Une nuit d'automne

Notes de l’auteur : bon je recommence depuis le debut et pour l'instant je considère ca comme le premier chapitre.

Incrusté dans la chair de la montagne, un fort de pierre noire s’élevait vers les cieux.

Son sommet semblait transpercer le croissant lunaire, figé au-dessus du mont tel un spectre.

Dans ses entrailles, le silence régnait. Seule la brise d’automne, glissant entre ses murs, chantait au gré du vent. Tout semblait suspendu, comme si le temps s’était arrêté, figé, dans la routinière quiétude des occupants.

Le ciel dégagé permettait à d’innombrables étoiles de contempler ce calme, et, comme en guise de remerciement, elles illuminaient le fort d’une douce lueur éthérée.

Néanmoins, la tranquillité des cieux n’était là que pour contraster avec l’horreur sur terre.

Au pied de la montagne, les portes du fort, noircies par la suie et le sang séché, étaient brisées, bâillant sur un monde de guerre et de furie.

Ici, deux armées se livraient bataille. Leurs coups, leurs cris, étaient dictés par une peur commune et viscérale du trépas, pendant que leurs ombres, empêtrées dans une sinistre danse, dessinaient une fresque de crânes brisés et de têtes sans hôte.

Et là, dans les hauteurs, immobiles, deux silhouettes observaient le carnage, sans un mot, attentives au cliquetis métallique des lames qui s’entrechoquaient, ponctué de cris brisés. Puis soudain, éclairée par les flammes au loin, une des silhouettes sortit de l’ombre.

Ses yeux vides étaient toujours intensément fixés sur la bataille, alors qu’il murmurait d’une étrange monotonie : “Qu’en dis-tu ?”

Il ne reçut aucune réponse.

La personne derrière restait silencieuse, douloureusement muette.

Poussant un soupir d’exaspération, il s’approcha un peu plus du bout du précipice, prêt à plonger.

Le sol rugueux tremblait à ses pas fermes et déterminés, son regard toujours attiré par les flammes de la guerre, avant que les vibrations ne cessent et qu'une voix tremblante le ramène à la réalité. “Tu… tu n’es pas obligé d’y aller.”

Soudain, une femme au corps sanguinolent se dévoila. Elle portait une armure blanche, malléable et flexible — du moins, avant — car maintenant il n’en restait rien à part quelques bouts de métal pendant dans le vide.

Il fixa un moment sa détresse, puis rétorqua : “Bien sûr que je le suis.”

L’écho de ses mots n’eut à peine le temps de se dissiper, qu’il n’était déjà plus là.

Ses mouvements étaient rapides, difficilement suivis par un halo mauve et épais, qui planait au-dessus du champ de bataille.

Celui-ci se maintint un moment dans les airs. Un moment bref, puis fonça vers le sol, s’ensevelissant dans un essaim de soldats.

Les hommes qui l’entouraient, désormais, avaient tous le visage contracté, sérieux, prêts à se battre, tenant fermement leurs épées.

Leurs jambes ne tenaient pas en place et leurs yeux brillaient d’un éclat belliqueux.

Ses hommes étaient forts.

À défaut d’être chanceux…

Ils n’eurent même pas le temps de ressentir sa présence, qu’ils s’étaient déjà écroulés au sol, la gorge tranchée ou la poitrine transpercée, se noyant dans leur sang.

Lui, était le seul debout dans un rayon de dix mètres, la posture relâchée.

Il figea la bataille.

Tous se tournèrent vers lui, dans un silence pesant.

Et si quelques-uns au loin reconnaissaient la silhouette de leur commandant, les autres, eux, frémissaient à sa vue.

Ils scrutaient d’un œil atterré, la mystérieuse silhouette devant eux. Chaque mouvement, chaque geste, était surveillé, comme s’il allait immanquablement les terrasser.

Mais il ne fit rien.

Il restait cloué au sol, alors que le linceul qui lui servait d’habit, souillé par la boue et le sang, le couvrait à peine, dévoilant ses jambes et ses bras.

Quelques attentifs pouvaient remarquer, derrière ce paysage de terreur, un homme meurtri, les membres ornés de plaies profondes.

Et alors que la crainte qu’il suscitait se dissipait en soupçons de colère, il plia genou au sol, puis poussa un cri assourdissant.

Au contact du sol froid, il tenait fermement son avant-bras, comme s’il voulait l’arracher.

Ses muscles se contractaient, de manière chaotique, dessinant sur son visage une grimace sinueuse, et sa peau commença à se teinter d’un étrange noir organique, qui semblait se mouvoir à l’intérieur de son corps.

La douleur et l’impuissance caractérisaient chacun de ses cris.

Mais malgré cela, personne n’osait l’approcher. Il souffrait seul au milieu de cadavres, et tous le regardaient faire, spectateurs de ses tourments.

“Quelle folie. Utiliser l’art d’Aurore en ces temps…”

Au milieu de la foule d’hésitants, une silhouette se détacha.
C’était un vieil homme, robuste malgré les années, la posture droite, les épaules encore hautes.

Il s’approcha doucement, le pas mesuré, les yeux fixés sur la silhouette au sol. Il s’arrêta à quelques mètres du moribond.

“Pour qui te bats-tu ?”

Ses mots étaient pleins de pitié et d’incompréhension. Mais l’homme prostré dans la boue n’y prêta aucune attention.

L’expression du vieillard s’assombrit. Il reprit, plus dur :

“Dekan… Es-tu seulement conscient des dégâts qu’engendre ton entêtement ?
Ne veux-tu pas que cela cesse ?
Ne veux-tu pas abandonner ce fardeau ?
Ne veux-tu pas rejoindre ta famille ?
Me rejoindr—”

Soudain, une lame noire jaillit de la main de Dekan, prête à trancher la gorge du vieil homme.

L’évitant d’un simple pas, sans même détourner les yeux, il soupira.

“Qu’il en soit ainsi...”

D’un mouvement fluide, il sortit une épée de son fourreau, la dirigeant vers son adversaire, qui faisait de même.

Ils se regardèrent un instant, avant que Dekan ne s’abatte sur lui dans une myriade de coups fébriles.

Le vieil homme les parait avec une facilité ennuyeuse, chaque coup étant plus faible que le précédent.

Puis, comme lassé par ces tentatives, il propulsa l’épée qui piquait vers lui au loin, avant de faire de même pour le corps chancelant de son adversaire.

Dekan se retrouva au milieu de soldats. Tous le regardaient avec crainte.
Mais lui était au plus mal : sa respiration était courte et sa vision se troublait ; il sentait que son torse avait été déchiqueté et, dans un dernier élan, il se releva.

D’un coup, l’atmosphère changea. Les ombres se figèrent.

Tous furent envahis par une peur primitive.
Même l’expression dédaigneuse sur le visage du vieillard se dissipa face à l’écarquillement de ses yeux.

D’un bond, il se dirigea instantanément vers Dekan, prêt à le tuer.
Mais il était un bond trop tard…
Il pouvait désormais voir son corps sans tête tomber au sol près de lui, immédiatement suivi par la silhouette de Dekan, désormais entièrement recouverte de ce noir organique, tomber à son tour.

Puis tout devint noir.

Le silence régnait maintenant sur le champ de bataille.

Les défenseurs, bien que victorieux, n’émettaient aucun signe de relâchement.

En fait, ils semblaient effrayés, comme si cette bataille n’était qu’un avant-goût de l’horreur réelle.
Et tout à coup, au côté du corps inerte de Dekan, émergea unemonstruosité noire.

Elle n’avait pas de visage.
Mais elle parvenait, mieux que toute autre forme d’intimidation, à loger l’effroi dans le cœur de ceux qui la voyaient.

Inconsciemment, tout le monde fit un pas en arrière, et des murmures laissaient échapper l’inquiétude et la peur.

“C’est… c’est un Malin.”

Puis ces murmures se transformèrent en cris…

“Le Malin ! Fuyez !”

Soudain, une hystérie générale envahit les soldats, qui fondaient sur les portes du fort, cherchant refuge.

Dénués de logique et d’ordre, leurs mouvements décousus et violents n’avaient pour seul but que la survie.

Ils piétinaient la camaraderie et les liens qu’ils avaient noués dans ces temps de guerre, pour le fuir.

Aucun ne voulait affronter le Malin.

Aucun ne le pouvait.

L’entité, toujours au chevet de Dekan, regardait cette scène d’une inexpressive moquerie, avant de se dissiper dans les ombres.

“Je t’avais dit que tu n’avais pas à le faire...”

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