Il était une fois Nulpar.
Dans le Nulpar, il n’existait encore rien, ou à peu près car — ça alors ! — une étincelle surgit après un long moment aussi fugace qu’un souvenir. L’étincelle était le monde en un seul point et une seule conscience, un seul être unique. Il était là, mais rien autour. Ce rien, c’était l’Abysse. Il lui fallut longtemps avant de s’apercevoir de sa présence, car elle était à peine là, un filet d’être dans le néant qu’elle incarnait. Lorsqu’enfin il l’aperçut, il lui dit :
« Viens. »
Mais l’Abysse était timide, et ils mirent longtemps à s’apprivoiser. Finalement, Elle et l’étincelle en vinrent à s’aimer, et cette dernière sut ce qu’elle était. Elle fit une chose inédite : elle prit forme et matière, effrayant son amie, sa seule compagnie. L’Abysse s’enfuit, le laissant, solitaire dans le Nulpar. Après l’amour, voilà qu’Ys, car ainsi l’étincelle se nommait-elle, ressentit le désespoir. Il ferma les yeux, car des yeux il avait, et s’endormit pour la première fois.
Une matière, sous ses doigts, douce et parfois un peu piquante. Une lumière à travers ses paupières. Une odeur fraîche et agréable. Le vent dans ses cheveux. La haute montagne jetant son ombre sur la plaine. Le ciel immense. Il apprenait tous ces mots en les pensant. Il ouvrit grand les yeux, et fit fasse à ce qu’il pensait être lui : un enfant dont les iris violets étaient fixés dans les siens. Ce dernier lui sourit paisiblement.
Ys ne dit rien.
L’enfant marcha et fut devant lui en quelques pas. Si proche, sans pour autant le toucher. Leur regard jumeau s’aimantait, leur nez s’effleurait.
Soudain, tout disparut à la vue d’Ys. Il était à nouveau seul dans le noir. Adieu à la montagne, à la plaine, à la lumière, au ciel, à l’ombre, à la terre. A l’enfant. Ce rêve semblait n’avoir duré qu’un instant, et pourtant, il lui manquait déjà comme s’il n’avait jamais connu autre chose. Les larmes coulèrent sans crier gare sur le visage d’Ys, sans qu’il ne comprît pourquoi. Une mélancolie profonde et une pointe de peur s’emparèrent de lui : il regrettait déjà tout ce qu’il venait de quitter. Son impuissance devint tristesse, sa tristesse devient colère. Cette colère tourna à la rage, qui enfla jusqu’à devenir puissance. Il se redressa, les pieds appuyés contre un sol, encore caché, qui n’existait pas auparavant. Il leva les yeux, et la lumière les éclaira. Il tendit les mains vers l’obscurité et la déchira de toutes ses forces.
Une plaine vide et un ciel immense se déployèrent autour de lui. Tout ce qu’Ys avait rêvé était là, même l’enfant. Sans le voir, il sentait son regard pareil au sien. D’une pensée vagabonde, le sol se brisa, et une montagne, seule, s’élevait parmi les herbes courbées par le vent.
Il était chez lui ; la montagne était sa maison, ce monde était son jardin.