Il cheminait, sa besace lui frappait régulièrement la hanche gauche au rythme de ses pas. L’atmosphère était brûlante, cuite et recuite. Sèche, craquelée, l’air ne contenait une quelconque trace d’humidité. Respirer tenait du supplice, chaque inspiration devenait plus ronflante et sifflante. Pourtant la gourde dans la besace demeurait obstinément pleine.
La route qu’il suivait, au blanc dallage poussiéreux, s’enfonçait dans les flancs gris des montagnes qui barraient l’horizon. Flèche de gypse, elle le menait droit au château.
Aux portes le corps d’armes est vide, silencieux. Bien que rien ne branle, tout semble mort, pris dans une gangue d’éternité. Ni Zéphyr pour jouer avec la poussière, ni trace de rats ou d’insecte. Il explore de salle en salle, fouille chaque placette et cache d’ombre. Nulle présence, point de manifestation.
Alors, à l’ombre d’un arbre bien trop mort pour savoir de quoi il aurait pu en être, il déballe sa sacoche. Sortant plume, parchemin et encrier, d’un geste ample et aisé, voilà les mots qu’il se met à griffonner :
Je t’écris.
Sans pouvoir te parler, te voir, t’entendre. Et pourtant je sens ta présence à chaque instant. Irrésistible, mon regard se tourne vers ta supposée personne à mes côtés. Dès la fin de nos correspondances ce vide s’est créé. Happant chaque jour un petit peu de moi, grignotant sans cesse. Plus de rire, de larmes, de cri ou de silence. Ton monocorde, accord de grisaille, sans relief ni motif. Je navigue avec un trou à l’âme, capitaine d’un bateau ivre sur les flots plats d’une mer disparue. Seul subsiste les blanc ossements, croûte de sel étincelante, ainsi que le fol espoir de te revoir. Vide tourbillonnant, mille images voletant dans le noir glaçant. Reflet de toi, insaisissable dans l’attente douloureuse de ton retour.
Aujourd’hui le ciel était parfumé, bleu mandarine. Infini, sucré, légèrement acidulé, je t’y ai entendu au levant, entr’aperçu au midi et vu tes mains amener le crépuscule. Audacieux, déclamant vers et strophes à la face de la lune, je me dis que sa lumière te portera ces vers. Plus un livre sans que tu lises par-dessus mon épaule, espiègle et tendre. Plus une musique où tu tourbillonnes dans un éclat de vie. Plus un recoin vers lesquels mes pas me portent et où tu n’es pas déjà avec moi.
Sans agonie, ni colère, ni injure. Juste un temps, sans fin, qui s’écoule. Déroulant toujours plus avant un long chemin morne et triste dans un silence emplit de morgue. Je chante, je crie, tressaute et m’agite. Feu follet dans le clair-obscur d’une vie en gris.
Je t’écris.
Le ciel s’embrase alors que l’encre sèche sur les dernières lettres. Profitant des ultimes rayons de lumières il déclame sa prose, sa voix ricochant faiblement sur les murs l’entourant. Une fois fini, un hoquet étranglé ponctue la chute du vélin. Les yeux emplis de larmes il tend l’oreille au vent et à la lune.
…
…
Derrière-toi, tout ce temps, derrière toi…
A peine un souffle, un chuchotis de brasero et pourtant il le sent, elle est là.
Se retournant, les bras déjà tendu, il ne voit que les nœuds mort d’un arbre encore plus mort. Etreignant le vide autour de lui, hagard et fébrile, à ses oreilles résonne encore ces quelques mots.
S’adossant au tronc desséché il ferme les yeux. Un instant. Juste un instant. Un fragment d’infini arrive alors que sa poitrine ne se soulève plus. Par pudeur un nuage voile sa face. Au retour de la clarté lunaire, un bourgeon se dévoile sur une branche cadavérique.
Juste derrière une fleur commence à éclore.