Zayn se réveilla en sursaut, la porte de son appartement vibrait encore sous les martèlements qu’elle avait reçus. Il était terrorisé et ne put bouger jusqu’à ce que la deuxième vague de coups éclate sur la porte, le tirant de sa paralysie. Il fit une roulade sur son lit et se jeta vers la kitchenette en marchant à pas de félin. Il ouvrit silencieusement le tiroir sous l’évier et en sortit un couteau à viande. Il jeta un coup d’œil à l’horloge clouée à son armoire : il était trois heures du matin. Il devait se décider vite, le panel de choix était mince. Zayn s’approcha en un éclair de son lit, prit son téléphone, et étouffa un juron en découvrant qu’il n’avait pas de réseau. Au même moment, une voix d’homme d’une cinquantaine d’années s’éleva de l’autre côté de la porte :
— Allons, Mr Mistrot… Nous n’allons pas jouer au chat et à la souris encore plus longtemps. Vous savez que je vous vois, avec votre chemise trempée de sueur et votre couteau à viande dans la main.
La voix poussa un rire tonitruant et ajouta avec malice :
— Vous comptez faire peur à qui avec votre joujou ? À une grand-mère du quartier ? Ouvrez donc cette porte.
Zayn garda le silence, son cœur battait à tout rompre. La personne était peut-être armée ; si ce n’était pas le cas, il pourrait la maîtriser facilement. Il ne savait pas ce qu’il devait faire : son appartement était à plus de douze mètres du sol, impossible de s’enfuir par la fenêtre, la seule issue possible se trouvait devant lui. Il devait réfléchir vite. Il n’était plus si sûr d’avoir envie de rencontrer ces gens. C’était peut-être une mafia, comme celles qui kidnappent les jeunes étudiants pour les envoyer dans des contrées lointaines. Il ne pouvait pas fuir, il allait devoir se battre pour sortir vivant de cette soirée. Il s’approcha de la porte avec sa démarche de félin et passa un œil à travers la visière. Un homme habillé en tweed gris, avec une chemise bleu ciel, se tenait devant la porte. Il tenait une canne en bois incrustée d’un rubis de la taille d’un œuf.
— Mais puisque je vous dis que je vous vois !
Zayn eut un cri de frayeur et recula jusqu’au fond de la pièce. L’homme approcha son œil de la visière en rigolant, recula d’un pas, brandit sa canne et dit clairement :
— Ostus !
Le double loquet de la porte de son appartement sauta de l’intérieur, et l’homme la repoussa avec sa canne. Il tourna la tête en s’ébahissant :
— C’est très coquet chez vous !
Zayn hurla, jeta son couteau sur l’homme en tweed qui l’esquiva, puis bondit en avant. Aussitôt, celui-ci s’écria :
— Occulus ! Vous allez commencer par vous calmer, jeune homme !
Dès qu’il prononça le premier mot, des cordes en laine s’étirèrent du bas de son tweed, de ses manches ainsi que de son col, et ligotèrent Zayn qui tomba à la renverse.
— Aha ! Vous voilà fait comme un saucisson, mon cher ami. Je pense que nous allons enfin pouvoir discuter comme des personnes civilisées.
Les cordes l’avaient bâillonné, il se débattait violemment, mais rien à faire, il était complètement immobilisé. L’homme s’accroupit en se rapprochant. Il avait un bouc, ses cheveux étaient plaqués en arrière, et une légère odeur de parfum envahit les narines de Zayn, qui était contraint de fixer les chaussures parfaitement cirées de l’homme en tweed. Celui-ci se releva, tourna le dos à Zayn et alla fermer la porte. Il dit avec calme :
— Ne vous débattez pas, les cordes serreront plus fort. Je vous promets que si vous vous calmez, je vous libérerai. Mais pour l’instant, nous allons être contraints d’entamer la conversation dans ces conditions. Je vais commencer par vous ôter les bâillons dans votre bouche, mais attention, n’essayez pas de hurler : l’ensemble de la rue a été figée, et j’ai aussi bloqué le réseau téléphonique dans un rayon de 1 km.
L’homme en tweed fit tourner sa canne, puis la reposa délicatement.
— Faisons un test !
L’homme prit sa canne, la leva au ciel et frappa le sol une fois. Les bâillons de Zayn tombèrent au sol, et il se mit aussitôt à crier :
— AU SECOUUUURS ! AAAAAAAAH ! À L’AIDE.
L’homme en tweed soupira, leva sa canne et la frappa au sol de nouveau. Les bâillons sautèrent dans la bouche grande ouverte de Zayn. Des larmes coulaient sur son visage et commençaient à se perdre dans sa chevelure frisée. L’homme ne put s’empêcher de se pincer les lèvres et s’accroupit :
— Jeune homme, je ne suis pas là pour vous faire du mal. Le monde de la magie comporte des gens mauvais, certes, mais la communauté magique s’efforce de les garder loin des jeunes poulains comme toi, dit la voix avec une infinie douceur.
Il s’approcha de Zayn et passa sa main dans ses cheveux, affectueusement. Il ajouta en le fixant profondément :
— Laissez-vous faire !
Il recula de deux pas et cria haut et fort :
— Lestia !
Un sofa apparut aussitôt de nulle part, et il se laissa tomber dedans.
— Je vais vous libérer, mais ne me le faites pas regretter. Je suis ici pour parler de Barbelle et du monde magique, je vous promets que nous n’allons pas vous kidnapper ou Dieu sait quoi encore, comme vous avez dû l’imaginer. Et puisque vous avez grandi comme un sans-don, il va falloir vous expliquer beaucoup de choses.
Il brandit sa canne et frappa le sol de nouveau. Les cordes commencèrent à se détendre et se retirèrent doucement vers son tweed. Après une dizaine de secondes, Zayn était de nouveau libre. Il devait se rendre à l’évidence : il ne pouvait pas combattre cet homme, bien que ses aptitudes physiques soient extraordinaires pour un jeune de son âge. Il opta pour le seul échappatoire possible : garder son calme et l’écouter, dans l’espoir que celui-ci veuille s’en aller à la fin de la conversation. Il se releva en faisant attention à ne pas faire de geste brusque, car la moindre mauvaise interprétation de la part de son geôlier pouvait lui valoir la camisole de nouveau. Ses genoux tremblaient, des frissons parcouraient son corps, et il avait la nausée.
Il venait d’assister à de la magie, dans son appartement parisien. En l’espace de cinq minutes, cet homme venait de faire voler en éclats toutes ses certitudes. Le monde tel qu’il le connaissait s’effritait devant ses yeux. Le tweed de cet homme l’avait complètement immobilisé, et les loquets de son appartement s’étaient levés comme par magie. Ce qui était sûr, c’est qu’il ne lui voulait pas de mal et que c’était un magicien. Zayn dut se le répéter trois fois pour forcer le rythme de sa respiration à revenir à la normale. Sa peur s’estompait petit à petit, et sa nausée se calmait ; il n’avait qu’une envie : écouter ce que l’homme en tweed avait à lui dire. Son tweed avait pris vie et l’avait saucissonné à terre… Son tweed l’avait mis à terre… Son tweed magique… Un combat s’engageait en lui : il voulait garder le silence pour laisser l’homme lui expliquer comment il avait fait pour le contraindre, mais il ne pouvait se résoudre à rester silencieux. C’est ainsi que la première question fusa :
— Vous avez fait de la sorcellerie ?
— Était-ce de la sorcellerie ou de la magie ? serait la bonne question. Je dirais que j’ai employé les deux. Je vous ai jeté un sort pour vous calmer, ouvrir la porte de chez vous et faire apparaître ce magnifique sofa de l’époque victorienne. Vous savez, je ne le sors de ma réserve qu’en de très grandes occasions, ajouta-t-il fièrement. J’ai utilisé la magie pour vous enlever vos bâillons. La magie est plus puissante et plus subtile. Elle ne nécessite pas de formule magique, seulement des gestes.
Zayn buvait ses paroles, une soif insatiable venait de se découvrir en lui. La magie existait, et il avait l’occasion, non… le droit d’en savoir plus. Ce soir, il venait d’assister à une merveille que tout l’or du monde ne saurait acheter… Les frontières du possible s’étendaient à toute vitesse dans son esprit.
— Qui est le grand lion de Barbelle ?
— Erbie Sacrebleu, l’un des plus puissants enchanteurs du monde actuel. Il siège également au conseil de l’ordre, l’équivalent du parlement dans votre monde. La politique ne l’intéresse pas vraiment, sauf quand cela concerne les Terres Infinies et les compagnies qui s’y engagent.
Zayn acquiesça sans rien comprendre à ce que l’homme disait et voulut lui poser une autre question, mais il s’arrêta juste à temps pour se rattraper. Il s’assit sur son lit, puis se sentit mal à l’aise en repensant qu’il avait essayé de frapper un homme de cinquante ans. Il devait avoir l’air bien idiot maintenant qu’il était calme ; il aurait peut-être dû commencer par discuter. Il avait complètement perdu ses moyens quand il avait compris que son invité pouvait le voir à travers la porte. Il voulait savoir ce que c’étaient que les Terres Infinies et comment il avait fait pour le voir à travers un obstacle en bois épais de cinq centimètres, mais il décida d’essayer de faire preuve d’un minimum de politesse :
— Voulez-vous que je vous fasse un thé, ou que je vous serve un jus ? Avez-vous faim ?
— Très bonne idée, jeune homme, pouvez-vous me faire un thé ? Je m’excuse, je n’ai pas eu l’occasion de me présenter : je m’appelle Mathias De Fontenais, et oui, c’est bien un nom onomastique.
Zayn commença à s’affairer aussitôt. Il avait une boîte de cake au chocolat qu’il avait cachée dans un des placards près de l’évier. Zayn ne recevait pas souvent d’invités, mais il avait toujours des réserves de nourriture et de boissons pour accueillir n’importe quel hôte comme il se devait. Il se baissa, ramassa le couteau de cuisine discrètement et le remit dans l’évier, puis il mit de l’eau à chauffer. Il mit deux cuillères de thé chinois dans le récipient, ajouta dix morceaux de sucre qu’il prit le temps de compter deux fois pour être bien sûr. Il aimait bien servir son thé sucré à la mode marocaine. Il disposa les morceaux de cake soigneusement coupés dans deux assiettes, puis finit par verser l’eau qui avait bouilli dans sa théière. Il servit son invité.
— Monsieur De Fontenais, qu’est-ce que sont les Terres Infinies, et comment avez-vous fait pour me voir à travers la porte ?
— Appelez-moi Mathias, répondit-il amicalement. Par où commencer… Nous avons un protocole bien précis à suivre : je ne dois pas vous en dire trop la première fois que nous nous voyons. Je vais faire une exception… mais sachez toutefois que si vous voulez nous rejoindre à Barbelle, il va falloir que nous nous revoyions une deuxième fois et que vous vous établissiez dans le XXIe…
— Le XXIe ? Qu’est-ce que c’est ?
Il existait vingt arrondissements dans Paris intra-muros, mais il n’avait jamais entendu parler d’un vingt et unième arrondissement.
— Le nom d’un arrondissement de Paris caché aux yeux des sans-dons. Promettez-moi d’abord que nous nous reverrons une deuxième fois au moins ! Je comprends maintenant pourquoi ils ont voulu que j’atterrisse ici aussi vite. Le don s’exprime si fougueusement chez vous, c’est magistral : un orphelin doué de pouvoirs dont il ne soupçonnait même pas la moindre existence. Vous êtes vraiment fait pour rejoindre Barbelle !
Zayn ne put s’empêcher de répondre tout de suite après que Mathias eut fermé la bouche. Il voulait enfermer Mathias pour être sûr que celui-ci ne s’enfuie pas avec toutes les réponses à ses questions :
— Vous avez ma parole !
Mathias se leva et se dirigea vers la fenêtre. Il leva les yeux et fixa le ciel parisien. Il posa sa canne contre le bureau et revint s’asseoir. Il hésita un instant, puis se leva, reprit sa canne, se réinstalla dans son sofa et finit par reposer sa canne sur ses genoux, nerveusement.
— Je vais briser le protocole, j’espère que tu n’en diras mot à personne. Je compte sur toi.
Mathias inspira, claqua des doigts et sa canne se mit à flotter dans les airs. Il souffla, puis la reprit :
— N’as-tu pas remarqué que depuis une année ou deux tu ne vieillis plus ?
— Ce sont des problèmes d’hormones, répondit Zayn, ne sachant plus où il voulait en venir. Les médecins m’ont expliqué que pour une raison qu’ils ignorent, mon corps ne grandit plus normalement. C’est pour cela que mon visage ne prend pas un seul poil alors que j’ai 17 ans et que ma voix n’a pas encore mué comme il se doit.
— Non, c’est un phénomène qui arrive à l’ensemble des doués autour de leurs vingt-cinq ans, après avoir été diplômés. Le don est extrêmement développé chez toi, cela ne m’étonnerait pas que tu descendes d’une lignée de paladins extrêmement connus et qu’ils t’aient déposé en orphelinat lorsque tu étais encore bébé, pour une raison ou une autre, ils ont voulu cacher ta naissance. Terre Magique traverse un moment difficile depuis une décennie, qui sait, peut-être qu’on a voulu te protéger d’un mal qui te menaçait. Ce qui m’échappe, c’est qu’il y a 17 ans, les eaux n’étaient pas aussi troubles. Peut-être que je me trompe sur toute la ligne. Il faut que tu saches que les doués vivent généralement entre 250 et 350 ans ; les plus puissants vivent généralement 200 à 300 années de plus. Le vieillissement est retardé, leur musculature est surdéveloppée, comme la tienne. Tu es sûrement plus fort que la majorité des sans-dons de ton âge, et ça ne m’étonnerait pas que tu dépasses en force la majorité des sportifs de haut niveau d’ici moins de six mois. Mais ce sera différent quand tu te compareras aux autres doués de Barbelle, tout le monde a un talent caché susceptible de renverser n’importe quelle situation à son propre avantage.
Zayn était bouche bée. Il allait peut-être vivre le tiers d’un millénaire. La magie existait, ou plutôt le don existait, et en plus de cela, il allait être admis dans l’une des plus prestigieuses écoles de magie au monde. Du moins, même s’il n’avait pas compris un quart de ce qui était écrit dans la lettre d’admission à Barbelle, il avait compris une chose : il y avait plusieurs mondes. Les Terres Infinies en faisaient partie, mais qu’entendait-il par « Infinies » ? Ça, il n’en avait aucune idée. Peut-être que les Terres Infinies étaient les continents d’un monde découvert par les magiciens ou plutôt « les doués », comme les appelait son visiteur. Mathias croisa les jambes et fixa Zayn tout en buvant une gorgée de thé :
— Excellent thé au jasmin, sucré en plus ? Vous avez souvent voyagé au Maghreb ? dit-il l’air de rien.
— Non, pas du tout, mais je sais que le thé se boit comme ça là-bas, avec du sucre.
Mathias se pencha sur sa tasse et fit tournoyer le liquide :
— Je compte sur toi pour tenir ta promesse. Les autres écoles ne tarderont pas à essayer de te contacter, ton don doit pouvoir se détecter depuis l’Outre-Monde. Il faudra que tu éteignes ton téléphone ; ils essaieront sûrement de venir ici comme moi pour un premier contact, mais j’espère que d’ici là, tu te seras établi en Terre Magique. Tu seras quasi-indétectable alors, ton don se mêlera à celui de la population douée. Pour l’instant, il sera plus difficile de te localiser avec ce collier...
Mathias plongea la main dans sa poche et en tira une chaîne en argent, qu’il posa délicatement sur les genoux de Zayn. Elle comportait des gravures qui ressemblaient à des runes. Zayn les fixa un instant et jura qu’une des gravures avait changé de forme.
— Merci, dit Zayn, ne sachant pas quoi dire d’autre, sans pouvoir détourner les yeux du collier.
— Mais de rien, répondit Mathias, amusé de voir le jeune homme fixer les runes. Elles changent à chaque fois que quelqu’un essaie de te détecter. Plus les formes changent, plus le nombre de personnes qui essaient de te traquer s’accroît. Les forces de l’ordre utilisent également ces bijoux pour se protéger lorsqu’ils sont en territoire hostile... Ils sont très rares et coûteux, nous souhaitons réellement que tu nous rejoignes à Barbelle, répondit Mathias solennellement. Prends-en soin, il faudra me le rendre à la rentrée.
— Vous êtes professeur à Barbelle ?
— Pas vraiment. Mais j’y exerce une fonction spéciale.
Mathias était quelqu’un qui semblait avoir des goûts raffinés, Zayn ne put s’empêcher de noter qu’il portait un tweed en plein été. Peut-être qu’il venait d’une région du monde où il faisait froid, ou peut-être était-il juste très attaché à son vêtement. Il était difficile de trancher, mais ce qui était sûr, c’est que cet homme dégageait une assurance contagieuse. Il donnait l’impression de n’avoir peur de rien. Zayn allait peut-être devenir un Paladin comme lui, peut-être qu’une fois sa formation reçue, il dégagerait la même aura que son invité. Encore fallait-il qu’il accepte de renoncer à son monde, à sa petite vie tranquille et à son sentiment de contrôle pour s’embarquer dans une aventure aux allures incertaines. Qu’allait choisir Zayn ? Pour l’heure, il était incapable de le dire. Mathias brisa le silence :
— Mettons fin au supplice. Je te dois beaucoup de réponses, mais généralement, nous n’aimons pas en dire autant lors de la première rencontre avec ceux qui ont grandi dans le monde des sans-dons. La raison pour laquelle nous avons décidé ainsi est qu’il arrive qu’un doué ne souhaite pas s’engager au sein de la société de Terre Magique, qui forme « le monde des doués », ou encore plus vulgairement « le monde de la magie ». Nous allons faire une exception avec toi.
Mathias se leva, posa son verre et claqua des doigts. La lumière de l’appartement se réduisit à une douce lueur tamisée :
— Hum… Ce que les gens normaux appellent la magie, nous l’appelons le don, ou encore le ki chez certains Asiatiques, le chakra dans certaines autres parties de l’Asie, ou l’énergie en Occident. L’aura est une des manifestations du don chez les plus puissants. Elle est visible et prend une couleur précise chez chaque doué. Le monde de la magie existe depuis les premières lueurs de l’humanité. Nous n’avons pas toujours été cachés : dans les temps anciens, les mages et enchanteurs côtoyaient les humains, et il était courant que le don se pratique sous leurs yeux. Mais avec le temps, le monde de la magie s’est progressivement voilé aux yeux des sans-dons. Les raisons sont diverses : la cupidité, la guerre, les chasses aux sorcières, les complots politiques et j’en passe… Il arrivait très souvent qu’un sans-don essaie de gagner les faveurs du mage de sa région pour tenter de s’accaparer un quelconque avantage politique ou militaire ou encore ne serait-ce qu’un avantage économique, comme la pluie pendant les saisons sèches ou le gibier à profusion. Il faut comprendre que les sans-dons ont toujours eu une tendance à avoir peur de ce qu’ils ne comprennent pas, c’est pour cette raison que depuis la fin du IIIe siècle avant J.-C., le monde de la magie s’est progressivement retiré pour disparaître aux yeux de tous. Du moins, officiellement, les villes magiques étaient déjà cachées depuis des millénaires par précaution et par crainte que les gens normaux n’essaient de les détruire par accès de peur ou les pillent par convoitise.
— Vous voulez dire qu’il y a des villes cachées ? s’étonna Zayn.
— Bien sûr ! répondit Mathias avec entrain. La Cité dans le ciel, Atlantide sous l’océan Atlantique, Obios en Asie, la Montagne Dorée en Afrique, la cité magique de New York et celle de Paris.
— Si j’ai bien compris, Paris abrite des arrondissements comme le XXIe ?
— C’est toute une ville qui se cache sous terre, rectifia Mathias en souriant.
Il s’arrêta un instant pour se frotter les mains, but une nouvelle gorgée de thé au jasmin et reprit :
— Excellent thé, vraiment !
— Merci. Et qu’est-ce qu’un enchanteur, au juste ? demanda Zayn.
— Les enchanteurs et les Éclats sont deux branches culminantes d’un seul et même arbre. Ce sont les élites dans chacun de leurs domaines. Si l’un peut atteindre jusqu’à dix fois la vitesse du son et soulever la tour Eiffel à mains nues, l’autre enchante à la force et à la vitesse de ses pensées ; il devient quasi-intouchable, invoquant vents et marées par le regard, précipitant la foudre et les tempêtes. Ils grimpent dans les paliers les plus hauts du don afin de réaliser des miracles ; ils peuvent aussi, par exemple, ralentir le temps ou l’accélérer à leur guise. On raconte que, hélas, lorsque le sort en décide ainsi, et qu’un enchanteur et un Éclat décident de se livrer bataille, pour le grand malheur de tous et pour notre propre survie, il vaut mieux ne pas approcher à moins de cent kilomètres à la ronde. Heureusement, nous n’avons connu que très peu d’événements comme cela, pas moins de trois fois en 2000 ans, chacun plus violent que l’autre. Ces combats se tiennent généralement en Terres Infinies ou dans l’espace, là où les dégâts que peuvent occasionner ces êtres sont contenus. Les… conditions… par cela j’entends la gravité, la résistance du sol et des géographies environnantes, la pression atmosphérique, toutes ces variables sont plus… rudes là-bas… Terre Magique ne pourrait contenir un combat de cette violence, il serait apocalyptique. C’est pour cette raison qu’ils se tiennent en Terres Infinies ou dans l’espace.
— Vous parlez d’eux comme s’ils n’étaient plus vraiment humains, se demanda Zayn avec curiosité.
— Bien qu’ils soient dotés pour la majorité d’un grand sens de l’honneur, ils ne le sont plus vraiment, ajouta Mathias.
— Combien sont-ils ? enchaîna Zayn précipitamment.
— Enchanteurs et Éclats ? Moins de deux mille sur trois cents millions de doués sur Terre Magique.
Mathias se leva de son sofa, frappa le sol de sa canne et le fit disparaître. Il s’approcha de l’évier et y déposa son assiette ainsi que sa tasse de thé. Il se retourna et s’inclina brièvement.
— Il est déjà 4 heures, je ne vais pas tarder à y aller, mon ami. Avant de partir, il faut que tu saches que les objets électriques deviennent défaillants en présence du don. Tu pourras consulter ton téléphone : je ne serais pas étonné qu’il soit complètement déréglé. Nous avons des moyens de communication plus simples. Voici ce qu’on appelle une boîte à encre. Il suffit d’y déposer une lettre et d’énoncer à voix haute le nom de la personne à qui tu veux envoyer ton courrier pour que la lettre atterrisse chez ton destinataire. Quant à la façon dont je t’ai vu à travers la porte, cela fait partie des différentes runes que je porte sur moi, et pour les Terres Infinies, nous aborderons le sujet plus tard. Pour l’instant, je te laisse le temps de digérer tout ce que tu viens d’apprendre ; le choix final te revient. Quand tu seras décidé, il faudra que tu m’envoies ta réponse par boîte à encre. Je te la laisse, c’est un cadeau. As-tu d’autres questions, du moins une question urgente ?
— Quelle est la différence entre un Paladin, un Spadassin et un Éclat ?
— Un Éclat est le plus puissant des guerriers. On les appelle les Éclats car, quand deux d’entre eux combattent, ils atteignent jusqu’à dix fois la vitesse du son et deviennent quasi-invisibles à l’œil humain. Leurs auras magiques restent légèrement perceptibles au moment du fracas de leurs coups. C’est de ces fracas que jaillissent les éclats de leurs auras : un véritable spectacle de lumières, mortel pour ceux qui dansent au rythme des épées et envoûtant pour celui qui en est témoin. Ils sont la fierté de Terre Magique ; seule une centaine est formée chaque année.
— Ils se déplacent à la vitesse du son ? Comment font-ils ? demanda Zayn.
— Ils utilisent le don pour accroître leurs capacités physiques. Un paladin est capable de briser le mur du son, mais n’atteindra jamais la vitesse d’un Éclat ; ne sois pas surpris si tu vois un paladin soulever une pierre pesant plus d’une tonne. L’Éclat, lui, peut soulever des centaines de tonnes aisément.
— Ce sont vraiment des surhommes, rétorqua Zayn, effaré.
— Ce sont le soleil du jour levant et la lune des nuits obscures : les Éclats, répondit Mathias en gonflant le torse et en y frappant du poing.
— Vous en êtes un ? demanda Zayn avec surprise.
— Non, je suis un Paladin : c’est à mi-chemin entre le Spadassin et l’Éclat. Trop puissant pour le premier et trop faible pour jouer dans la cour du deuxième, ironisa Mathias.
— Les Paladins sont moins forts que les Éclats ? surenchérit Zayn.
— Tu découvriras cela à Barbelle ! esquiva-t-il gentiment. Je ne suis pas ton instituteur, finit-il en souriant.
Zayn comprit que la conversation touchait à sa fin. Il ne savait toujours pas ce qu’étaient les Terres Infinies. Mathias avait volontairement passé sous silence le sujet. Il finit par baisser la tête en signe d’au revoir et ajouta :
— Je vous ferai vite un retour. C’est promis.
— C’est entendu. Sache en tout cas que les jeunes dans ta situation en savent généralement moins que toi. Il faudra enquêter sur tes origines pour savoir comment il se fait que le don se déclenche de cette manière chez toi. Je te laisse le soin d’y repenser ; je te donnerai l’adresse à laquelle nous nous reverrons une fois que tu m’auras répondu. Tes appareils électroniques reprendront un fonctionnement normal d’ici quelques heures, mais sache que tu ne pourras pas les emporter avec toi à Terre Magique.
— D’accord, dit Zayn en acquiesçant.
— Et pour finir, si par malheur une des autres écoles te met la main dessus, chose qui serait déplorable pour Barbelle, souviens-toi de cela : le jour où tu devras choisir ton outil magique, prends une canne. Comme l’a dit notre cher ami Buffon : l’homme, c’est le style. Je te conseille le bois de rose ou de cerisier, ils sont assez denses et souples à la fois pour être utilisés au combat. Tu pourras renforcer le matériau de ton choix plus tard par des inscriptions runiques et des charmes, mais attention, les charmes puisent dans ton énergie vitale pour opérer. Si tu es en combat et que celui-ci dure trop longtemps, tu risquerais de te retrouver désavantagé. Bonne nuit.
— Bonne nuit, répondit Zayn à mi-voix, encore sous le choc de sa rencontre.
Mathias claqua des doigts une dernière fois et rendit à la lumière son éclat originel, puis il leva sa canne et la fit tournoyer trois fois. Aussitôt, des bruits de motos et de voitures parvinrent aux oreilles de Zayn ; il entendit une femme fermer ses volets dans l’immeuble d’en face, et son téléphone vibra deux fois. La vie reprenait son cours. Mathias avait réellement figé toute la rue ; il s’en rendait compte maintenant. Cet homme le cachait : il était indéniablement puissant. Il ferma la porte derrière lui, et Zayn l’entendit descendre les marches de l’escalier en face de l’appartement.
Il était maintenant seul, et des milliers de questions fusaient dans sa tête. Celle qui venait en premier des autres était la suivante : qu’allait-il faire de sa vie ? Allait-il décider de tout laisser tomber et de se jeter à bras ouverts vers le rocambolesque ? S’il acceptait de rejoindre Barbelle, il allait devoir quitter Paris, là où il avait toujours vécu, et là où il avait tous ses repères. Il comprenait maintenant pourquoi on lui avait demandé de garder une attache avec le monde normal : c’était pour maintenir un équilibre ou peut-être que la vraie raison lui échappait complètement. Peu importe, les réponses viendront plus tard. Une boule lui nouait le ventre, même chez les doués il n’était pas tout à fait normal : le processus d’arrêt du vieillissement n’était pas censé apparaître aussi tôt. Si le don était une fontaine de jouvence, pour une raison ou pour une autre, il avait été plongé dedans trop tôt. Son visage allait peut-être rester sans barbe pendant encore une centaine d’années, une vraie bête de foire.
Zayn prit son visage entre ses deux mains et essaya de faire le vide dans sa tête. Ce n’était pas plus mal que cela : s’il se moquait de lui, il allait juste falloir qu’il le supporte plus longtemps que prévu. Il était un doué, mais voulait-il vraiment de tout cela ? Il avait un choix à faire : aller vers les universités et vivre normalement comme tous les jeunes adultes de son âge ou marcher vers l’inconnu, apprendre à combattre, à jeter des sorts et voyager vers des contrées lointaines, voire peut-être visiter d’autres mondes et partir en quête de réponses sur son passé. D’après Mathias, il descendait d’une famille de puissants paladins. Pourquoi l’avaient-ils abandonné ? Quelque chose ne s’était pas passé comme prévu… Était-il un enfant illégitime ? Cela se pourrait… Est-ce que cela le dérangeait ? Il n’en savait trop rien. Il s’était toujours imaginé marié à trente ans, mais jamais il ne s’était posé de questions sur sa légitimité. Il avait toujours cru que ses parents étaient trop pauvres pour subvenir à ses besoins, et que par conséquent ils avaient décidé de l’abandonner. Il était convaincu que c’était une chose difficile à faire, mais acceptable car le sort pouvait parfois contraindre les gens à se diriger vers des voies jusqu’alors insoupçonnées.
Sa respiration allait et venait doucement. Il commençait à somnoler et finit par s’allonger sur le dos. La rue du Pont Geignant était bizarrement animée pour un dimanche à quatre heures du matin. Il entendait encore à moitié les véhicules qui traversaient la rue, la télévision du voisin d’en haut, et le bruit du moteur de son réfrigérateur. Il finit par s’endormir de nouveau avec la lumière allumée, la chemise à moitié ouverte et son jean délavé. Il portait encore ses chaussures ; Zayn avait fini par s’effondrer avec. Posés près de sa tête, sur son lit, les restes des dernières victuailles offertes à son invité se battaient en duel dans son assiette.
Au début, je n'ai pas trop compris la réaction de Zayn lorsqu'il a été réveillé par les coups frappés à la porte... Pourquoi cette hostilité alors qu'il avait été prévenu dans la lettre qu'il a reçue de l'arrivée imminente de Mathias ? De la méfiance ne me semble pas illogique, mais de là à se saisir d'un couteau... Par ailleurs, je trouve que Zayn a étonnement bien réagi après avoir été baillônné et solidement attaché... Est-ce dû à un sort "calmant" lancé par Mathias ?
En tout cas, les explications données dans le chapitre sont claires, en quantité suffisante pour donner envie de lire la suite, mais cependant assez bien réparties pour ne pas alourdir le texte.
Si j'avais trouvé évident que ton histoire s'inspirait de Harry Potter dans le prologue, je vois maintenant qu'elle se détache pour suivre son propre chemin.
Je la suivrai avec beaucoup d'intérêt !