Une affaire de micro-ondes

Par Oyoèt
Notes de l’auteur : [Nouvelle indépendante]

Terrorisme ou malveillance ? Sur l’autoroute du Soleil, trois nouveaux cas d’accidents ont été enregistrés cette semaine. Ils auraient été causés par des lancers de micro-ondes depuis des ponts, atteignant par malchance des voitures dont les occupants ont perdu ensuite tout contrôle. De nouvelles plaintes ont été déposées, mais la police n’est pas arrivée à temps pour appréhender les coupables. Dans le Nord -

La télévision 4K quatre-vingts pouces s’éteignit brutalement.

— Quelle bande de cons finis ! Lancer des micro-ondes sur l’autoroute ! Il faut vraiment être un enfoiré sans cœur et sans cervelle pour faire une connerie pareille ! Non mais sérieusement, c’est le niveau zéro de la bêtise pure quoi. Genre ils se réveillent le matin, ils se demandent « Qu’est-ce qu’on va pouvoir foutre de notre journée ? », et la seule réponse qu’ils trouvent, c’est d’aller balancer des frigos sur des voitures. C’est affligeant, de pouvoir être con à ce point. Il faudrait être une merde, un déchet humain, ou à la rigueur un malade mental pour même penser à ce genre de trucs !

Il se reprit un verre de vin pour se calmer.

— Micro-ondes.

— Quoi ?

— Tu as dit « frigos », mais c’est des micro-ondes qu’ils balancent.

— Qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Ça ne change rien, ces gens restent des pourritures sans nom qui méritent pas de vivre.

Le vin était ignoble. Il avait pourtant dit à ce bon à rien là, Philippe - comme s’il pouvait s’appeler Philippe, avec une dégaine pareille -, qu’il ne buvait que du vin bio ! Il avait écrit la liste de courses en entier, et cet imbécile n’était même pas fichu de la lire. Bon, il n’avait plus qu’à le virer et à trouver quelqu’un d’autre.

— Qu’est-ce qu’on mange, ce soir ? Noix de Saint-Jacques, ça te dit ?

 

Vic était bien un être humain comme vous et moi, doté d’un cœur en bonne santé et d’une cervelle en état de marche. Il ne lui était jamais arrivé de penser « qu’est-ce que je vais pouvoir foutre de ma journée » en se réveillant le matin, et du reste, il était parfaitement sain d’esprit.

Il avait même un grand cœur, Vic, une grande cervelle et un esprit vif. Enfin, c’est ce que lui avait toujours dit sa mère.

Sa mère, elle ne l’a pas quitté depuis sa naissance ; c’était bien la seule. Son père s’en était allé avant même de voir sa tête, le jour où il avait appris qu’il allait devoir élever un être humain.

— Très peu pour moi, avait-il dit.

Ou peut-être était-ce :

— Un mioche ? Rien à branler ! Avorte ou j’me casse !

Toujours était-il que le résultat fut le même : la mère de Vic accoucha sans son père, et s’occupa de lui comme s’il était le seul être vivant dans sa vie – ce qui n’était pas tout à fait faux.

Sa mère fut d’une patience exemplaire, toujours prévenante, cherchant constamment à combler l’absence paternelle dont elle s’attribuait la faute. Vic était un garçon plein d’énergie, jovial, et en faisait voir de toutes les couleurs à sa mère. Celle-ci s’en rendait bien compte, mais elle ne parvenait jamais à le punir. Chaque fois qu’une correction s’imposait, elle s’effrayait de sa propre main levée, y voyait la main d’un père que Vic ne pourrait jamais connaître, et finissait par éclater en sanglots aux pieds de son fils éberlué.

Vic n’avait jamais vraiment compris ce qui emplissait si souvent sa mère de détresse, mais il avait rapidement saisi qu’il pouvait toujours pousser le bouchon un peu plus loin sans risquer de retour de bâton. Il n’était pas mauvais garçon, il n’avait pas la haine au cœur comme certains de ses camarades qui se défoulaient chaque matin sur les plus petits ; il n’était pas avide comme d’autres qui passaient leurs récréations à comparer leurs butins, à jalouser ceux des autres, et à s’échanger mille fourberies pour extorquer leurs parents. Non, Vic avait bon cœur, il aimait sa mère comme si elle était le seul être vivant dans sa vie – ce qui était tout à fait vrai -, il l’aimait comme il aurait aimé ses deux parents. Mais l’adolescence nous prête parfois des intentions qu’on n’a pas, mue par l’instinct de tester les limites du monde qui nous entoure, et pour Vic, ce monde se résumait à sa mère.

Il essaya donc beaucoup de choses, se mit à faire des caprices pour un oui ou pour un non, refusant de manger autre chose que du poisson quand le frigo était plein de poulet, exigeant de la glace vanille en janvier, et de la glace au chocolat quand sa mère lui servait de la glace vanille. En bref, Vic était devenu un garçon invivable.

Mais cela n’empêchait pas sa mère de l’aimer. Bien au contraire, elle était secrètement fière de voir son petit garçon s’affermir, se conduire en homme de la maison, alors même qu’il n’avait pas de père sur lequel prendre exemple. Bien sûr, elle ne le lui disait jamais, mais Vic le sentait dans la douceur de ses remontrances, dans l’empressement qu’elle mettait à céder à tous ses désirs.

Jusqu’au jour où l’argent vint à manquer, où elle dut parlementer pour repousser le week-end à Disneyland, où quelques cadeaux manquèrent à l’appel sous le sapin – eux qui étaient d’ordinaire si ponctuels. Jusqu’au jour où sa mère dut refuser de lui acheter ses gâteaux préférés, car la viande coûtait horriblement cher, et un garçon en bonne santé doit absolument manger de la viande pour grandir. Elle pouvait bien se contenter d’un ou deux œufs par semaine, mais lui avait chaque soir sa portion de bœuf, de poulet, de poisson, de mouton, de veau, d’agneau, mais n’avait plus son paquet de gâteaux dans son sac chaque matin. Jusqu’au jour où Vic glissa dans la cour de récréation, courant après les trois enfants hilares qui lui avaient piqué son goûter - ses gâteaux préférés qu’il avait volés au supermarché -, et troua ses genoux en même temps que son pantalon. Et ce jour-là, sa mère s’aperçut que tous ses autres pantalons étaient bien trop petits, qu’on était en hiver, et qu’elle n’avait pas de quoi lui racheter un pantalon s’ils voulaient pouvoir manger à leur faim pour le reste du mois. La dureté qu’il n’avait pas apprise auprès de sa mère, il ne tarda pas à la découvrir à l’école. Il apprit ce que signifiait être pauvre.

Il n’en voulut jamais à sa mère, qui travaillait toujours plus tard le soir, qui faisait tout son possible pour subvenir à ses besoins, et qui continuait de l’irradier de tout l’amour qu’il faisait naître dans son cœur.

Arrivé au lycée, Vic voulut prendre les choses en main et se trouva un emploi au McDo du coin. Jusqu’au jour où il y servit des garçons de sa classe, qui le reconnurent immédiatement et qui ne manquèrent pas de répandre la nouvelle.

 Il s’essaya donc au remplissage de rayons au supermarché le plus proche. Il y croisait régulièrement des parents d’élèves, qui croyaient le reconnaître mais sans jamais pouvoir mettre un nom sur son visage. Au bout d’un an, il fut promu chef de rayon, puis responsable de la section boulangerie au bout d’un autre, jusqu’au jour où il croisa des filles de son lycée qui essayaient tant bien que mal de faire croire à la caissière que la plus grande du groupe avait dix-huit ans. Voyant passer Vic, elles sautèrent sur l’occasion et le prirent à témoin. Le pauvre n’eut pas d’autre choix que de jouer leur jeu, espérant que l’affaire s’arrêterait là ; mais le soir même, une photo de Vic en uniforme Carrefour fit le tour de son lycée, et il n’y remit plus jamais les pieds.

Sa mère était très fière de son fils, qui travaillait avant même d’avoir le bac, et qui s’engageait dans de brillantes études – aussi peu chères et proches de la maison que possible. Durant deux ans, Vic et sa mère vécurent de bourses et de pâtes. Ils se parlaient rarement, mais chacun de leurs gestes était empreint de l’amour qu’ils se portaient. Ils avaient survécu ensemble jusque-là, et il leur semblait impensable à tous deux de continuer autrement.

Aussi, lorsque Vic dut choisir où poursuivre ses études de commerce, il ne douta pas un instant que sa mère le suivrait où il irait. Elle trouverait un nouveau travail, lui reprendrait sa carrière à temps partiel en hypermarché, tout était possible tant qu’ils restaient ensemble.

Dès qu’ils eurent déménagé le peu d’affaires qu’ils possédaient et qu’ils se furent installés dans leur nouvel appartement, la mère de Vic tomba malade. Cela dura quelques jours, durant lesquels aucun des deux ne put chercher un travail, parce qu’elle ne pouvait pas sortir de son lit, et que Vic s’occupait constamment de sa mère dès qu’il sortait de cours. 

Lorsqu’elle sembla se rétablir, Vic réussit à décrocher un poste bien mieux payé qu’avant, et il rentra chez lui le cœur léger, le sourire aux lèvres pour la première fois depuis bien trop de jours pour qu’il puisse les compter. Lorsqu’il franchit la porte de leur appartement, laissant retentir un sonore « Bonsoir ! », il n’obtint aucune réponse. Son ventre se noua et une sueur froide coula le long de son dos.

— Maman ? appela-t-il d’une voix faible.

 

Vic ne voyait plus sa mère que les dimanches : il passait le reste de son temps à jongler entre ses cours et son travail, auquel il passait deux fois plus de temps qu’avant pour payer les factures de l’hôpital. Toute la journée du dimanche était consacrée à sa mère, son seul jour de repos de la semaine, le seul jour qui aurait dû lui insuffler de l’espoir et lui arracher un sourire. Mais s’il avait pu se permettre d’être honnête avec lui-même, il aurait réalisé que, plus que tout le reste de la semaine - qui semblait pourtant durer deux cent quatre-vingt-huit heures -, c’était le dimanche qui drainait sa vitalité. A son âge, il pouvait tout supporter : les heures supplémentaires, les mauvaises notes, les remarques désobligeantes de sa patronne, la pile de travail en retard qui ne diminuait jamais. Visiter sa mère, c’était au-delà de ses forces. Lui qui était toujours exubérant et plein d’énergie, il entrait dans la chambre blanche sur la pointe des pieds, embarrassé comme un enfant de cinq ans qu’on aurait surpris la main dans la boîte à biscuits. Il se montrait excessivement doux et prévenant, effleurait sa mère plus qu’il ne la touchait, par peur qu’elle se brise entre ses mains. 

Quand il rentrait le soir, il avait un pincement au cœur de la savoir seule et cloisonnée entre quatre murs aseptisés. Il dépérissait dans leur appartement presque trop grand pour lui, qu’il n’avait même pas réaménagé. Pour quand elle reviendrait. Au cas où elle reviendrait.

Il y avait toujours ses céréales préférées dans le placard, bien qu’elles fussent maintenant périmées depuis des semaines ; son manteau restait sur le dossier d’une chaise, prêt à être attrapé d’une main pour sortir ; sa féminité embaumait la salle de bains, où Vic n’osait toujours pas toucher quoi que ce soit d’autre que son savon, son shampooing et sa brosse à dents. Le dernier post-it qu’elle lui avait laissé était toujours collé sur le frigo – par un bout de scotch, il s’était détaché la semaine dernière -, c’était stupide, ce n’était rien, un simple bout de papier avec quelques mots griffonnés dessus à la hâte : 

« Mon Victor chéri, 

Je rentre tard ce soir. Ne m’attends pas pour dîner. 

Bisous

Maman »

Pour lui, ces quatre lignes étaient tout.

Quand il allait la visiter, il laissait toujours un petit mot, caché quelque part, mais de telle sorte à ce qu’elle puisse le trouver facilement une fois qu’il serait parti. Ils n’en parlaient jamais, ils n’avaient pas besoin de cela pour se comprendre ; invariablement, il signait ses mots « Victor », il n’aurait jamais osé se faire appeler autrement que par son vrai prénom devant sa mère, elle qui lui avait donné sa vie, son prénom, et tout son amour. De la même manière qu’il lui avait tout donné, son prénom n’appartenait qu’à elle, le reste du monde l’appelait Vic, et personne n’avait encore osé déroger à cette règle.

Les semaines passaient, l’état de sa mère se stabilisait, mais elle restait si faible que les médecins lui interdisaient de rentrer chez elle. Ils voulaient garder un œil sur elle en permanence, au cas où.

Trois mois après son admission à l’hôpital, Vic reçut une lettre. Elle venait de son père, qui voulait le rencontrer le dimanche suivant, pour déjeuner au bistrot du coin. Vic ne chercha pas à se demander comment son père avait pu retrouver leur trace, ni pourquoi il revenait après tant d’années, il eut simplement une pensée de regrets pour sa mère et tomba de fatigue sur son matelas.

Dimanche arriva à grands pas. Vic se sentait gagné par la nervosité, il était à cran depuis quelques jours, ses partiels approchaient et n’auguraient rien de bon. Vic arriva le premier, s’installa à une table et observa les autres. Un couple riait bruyamment, un groupe de jeunes de son âge faisait des plans de voyage, tous penchés sur une carte ; une famille fêtait un anniversaire, ils n’allaient plus rester longtemps car les enfants gigotaient sur leurs chaises, se chamaillant à propos de qui avait eu la plus grosse part de gâteau. Enfin, son père arriva. Pas un mot d’excuse pour son retard, pas un mot d’excuse pour les vingt-cinq années d’absence, pas une embrassade, pas de discours grandiloquent, rien. Il s’assit tranquillement, regarda Vic dans les yeux, et dit :

— Victor. Mon fils.

Sans dire un mot, Vic se leva et s’en alla. Il venait de réaliser que cet homme n’était pas son père, que lui n’était sûrement pas son fils, et que sa mère l’attendait.

Deux semaines plus tard, Vic reçut une nouvelle lettre. Cette fois-ci, c’était de sa sœur. Ou plutôt de sa demi-sœur, puisqu’il aurait été au courant si sa mère avait eu un autre enfant que lui. Contrairement à son père, Clémence – sa prétendue demi-sœur – ne partait pas avec le handicap d’avoir abandonné sa famille, et méritait le bénéfice du doute. D’autant plus qu’elle avait eu la délicatesse, ou plutôt la chance, de lui donner rendez-vous le samedi soir.

Le restaurant était un peu plus chic que la brasserie miteuse où il avait croisé son père. Vic étant un homme prévoyant, il avait pris le temps d’avaler un bol de nouilles instantanées avant de partir et son portefeuille n’aurait à souffrir que d’une maigre salade. Cette fois-ci, ce fut Vic qui arriva en retard, mais il ne perdit pas plus de temps.

— Pourquoi est-ce que tu cherches à me voir maintenant ?

Clémence fit la moue. Elle était plutôt mignonne, derrière ses cheveux blonds. Ses yeux semblaient avoir mille histoires à raconter, et les taches de rousseur qui parsemaient son visage et ses épaules la rendaient franchement craquante. A cet instant, Vic se rendit compte qu’il avait toujours eu un faible pour les taches de rousseur.

— Mieux vaut tard que jamais, non ? Et puis, ça aurait été difficile de te contacter plus tôt alors que je ne savais même pas que j’avais un frère.

— Demi-frère, corrigea Vic. Tu as vécu avec ton père toutes ces années ?

— Ouais. Moi, c’est ma mère qui nous a largués.

La soirée passa follement vite, et pour la première fois depuis longtemps, Vic se surprit à sourire sans penser à sa mère. Il se rendait compte de son manque de chaleur humaine, d’à quel point sa solitude lui pesait depuis que sa mère n’était plus là pour partager ses semaines. Ce dimanche-là, il n’arrêta pas de parler à sa mère, refusant au silence le droit de s’installer dans la pièce. Il la faisait pouffer, il invoquait les souvenirs les plus doux qu’il trouvait, parla de l’avenir, de la grande maison qu’ils auraient plus tard, décrivit le jardin dans ses moindres détails, trouva même un nom pour leur chien ; puis accepta d’en prendre un deuxième.

A la fin de la journée, sa mère eut un instant d’hésitation, puis se décida à parler.

— Victor, je… Il faut que je te dise quelque chose. Rien de grave, ajouta-t-elle aussitôt pour balayer la question qui brûlait sur ses lèvres. C’est plutôt l’inverse, en fait. Les médecins m’ont dit que je suis en rémission. Si tout se passe bien, je pourrais peut-être rentrer dans deux semaines.

Vic ne répondit rien. Les larmes qui inondaient ses joues parlaient à sa place.

 

Il avait tout prévu. Il l’emmènerait dans un parc animalier gigantesque, que l’on traversait en voiture, où ils s’arrêteraient pour manger. Ils ne rentreraient pas trop tard, pour qu’elle puisse se reposer ; et pour le dîner, il commanderait des sushis. Il savait que sa mère en raffolait, mais c’était un plat de luxe qu’ils n’avaient pas pu se permettre depuis de longues années.

Aussi était-il tout excité lorsqu’il se leva ce dimanche matin. Il enfila sa plus belle chemise, emprunta le peigne de sa mère pour se coiffer, mit une touche de parfum, et il était prêt à sortir. Il fit un crochet par la porte de son voisin pour récupérer ses clés de voiture, le remercia profusément, et dévala les escaliers comme s’il marchait sur des braises.

Même dans ses rêves les plus fous, Vic n’aurait pas osé imaginer que la journée se déroule aussi bien. Sa mère était pleine d’énergie et débordait de joie, et Vic n’était en reste sur rien. Jamais il ne l’avait vue rire autant, et il la trouva magnifique, gorgeant son âme de sa beauté, cherchant à combler le vide qu’avaient creusés ces longs mois de séparation.

Sur le chemin du retour, ils s’arrêtèrent à une aire d’autoroute. Vic revint le premier des toilettes, et souriait encore comme un benêt quand son téléphone vibra. Voyant le nom de Clémence s’afficher, il sortit marcher un peu et décrocha.

— Allô, Vic ? Je suis désolée de t’appeler alors qu’on est dimanche, mais c’est vraiment urgent.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— C’est mon père, il… Je crois qu’il a fait une connerie, lâcha-t-elle. Écoute, tu serais dispo pour qu’on se voie ce soir ?

— Désolé, je suis avec ma mère là, ça va vraiment pas être possible.

Silence. Vic vit sa mère sortir du bâtiment.

— Toujours là ? glissa-t-il.

— Ouais, ouais, je réfléchis. Dis, ça te dirait –

Ses derniers mots se perdirent sur le bitume qui accueillit le portable de Vic. Celui-ci courait vers sa mère qui s’était écroulée sur la route, comme une poupée de chiffon, il ne voyait qu’elle sa mère il bondissait il volait à son secours il –

Il arrivait trop tard. La Mobus arrivait trop vite. Le chauffeur avait la tête ailleurs, car il ne freina même pas, il ne s’arrêta pas non plus, il fut simplement surpris qu’un dos d’âne se trouvât en plein milieu d’une aire d’autoroute, il ne vit pas non plus dans son rétroviseur la flaque de sang qui inondait la chaussée, ni le démon enragé qui le poursuivit en hurlant, qui rapetissait au loin, jusqu’à s’écrouler à son tour sur le bord de la route.

Vic était bien un être humain comme vous et moi, doté d’un cœur en bonne santé et d’une cervelle en état de marche. Il ne lui était jamais arrivé de penser « qu’est-ce que je vais pouvoir foutre de ma journée » en se réveillant le matin, et du reste, il était parfaitement sain d’esprit.

Il avait même un grand cœur, Vic, une grande cervelle et un esprit vif. Enfin, c’est ce que lui avait toujours dit sa mère.

Mais, tout ça, elle ne lui dirait plus jamais.

Tout ça, c’était avant. Avant que Vic ne rentre chez lui, avant qu’il ne fourre l’entièreté de son appartement dans sa voiture, avant qu’il ne monte sur des ponts d’autoroute pour y balancer le contenu de son coffre sur ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à des Mobus grises, avant que l’affaire ne passe au journal de 20 heures.

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