Une nuit d'enfer

Cette nuit-là aurait pu être comme toutes les autres. L'alarme de la banque avait retenti et les policiers seraient arrivés rapidement et auraient arrêté les braqueurs. Mais cette fois, dans cette ville, ils ne s'étaient pas laissé faire. La grande porte de la banque avait littéralement explosé en éclats de verre et de bois, même les murs n'avaient pu résister. Des débris jonchaient le trottoir et la rue tels une zone de guerre. L'odeur de poudre se faisait pesante et étouffante bien que nul régiment d'artillerie ne fût passé par là. Trois voitures de police, portières ouvertes, étaient arrêtées de manière anarchique au milieu de l'allée. Leurs vitres brisées et leurs carrosseries de maints impacts percées, ne laissaient peu de place au doute sur ce qui s'était déroulé ici. Les corps des policiers inanimés sur le sol encore moins.

Jeffrey tenta de prendre le pouls de l'un d'eux, par acquis de conscience. Rien. Évidemment.

— Bordel, ils sont devenus fous ce soir ou quoi ? jura-t-il de frustration.

Le justicier suivait ce gang à la trace depuis le début de la soirée, cette banque était leur troisième larcin de la nuit. Mais celui-là avait été meurtrier. Ce n'était pas des petits joueurs, certains cadavres ont été littéralement coupés en deux par du gros calibre, semblait-il.

Jeffrey était arrivé trop tard. Il ne semblait pas savoir s'il en était frustré ou rassuré. Il n'avait jamais rien affronté de tel : des loubards, des hommes de mains, des petits braqueurs, pas de véritables tueurs psychotiques comme ces hommes.

Son regard attristé se détourna du corps sans vie de ce policier, sans doute père de famille, et se dirigea vers l'entrée de la banque. Des douilles jonchaient le parvis, les types s'étaient déchainés dans une ivresse morbide : ils ont tiré beaucoup plus de munitions qu'il n'en fallait pour tuer leurs opposants.

Le héros se releva et jeta un coup d'œil circulaire aux fenêtres du voisinage. Toutes barricadées et closes, les gens n'avaient sans doute pas voulu courir le risque d'être témoins de la scène.

Ils sortent d'où ces mecs... et par où ont-ils filé ?

Jeffrey savait qu'il valait mieux disparaître avant que les renforts n'arrivent.

« Voiture 23, vous me recevez ? Ici le central. »

Jeffrey tenait ses sens en alerte et ses capacités augmentées par la substance qui coulait dans ses veines ne l'empêchèrent pas de sursauter en écoutant la transmission. La seule radio qui devait encore être en état de fonctionner.

« Voiture 23, répondez ! Rendez compte de votre situation immédiatement ! Quelle est la position des autres unités, répondez ! »

Saisissant sa chance et ne voulant pas pinailler plus longtemps, Jeffrey attrapa la radio et la mit à sa bouche.

— Ici... Voiture 23, tenta-t-il d'imiter, le gang s'est échappé... Ils ont fait usage d'explosifs... et d'armes lourdes.

Bon dieu, bien reçu voiture 23, comment allez-vous là-bas ?

Jeffrey se retourna vers le cadavre du flic situé juste derrière lui, qui était sorti du siège conducteur du véhicule.

— Je suis seul à m'en être tiré central, mais je suis touché, j'en ai plus pour longtemps, on n'a pas réussi à les arrêter... Je ne sais par où ils ont filé.

... On vous envoie une ambulance, tenez le coup ! Ils sont partis en direction du port, nous envoyons les renforts là-bas, ne vous inquiétez pas, on prend la relève, les secours arrivent !

— Merci central, voiture 23...terminé, fit Jeffrey d'une voix volontairement haletante.

Il coupa ensuite la radio et la replaça en direction du corps de l'officier dont il avait usurpé l'identité. Il vit alors son alliance, dans sa main ensanglantée, comme s'il avait marmonné une dernière prière adressée à sa famille alors qu'il sentait la mort venir.

L'hésitation de Jeffrey céda lentement la place à une colère, à une rancœur indicible.

Vers le port... ils veulent passer au Michigan par le lac.

Le justicier vengeur se tourna face à l'est. Il fouilla dans sa poche et sortit sa seconde dose nocturne. Le liquide orange semblait bouillonner de rage dans l'injecteur. Une rage de combat. Jeffrey ne sentit pas, cette fois-ci, la douleur perçante et aiguë de l'injection.

Fonce, même Dieu ne pourra les protéger.

Il s'élança alors sur la route, fendant l'air de sa foulée rapide. Extrêmement rapide. En à peine quelques minutes, il s'arrêta à distance de l'ancienne bâtisse du vieux port.

Ce centre économique était important à l'époque du navire à vapeur, mais n'avait plus été utilisé depuis la construction du nouveau port, une cinquantaine d'années auparavant, une vingtaine de kilomètres au sud. Les quelques vieux conservateurs qui peuplaient encore Lakeland avait toujours réussi à empêcher sa destruction, de par son appartenance au patrimoine historique de la ville. N'en demeurait-il pas que, fautes de réels moyens ou intérêts, le lieu restait à l'abandon.

Jeffrey s'accroupit et approcha lentement du vieux hangar. Il se devinait un fourgon dont les portes arrières, restées ouvertes, étaient marquées par de nombreux impacts de balles. Deux hommes, armés de fusils d'assaut, argumentaient de quelques magouilles. La porte du hangar étant fermée, il pouvait neutraliser ces deux adversaires rapidement sans alerter les autres. Son sang bouillonnait et il ne pouvait contenir cela plus longtemps.

Il partit à la vitesse d'un boulet de canon, l'épaule en avant et percuta l'un des deux hommes si brutalement que celui-ci fit un véritable vol plané pour atterrir dans le lac. Son compagnon, par réflexe, lâcha son arme, peu adapté au combat rapproché, et tenta de saisir son couteau.

— IL est là, allez-y!

Ils m'attendaient ?

Jeffrey fit taire son assaillant d'un direct dans l'estomac, qui l'envoya dix mètres en arrière.

Soudain la porte du hangar s'ouvrit à la volée et le héros eut à peine le temps de tourner la tête.

— Prends ça, cabron !

Sans réfléchir, Jeffrey, alors qu'il perçût les reflets argentés et brillant du minigun, bondit derrière le fourgon et se réfugia derrière. Une fraction de seconde s'était écoulée avant que l'enfer ne commence. Dans un bruit strident et mécanique, une pluie torrentielle de projectiles infernaux se déversa dans la cour. Ils frappaient, mordaient, se déchainaient comme autant d'intentions néfastes et vengeresses sur la paroi métallique du véhicule. Ils faisaient jaillir la terre alors qu'ils raclaient le sol dans un bruit de griffure d'une bête monstrueuse.

Jeffrey n'allait pas tenir longtemps avant que ces énormes balles ne réduisent son couvert à l'état de gruyère. Une d'entre elles ricocha sur les graviers et lui mordit le côté de la jambe. Une autre perça le blindage juste à côté de son visage et les étincelles produites lui brulèrent la joue. La morphine qui abondait dans son système sanguin fut la bienvenue, le héros se contentant de serrer les dents là où n'importe qui se tordrait de douleur.

Jeffrey calcula son angle et sauta de toutes ses forces vers le toit du hangar. Le minigun étant une arme trop lourde pour être orientée vers le haut, il s'arracherait quelques secondes de répit. La toiture, vieille de plus d'un siècle, ne résista pas à son atterrissage et s'effondra. Jeffrey atterrit sur d'épaisses caisses en bois, vides, qui devaient avoir le même âge que le toit.

Tout était calculé.

Il profita des quelques instants de stupeurs des malfaiteurs pour foncer sur le porteur de l'arme lourde pour l'envoyer valdinguer contre les restes du fourgon où il était quelques secondes plus tôt.

— Bravo, bravo, très impressionnant ! fit une voix derrière lui.

Jeffrey se retourna et vit un homme cagoulé, sans doute le leader du gang, un revolver à la main. Il braquait une petite forme assise sur une chaise devant lui.

— Et bien quoi, reprit-il, tu ne pensais tout de même pas qu'on serait partis avec toi à nos trousses sans une petite police d'assurance ? J'avais tellement hâte de te voir en personne, tu as acquis une certaine réputation. Alors tu vas te rendre gentiment si tu ne veux pas que la jeune fille que voici ait un joli trou dans la tête.

Me rendre et puis quoi encore ? Je suis meilleur que tu ne le seras jamais pauvre plouc.

Jeffrey courut alors à toute vitesse, le poing dirigé vers la mâchoire de l'homme.

Je suis bien trop rapide pour toi, tu ne peux me battre, je ne peux pas perdre !

Alors, Jeffrey hésita lorsqu'il perçut un sourire se dessiner sur les traits du malfaiteur. Il était loin, bien trop loin.

Il appuya sur la détente.

Tu as perdu.

                                                                                         ***

Jeffrey ouvrit la porte de sa maison et la referma de manière brutale. Il était submergé par la colère et l'hésitation. Le doute était encore pire. Tout ce qu'il savait faire n'était pas suffisant, et il avait le sang d'une innocente sur les mains. Il entra dans sa salle de bain, balança ses stylos injecteurs vides sur sa table de laboratoire sans même y prêter attention, envoya son manteau sur une chaise et se passa la tête sous l'eau. La sensation aqueuse et fraîche coulant dans ses cheveux le calma temporairement. Il prit de l'eau dans ses mains et se débarbouilla le visage. La plaie de sa jambe commençait déjà à cicatriser mais n'avait pas encore disparue.

Soudain, il entendit quelqu'un frapper à la porte. Il consulta l'heure, sept heures du matin. Il y avait donc passée la nuit.

Il acheva de se laver et ouvrit la porte.

— Qui que vous soyez, vous tombez m...

Il s'interrompit brutalement alors qu'il dut lever les yeux pour croiser ceux de son visiteur.

— Bonjour, monsieur Slart, fit la voix suave de Derek Marlow, puis-je entrer ?

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robruelle
Posté le 19/10/2020
Hey ! Hey !
Un nouveau chapitre :) chouette !

Et puis quel chapitre ! ca décoiffe (pour ne pas dire ca dégomme !)
J'ai rien relevé de spécial concernant la mise en page / ptites fautes ou coquilles
Peut être juste une question, pourquoi n'utilises tu pas la justification pour tes paragraphes, tu sais, le fait que toutes les lignes s'arrêtent exactement sur une verticale ? L'éditeur de plume d'argent permet de le faire, alors perso j'en profite :)

Sinon, d'une façon générale, j'aime bien la façon que tu as de mener ton récit depuis le début. Une alternance entre calme et action qui gagne en puissance au fil des "pages". C'est pas mal du tout je trouve !

Pour revenir au chapitre qui nous intéresse, ils n'ont pas mis longtemps avant de lui tendre un vilain piège on dirait. La scène d'action sur le port est bien écrite, on s'y croirait
Avec le petit cliffhanger en fin de chapitre :) tu y prends gout à ca héhé

Hâte de lire la suite !
A plouss !!
Kara Warren
Posté le 19/10/2020
Oups, promis, je justifie ça de suite! Je n'avais pas vu cette fonction, et j'avoue que je ne pensais pas à un tel résultat.
Si ça te plaît, c'est super!

Ben oui, je travaille mes chutes, j'avoue, j'adoooore ça, ça donne envie de poursuivre, ça tient en haleine XD

Merci pour ton commentaire Robru'!
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