Une ballade en montagne

Par Pouiny

Il eut beau grandir et devenir adulte, ses pensées ne changèrent pas, contrairement à ce qu’avait prédit le grand pêcheur, désormais trop vieux pour pêcher. Toujours en quête de la tortue volante, il interrogea même quelques personnes du village, les rares fois où il se présentait. Mais toujours, ce fut un échec.

« Tu ne devrais pas remuer autant ces vieilles histoires, lui dit Liv en lui tendant un verre.

– Qu’est-ce que tu veux que je fasse d’autre ?

– Vis ta vie, petit ! Crée-les, tes histoires ! Passe à autre chose, peut-être même ?

– Tout ceci, c’est ma vie, Liv. C’est mon père. Comment pourrais-je passer à autre chose ?

– Tu es trop borné, Sören. Ça finira par te jouer des tours.

– Borné, mais travailleur, s’écria Askel. Tes légumes sont les meilleurs de la région, ça c’est sûr ! »

Avec politesse, le jeune homme sourit.

« Et tu es bien la dernière à te plaindre quand je te rend service. Tu n’as plus de problème de fuite dans ton auberge, d’ailleurs ?

– Ah ça ! Non, c’est réparé, et bien réparé. Sören…

– Oui, je sais Liv, coupa le jeune homme. Et je reviens ici quand je veux. Ne t’inquiète pas, je vais bien, comme toujours. A la prochaine. »

Il s’éloigna sans un regard pour ses hôtes. Le vent claqua la porte pour lui.

 

« C’est pas vrai ! Pourquoi aucun de ces bouquins parle de cette foutue tortue ! »

Le jour venait à peine de se lever, alors qu’un livre volait à travers la pièce. Affairé sur la table a manger, entouré de feuilles et de livres en tout genre, Sören tenait sa tête entre ses mains, en proie à une immense fatigue. Une légère barbe mal entretenue commençait à peine à pousser sur sa peau, et des cernes sombres soulevaient ses yeux noirs. Une fatigue décourageante s’abattait sur ses épaules, alors qu’il laissait tomber sa tête entre les pages d’un livre quelconque.

« Comment faire pour la retrouver, si rien de tout ce que tu as pu dire me permet de la chercher… »

Épuisé, le jeune homme soupesa le livre sans même prêter plus d’attention à son contenu. Il ne l’intéressait plus. La totalité des livres de son père avait été lu, relu et analysé sous toutes les coutures, mais sans résultat. En soupirant, il se leva et se dirigea vers l’étable. Les chèvres et les poules dormaient encore, mais le grand renne gris était déjà sur ses pattes, fixant son maître de ses grands yeux luisants. Machinalement, Sören lui donna a manger et le brossa en silence. Puis après quelques minutes a lustrer ses longs poils, il murmura :

« Tout ce que je sais désormais, c’est qu’au delà des montagnes, vers l’ouest, se trouve une grande ville. Beaucoup des livres de papa viennent de là bas. Il doit forcément y avoir une bibliothèque. Et qui dit bibliothèque, dit savoir. Si j’y allais… Peut-être que je trouverai. »

Il fit silence. L’animal resta comme de marbre. Le jeune homme stoppa son geste.

« Qu’en penses-tu, Våt ? Je n’ai rien préparé… Et il faudrait que je laisse tout ici. Les poules, les chèvres, le jardin… Rien ne vit ici, sans moi. Suis-je attaché à cette terre ? Ai-je le droit de tout abandonner ? »

Le museau du renne frôla les cheveux du jeune homme, comme en réconfort. Leurs yeux noirs se fixèrent un long moment, sans un mot. Pourtant, Sören reprit la parole comme pour répondre :

« Si je suis au centre de tout, c’est peut-être qu’il n’y a rien pour moi… Tu as raison. On ferait mieux de partir, tant qu’on le peut. »

Les mots étaient sortis calmement, mais dès qu’il réalisa tout ce qu’ils signifiait, il senti son cœur déborder de sa poitrine.

« C’est ça, reprit Sören plus nerveusement. On va y aller. Prépare toi à une longue ballade, Våt. Je reviens tout de suite. »

Il couru pour retourner dans sa maison en pierre. Face aux livres qui traînaient dans toute la maison, il du se résoudre à n’en prendre que quelques un ; un guide de survie écrit par son père, un recueil de conte et un livre sur les étoiles. Il ne prit pas la peine de ranger quoi que ce soit : rangé où pas, si la maison était abandonnée, son sort serait le même. Il prit juste le temps de donner de la réserve de nourriture aux animaux, leur souhaitant le meilleur, et de laisser un léger mot sur la porte. Il parti de sa maison en pierre, où il avait vécu toute sa vie, comme s’il allait revenir ; monté sur son renne marchant au pas, s’enfonçant dans la montagne vers des chemins qu’il n’avait jamais exploré, il eut un dernier regard pour la bicoque posée sur le flanc d’une colline, face à la mer. D’un seul coup, la vie sembla la quitter. Avec un pincement au cœur, il détourna le regard en se séchant les yeux avec précaution, s’enfonçant dans les profondeurs des bois sous le soleil de midi.

 

Quelques jours plus tard arriva Liv jusqu’à la maison abandonnée. Elle comprit très rapidement en ne voyant pas le flegme renne à son étable. Elle rentra dans la maison, a peine fermée ; tous les livres avaient été abandonné en l’état, comme en attente de leur propriétaire. Elle vit un mot accroché sur la porte. Tremblante, elle le prit entre ses gros doigts de tavernière. Tout un monde était sans doute écrit sur ce petit bout de papier jauni. Beaucoup de choses très importantes, qu’elle devait sans doute absolument savoir… Mais elle ne put pas en comprendre le sens. Car Liv, toute femme de pêcheur qu’elle était, n’avait jamais appris à lire.

 

Sortir de la montagne ne fut pas si long que le pensait Sören au premier abord. Vivant de nuit, se réchauffant des nuits froides en se guidant grâce aux étoiles, il profitait du soleil pour se reposer, les rayons traversant les feuilles et les poils de sa monture, qui l’accompagnait avec beaucoup de douceur. Mais la ville qu’il recherchait n’était pas directement à la sortie de la montagne. Pour la première fois de sa vie, Sören vit a quoi ressemblait de véritables plaines d’agriculture. Entre le plat du sol et les herbes hautes du blé frissonnant dans le vent, il réalisa pleinement à cet instant qu’il n’était désormais plus chez lui. Mais il ne put pas s’en attrister. Attiré par l’envie de découvrir, il continua sa route sans jamais le regretter.

 

A chaque personne qu’il croisait, il se présentait comme un conteur itinérant. Ainsi, ils l’excusaient de son étrange monture et de ses questions saugrenues à propos d’une tortue volante. Parfois, il se faisait inviter pour la nuit. D’autres fois, on le payait pour les histoires qu’il pouvait raconter. Il retrouva ainsi une légèreté avec les autres qu’il semblait avoir oublié depuis bien longtemps.

« Mais toi alors, Sören, pourquoi recherches-tu à tout prix cette tortue volante ! Tu nous parles d’elle tout le temps, mais pourquoi elle ?

– Ah, ça, fit le jeune homme avait un air un peu moqueur, c’est une trop longue histoire.

– Mais tu es conteur, tu es payé pour raconter des histoires !

– Oui, mais j’ai le loisir de les choisir ! Allez, les enfants, c’est l’heure de dormir. »

Il repartait généralement le lendemain, sans avoir répondu aux questions. Parfois, certaines personnes connaissait la tortue volante et lui donnait des informations qu’il n’avait pas.

« D’après mon grand-père, cette tortue ne vole jamais pendant un ciel bleu ! Elle serait comme un nuages, qui dérive vers les orages et les tempêtes… Mais je n’ai aucune idée de pourquoi. »

« C’est une calamité ! C’est a cause d’elle qu’existe les orages et les tempêtes ! Beaucoup trop d’hommes ont été emportés par ses rages destructrices… Tu devrais éviter de t’en approcher, mon garçon ! »

« Cette tortue… Ce n’est pas une sorte de dragon ? Je suis sûr d’avoir déjà entendu qu’elle pouvait cracher du feu ! »

« On m’a toujours dit que c’était la divinité du vent et de la mer, protégeant les marins et les hommes des grands froids. »

 

« Que faire, Våt ? Il y a beaucoup trop d’informations pour que toutes soient justes ! »

le jeune homme s’allongea presque sur sa monture qui marchait à pas lent. Traversant un chemin désert après une longue veillée.

« En tout cas, on m’a assuré que la ville n’était plus très loin. Il sera plus facile de se fixer avec des paroles écrites. »

L’animal, n’aimant sûrement pas le poids que lui imposait son maître entre ses bois, s’ébroua. Sören eut un petit rire, avant de replonger dans ses réflexion, tachant de ne pas s’endormir.

 

Il fini bien par atteindre la ville. Toute la fatigue accumulée du voyage sembla s’évaporer la simple vision de l’activité débordante de la cité. Tout semblait y aller vite et bien, comme une ruche géante. Sören, comme un petit garçon intimidé, descendit de son renne pour trouver la bibliothèque.

« Bonjour, excusez moi… Auriez vous des ouvrages sur la tortue volante ?

– Vous êtes ? »

Le bibliothécaire qui lui faisait face semblait aussi aimable qu’une porte de prison. Gêné, Sören répondit avec un grand sourire :

« Un simple voyageur.

– La section des contes pour enfant est sur votre gauche. Si vous voulez mon avis, vous avez passé l’âge.

– Merci… »

Essayant de ne pas relever la remarque, il se dirigea vers la direction indiquée. La section des contes avait beau être petite par rapport à la taille immense de la bibliothèque recouvrant plusieurs étages, le nombre de livre dépassait de trois fois la totalité des livres de son père. Regardant les titres d’un regard fébrile, fouillant dans les recueil rapidement, il fini après plusieurs heures par tomber sur quelques lignes qui l’intéressaient.

« La tortue volante est une créature fantastique relevant du folklore. Nous n’avons aucune certitude quant à son existence, au même titre que les fées, les dragons et autres créatures fantastique. Selon les légendes, cette tortue suivrait les nuages blancs en se fondant comme l’un d’entre eux. Elle ne se pose sur terre que durant les jours de neige, sa carapace se fondant avec la blancheur des flocons. Il est impossible de savoir de quoi se nourrirait cette tortue géante. Si bien des gens persistent à dire qu’ils l’ont déjà vu, son existence semble impossible à croire. »

Ce fut les seules informations que Sören put récupérer. Soupirant, il laissa échapper :

« Au final, je savais déjà tout ce qui était écrit… Il ne me reste plus qu’à faire comme cette tortue, et suivre les nuages, en espérant tomber sur elle. »

Mais c’était avec un cœur lourd que le jeune homme reposa les livres et sorti du grand bâtiment froid. Pourtant, il ne resta pas oisif longtemps ; il sortait a peine de la bibliothèque qu’il entendit son renne raire avec peur.

« Qu’est-ce que vous faites à ma monture ! Vous ne voyez pas que vous lui faites mal ? »

Plusieurs enfants et adolescent jouaient assez cruellement avec la pauvre bête, lui prenant les bois, lui arrachant ses poils gris, tirant sur ses rênes, s’accrochant à ses pattes. Bien dressé, l’animal n’avait fait aucun geste brusque, mais Sören ressentait avec horreur tout l’inconfort de l’animal qui n’avait qu’envie de fuir.

« Mais monsieur, il est bizarre ! Qu’est-ce que vous faites avec un animal pareil ? C’est un monstre, j’en suis sûr !

– Ce n’est pas un monstre et je vous demande de le laisser tranquille, déclara le jeune homme d’une voix forte en essayant de repousser les garnements.

–Tu élèves un monstre ! Tu as vu ses cornes ! Même les vaches n’en ont pas des comme ça ! »

A chaque fois qu’un enfant s’en allait, un autre revenait à la charge. Débordé, essayant vainement de protéger son animal de son petit corps, Sören fini par soupirer :

« Parfaitement. Mon renne est un monstre des forêts. Il mange de la viande rouge et crue qu’il arrache avec ses grandes dent de ses proies. Il adore déchiqueter la chair fraîche. Il court assez vite pour prendre n’importe quel animal en chasse. Et ses cris de fureur résonnent dans toute la forêt, parcourant de frissons tout animal le connaissant… Ses bois peuvent empaler avec force même le plus fort et le plus costaud des taureaux. Mon renne est une bête hideuse, et je n’ai pas intérêt à me couper un doigt en mangeant mon pain à coté de lui, car il serait bien capable de me sauter dessus. Et vous… Vous l’avez dérangé. »

Surpris, les enfants reculèrent.

« Tu dis n’importe quoi ! Ça ne peut pas être vraiment un monstre…

– Vraiment, tu en es sûr, petit ? Est-ce que tu t’es déjà baladé dans la forêt, la nuit ? Si c’était le cas, tu saurais que j’ai raison. »

Le jeune homme eut un sourire presque sadique, se redonnant contenance. Les enfants reculèrent encore.

« Comment tu aurais pu le dresser, si c’était vraiment une créature aussi dangereuse ?

– J’ai fait un pacte avec lui.

– Comme avec le diable ?!

– Exactement. Il a le droit de tuer les humains que je lui désigne. Voyez-vous, les humains l’évitent en forêt, et à mes cotés il a beaucoup plus de chance d’en croiser. Il apprécie tellement la chair humaine. En échange, j’ai une des montures les plus rapides et les plus puissantes de toute la forêt. Vous n’aimeriez pas que je vous désigne, n’est-ce pas ? »

Un des plus petits des enfants se mit à pleurer. Les autres reculèrent pour de bon.

« On est désolé monsieur, on ne voulait pas lui faire de mal ! Désolé, monsieur le renne, on ne recommencera plus.

– Ne maltraitez plus les animaux, lança Sören en montant sur l’animal, provoquant un mouvement de recul général. Vous ne savez pas ce qu’ils peuvent être au fond d’eux-même. »

Il s’éloigna au trot alors que les enfants tentèrent en vain de s’excuser une nouvelle fois.

« Je suis désolé, Våt. »

L’animal eut un léger mouvement de la tête vers son jeune maître. Ses longs cils fins donnaient à ses yeux noirs un regard très tendre.

« Qui pourrait croire que tu es un monstre… »

Prenant le temps de profiter du vent qui soufflait doucement sur son visage, Sören caressa d’une main l’animal qui continuait de trotter au même rythme.

« On ne retournera plus là-bas, c’est promis. Désormais… Nous allons suivre les nuages. »

 

Le voyage de Sören devint alors très pluvieux. Apprenant à connaître les nuages, il suivit tout ceux qui menaient vers de la pluie ou des tempêtes. Traversant les montagnes et les plaines à ne plus savoir où il était. Perdu entre neige et terre, il oublia vite la notion du temps. Il oubliait presque la mer, son ancien village, le port et ses habitants. Mais il gardait toujours dans son cœur son ancienne maison de pierre, bien qu’il n’était plus capable de savoir comment y retourner. Il continua son métier de conteur, inlassablement, au milieu de la pluie, de la grêle et de la neige qui tombait durement pendant plusieurs mois. Chaque fois, avec espoir, il regardait le ciel. Mais il finissait toujours par baisser la tête en soupirant. Il ne voyait pas la tortue volante.

 

Et un jour, perdu en pleine montagne recouverte par des mètres de neige, alors qu’il lui était difficile de faire le moindre pas, il redressa la tête ; son cœur rata un bond. Car devant lui se trouvait une botte de neige immense, sphérique et lisse, comme une colline sur la montagne. Sa main lâcha aussitôt les rênes. Se rappelant à peine comment respirer, il regarda le ciel ; c’était le lendemain d’une tempête de neige. Le ciel était bleu, le soleil brillait timidement au dessus des arbres. Et devant lui, la neige dessinait comme une forme de carapace géante.

 

Sören, incapable de parler, manqua de tomber à la renverse. Il était devant cette vision, la première vision de cet être si incroyable, qui l’avait tant marquée ce jour là, ce jour lointain d’enfance ou le feu brillait encore entre des murs de pierres. Sa respiration s’accéléra ; mais pas un mot ne vint. Il avait oublié la présence de son renne. Il n’y avait plus qu’en ce monde lui et cette forme de tortue géante qui avait tant hanté ses rêves. Et désormais qu’il était face à elle, véritablement face à elle… Il n’avait aucune idée de quoi faire. Il n’avait jamais pensé à ce qu’il pourrait faire une fois qu’il la verrait, comme si au fond de lui, il n’y avait peut-être jamais cru, jamais espéré.

 

Pendant qu’une éternité circulait en un tour dans ses veines, où il ne se passa strictement rien, la terre fini par trembler. La neige tomba en un bruit féroce, et le fracas d’un mouvement lourd et immense résonna en écho dans toute la montagne. Une patte gigantesque, d’un vert pale tirant sur le blanc, se laissa sortir de terre ; la tortue volante, comme dans la première itération du conte, allait prendre son envol à la lumière du soleil. Sa tête sorti et fit face à un Sören dont les yeux allait presque s’échapper de leur orbite. Une tête immense, écaillée de vert et de blanc, dont l’œil noir était bien plus grand que la tête du jeune homme. Pendant un instant, il fut persuadé que sa vie était finie ; mais il savait au fond de lui que cette immense bête ne lui ferait jamais de mal. Et d’un coup de pattes avant, elle se mit à flotter dans les airs, partant doucement au dessus des arbres.

 

Reprenant ses esprits, le jeune homme cria :

« Våt ! Ne bouge pas d’ici ! Je reviens vers toi dès que j’en ai fini ! »

Il s’attendait à ce que sa monture soit terrifiée : mais il n’en était rien. Tranquille comme à son habitude, le renne ne bougeait pas, regardant avec ses yeux doux la neige s’effondrer autour de lui. Sans plus de considération pour sa monture, Sören parti en courant aussi vite qu’il pouvait dans la neige, vers la tortue qui s’en allait lentement.

« Tortue ! J’ai fait tout ce chemin pour te trouver ! Je t’en prie, je t’en supplie, rend-moi mon père ! »

Mais l’animal, se mouvant dans les cieux comme un nuage, ne lui accordait pas un regard. Alors qu’elle prenait de l’altitude avec calme, Sören descendait le long de la montagne, tombant et glissant dans la neige avec perte et fracas.

« Qu’en as-tu fais ? Répond moi ! Où se trouve-t-il ? C’est la seule famille qu’il me reste ! »

Mais rien ne disait dans les contes que la tortue comprenait le langage humain. Éclatant en larme dans sa chute inexorable, il continua de crier, de plus en plus fort au fur et à mesure qu’elle s’éloignait vers le soleil :

« Pourquoi n’est-il pas avec toi ? Pourquoi ne l’as-tu pas sauvé, cette fois-ci ? Pourquoi n’as-tu rien fait ! »

Ses cris résonnèrent dans la montagne. Mais ils n’atteignirent pas l’animal. Les yeux embués de larmes, sa gorge se serra. La tortue volante était de nouveau invisible. Assis dans la neige, le corps meurtri, il ne pouvait plus rien voir avec l’eau qui embrumait tout son visage. Il avait retrouvé la tortue, cette tortue invisible et incroyable, cette tortue de contes de fée. Mais son père, être tangible et dont tout le monde connaissait l’existence, n’était pas avec elle.

 

Il pleura longtemps dans la neige. Le froid n’importait plus. Il avait cru son père, et son père ne l’en avait pas remercié. Il n’était pas revenu. Il ne pouvait plus le retrouver. Malgré toutes les montagnes, toutes les nuits, toutes les épreuves qu’il avait affrontées pour se retrouver ici, sur cette montagne où il avait pu faire cette rencontre extra-ordinaire, rien ne lui semblait plus insurmontable que ce constat face au ciel bleu et au soleil, qui tourna sans se soucier de lui. Ses cris avaient beau être fort, et rebondir en écho sur la neige et les arbres, personne ne les entendait.

 

A la tombée du soleil, son renne fini par le rejoindre. Sans un bruit, il avait suivi les traces de son maître et l’avait retrouvé, recroquevillé dans la neige. Le vent souffla légèrement aux oreilles de Sören. La vie reprenait son cours. Våt, avec douceur, tendit à son maître ses bois. Sören s’y agrippa, remontant doucement sur ses pieds. Ne voyant plus rien dans l’immensité du ciel, il regarda au pied de la montagne. Un petit village, similaire à celui où il avait grandi, lui faisait face. Allumé par de faibles lumières, il semblait l’appeler vers lui de tout son cœur.

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