Une affaire à régler (1re partie)

Notes de l’auteur : Une histoire sans grandes prétentions qui, j'espère, vous transportera dans un univers plaisant et cruel, le temps d'une lecture.

Ô seigneur des larcins,

puissent tes talents être nôtre

et ton bras nous guider

dans nos actions.


 

supplique extraite de l’Entité sans nom, Anonyme


 

« J’te le répéterai pas ! Ta bourse et tes objets de valeur ! » menaça le malandrin qui se tenait au milieu de la route en terre battue, le coutelas au poing.

L’astre diurne se trouvait déjà haut dans les cieux, ses rayons perçant à l’occasion d’imposants et lents nuages sombres. Le vent charriait son content de feuilles aux couleurs automnales, virevoltant, dansant au gré des courants et jonchant le sol par endroits.

Meaugrint était posté dans les fourrés depuis l’aurore. Sa victime n’était que la première de sa maigre journée et pour couronner l’ensemble, elle n’avait pas tressailli le moins du monde. Ça l’irritait tout particulièrement. Le fumier ! fulmina-t-il en silence face à l’indifférence de son interlocuteur. Il reprit, un rictus aux lèvres traduisant sa frustration.

« J’crois que vous avez pas bien saisi la situation, toi et ton putain d’capuchon sur la trogne. »

Meaugrint siffla. Deux complices sortirent de l’abondante végétation qui longeait la Grand‑Route et prirent place près de leur meneur. Le plus grand d’entre eux, un dénommé Rugeon, faisait bien deux têtes de plus que Meaugrint et portait sans difficulté apparente une lourde hache. Dépourvu de langue, celui-ci poussait uniquement des sons gutturaux en guise d’expression vocale. Blanchard, le second, était pour ainsi dire l’exact opposé de Rugeon. Entendez par là un regard perçant emprunté aux squamates, petit et maigre de corps. Semblable à une petite fouine et arborant une expression carnassière qui en disait long, il faisait jouer une dague entre ses mains et semblait ne pas tenir en place. Meaugrint portait un bandeau qui masquait son œil droit. Il l’avait perdu dans une rixe contre Rugeon, dont l’enjeu était la dernière saucisse d’un dîner. En vertu de son statut de chef de bande, Meaugrint l’avait réclamée. Rugeon, lui, estimait qu’il n’avait pas reconnu une telle extension de l’autorité de Meaugrint. Rugeon avait alors mangé ladite berlette. Il eut la langue arrachée, en compensation.

Le chemin n’était pas très sûr, le voyageur l’avait pris en connaissance de cause. Mais le temps pressait. Il n’y avait pas une minute de plus à perdre sur cette affaire.

« T’as deux options, poursuivit Meaugrint. Tu fais ce qu’on t’dit, et tu t’en sors sans trop de bobos. Le cas contraire, et j’te conseille pas cette alternative même si ça m’démange, on te zigouille et on se sert tout pareil avant de te laisser pourrir sur place. »

Blanchard accueillit l’alternative avec un ricanement nerveux et manqua de se couper avec la dague. Rugeon, lui, prenait de grandes respirations sonores, le visage sévère et cramoisi.

« Alors ? » s’impatienta Meaugrint.

Le voyageur lorgna par-dessus ses épaules, puis soupira.

« Alors, j’en dis que c’est vraiment pas votre jour… »

Une bourrasque masqua partiellement sa voix mais, pour une raison inexplicable, Meaugrint seul l’entendit distinctement. Ce dernier affichait toujours son sourire de prédateur, mais l’effet se trouvait altéré par un léger froncement de sourcils.

Le voyageur dégagea d’un mouvement son long manteau, où le bleu cobalt dominait les autres teintes sous l’épaisse couche de poussière, et fit siffler la lame hors du fourreau qu’il portait à la taille. Les quelques moulinets qu’il exécuta ne rassura en rien Meaugrint, dont la confiance diminuait à mesure que l’inquiétude grandissait. Il serra davantage la poignée de son coutelas. Un instant passa, bref certes, mais suffisamment long pour rendre la tension palpable.

« Vas-y, Rugeon, finit par dire Meaugrint, accompagné d’un éloquent coup de menton.

– Viiiiite ! » ajouta Blanchard, qui ne tenait plus en place.

Rugeon s’approcha lentement et, une fois à quelques pas de la cible, leva sa lourde hache. Prêt à frapper, sa stature lui permettait de dominer largement sa victime en devenir. Pourtant le colosse se figea. Il avait beau ne pas être le plus malin du groupe, ses sens – en réalité une sorte d’instinct primaire calibré sur la variante « danger imminent » – le mirent en garde. Les yeux du voyageur dégageaient un froid intense, émergeant des ténèbres du capuchon. Un concentré de haine.

D’abord hésitant, Rugeon secoua la tête, hurla et porta un coup avec sa hache que le voyageur esquiva. Le pas de côté qu’il fit lui permit d’accumuler de la vitesse et de s’en servir pour ficher son épée dans le flanc du colosse, une main sur le pommeau. Un hoquet de surprise du bandit accompagna la frappe, suivit d’une gerbe de sang. Le voyageur extirpa son arme d’un coup sec, envoyant un mince filet de sang carmin sur un arbuste à proximité immédiate. Le colosse s’effondra, convulsant grossièrement dans son propre sang avant de gésir, inanimé.

L’effroi se lisait sur les traits de Meaugrint. Blanchard, en revanche, se trouvait sous la coupe d’une surprise profonde, la mâchoire béante. Le mouvement avait fait tomber le capuchon du voyageur, dévoilant une chevelure blonde attachée par un ruban rouge cramoisi.

« R’garde, Meaugrint ! s’exclama Blanchard, pointant un index tremblotant devant lui. Une donzelle ! »

– Amenez-vous, j’ai pas toute la journée ! » tonna-t-elle, le visage sévère.

Les traits de Meaugrint muèrent en un rictus mauvais. Il se mit même à ricaner.

« Eh ben, on va finalement s’amuser » fit-il. Puis il hurla ensuite un mot.

« Romuald ! »

La bretteuse tressaillit l’instant suivant, lâcha son arme et tomba à genoux. Une douleur vive lui lancinait l’arrière du crâne. Sonnée, elle entendait les bandits scander à tue-tête « Romuald ! Romuald ! », chant ponctué de poussées de joie et de rires gras. La bretteuse regarda avec difficulté par-dessus son épaule et distingua une silhouette se rapprocher d’elle, une fronde à la main. Celui-ci se plaça dans son dos, la releva et l’immobilisa. Il sentait la mélasse et le hareng salé. Sentant la résistance qu’elle menait à la pression qu’il exerçait, le frondeur lui assena un coup dans les côtes et écarta du pied l’épée tombée au sol. La maîtrisant, il approcha son visage du cou de sa victime, et se mit à la renifler. Elle écarta son visage du sien. Une sensation de dégoût l’envahit. Les deux autres bandits ricanaient en s’approchant toujours plus près. Ils ne se trouvaient qu’à quelques pas.

Le vent avait redoublé en puissance et les bourrasques s’enchaînaient avec violence. Soudain, une rafale propulsa une feuille d’érable qui alla s’écraser violemment sur le visage de Romuald. Lâchant un ridicule cri de surprise, le frondeur se trouvait l’espace d’un instant déstabilisé et la prise qu’il exerçait sur la voyageuse s’était relâchée. Saisissant cette occasion, elle lui porta un coup de tête qui le fit lâcher prise. Regagnant peu à peu ses esprits, elle s’empara d’un petit couteau qu’il portait à la ceinture et parvint à le lui planter dans l’aine. Les ricanements s’étaient tus. Romuald s’écroula par terre, hurlant de douleur, bientôt inerte dans une mare mêlée de sang et d’urine.

Les deux adversaires restants devinrent nerveux. Des gouttes de sueur perlaient sur leurs visages. Blanchard avait même reculé d’un pas. Meaugrint se retenait de céder à la colère. Après tout, ils étaient supérieurs en nombre et leur proie était sonnée. Mais les exécutions de leurs camarades et la vision sordide de leurs corps inertes avaient de quoi refroidir la plus intense des ardeurs.

La bretteuse respirait avec difficulté. Le coup porté par la fronde l’avait plus affectée qu’elle ne le pensait, et sa vision se troublait par moments. Elle porta sa main à son fourreau et l’absence de poignée lui rappela que la lame avait échappé à son emprise. Elle vit son arme qui gisait sur le sol, à quelque pas sur sa droite. La bretteuse se rua dans cette direction mais Blanchard avait anticipé la ruade et s’était élancé sur elle, la dague en avant. La bretteuse fit une brève esquive et, profitant de l’élan de son adversaire, le frappa violemment à la gorge. En état de panique, Blanchard lâcha son arme et porta ses mains à son cou, le souffle coupé. La voyageuse ne lui accorda aucun répit. Elle se rua sur lui et porta un coup au ventre, d’une telle brutalité qu’il en tomba à genoux et cracha de la bile sur le sol. La vision du bandit s’obscurcit quelques instants puis revint progressivement. Il ne voyait plus son adversaire mais sentit tôt ses cheveux se faire tirer en arrière. Vint d’abord le froid de l’acier sur la gorge. Vint Ensuite la chaleur du sang au contact de l’air. Vint enfin la perte de conscience précédant la dernière étreinte.

La voyageuse n’avait pas lâché Meaugrint du regard en tranchant lentement la chair, tandis que Blanchard, les yeux écarquillés, la bouche tordue, fixait son chef, le suppliait du regard de le sauver. Meaugrint avait vu la vie disparaître des yeux de son comparse. Il en avait souillé ses braies.

La bretteuse récupéra son arme puis s’avança inexorablement vers lui. Pris de panique, Meaugrint lâcha son arme et tenta une fuite mais son adversaire s’élança aussitôt sur lui. Elle le transperça d’un coup d’estoc, le faisant tomber à genoux. Du sang s’écoulait de la bouche du larron, qui jetait un regard effrayé en direction sa plaie et de la pointe de l’arme qui lui transperçait le plexus cœliaque. Son visage se résumait en une grimace tordue, oscillant entre l’effroi et la douleur. La bretteuse approcha sa tête de la sienne.

« Meaugrint, c’est ça ? Tu t’es mis dans un sacré merdier » susurra-t-elle, un air grave sur le visage. La voyageuse extirpa l’épée du bandit, dont le corps s’effondra lourdement, ventre à terre. Elle s’accroupit à côté de Meaugrint et parvint sans trop d’effort à s’emparer de l’anneau en fer que Meaugrint portait à l’annulaire gauche.

« Lâche ça ! » exigea-t-il, la moitié du visage plaquée contre le sol. La voyageuse l’ignora, rangea le butin dans une petite bourse en cuir et se redressa. Elle remit son capuchon et fit quelques pas autour du bandit, impuissant. Dans un ultime effort, Meaugrint se mit à quatre pattes et généra un hurlement bestial, les yeux injectés de sang.

Le cri se termina en un sifflement, suivi d’un choc sourd, indiquant que la tête venait de toucher le sol.

«  Tu l’as pas volée, celle-là » fit-elle en direction du chef séparé du reste. La voyageuse essuya grossièrement son arme sur le justaucorps maculé de sang du bandit puis la rengaina. Bien que le vent se calma, le ciel se couvrit intégralement d’un sombre voile opaque, augurant une sinistre perspective. Un léger grondement semblait émettre depuis l’horizon.

« C’est bien ma veine » fit-elle en poussant un soupir.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Zlaw
Posté le 07/06/2020
Bonjour bonjour. Eh bien au moins, comme ça, l'ambiance est posée !

On s'attend évidemment dès le début à ce que la victime des brigands leur mette la raclée, mais ça ne la rend pas moins satisfaisante lorsqu'elle se déroule sous nos yeux ébahis. J'ai adoré la description de toute la bagarre. C'est plutôt court mais d'une efficacité redoutable, autant que celle qui se profile comme personnage principal, ou en tous cas important. Hâte d'en apprendre plus sur cette femme blonde au ruban rouge et aux compétences de combat avancées. Elle est juste assez mystérieuse pour nous mettre l'eau à la bouche sans que ça en devienne un cliché ridicule. Bon dosage.
Ce n'est peut-être pas grand chose, mais j'ai particulièrement apprécié que chacun se fasse tuer d'une manière différente. Certes, ce n'est qu'une première rixe, mais ce n'est pas toujours évident de ne pas rester monotone dans ces passages-là.
De même, la description de chaque brigand est détaillée, même alors qu'il est couru d'avance qu'il vont mourir sous peu. On sait déjà que tu ne prends pas de raccourci de facilité, ce qui est un bon point.

Et pour couronner le tout, j'ai appris le mot bretteuse. Si j'arrive à le placer quelque part, j'aurais une petite pensée pour cette histoire. Et bonus si c'est avec mes collègues, qui disent déjà que mon vocabulaire est trop belliqueux. =)
Karlsefni
Posté le 08/06/2020
Bien le bonjour!
Merci beaucoup pour avoir pris le temps de laisser un commentaire, détaillé qui plus est. Je suis heureux de savoir que mon histoire plait à certains lecteurs. Quant à "bretteuse", C'est un plaisir d'avoir pu faire un peu plus connaitre ce mot, dont je doutais moi-même de l'existence il y a quelques mois !
Zoju
Posté le 30/05/2020
Salut ! Décidément, on commence fort. Je trouve ta plume agréable à lire. C'est assez fluide. On visualise très bien la scène. J'aime bien le personnage féminin qui semble avoir du caractère. On se demande qui elle est. On est prit dans l'action. Je trouve le vocabulaire que tu emplois pour le combat assez riche. En tout cas, c'est un bon début qui donne envie de connaitre la suite. Le petit paragraphe en italique est très intrigant. S'il y avait peut-être juste une petite remarque de ma part, ce serait pour les dialogues. Je trouve qu'ils manquent un peu de corps ou de poigne. J'ai parfois l'impression qu'il récite. C'est peut-être dans l'intonation ou les mots choisis. Quoi qu'il en soit, je compte bien continuer !
Karlsefni
Posté le 30/05/2020
Merci beaucoup de ta critique, j'ai longtemps réfléchi à comment tourner mes dialogues, dans la manière de les décrire, et cela ne m'étonne pas qu'il puisse sembler peu "naturel"
je compte bien travailler la dessus!
Vous lisez