Le professeur fit claquer sa règle de bois sur son pupitre.
Thomas se redressa. Cet avertissement n’était pas pour lui. Ce n’en était même pas un. L’homme au centre de l'amphithéâtre brandissait son bâton pour ponctuer ses dernières phrases. Le cours touchait à sa fin. Il avait commencé comme à son habitude par des mises en gardes contre les faiblesses estudiantines et la proportion de la jeunesse à “se laisser aller à la paresse”. Cette tendance menait tout droit au vagabondage et à la Malice. Et pour y échapper, mieux valait tenir le cap de la discipline.
Les étudiants autour de lui se concentraient intensément bien que le cours traînait en longueur. La tête lourde, il se retînt de s'appuyer sur son coude. ll fallait qu’il soit comme les autres, droit, attentif, irréprochable. Quand il se pencha sur ces notes, un dessin griffonné dans la marge le surpris. Un portrait d’une de ses camarades installée à quelques sièges de distance. Il grommela en le masquant prestement sous un autre feuillet. Cela lui avait repris, il s’était absenté à son propre esprit, partit à vagabonder dans le néant. Il risquait de sérieuses remontrances. On ne bullait pas inconsidérément. Chaque heure, chaque minute d’un homme de la cité devait être maîtrisée et employée consciencieusement pour le bien de sa famille et de son pays. S'il ne respectait pas les règles, il ne trouverait pas sa place parmi ses camarades de la bonne société.
Thomas resserra le nœud de sa cravate pour se donner une contenance. Il étouffa un peu, alors il le desserra juste ce qu’il fallait.
Ils étaient une centaine. Et pourtant tous isolés. Quand tout un chacun devait constamment être parfait par ses propres moyens, les petits groupes perdaient de leur intérêt. Noyé dans une telle masse d’aspirant, il passait inaperçu, même si sa tenue bien que tirée à quatre épingles comme ses camarades était plus éliminée car de seconde main. Et puis, si une personne se ferait remarquer se serait l’étudiant au fond de l'hémicycle. Celui-là baillait ouvertement aux corneilles. La tête toujours tournée ailleurs, aucun stylet entre les mains, ni même de papier pour y écrire. Thomas n’aurait pas été surpris de le voir bailler à s’en décrocher la mâchoire où même poser les pieds sur la table. Non, personne n’irait jusque là. Étonnement, aucun enseignant ne se souciait de lui. Thomas supposa qu’il était d’une famille aisée, né avec une cuillère en argent. Sa tenue, bien que pas tout à fait bien mise, était d’une des meilleures factures s’il pouvait se fier à la distance qui les séparait. Il eut une bouffée d’envie envers sa position sociale qui le libérait de toutes ces normes étouffantes.
Alors qu’il évaluait la distance social qui les séparait, le bailleur-aux-corneilles se redressa. Thomas se détourna immédiatement pour revenir à l’enseignant en pleine lumière au centre de l’hémicycle.
La sonnerie stridente retentit, annonçant enfin la fin du cours, et tous rangèrent leur affaire. Il allait pouvoir profiter d’une pause pour retrouver ses esprits et sa concentration. Un café ferait l’affaire. Les mois étaient serrés mais aujourd’hui il pouvait se le permettre, il venait de recevoir sa bourse d’étude. La salle se vida de ses étudiants par les deux entrées à proximité de l’estrade. Le bailleur-aux-corneilles avait disparu, il était plus loin des sorties que Thomas mais il n’avait rien eu à ranger.
Il lui restait la deuxième partie de sa journée à tenir, celle consacrée à l’étude.
Dehors, le ciel perdait de sa clarté, le dôme immense de verre ne suffisait plus à apporter la lumière nécessaire. On commençait, ici et là, à allumer les lampes à gaz ou à pétrole. Il flottait dans la bibliothèque une odeur de combustible lourde et âcre. Thomas assimilait cette odeur à celle de l’intelligence tranquille. La hauteur absorbait toute chaleur bien que des poêls à bois soient disposés au centre des tables. Le silence identique à toutes les bibliothèques régnait, le même que vivaient les premiers érudits dans leur monastère, la technologie en moins. Une épuration du bruit savamment orchestrée et bénéfique à la paix de l’esprit. Pourtant Thomas peinait à dompter sa nervosité.
Il s’estimait chanceux d’avoir obtenu une place dans cette école réputée, il y avait énormément travailler bien sûr, il y voyait sa seule chance de donner un peu d’éclat à son avenir et à sa famille. Il s’accrochait à son objectif coûte que coûte. Il passait toute ses soirées aux milieux de jeune de son âge tout aussi acharnés et pétris d’ambition.
Ici, le concert des grattement familiers continuaient associés au pages tournées. De nombreux étudiants portaient des lunettes. Thomas trouvait cela distingué, peut-être devrait-il essayer d’en porter lui aussi. Il supposait qu’il regarderait moins autour de lui avec ces petites fenêtres unidirectionnelles posées sur son nez. Et puis, son apparence plus jeune qu’il ne l’était l’affligeait. Et puis sa taille n’allait pas du tout. On ne le prenait pas au sérieux. En un mot son apparence le décrédibilisait et …
Thomas revint au manuel d'aéronautique. Assommant, mais il devait se concentrer. L’ardeur avec laquelle les savants rassemblaient leur connaissances pour les rendre ennuyeuses au possible le fascinait. Cela constituait une épreuve en soi. Pour ouvrir ces portes il fallait vaincre le monstre de l’ennui. Bien, il devait rester dans l’ici et le maintenant. Les étourdis n'avaient pas leur place à l’université, ils ne devenaient pas ingénieur et encore moins n’arrivaient dans les prestigieuses instances des grands groupes industriels. On ne pouvait pas les louper, leurs cheminées dominaient la ville et leurs bâtiments surpassaient tous les autres en surface. Le saint Graal. Et les rêveurs, n’en parlons pas. Des sapeurs de l’avenir commun. Il n’était pas de cette engeance là.
Des affiches recouvrait les écriteaux d'informations de la bibliothèque, parfaitement alignés. On en trouvait aussi entre les rayons des étagères. Toutes mettaient en garde sur les errances intellectuelles, et promouvaient la force de l’esprit bien discipliné. Un tableau immense dominait la salle d’étude, mettant en scène les 5 muses incarnant les 5 vertus de l’école. Intelligence, Calme, Respect et Connaissance entouraient Discipline.
La grande salle se vidait autour de lui. Bientôt, on annonça la fermeture sans qu’il n’ait achevé la moitié de son objectif. Il rangea une nouvelle fois ses affaires et se dirigea vers la sortie en soupirant. Il lui faudra finir chez lui, sans chauffage. Il réservait le peu de combustible qu’il possédait pour les nuits les plus froides. Quand il jetait le charbon dans le poêle minuscule, il avait l’impression de jeter son argent au feu. Les premières nuit d’hiver, il avait céder à la crainte de ne jamais se réveiller. Il avait jeté une quantité déraisonnable de petites pierres noires. Il ne lui en restait que très peu par la suite. Il fut bien forcé de se rationner. Il avait alors appris que les nuits même froides n’étaient pas si dangereuses. Une preuve supplémentaire de l’enseignement apporté par l’école et sa rigueur.
Devant la bibliothèque, l'éclaireur public effectuait la tournée des lampadaires, Thomas sortait bien tard. Il resserrait son écharpe élimée autour de son cou, autant pour se protéger du froid que du brouillard épais recouvrant la ville. Il lui fallait traverser quelques ruelles pour retrouver sa petite chambre mansardée, pas plus grande qu’un placard. Cette nuit, serait une de ces nombreuses soirées où il devrait affronter le froid.
Il passa sous la statue de bronze, tournée vers la ville, elle dominait les passants. Toute la statue transpirait l'austérité. L’homme trapu à la moustache imposante avait sauvé la ville contre le premier faiseur de malice. L’histoire avait oublié le nom du bandit, mais pas la peur qu’il avait suscité. Sa course avait pris fin ici, devant la bibliothèque. La statue servait autant de commémoration qu'une mise en garde contre les affres de cet art pernicieux.
Personne ne savait ce qu’était vraiment la malice mais tous en avaient peur. Thomas savait seulement qu’une grande discipline permettait d’écarter tout risque d’y sombrer. Les personnes qui y cédaient étaient classés avec les fous et des terroristes, des gens de la pire espèce. Les ennemis de la cité, ils la haïssent et souhaitaient la voir sombrer. En un mot, des porteurs de chaos. Non, décidément Thomas n’était pas de cette engeance là.
Son logis se trouvait deux rues plus loin quand des bruits attirèrent son attention dans l'une des nombreuses venelles qu’il dépassait.
— Gentlemen, je vous salue.
S’ensuivit un bruit mou du type qui s’enfonce dans un estomac, puis un souffle court.
Misère. Des détrousseurs. Un homme se faisait traîner toujours plus loin dans l’ombre, ses talonnettes glissaient sans bruit sur les pavés graisseux. Deux gaillards lui coupaient toute retraite vers la lumière et la relative sécurité. Du coin de l'œil, il lui sembla reconnaître les cheveux ébouriffés de l’étudiant au fond de l’hémicycle, mais avec les ombres de la ruelle il n’en était pas sûr. Et il ne souhaitait pas en être sûr. Il lui suffisait de continuer son chemin. Avec un peu de chance, cela remettrait du plomb dans la tête de l’étudiant dissipé, où du moins cette possibilité conférait à Thomas une moindre culpabilité.
Swiiip.
Son pied ripa sur les pavés plus propres de l’avenue mais tout de même rendu glissant par le brouillard. Son cœur fit un bond jusqu’à sa gorge qui émit un hoquet. Il fit des moulinets avec ses bras et se rattrapa de justesse. Son soulagement soudain disparut à l’instant où la pochette qu’il tenait déversa son contenu au sol. Il avait oublié de la fermer correctement.
L’attention fut braquée sur lui alors qu’il se trouvait dans la pleine lumière des lampadaires.
— Non, je refuse, fit l’homme comme un caprice. De larges pognes le retenaient par la redingote. Qui va là ? voleur de premier rôle ! Allez-vous-en !
Thomas en resta coi. Il ne demandait pas d’aide, il le …vilipendait ? La stupeur atteignit aussi ses agresseurs car un silence s’installa où chacun s'auscultait sans trop se voir dans l’obscurité.
— Ha ! Voilà à quoi on reconnaît des amateurs. Un gêneur survient, et tout le monde oublie son texte !
Son commentaire, venant d’un esprit notoirement atteint de folie, n’apportait rien à la situation et fût, de fait, ignoré.
Les deux lascars se méfiaient de la présence de Thomas qui bien malgré lui n'osait plus bouger. Quand l’un d’eux s'approcha, il le détailla. Il agita ensuite son soulagement vers son comparse.
— C’est rien, c’est que le p’tit Thomas, fit-il.
— Ça me ferait mal de lui détrousser les poches à celui-là, ajouta l’autre, avec un rire d’ivrogne.
— Surtout qu'elles sont plus vides que les tiennes, surenchérit le premier.
Les deux brigands trainaient souvent dans le bâtiment de Thomas et y squattaient régulièrement la cave. Thomas préférait ignorer ce qu’ils y faisaient. Avoir les deux malfrats comme voisins ne réjouissait pas Thomas, mais si cela lui permettait d’être épargné par eux ou d'autres de leur genre, il s’en accommoderait.
L’étudiant, encore maintenu au sol par le collet, traînait de tout son long sur le sol. Il remuait en de grands gestes, comme s’il voulait nager hors de sa prise.
— Mais c’est qu’elle frétille notre anguille.
— Je n’ai pas trop le temps, s’il l’on pouvait finir rapidement ? D’ailleurs auriez-vous vu mon chien ?
Le premier crachat.
— Je trouve qu'il cause trop.
Un grognement sourd rebondit sur les murs friables de la ruelle. Thomas regarda en tout sens mais ne voyait rien. La bête surgit de l’ombre, elle lui était furtivement passé à côté alors qu’il se baissait pour récupérer ses affaires éparpillées.
— Ah, te voilà ! Viens voir papa, Bichon !
L’’entrée de la ruelle avait drainée l’attention des malfrats et l’étudiant s’affala de tout son long quand on le relâcha.
Bichon n’avait rien d’approprié pour l’animal. Haut sur patte et la gueule retroussée sur des crocs acérés, le molosse terrifiait. Le poils aux couleurs de la nuit, ses yeux se ponctuaient d’un éclat malveillant. Thomas blêmis, alors qu’il était seulement derrière le molosse.
— Eh, tout doux, tenta le premier homme.
L’étudiant se traîna vers Thomas alors que le chien s’élançait en avant. Les deux hommes prirent la fuite à toute jambe en s’enfonçant dans la ruelle. Le jeune homme l’attrapa par le coude et le tira dans la direction opposée. Thomas stoppa son élan en se penchant précipitamment pour récupérer ses feuilles éparpillées.
— La poudre d’escampette, compagnon. Avant qu’ils ne changent d’avis.
Thomas avait mis son temps et ses économies dans son matériel, sans trop réfléchir il s’obstinait à tout récupérer. Impossible de tout abandonner sur place. Comme il ne changeait pas d’avis, le jeune homme l’y aida en froissant la grande majorité des feuilles pour les fourrer dans ses poches.
— Et,.. et l’animal ? hésita Thomas.
L’autre balaya cette idée.
— Tss, tss. Il retournera là d’où il est venu.
Après un coup d'oeil en arrière, thomas se résolu à suivre l’inconnu.