L’air sentait le gasoil et la gomme brulée. Il ne devait pas être loin de midi, le soleil arrivait peu à peu à son zénith. La fraîche quiétude de cette nuit était déjà un lointain souvenir.
La voiture gisait plus loin, sur le toit. Masse inerte au milieu du verre cassé, image tremblotante dans l’atmosphère surchauffée de cet été.
La roue avant gauche continuait de tourner mollement en grinçant. Témoignage de la violence de l’impact. Sur la route gisait encore le cerf, bête magnifique à demi décapité. Bien que le regard soit déjà voilé, ses sabots continuaient de racler faiblement l’asphalte. Les morceaux de ses bois égayaient la route au milieu des traces de freinage, de peinture et des éclats de chrome. La flaque de sang perdait déjà de son carmin pour virer au sombre.
Une fois le vacarme de l’accident retombé, le silence stupéfait de la nature céda la place aux mille bruissements de la vie forestière. Au milieu des bourdonnements et des gazouillis ne tarda pas à s’élever un vagissement. Plainte légère qui mua au fil du temps en cri féroce puis en pleurs désespérés.
Alors que le soleil virait franchement à l’écarlate, les cris devenaient enfin plus faibles et rauques. Pourtant toujours personne ne s’approchait de la voiture. En faisant un travelling avant, un élégant mouvement de caméra misant sur l’aspect dramaturgique d’une voiture renversée, isolée sur une route déserte, on aurait pu discerner au travers de ce qui fut plus tôt la vitre de la portière passager, un siège bébé sur la banquette arrière.
Siège qui pendouillait, à moitié retourné. Et dedans, ce petit bout d’humain. Le corps violacé et tuméfié, la ceinture ayant cruellement marqué ses petits membres potelés. Les yeux injectés de sang, larmoyant, et malgré ses cris désespérés, toujours aucun secours. Devant lui, silhouette rassurante, sa mère dont la tête restait obstinément encastrée dans les branches du volant malgré les efforts de la gravité pour la faire basculer en arrière.
La nuit s’en vient, accompagnée par là-même d’un vent frais salvateur. Le bébé ne crie plus, c’est à peine s’il grelotte désormais. Au cours de la nuit, dans son indifférence la plus complète, un charognard plus hardi que les autres abrégea le peu de temps qu’il lui restait. D’ici le levé du jour, les morceaux les plus tendres ont déjà été dévorés.
Un chien errant, à l’aube, a pissé contre la portière défoncée et fouillé dans les sacs éparpillés sur le bitume.
D’ici quelques mois la forêt aura commencée à recouvrir la carcasse et ses secrets. Pour l’instant elle se repaît de ce qu’elle trouve dedans. Elle y fait croître fleurs, mousses et moisissures. La faune dépèce, ronge et suce la moindre protéine.
Le vent, imperturbable, joue avec un vieux journal. Dernier effet d’un caméraman imaginaire, fondu au noir sur le titre de cette page jaunie voletante.
« L’humanité est condamnée, stérile. Plus de naissances nulle part depuis deux mois ».
Juste une autre espèce disparue.