "Mademoiselle" - pour rendre la pareille aux messieurs, mais je ne mettrais vraiment pas ma main à couper sur le caractère courant de la chose, surtout de la part d'un autre homme. "Monsieur" ou "jeune homme" conviendraient peut-être plus pertinent ?
>> "pas beaucoup de nouvelles d’elle" > pas très heureux à l'oreille, la redondance "nouvelles - elle". Peut-être "de nouvelles à son propos" ?
Mais vraiment, ce sont des broutilles. J'ai bien aimé l'immersion dans ce décor d'intérieur typique de la petite bourgeoisie XIXe - la bonne, le tableau de chasse, le tapis etc. C'est chouette, ces descriptions, elles fonctionnent bien - et on a au passage l'exposition de ce Monsieur Langlois et de ses ambitions.
Un bon démarrage en somme !
Bonne soirée,
au plaisir =)
Merci pour ta lecture et tes commentaires. Je note tes remarques concernant l
Je disais donc que je notais concernant la mise en page - je m'étais contentée du copier-coller depuis mon fichier OpenOffice. Concernant Mondamoiseau, je suis certaine qu'on ne l'employait pas ; mais ce n'est pas exactement NOTRE XIXè siècle ici...