Le choix

Notes de l’auteur : Laissez un commentaire et dites moi si pour l'instant l'intrigue vous tient en haleine.

Il était samedi. Zayn ouvrit les yeux vers dix heures du matin. Il resta longtemps allongé en fixant le plafond, laissant ses pensées virevolter librement autour des événements récents tout en redoutant ceux à venir. Il était un doué, il avait rencontré un paladin, et dans deux jours, il devait passer son admission à l’une des universités les plus renommées de France, Paris-Dauphine. L’idée de devoir faire un choix rapidement lui fit abandonner ses derniers espoirs de pouvoir somnoler un peu plus. Zayn avait toujours été courageux dans les moments difficiles : à l’orphelinat, chez ses familles d’accueil, pendant le lycée… mais aujourd’hui, il ne pouvait nier qu’il angoissait à l’idée de se retrouver dans un monde qu’il ne connaissait pas pour poursuivre des études magiques. Qu’allait-il devenir plus tard ? À quoi pouvait ressembler l’Outre-Monde ? Allait-il réussir à trouver sa place ? Qui le soutiendrait dans cette aventure ? Mathias ? Il se posait tant de questions et finit par lentement s’avouer que mener une vie normale le soulagerait en fin de compte.

Qu’est-ce que cela lui coûterait vraiment ? Rien. Il n’avait qu’à se lever, reprendre ses révisions de dernière minute et attendre demain pour oublier toute cette histoire. Il allait même pouvoir garder cette boîte à encre, bien qu’il doutât que son téléphone et son ordinateur puissent la supporter. Cet objet était le moyen par lequel on lui avait demandé de donner une réponse ultime. Avec ça, il pouvait contacter deux personnes : le Lion de Barbelle et Mathias De Fontenais. Pour ce qui est du premier, il n’oserait jamais le contacter sans y avoir été invité, et au sujet du second, il n’était plus sûr de pouvoir tenir sa promesse. Certes, Zayn était un homme de parole, mais celle-ci était difficile à honorer. Sur le moment, lorsqu’il avait promis de revoir Mathias, il ignorait à quel point repenser à tout cela à froid pouvait s’avérer être une épreuve.

D’un côté, voyager dans des contrées inconnues des hommes était une idée effrayante, mais d’un autre, elle éveillait des émotions contradictoires qu’il avait rarement connues. Il était comme enchanté par l’idée qu’un monde magique existe, comme un enfant devant son sapin le jour de Noël, une sorte de légèreté des sens et une quiétude suivie d’une curiosité indomptable l’envahissaient : un monde magique où tout était possible. Il n’avait jamais prêté attention aux livres de fantasy qui parlaient de royaumes des elfes et de magiciens, et avait toujours préféré les classiques de la littérature française. Il n’avait jamais connu cet engouement que les autres jeunes avaient pour la littérature de ce genre, souvent en provenance des pays anglo-saxons. Quelle sensation aurait-il après avoir lancé son premier sortilège, ne serait-ce que le plus simple d’entre tous ? À quoi pouvait ressembler Barbelle et son grand Lion ? Avait-il un lion ou était-ce lui le Lion ? Question bête… C’était lui le Lion. Par quoi commençaient les élèves quand ils démarraient leur éducation, et à quoi pouvait ressembler la culture d’une société organisée depuis plusieurs millénaires ? Quelles étaient les langues que parlaient les doués ? Dans le monde des gens normaux, l’anglais était la langue universelle, était-ce le cas également chez les doués ? L’optique de rejoindre le monde de la magie était alléchante, bien qu’à l’heure actuelle tout ce dont Zayn pensait à ce propos était une série de contre-arguments destinés à le conforter dans l’idée de rester dans son nid douillet pour encore de longues années. Allait-il avoir le courage d’accepter l’offre de Mathias ? Telle était la question du jour.

Il finit par se lever et tourna longtemps en rond dans son appartement, sans rien avaler pendant une heure et sans même faire sa toilette. La fenêtre était restée ouverte, il s’en approcha et huma l’air matinal de Paris. Hélas, cela ne suffit pas à le tirer de sa torpeur, et c’est avec plusieurs plaintes silencieuses manifestées par de légers sifflements à l’égard de sa paresse que Zayn finit par faire sa toilette nonchalamment et entama un rangement de son appartement. Il remit les livres qui jonchaient le parquet dans sa mini-bibliothèque fixée au mur, fit son lit puis s’attaqua à la vaisselle. Il prit une douche et décida par la suite de sortir marcher le long de sa rue. Il s’arrêta chez l’épicerie tout au bout pour acheter des œufs et récupéra une baguette chez le boulanger du quartier, plusieurs rues plus loin.

S’occuper des choses simples de la vie l’avait toujours aidé à faire le vide, et il en avait conscience. C’est en s’attelant à sa petite routine du 17 rue du Pont Geignant qu’il finit par retrouver cet équilibre intérieur que lui procurait la solitude, cet équilibre teinté de silence qu’il avait toujours chéri au plus profond de son être. Il alluma son ordinateur et mit un tube de house des années 1993, Hardrive : Deep Inside. Il mit les œufs à cuire sur la poêle, se fit un thé à la menthe, improvisa deux pas de danse et jeta un coup d’œil furtif à la boîte à encre. Il avait envie de contacter Mathias et de lui poser des questions, mais il savait qu’il ne pouvait lui envoyer une lettre si ce n’était pour lui demander l’endroit de leur rendez-vous. Il finit par se rendre à l’évidence : mieux valait pour lui qu’il s’occupe de ses œufs plutôt que de se torturer l’esprit. Il finit par mettre de côté Mathias, ajouta de l’huile d’olive dans la poêle, puis se découpa une tranche généreuse de fromage qu’il mangea de bon cœur, accompagné d’un verre de thé et d’un bout de baguette au sésame.

Les petits plaisirs simples de la vie pouvaient avoir un effet tellement bon sur l’humeur et le moral. Zayn avait pu le remarquer à maintes reprises. Il suffisait par exemple qu’il écoute un bon morceau de musique ou qu’il sorte marcher seul autour du quartier pour venir à bout du plus difficile des spleens. Il finit son assiette en prenant bien le temps de tremper son pain dans le jaune d’œuf, puis se demanda avec avidité quel goût pouvait avoir la cuisine sur Terre Magique. D’ailleurs, en pensant à Terre Magique, il se demanda pourquoi Mathias en parlait comme s’il s’agissait d’une autre planète. S’il avait bien compris, Terre Magique n’était que la partie cachée de la Terre dans laquelle vivait la communauté des doués. Plusieurs villes étaient cachées aux yeux des humains, et d’autres mondes existaient. Ce n’avait pas été un choc de découvrir que, quelque part dans l’univers, plusieurs planètes formaient le territoire d’Outre-Monde. Ce qu’il ne comprenait pas, c’était comment les doués s’y prenaient pour voyager à travers l’univers. Voyageaient-ils par soucoupe volante ? C’était impossible. Les installations électriques ne résisteraient pas au don qui émanerait des voyageurs. Il y avait donc un autre moyen. Les Terres Infinies étaient sûrement la solution au problème.

Depuis que Zayn avait lu la lettre du Lion de Barbelle, il n’avait cessé de penser aux Terres Infinies et à ce qu’elles pouvaient représenter. Plus que cela, il était persuadé que ce nom avait une signification bien spéciale et qu’il était quelque part concerné par le sujet. Zayn ne pouvait s’empêcher également de penser à ce que pouvait ressembler une vie normale dans un monde sans magie. Il redoutait avec une intensité grandissante l’idée de vivre comme un bureaucrate avec pour habit celui de la honte… Honte d’avoir tourné le dos à quelque chose d’aussi exceptionnel, quelque chose que les gens seraient prêts à payer des millions pour avoir.

Plus la journée avançait, plus il se rendait compte de l’évidence : il ne rejoindrait pas les universités du monde normal cette rentrée de septembre. Il fallait juste un élément déclencheur pour lui donner le courage d’envoyer cette lettre à Mathias. Il ne savait pas à quel moment le déclic avait eu lieu. Peut-être était-ce au moment où il finit de manger ses œufs qu’il comprit que sa curiosité ne le laisserait jamais retourner à une vie normale ? Ou peut-être que quelque chose avait changé en lui lorsqu’il tournait en rond ce matin dans son appartement ou encore, était-ce la douce violence avec laquelle Mathias s’était imposé à lui hier soir, douce violence qui lui avait happé l’esprit, une violence aux allures doucereuses ? La manière dont il avait été ligoté lui avait, de force, montré que la magie était puissante. Avec la magie, quelqu’un pouvait contraindre un individu à sa volonté. Mais qu’importe si cette brutalité lui avait ouvert les yeux de force sur la puissance de la magie, jamais il ne l’utiliserait pour faire le mal. Il en était certain. Comment avait-il été convaincu de se lancer dans l’aventure ? Il n’en savait rien, une graine avait été plantée dans son jardin secret, et qu’il le veuille ou non, certaines personnes veilleront à ce qu’elle soit arrosée.

Même s’il décidait de reprendre une vie normale, il ne pourrait jamais expliquer aux autres qu’il ne vieillissait pas ; il serait contraint de se cacher voire de changer d’identité et de ville tous les quinze ans. Vivre trois cents ans de plus devait changer la façon dont on perçoit le monde, même pour un sorcier ou, qu’importe à quelle affiliation du don appartenait un doué, vivre longtemps devrait être une expérience profonde qui aurait un véritable impact sur la manière de penser d’une personne : vivre assez longtemps pour voir un arbre pousser sur des siècles, être le témoin du changement qui s’opère au sein de la société, de l’évolution des mœurs et des hommes qui façonnent l’histoire. C’était quelque chose qui poussait à la méditation… Comment penserait-il dans deux cents ans ? Aurait-il toujours les mêmes goûts ? Serait-il toujours un solitaire ? Ou finirait-il par prendre plaisir à la compagnie des gens ?

Zayn tira un tabouret, prit une feuille et un stylo. Il fixa longtemps la page vierge et se demanda si Mathias savait d’avance qu’il ne résisterait pas plus d’un jour à son appel. Il écrivit avec lenteur, comme pour se délecter de ce moment. La peur l’avait quitté pour ne laisser place qu’à une hâte mêlant le plaisir à l’adrénaline. Il allait vivre dans le monde de la magie, il allait lâcher prise, voyager, apprendre, œuvrer pour le bien et faire plein d’autres choses extraordinaires. Une certitude s’était installée en lui : il ne regretterait pas ce choix, et il avait même la possibilité de garder son appartement. Il aimait son appartement, c’était son premier nid douillet, son havre de paix, loin des regards inquisiteurs, du chahut des orphelinats et du stress que la vie parisienne pouvait parfois imposer.

Il tourna rapidement la tête vers sa table de chevet et repéra la chaîne que lui avait donnée Mathias. Les symboles tournaient à toute vitesse et certains d’entre eux étaient devenus rouge vif, comme s’ils avaient été posés sur la braise. Il se saisit avec précaution de la chaîne, de peur de se brûler avec les symboles en feu, mais celle-ci était froide. La chaleur devait être contenue par de la magie, car lorsqu’il passait ses doigts sur les runes en feu, il ne sentait rien. Même si Zayn ne connaissait rien à la magie, il comprit que les autres écoles le cherchaient aussi et qu’elles étaient proches de le trouver. La vitesse à laquelle les runes changeaient n’était pas un bon présage. Il n’avait aucune envie d’aller étudier en Asie ou en Amérique, c’était trop loin de chez lui, puis il ne parlait pas bien l’anglais. Aussi, il ne voulait pas voir de nouveaux étrangers débarquer chez lui à l’improviste. Qui sait ? Peut-être qu’ils n’étaient pas aussi bien intentionnés que Mathias ? Il s’était attaché à lui, même si celui-ci y était allé trop fort en le bâillonnant, il dégageait un sentiment de bienveillance auquel Zayn n’avait eu droit que peu de fois pendant sa courte vie.

Il fit tourner le stylo plusieurs fois autour de ses doigts, puis se décida enfin à coucher sur le papier ses premiers mots :

« Bonjour Mathias,

J’espère que vous allez bien. Je suis prêt à vous revoir quand et où vous voudrez ! En attendant, je ne peux m’empêcher de vous poser la question suivante : pouvez-vous m’en dire davantage sur les Terres Infinies ?

Dans l’espoir que ce message arrive vite chez vous,

Zayn Mistrot »

Zayn avait fait court, il ne voulait pas importuner son lecteur par de longues phrases sans queue ni tête. Par contre, il n’avait pas pu s’empêcher de cuisiner Mathias au sujet des Terres Infinies, cela l’obsédait. Maintenant qu’il y réfléchissait à tête reposée, il se rendait compte de nouveau qu’il était sûr d’avoir déjà entendu ces termes, mais il ne savait pas où exactement. Le plus bizarre était qu’il n’avait jamais entendu parler du monde de la magie avant et que les personnes qu’il avait toujours fréquentées étaient des sans-dons. Comment se faisait-il alors que le nom « Terres Infinies » résonnait sans arrêt dans sa tête ? Il plia la lettre en deux, la déposa à l’intérieur de la boîte à encre, et referma le couvercle. Il hésita un instant, puis inspira et dit haut et clair :

— Mathias De Fontenais.

Un léger bruit d’aspiration provenait de l’intérieur de la boîte. Zayn l’ouvrit aussitôt et sourit avec satisfaction en voyant que son papier avait disparu. Mathias avait bien reçu son courrier. Il allait maintenant devoir attendre le reste de la journée pour que son visiteur nocturne lui réponde. Zayn se retourna vers l’entrée de son appartement comme pour repérer l’endroit où la lettre pourrait potentiellement apparaître et sursauta en voyant sa propre lettre pliée en deux, sous le seuil de la porte. Il s’approcha du papier avec hâte et le saisit : les mots suivants étaient écrits au dos à l’encre noire :

« Rendez-vous dans une heure au métro Bir-Hakeim, près de la tour Eiffel.
Mathias »

Zayn sauta vers sa table de chevet, déposa son téléphone et la lettre, éteignit son ordinateur et mit son assiette dans l’évier. Il changea son polo et opta pour une chemise plus soignée. Il allait peut-être rencontrer des gens de Barbelle, et il voulait donner une bonne image. Il passa la main dans ses cheveux pour s’assurer qu’ils étaient toujours correctement coiffés et sortit aussitôt. Il dévala les marches de son immeuble et se mit aussitôt en route pour Bir-Hakeim. Le trajet ne lui prit pas plus de quarante minutes ; il était arrivé en avance, mais Mathias l’y attendait déjà.

— Te voilà enfin ! dit-il avec un sourire radieux. J’ai cru que tu ne reviendrais jamais vers moi.

— Vraiment ? Et moi qui croyais que vous étiez sûr de votre coup, s’étonna Zayn.

— Tu peux me tutoyer, lui répondit-il. Non, je n’étais absolument pas sûr que tu reviendrais vers moi. Qui sait, tout ceci pourrait effrayer le plus courageux des hommes.

— Vous recevez souvent des refus de la part de doués qui souhaitent vivre parmi les gens normaux ? demanda Zayn.

— Marchons, veux-tu ? Nous discuterons sur le chemin, répondit-il aussitôt, content que celui-ci lui pose des questions.

Zayn se mit en marche et Mathias reprit :

— Oui, cela peut arriver que quelqu’un veuille rester vivre parmi les sans-dons. Mais ils acceptent généralement de continuer à recevoir du courrier du monde magique afin de s’éduquer et d’apprendre à cacher leurs pouvoirs qui peuvent par moment se manifester contre leur gré. On leur fournit des faux documents lorsqu’ils souhaitent changer d’identité, car ils ne vieillissent plus. Dans la plupart des cas, passé les cent ans, ils finissent par rejoindre des académies moins connues pour recevoir une formation de paladin ou de sorcier.

— Jamais d’éclat ?

— Jamais. Hélas, lorsque le don n’est pas cultivé dès la fin de l’adolescence, celui-ci s’exprime, mais son potentiel baisse : le lien qui unit la personne au don finit par faiblir petit à petit, sans jamais toutefois disparaître. Il faut voir le don comme quelque chose qui existe en toute chose, il suffit juste de se tourner vers ce pont qui nous unit à lui. Certains le perçoivent comme les doués, mais d’autres y restent aveugles, ce qui est le cas des sans-dons…

— Je comprends mieux, dit Zayn.

— En parlant d’aveugles, mets ces qui-voit-tout...

Mathias lui tendit une monture de lunettes sans verres, taillées dans du bois grossièrement et attachée à un fil destiné à être passé autour du cou. Zayn les enfila et lâcha un son aigu lorsqu’il leva la tête. La station de Bir-Hakeim comportait un deuxième niveau supérieur qui était invisible la seconde d’avant. La construction s’élevait en hauteur au-dessus de sa tête, et des escaliers, à la place d’un mur, venaient d’apparaître près de l’ascenseur.

— Bien que tu puisses maintenant voir les endroits dédoublés, tu ne peux toujours pas y accéder. Mets cet anneau, tu peux le garder, on en donne à chaque nouveau doué qui découvre ses pouvoirs. Tu pourras franchir l’escalier avec.

Zayn acquiesça mais était encore sous le choc. La partie supérieure de la station de métro était construite exactement de la même manière. Il tourna la tête pour voir où les rails du niveau magique finissaient après avoir quitté la station, et il cria de surprise en voyant que les rails flottaient dans les airs, immobiles comme s’ils étaient soutenus par une quelconque structure. Le niveau magique était construit symétriquement au premier, le thème du métro de Paris avait été conservé.

Mathias respecta ce long moment de silence durant lequel son protégé découvrait Terre Magique et décida de garder le silence en attendant que celui-ci quitte ses pensées. L’espace d’un instant, Zayn était redevenu le jeune enfant naïf qu’il était lorsqu’il avait encore six ans, et demanda à son guide :

— Qu’est-ce qu’un endroit dédoublé ?

— C’est difficile à expliquer. Imagine qu’à chaque endroit magique un enchantement extrêmement puissant est lancé et dédouble l’endroit. Dès lors que cet enchantement est lancé, cet endroit se multiplie en deux. Une partie est visible et accessible à tout le monde, et une autre est réservée à l’usage unique des doués. Les passages secrets et les constructions qui ont lieu dans l’espace dédoublé ne sont visibles que par les doués. Par exemple, un morceau de terrain vide pourrait être dédoublé, et si un doué y pénètre, il entre dans une dimension alternative mais similaire du terrain. Dès lors, toutes les modifications que tu réalises sur ce terrain dédoublé ne seront visibles que par les doués. Seuls les éclats et enchanteurs peuvent réaliser cet acte magique, et sa science est extrêmement difficile à acquérir. Il faut beaucoup de pratique, de temps et d’expérience pour pouvoir réussir à dédoubler un espace. Tu ne maîtrises pas encore le don de manière « constante ». S’il s’exprime chez toi de manière spectaculaire, il reste irrégulier : ton corps ne vieillit pas, mais pourtant tu as la musculature d’un athlète de trente ans. Tu peux utiliser une boîte à encre, ce qui est à la portée de tous, mais tu es encore incapable de concentrer le don dans tes yeux pour pouvoir voir ce que les autres ne voient pas. Tu dois dompter le don qui influe en toi, mais prends garde, le don en soi est infini ; en canaliser trop te brûlera et tu finiras par imploser. Tu apprendras ça à Barbelle.

Zayn ne s’inquiéta pas un instant. Pour l’instant, il ne savait même pas comment fonctionnait le don, alors pour ce qui était de brûler, ce n’était pas pour maintenant.

— Combien de temps faudra-t-il pour que je puisse voir les choses invisibles sans lunettes ? demanda avidement Zayn.

Mathias le regarda en souriant et répondit le plus délicatement possible :

— Ça n’a pas vraiment d’importance, tu sais ? Tu peux garder ces lunettes le temps qu’il faut. Les jeunes qui ont grandi parmi les familles de doués voient déjà ; ils ont pour la plupart la capacité de lancer des sorts simples et de renforcer certaines parties de leurs corps. Pour toi, il te faudra entre une semaine et un mois pour apprendre à voir.

Zayn hocha la tête, pas le moindre contrarié au monde, et se tourna vers l’escalier :

— Vous êtes sûr que je ne vais pas tomber dans le vide en essayant de prendre ces escaliers ? dit-il avec angoisse.

— Il n’y a aucun risque. Ces anneaux sont extrêmement puissants, ils sont forgés dans du métal enchanté. Seul un enchanteur peut produire ces artefacts, ils sont sans faille.

— D’accord, allons-y alors !

Zayn commença à se diriger vers l’escalier en béton et se retourna vers un passant. Il était commun à Paris que les voyageurs qui empruntent le métro ne se prêtent pas attention, mais il n’arrivait pas imaginer comment se pouvait-il qu’ils ignorent deux personnes passant à travers un mur en béton. Ils ne voyaient pas l’escalier dédoublé. Zayn se tourna vers Mathias :

— N’y a-t-il pas de risque qu’on nous remarque ?

— Tu ne remarques pas que personne ne nous regarde ? demanda Mathias.

— Oui, mais le métro parisien est connu pour ça, personne ne te regarde même si tu te mettais à chanter à tue-tête au milieu de tout le monde.

— Ils ne peuvent pas nous remarquer, ils sont ensorcelés à l’approche des lieux dédoublés. Les sorts, magie et enchantements déployés pour protéger les doués sont redoutablement efficaces. Même s’ils fixaient sans cligner des yeux le mur en béton, ils ne nous verraient pas.

— D’accord, nous ne craignons rien dans ce cas-ci, répondit Zayn, plus pour se convaincre qu’il ne passait pas pour un fou qu’autre chose.

— Tout à fait, lui dit Mathias en indiquant l’escalier de la main.

Zayn s’avança et prit l’escalier qui menait au niveau caché de Bir-Hakeim. Il était identique, comme deux gouttes d’eau, à celui du monde normal si ce n’est que la rambarde était en rouge vif. Zayn ne put s’empêcher de passer la main sur la matière colorée, puis continua à gravir les marches en compagnie de Mathias. Le sol était extrêmement propre, la peinture des murs semblait presque encore fraîche. L’atmosphère dégageait une impression de neuf et de propreté. Zayn en était stupéfait. Arrivé à la dernière marche, un vieux train à quai attendait les passagers. La station était faite de carrelage bleu et blanc comme l’ensemble des stations de métro parisien, et un petit kiosque portant l’enseigne « Le café magique » accueillait les clients sur la rame de métro. Zayn s’en approcha et vit que les prix étaient affichés en centières, et que plein de noms curieux se déroulaient sur les menus à disposition des clients : café dansant, café de la mine d’Arbès, café aux épices, latté d’Atlantide, Choco-Michaud, le volcan d’Afrique et plein d’autres… Mathias s’approcha de Zayn et lui tendit une pièce de 10 centières. Une épée et un marteau étaient frappés sur la pièce et la face d’une personne se trouvait sur l’autre côté de la pièce. Zayn s’approcha de la pièce et resta bouche bée en voyant que le personnage lui adressait un clin d’œil.

— C’est Hector À La Baie, dit Mathias en réponse au silence de Zayn, un célèbre enchanteur connu pour avoir occupé le premier siège dans des temps difficiles pour Terre Magique. Les pièces sont frappées à l’effigie des grands personnages du monde des doués. L’épée est le symbole des éclats et le marteau celui des paladins.

— Les Spadassins ne sont pas représentés ? demanda Zayn.

— Sur certaines pièces de dix, oui. Est-ce que tu veux prendre un café ?

— Oui, fit-il en se tournant vers le menu avec une mine perdue…

Mathias éclata de rire et vint à son secours :

— Demande-leur un « café de Paris-Légère ».

Zayn s’exécuta et s’approcha du vendeur vêtu d’un tablier rouge vif, comme les rambardes de l’escalier caché. Il avait le front dégarni mais affichait une mine joviale avec un sourire encourageant :

— Jeune homme ? dit-il d’un ton enjoué.

— Bonjour, j’aimerais un « café de Paris-Légère ».

L’homme sourit de nouveau et répondit à Zayn :

— Première fois chez nous ?

— Oui, c’est la première fois que j’achète un café chez vous, répondit Zayn naïvement.

— Non, je voulais dire : est-ce la première fois que vous venez sur Terre Magique ?

— Comment avez-vous deviné ? répondit Zayn, mal à l’aise et étonné à la fois. Il ne voulait pas qu’on se moque de lui ou du fait qu’il venait du monde normal.

Zayn comprit alors que ce café devait être réservé à ceux qui avaient l’habitude de ce qui se buvait communément dans le monde des sans-dons. Ça devait être une appellation différente pour un café allongé, et il oubliait aussi qu’il portait des qui-voit-tout. Seuls les jeunes ayant grandi dans le monde des sans-dons en portaient.

— Oui ! C’est la première fois, se reprit Zayn. Le vendeur ne semblait pas le moindre du monde dérangé par la présence de Zayn, ce qui rassura celui-ci.

— Un conseil, prenez votre temps pour découvrir le meilleur de Paris Magique. Je vois que vous êtes bien accompagné. Bonjour, continua-t-il en se tournant vers Mathias. Ça faisait longtemps que je ne t’avais pas vu dans le coin, tu es bien occupé à ce que je vois !

Mathias s’avança vers le comptoir de la boutique :

— Bonjour Thomas, un « volcan d’Afrique », s’il te plaît. Effectivement, aujourd’hui j’accompagne ce jeune homme pour sa première fois sur Paris Magique. Et toi, comment va la boutique ?

— Tout de suite pour ton volcan ! Je te souhaite bien du courage alors, répondit-il en s’activant.

Thomas murmura une formule magique inaudible et les gobelets jaillirent de l’armoire en dessous des panneaux affichant les prix, pour finir directement dans la machine à café.

— Les affaires vont plutôt bien, Mathias, reprit le vendeur, mais je ne te cache pas que je ne sais pas si ça va durer comme ça.

— Pas aujourd’hui, Thomas… dit Mathias, impassible.

Mathias s’approcha de Zayn et le tira par la manche. Le cafetier haussa les épaules et servit les deux boissons. Il ouvrit la bouche pour répondre, mais Mathias fut plus rapide que lui :

— Bonne journée, Thomas. Merci pour le café. Allons-y, termina-t-il en s’adressant à Zayn.

Zayn n’était pas étonné que Mathias lui cache des choses, il devait sûrement vouloir le protéger, c’est pour cette raison qu’il n’insista pas. D’après ce qu’insinuait le vendeur de café, les choses n’étaient pas aussi roses que le décrivait Mathias. Terre Magique traversait peut-être une crise économique ? Ou était-ce seulement Paris Magique qui était touché ? Il n’en savait rien, mais il voulait éviter le sujet. Zayn sentait que son guide souhaitait que les choses se passent de la manière la plus parfaite possible. Mal à l’aise pour son compagnon, il décida de changer vite de sujet :

— Ainsi, c’est comme ça que Barbelle se cache ? Par dédoublement, fit-il l’air de rien.

— Oui, toute Terre Magique est voilée aux yeux du monde. Il faudrait que tu voies Atlantide, c’est un véritable bijou architectural. Haussmann en personne s’est occupé du réaménagement de la ville.

— Haussmann en Atlantide, comment est-ce possible ? répondit aussitôt Zayn, dont la curiosité avait été piquée.

— Il faut que tu comprennes que le monde des sans-dons a été en quelque sorte mis en surveillance dès lors que les doués ont décidé de se retirer aux yeux de la planète. Ce n’est pas le cas sur l’Outre-Monde, où les sans-dons sont insérés au sein de la communauté magique. Les choses sont différentes ici, pour une raison que nous ignorons, les humains ont une tendance à dériver rapidement sans la surveillance des doués. L’ordre doit être préservé, les habitants de notre monde ne sont pas encore assez matures pour assurer leur propre pérennité. L’environnement doit être protégé, la liberté des minorités doit être préservée et les guerres doivent être évitées. C’est pour cela que la magie a été apportée dans ce monde. Pour cela, les doués rejoignent le monde normal par milliers chaque année dans l’espoir de faire régner l’ordre. Ne t’étonne pas si de grandes personnalités comme César au temps des Romains, Haussmann, Louis XV, et de grands musiciens comme Aznavour étaient en fait des doués cachés. Ils ont tous simulé leur vieillesse et leur mort, bien sûr, mais chacun a profité des quarante années qu’il avait afin d’œuvrer pour la paix et pour les libertés des uns et des autres.

Zayn était cloué sur place, il allait devoir refaire l’histoire du monde afin de comprendre réellement ce qui s’était passé ces deux derniers millénaires. Le monde tel qu’il le connaissait allait changer à jamais.

— César était un doué ? demanda-t-il.

— Oui, César était un doué extrêmement puissant, un éclat qui a dédié sa vie à des idéaux qui étaient singulièrement révolutionnaires à l’époque. C’était l’époque où les oracles, qui étaient pour la plupart des mages, commençaient à se retirer de la société romaine pour progressivement laisser les hommes à leurs affaires. César, le premier du nom, a pris le pouvoir à une époque où les voisins de l’empire romain étaient pratiquement tous des États dirigés par des humains en quête de terres et de gloire. Il les a tous terrassés et a imposé la paix sur son empire. Toutefois, conformément à nos lois, il s’était interdit d’utiliser ses pouvoirs.

— N’y avait-il pas un autre moyen pour installer la paix ? Ne pouvait-il pas tout simplement ensorceler ses ennemis ? fit Zayn, horrifié.

— Je vois que tu commences à réfléchir de la bonne manière, dit-il en lui envoyant une bourrade. Il faut une licence pour pouvoir manipuler l’esprit d’un sans-don. Les postes à responsabilité au sein du monde normal sont obtenus avec autorisation du conseil de l’ordre, avec pour unique condition que le sans-don qui va être remplacé soit capable de supporter la manipulation de son esprit. Dans le cas contraire, nous œuvrons en passant par les voies normales pour atteindre le but recherché.

Zayn écoutait sans faire un son, il était captivé par les explications de Mathias.

— Admettons que l’on veuille, par exemple, installer un paladin à un poste qui lui permettrait d’exercer un certain pouvoir sur la politique d’un pays comme l’Espagne. Dans le cas où le sans-don occupant ce poste ne serait pas capable de supporter qu’on altère son esprit de façon à lui faire quitter son poste, il faudra passer par une campagne politique normale pour accéder à son poste, quitte à gravir les échelons durant de longues années.

— Comment vous y prenez-vous pour être sûrs que le doué souhaitant intégrer le monde normal le fait bien par altruisme ? demanda Zayn d’un air soucieux.

— Une très lourde enquête est menée, les objectifs du doué doivent être clairs dès le début : quelle est la cause qui le pousse à vouloir vivre parmi les sans-dons ? Est-ce la paix, l’écologie et l’environnement, le combat contre l’insécurité, la volonté de vouloir préserver les libertés individuelles ? Quel est son but ? Une fois que nous avons la réponse à toutes ces questions, nous établissons un suivi rigoureux de sa progression au sein de la société en nous assurant que ses objectifs initiaux soient traités en priorité. Il n’est bien sûr pas interdit de vouloir mener une vie parmi eux, il faut juste s’assurer que nos pouvoirs ne soient pas utilisés à mauvais escient.

Zayn hocha la tête. On pouvait ainsi mener une double vie, et rien ne l’empêcherait plus tard de vouloir monter sa propre entreprise dans le monde normal. En fait, il ne s’était pas coupé de son monde, il avait agrandi les choix possibles pour sa vie future. Il s’en réjouissait. Mathias aurait dû commencer par lui dire cela dès le premier soir. Ça lui aurait évité de se torturer avant de lui avoir envoyé sa réponse finale.

— Que se passe-t-il si jamais la personne ne peut être manipulée et qu’une urgence a lieu ?

— Nous utilisons les voies normales : les tribunaux, les institutions politiques, les ONG afin d’atteindre notre objectif. Il peut parfois y avoir une certaine lenteur. Par exemple, nous avons vraiment eu du mal à stopper la Guerre froide dans les années 80, mais nous avons finalement réussi. Nous avons toujours essayé d’empêcher les bains de sang. Les croisades, la guerre de Cent Ans, la Guerre froide, c’était nous à chaque fois qui œuvrions pour empêcher ces guerres de se prolonger. Le résultat était plus difficile à atteindre qu’en temps normal, car la manipulation des esprits n’était pas possible, mais nous avons tout de même utilisé nos pouvoirs dans la limite du possible. La Première Guerre mondiale et la Seconde sont l’exemple de ce qui se passe lorsque nous laissons les sans-dons sans surveillance. Nous avions pendant ce temps un conflit plus grave encore dans le monde des doués. Malgré tous nos efforts au cours de l’histoire, nous n’avons toujours pas réussi. Par exemple, il nous a fallu des siècles pour abolir l’esclavage. Et je t’avouerai que les grandes personnalités qui ont contribué à combattre le racisme, telles que Rosa Parks et Nelson Mandela, étaient des sans-dons. Nous avons eu aussi nos conflits internes qui ont nécessité que nous nous concentrions sur nos propres problèmes. La guerre contre les Fines Lames a causé beaucoup de soucis à la communauté magique.

— Qui sont les Fines Lames ? demanda Zayn.

— Ce sont des extrémistes qui, jadis, vécurent parmi nous. Advar Castier en était le chef. Parler des Fines Lames est un tabou dans notre société, on essaye de ne plus en parler aux nouvelles générations dans l’espoir de faire disparaître ce pan de l’histoire. Les idéaux qu’ils ont véhiculés étaient dangereux, l’esclavagisme des sans-dons n’a jamais été toléré au sein de la communauté magique, c’est pour cette raison qu’une guerre a eu lieu le siècle passé. Ils projetaient également de conquérir l’Outre-Monde. Cette guerre était terriblement sanglante et a eu lieu dans les Terres Infinies. Beaucoup de doués sont morts… Par millions… C’est notre plus grand désastre.

Zayn resta silencieux un long moment, l’histoire de Terre Magique était passionnante. Les doués n’ont jamais vraiment quitté le monde normal, ils ont continué à veiller sur lui, cachés de là où ils peuvent intervenir en cas de besoin. Zayn se rendait de plus en plus compte qu’il n’allait peut-être pas quitter son monde définitivement, il pourrait peut-être revenir et œuvrer pour la paix comme ses prédécesseurs. Le monde avait besoin d’un gardien de plus ; maintenant qu’il savait de quoi étaient capables les doués, les gens normaux lui semblaient fragiles. Ils avaient besoin de protection et d’être entourés des plus bienveillants.

— Grimpons dans le train, c’est le deuxième que nous ratons, dit Mathias en buvant une gorgée de son breuvage. Il fit la grimace en avalant puis sourit en se léchant les lèvres…

Zayn but une gorgée de son café parisien et tourna la tête vers le train qui se trouvait à quelques mètres de l’endroit où il se tenait. Un pan de vapeur s’échappa du haut de la locomotive et un coup de sifflet retentit.

— Les trains sont à vapeur ? demanda Zayn avec entrain.

— Oui, les machines électriques se dérèglent. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’appareils sophistiqués en Terre Magique, ils fonctionnent au don et sont très coûteux à fabriquer. Seule une minorité s’en sert.

Zayn s’avança et entra à bord du train de couleur noire. Le sol était en parquet, et l’intérieur du train était fait en bois sombre parfaitement ciré. On retrouvait les mêmes rambardes rouge vif qu’à l’entrée du niveau deux de Bir-Hakeim. Les sièges étaient confortables et ressemblaient plus à des fauteuils qu’à des sièges de train ; en fait, tout le train ressemblait à une première classe d’avion. Les sièges étaient espacés, et des petites tables étaient mises à disposition de chaque voyageur.

— Ce train date du début du XIXe siècle mais a été rénové au début des années 2000. Mets-toi à l’aise…

Une douce odeur florale régnait dans l’air, et quelques voyageurs étaient assis dans le wagon. Les fenêtres du train donnaient sur le seizième arrondissement de Paris. Zayn ne put s’empêcher de regarder une dernière fois sa ville de cœur avant de s’enfoncer sous terre. Le sifflet retentit une deuxième fois, puis le train s’avança lentement en ligne droite et entama une montée sur un troisième niveau avant de commencer à redescendre, roulant sur les rails suspendus en l’air qui donnaient sur le boulevard de la Tour Eiffel, et accéléra en redescendant à toute vitesse vers une statue de pierre construite à même un des ronds-points du boulevard. Le train traversa la statue et ralentit une fois de l’autre côté, dans un tunnel qui s’enfonçait sous terre. Zayn se crispa légèrement au moment où le train traversa la statue de pierre, et se détendit lorsqu’il se rendit compte que c’était un passage secret menant vers un réseau de rails caché sous Paris. Mathias posa sa main sur l’épaule de Zayn et lui dit :

— Nous arriverons à destination dans environ trente minutes. Paris Magique se situe à dix kilomètres sous terre. En attendant, n’hésite pas à te lever pour visiter le train. Il me semble qu’il y a un wagon dans lequel tu peux te restaurer.

Zayn acquiesça silencieusement, il préférait rester assis et repenser à tout ce que Mathias lui avait appris sur le quai de Bir-Hakeim. Le monde de la magie lui semblait tout d’un coup tellement vaste, il venait à peine d’y poser les pieds et il se rendait compte combien le chemin allait être long. Zayn se souvint de ce que le barista lui avait dit avant de le servir : il fallait qu’il prenne son temps et qu’il savoure chaque minute. Mathias finit sa boisson, puis fit une grimace en avalant la dernière gorgée :

— Le fond des volcans d’Afrique est toujours difficile à avaler, mais ça revigore. Nous allons rendre visite à une vieille connaissance, puis nous irons acheter ta canne. Je tiens personnellement à ce que tu en achètes une.

— D’accord ! dit Zayn en observant la sienne.

Cela ne le dérangeait absolument pas d’acheter une canne, il était d’ailleurs content de se faire conseiller par quelqu’un qui s’y connaissait en la matière. Mathias fourra la main dans son tweed gris et en sortit une feuille blanche soigneusement pliée. Il y posa une pièce de dix centières et dit à l’attention du papier les mots suivants :

— La nouvelle du soir !

La pièce disparut, et aussitôt des lettres et des images apparurent sur la feuille, et les mots suivants pouvaient être lus en tête d’affiche : « Le conseil suspend à l’unanimité les voies infinies pour trois jours ». L’image en dessous du titre montrait une sorte de parlement où des hommes et femmes portant un chapeau haut de forme et des robes noires s’exclamaient en frappant de la main les tables. Mathias approcha sa canne de la feuille et tapota deux fois dessus, l’image s’anima. Zayn n’en croyait pas ses yeux. Il voulut s’approcher pour mieux voir, mais Mathias lui intima :

— Désolé, mais je ne peux pas te laisser lire les journaux pour l’instant. Tu recevras ta première lecture lorsque tu arriveras à Barbelle. Il te sera libre de parcourir l’ensemble de la presse du monde magique, si tu le souhaites, bien sûr.

— Mathias, pouvez-vous me dire ce que sont les Terres Infinies ? demanda Zayn en retenant son souffle.

— Je regrette, je sais que tu meurs d’envie d’en savoir plus, mais le protocole veut que tu découvres ça à l’école. Par le passé, des idéaux dangereux ont été véhiculés sur les Terres Infinies à de jeunes élèves trop curieux, c’est pour cette raison que nous avons décidé que de nombreux sujets comme les Terres Infinies soient abordés à l’académie.

— Je comprends, dit Zayn.

Si Zayn était déçu, il n’en montra rien. Il choisit de laisser son guide lire son journal tranquillement, puis tourna la tête vers la fenêtre donnant sur les profondeurs de Paris. Il ne put s’empêcher de remarquer que sa lecture (c’était comme ça qu’il l’avait appelée) avait maintenant plusieurs pages avec une reliure, comme un magazine. Il tourna la tête et se laissa tranquillement bercer par le rythme régulier du train à vapeur qui avançait vers Paris Magique. Il plongea la main dans sa poche et saisit la chaîne enchantée que lui avait donnée Mathias. Les runes en feu avaient disparu, et les inscriptions étaient redevenues immobiles. Il était maintenant hors de portée des autres académies du monde magique. Tant mieux, il ne savait pas pourquoi, mais il s’était déjà attaché à Barbelle et à son Lion. Il n’avait jamais mis les pieds à l’école, et pourtant il avait un bon pressentiment à l’idée de commencer ses études dans cet établissement. Peut-être que cela était dû à Mathias et à la manière dont il avait su lui dépeindre le monde des doués ? Il n’en savait trop rien, il voulait juste conserver ce sentiment jusqu’à ce qu’il arrive à destination. Une vague de senteur le frappa de plein fouet cette fois, ça sentait le jasmin, la lavande et la camomille ; la senteur dura un moment puis finit par s’évanouir.

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Mayllis B
Posté le 07/09/2024
J’ai beaucoup apprécié les différentes questions que vous mettez en évidence au sein même de la narration, on peut vraiment suivre l’état d’esprit du personnage de cette façon, toutes les inquiétudes dont il est l’objet.
Peut-être corriger votre phrase : « il se posait tant de questions et finit par lentement s’avouer… » Elle est assez longue (ce n’est pas le problème en soit) mais quelques marques de ponctuation la rendrait plus fluide. « Et » n’est peut-être pas la meilleure préposition pour relier les deux morceaux de phrase. Peut-être « que » serait plus adapté en modifiant un peu ?
Head Breaker
Posté le 07/09/2024
D'accord Mayllis je compte corriger avec ta propositions. Les tensions politiques seront belles et bien présentes dans ce premier tome ! Je t'encourage à lire la suite :) Merci pour ton soutien (on peut se tutoyer)
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