Une décision injuste

Par deb3083

Amalia contemplait depuis des heures la porte face à elle. Aucun client ne s’était présenté à l’agence et, en soupirant, la jeune femme se dit que dans quelques mois, Candice et elle seraient sans doute obligées de stopper leurs activités.

Depuis trois ans, elles géraient ensemble une petite agence immobilière et jamais elles n’étaient parvenues à se faire une place sur le marché. Leur inexpérience et leur jeune âge n’incitaient pas les gens à venir leur confier la vente de leur maison malgré tous leurs efforts pour démontrer leur sérieux et leur connaissance de la région.

Heureusement que le loyer du minuscule local qu’elles occupaient au rez-de-chaussée d’un immeuble du centre-ville de Cannes n’était pas trop élevé car, sans cela, elles n’auraient pas tenu aussi longtemps.

 

A midi, Amalia sortit pour aller se chercher un sandwich et lorsqu’elle rejoignit à nouveau l’agence, elle sut très vite que son amie avait reçu une mauvaise nouvelle.

Candice était au téléphone et son visage était très pâle. Sa mâchoire était crispée et elle se contentait de répondre par oui ou non à son interlocuteur.

Lorsqu’elle raccrocha, elle dévisagea Amalia d’un air triste :

  • Ils récupèrent l’immeuble, nous allons devoir déménager.
  • Ils ? Qui ça, ils ?
  • Le roi de San Gavino. Il possède quelques bâtiments sur le littoral et comme l’île est trop petite, il offre des bourses aux jeunes qui veulent lancer leur propre affaire sur le continent.
  • Il aide les français ?
  • Non, seulement les citoyens de son pays.
  • Je ne te suis pas.
  • Je ne suis pas française Amalia et j’ai obtenu une bourse il y a trois ans parce que mon projet a plu aux dirigeants de la fondation qui accorde l’argent. Il y a cinq projets par an qui sont choisis.
  • Hein ? Mais…mais tu ne me l’as jamais dit !
  • Je sais, c’était…j’avais peur que tu aies les mêmes préjugés que tout le monde. Tu sais, tout ce qu’on lit dans la presse…
  • Je te connais depuis…depuis la petite section Candice enfin ! Je sais bien que tu n’es ni égoïste, ni arrogante ni…
  • Je suis désolée Amalia, j’aurai dû t’en parler.
  • Et donc…tu as perdu ta bourse ?
  • En quelque sorte. Elle était étroitement liée à la location du local. Le roi, ou plutôt, son fils ainé Joachim, a l’intention d’utiliser l’immeuble pour y installer les bureaux d’une nouvelle fondation. Nous avons quinze jours pour déménager.

 

Amalia manqua de s’étrangler en entendant ces mots :

  • Non mais il se prend pour qui celui-là ? Est-ce qu’il réalise qu’il nous fout dans la merdre ? Ah bien sûr que non, il ne sait pas ce que c’est de travailler dur pour gagner sa vie. Il ne doit pas se préoccuper de payer son loyer lui !

Mais pourquoi maintenant ? C’est quoi l’urgence ?

  • Apparemment il revient d’un séjour de cinq ans aux Etats-Unis  et à Londres où il s’est formé dans les plus grandes entreprises mondiales et dans les cabinets bancaires les plus réputés.
  • En fait, c’est juste une histoire de fric. Merde, il aurait pu nous demander notre avis non ?
  • Je sais…En fait, j’étais consciente que cela pouvait arriver. Dans le contrat il y avait une clause qui précisait que la famille royale pouvait mettre un terme au bail et que dans ce cas, nous avions quinze jours pour quitter les lieux. C’était à prendre ou à laisser. Les lois à San Gavino sont un peu…différentes de la France. Les Bourbon-Conti ont beaucoup de libertés.

Ecoute, j’ai pensé que nous pourrions travailler de chez moi dans un premier temps. Ensuite,…je pourrais essayer de dégoter un truc pas trop cher dans les environs.

  • Candice…tu sais comme moi que nous n’avons pas les moyens. Et puis, honnêtement, si nous n’avions pas été forcées de partir, combien de temps aurions-nous encore tenu ?

 

L’expression peinée sur le visage de Candice suffit à son amie comme réponse. C’était la fin de leur belle aventure mais une fin au goût amer.

Amalia s’assit à son bureau et ses doigts pianotèrent avec frénésie sur le clavier de son ordinateur :

Elle tapa quelques mots clé pour obtenir une liste des dernières nouvelles concernant le prince Joachim : celui-ci prévoyait en effet de créer une fondation mais les bureaux seraient situés à Castello di Gavino la capitale de son petit royaume.

  • C’est un mensonge Candice, sa fondation aura son siège à Castello di Gavino. Ici, c’est une chambre du commerce qu’il veut installer. Tu m’étonnes qu’il s’en fiche de notre sort !

 

Les deux jeunes femmes décidèrent de préparer une partie des cartons dans l’optique de leur prochain déménagement histoire d’occuper leur temps et de ne pas trop ruminer de sombres pensées.

Amalia regarda alors la pièce où elle travaillait depuis trois ans : deux minuscules bureaux, quatre chaises et une seule armoire qui contenait une trentaine de dossiers tout au plus. Les seules décorations étaient un palmier et un ficus qui qui commençaient à prendre un peu trop de place dans le minuscule local.

Malgré le manque de place, le bureau était propre et ordonné : Candice, maniaque de la propreté y veillait personnellement.

Finalement, lorsque les deux femmes quittèrent leur petit local vers 18 heures, elles avaient terminé leur besogne. Elles avaient également prévenu les quelques rares personnes à leur avoir confié la vente de leur appartement ou de leur maison et elles se rendirent compte amèrement qu’elles allaient pouvoir remettre les clés au gardien de l’immeuble dès le lendemain.

Le soir même, Amalia se demanda si la spirale infernale dans laquelle elle se trouvait, allait se terminer un jour.  Elle était découragée par les difficultés qui ne cessaient de s’accumuler, elle ne voyait aucune issue pour s’en sortir, pour garder la tête hors de l’eau. Elle se sentait lasse, très lasse et fatiguée de lutter en permanence pour sa survie.

Depuis trois semaines, elle était hébergée par Candice car la propriétaire de l’appartement que louait Amalia auparavant, avait sensiblement augmenté le montant de son loyer à la fin de l’année précédente. La jeune femme avait demandé un étalement de paiement mais  au bout du délai de deux mois notifié par un huissier, elle s’était retrouvée dans l’impossibilité de s’acquitter de la somme réclamée.

La propriétaire avait alors saisi en référé un tribunal d’instance afin de demander au juge de prononcer une mesure d'expulsion à son encontre.

En pleurs, la jeune femme avait appelé sa meilleure amie qui l’avait invitée à venir habiter chez elle le temps qu’elles trouvent une solution ensemble.

 

Les cartons avaient été vite fait car Amalia, à cause de ses revenus modestes, ne possédait pas grand-chose.

La jeune femme se rappela ce jour, trois semaines auparavant, lorsqu’elle était sur le point de quitter son petit appartement : l’essentiel de ses revenus étant consacrés aux médicaments et aux soins dont avaient besoin sa mère, elle n’avait pratiquement rien emporté avec elle.

Elle avait rempli un sac avec deux vestes, deux jeans, deux pantalons noirs classiques, quelques pulls et chemisiers qui n’étaient plus tout neufs et quelques blouses légères qu’elle portait en été. Elle n’avait que trois paires de chaussures dont une de sport et sa trousse de toilette ne contenait que le strict minimum.

Amalia n’avait pas du se soucier des meubles car ils n’étaient pas à elle et quand elle avait terminé un autre sac qui contenait un drap-housse, une  taie d’oreiller, une couette et deux serviettes de bain, elle s’était sentit pitoyable.

La maladie de sa mère l’avait obligé très vite à se contenter du minimum pour vivre et elle ne dépensait le peu qu’il lui restait uniquement si cela était vraiment nécessaire.

Ses seules folies avaient été l’achat d’un smartphone, d’un appareil photo et de deux zooms il y a deux ans grâce à la commission qu’elle avait perçue lorsqu’elle avait réussi à vendre une magnifique propriété à dix kilomètres du centre-ville.

Le pc portable qu’elle utilisait à l’agence n’était même pas à elle : Candice l’avait acheté au lancement de leur activité grâce à la bourse qu’elle avait obtenue.

 

Le lendemain matin, les deux amies se mirent à éplucher les petites annonces sans relâche.

Candice voulait rester dans l’immobilier mais Amalia souhaitait changer d’orientation. Elle avait un master en Arts et technologies de l’image virtuelle et elle avait également suivit plusieurs formations en photographie.

Afin de financer ses études, la jeune femme avait réalisé de nombreux reportages photos à l’occasion de mariages, de baptêmes, de fêtes de famille et ces revenus supplémentaires avaient été très utiles également pour aider sa mère.

Amalia se concentra sur les annonces d’infographiste et de photographe et au bout d’une heure de recherches elle découvrit un texte assez intriguant :

Recherche photographe pour mission temporaire. Très bonne rémunération. Disposer de son propre matériel et d’un zoom 150-600 mm.

Avoir la capacité de se fondre dans la foule et de travailler avec discrétion.

 

L’annonce se terminait par une adresse mail qui ne donnait aucune indication sur l’identité de l’employeur mais Amalia se décida à envoyer sa candidature sans toutefois en parler à sa meilleure amie. La jeune femme se demandait si cette offre d’emploi, très succincte, n’avait pas été déposée par un magazine people qui souhaitait pouvoir recruter de manière discrète et Candice aurait certainement très mal pris le fait qu’elle postule pour ce type de job.

Mais ces revues payaient les paparazzis une fortune pour leurs clichés exclusifs et Amalia allait très vite se retrouver à cours d’argent.

Après avoir envoyé son mail, Amalia se demanda si elle avait bien fait. Puis elle se dit qu’elle n’avait aucune indication sur l’employeur et qu’il était inutile de s’inquiéter à l’avance. Sa candidature ne serait peut-être même pas retenue.

 

La jeune femme reçut une réponse le soir même et, comme elle l’avait imaginé,  il s’agissait une collaboration pour une nouvelle revue people. La responsable lui proposait de l’appeler afin de lui expliquer plus en détails la fonction et, pour éviter les questions indiscrètes de Candice, Amalia partit faire un tour en ville.

Avec une certaine appréhension, la jeune femme composa le numéro de portable qu’elle avait reçu par mail et c’est un peu surprise qu’elle entendit la voix d’une personne assez jeune lui répondre :

  • Estelle Neffray.
  • Euh…oui bonjour, je suis Amalia Arcangioli, je vous appelle suite au mail que vous m’avait envoyé il y a une heure au sujet de l’annonce de photographe.
  • Oh, bonjour Amalia. Oui, comme je te le disais par mail, il s’agit d’une mission temporaire, il nous faut au moins une cinquantaine de photos et tu devras nous en fournir  trois à cinq par mois. Libre à toi de nous en transmettre plus, nous choisirons ensuite si nous te les achetons également. Pendant toute la durée qui te liera à notre revue, il t’est interdit de revendre tes clichés à autres magazines.

Maintenant, je dois te poser une question : te sens-tu capable d’endosser un rôle pendant une si longue période ?

  • Cela dépend de ce que vous souhaitez que je fasse.
  • Rien de très compliqué. Tu devras te faire passer pour une jeune auteur qui souhaite écrire un livre, agrémenté de nombreuses photos.
  • Hum…oui je pense que c’est possible. Et sur quel thème serait-ce livre ?
  • Le palais royal de San Gavino
  • Le…palais royal ?
  • Oui. Nous souhaiterions que tu suives le prince Joachim pendant un an et quoi de mieux que de pouvoir travailler au palais afin de l’approcher au plus près ? Le prince revient de Londres où il a passé un an et auparavant il se trouvait aux Etats Unis pour travailler dans le monde de la finance. Nous voulons la première photo dans quinze jours. Est-ce que tu acceptes ? Nous avons déjà obtenu les autorisations nécessaires pour que tu puisses circuler presque partout dans le palais. La famille royale de San Gavino a été ravie d’apprendre qu’un livre était en préparation sur leur demeure.
  • Et s’ils découvrent que c’est un mensonge ?
  • A toi de paraître convaincante.
  • Tu recevras entre deux mille et huit mille cinq-cents euros par photo si nous jugeons qu’elle convient à ce que nous souhaitons publier.

Amalia manqua de s’évanouir en entendant le montant que le magazine était prêt à payer. Elle n’avait qu’une petite centaine photos à prendre, faire croire qu’elle écrivait un livre sur le palais royal et elle pourrait gagner plus de soixante mille euros sans vraiment se fatiguer.

C’était tentant, très tentant.

Cet argent si facilement gagné et la somme astronomique que cela représentait fit oublier à la jeune femme qu’elle risquait aussi d’être poursuivie pour atteinte à la vie privée.

Puis elle se rappela les mots de Candice lui annonçant qu’elles étaient expulsées de leur immeuble et elle s’entendit accepter la proposition d’Estelle Neffray.

Pour sa mère, Amalia était prête à tout.

 

 

 

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DB18
Posté le 14/08/2020
J'aime bien ce début de roman. Tu poses toutes les bases de l'intrigue, le chapitre se finit sur un choix décisif du personnage qui va la plonger dans l'intrigue... Je vais continuer la lecture!
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