Chapitre 1
-Esther ! Esther ! Réveille-toi !
Je sursaute, le cœur battant la chamade, comme quand on sort d’un mauvais rêve. Ma mère me secoue violemment, les mains cramponnées à mes épaules.
Je parcours d’un regard encore légèrement trouble ma petite chambre éclairée par deux lampes à huile, disposées sur le bureau et la table de chevet. Elles sont allumées parce que je n’aime pas m’endormir dans le noir total. Mais généralement ma mère vient discrètement les éteindre un peu plus tard dans la nuit.
Sans même attendre que j’immerge complètement de mon sommeil, elle rabat énergiquement l’édredon au pied du lit. Puis, elle saisit avec hargne mes deux poignets et me tire en avant de toutes ses forces, ce qui a pour effet de faire craquer les articulations. Je la fixe avec incompréhension. Elle me fait presque peur tant ses yeux sont exorbités.
- Sors immédiatement de ce lit Esther ! S’exclame-t-elle affoler.
Devant son désarroi, je me sens obligé de céder à ses supplications. Instinctivement, je me dirige vers mes vêtements de la veille, resté sur le dos de la chaise de bureau. Cependant, ma mère m’empêche de les saisir en m’administrant une claque sur la main. Ses gestes ont perdu leurs douceurs maternelles habituelles. Que signifie donc ce comportement si absurde au beau milieu de la nuit ! Je me frotte frénétiquement le dos de la main rougi par le coup.
Ses ongles pénètrent la chair de mon bras, ce qui a pour résultat de m’arracher une grimace. A-t-elle perdu la raison ?
J’essaye de me dégager, mais en vain, car au lieu de libérer mon membre, elle le sert encore plus. Tel un aigle encerclant davantage entre ses griffes sa pauvre proie qui se débat inutilement.
J’écarquille les yeux d’effroi.
-On n’a pas le temps pour ça Esther ! Gronde-t-elle.
Je suis sidéré, c'est la première fois que je vois ma mère dans un tel état. Et le pire dans tout ça, c'est que je n’en comprends même pas la cause.
Si seulement je pouvais parler, m’exprimer à voix haute. Tout serait tellement plus simple pour moi. Probablement pour eux aussi.
Dans les conditions actuelles, le mieux que je puisse faire c’est l’interroger du regard, mais malheureusement, elle est dans un tel état second que je ne parviens pas à attirer suffisamment son attention pour cela. Elle semble réfléchir à toute vitesse. Ou peut-être m’ignore-t-elle volontairement ? Ses yeux noirs bondissent d’un coin à un autre de la pièce.
Non impossible, il y a sûrement une explication rationnelle à tout ça. Elle me la donnera dès que possible, j’en suis sûr.
Tout ce qui me reste à faire dans l’immédiat, c’est lui obéir sans essayer d’obtenir la moindre réponse de sa part. Voilà donc la solution Esther.
De ce fait, d’un mouvement de tête vers la porte de ma chambre, je lui fais comprendre que je n’opposerai pas davantage de résistance. Ce qui a pour effet de détendre légèrement les traits de son visage. Cela me conforte dans l’idée d’avoir bien agi.
Elle me libère enfin de son emprise douloureuse. Un pli soucieux persiste entre ses deux sourcils.
- Toi, tu ne bouges pas d’un cil.
Puis, elle se dirige à pas de loup vers la porte de ma chambre.
Malgré mon profond désir de lui obéir, une bouffée de panique m’envahie à l’idée de quitter la maison sans mon nécessaire à écrire.
Pour moi, cela est vital, car c’est le seul moyen que j’aie en ma possession pour communiquer avec les autres.
Ma mère écoute avec une grande attention les bruits dans la maison, une oreille carrément collée contre le bois de la porte.
Moi, pour ma part, l’espace de quelques secondes, je fais abstraction de mon angoisse pour me focaliser sur l’objet de mes désirs, en jettent un bref coup d’œil vers ma petite table de chevet pour évaluer la distance qui me sépare d’elle. Et par conséquence, savoir durant combien de temps, je dois échapper à la vigilance de ma mère.
Alors qu’elle abaisse précautionneusement la poignée, je saisis ma chance.
Je me précipite vers la table de chevet, ouvre le tiroir et attrape à la hâte un petit carnet en cuir simple encore vierge et un crayon à papier neuf puis je fourre le tout dans l’unique poche de ma chemise de nuit.
Je sursaute quand ma mère referme brusquement la porte qu’elle a probablement à peine entrouverte. Je ne pense pas avoir été bruyante, d’ailleurs si c’est cela le problème, elle vient de l’être davantage.
Ma mère affiche une expression horrifiée.
-Pas maintenant. Murmure-t-elle.
Elle passe rageusement ses mains abimées par son travail de paysanne dans ses cheveux foncés coupés court. Et dire qu’elle ne m’a jamais autorisé à utiliser autre chose que mon esprit alors que je suis son seule enfant. Elle fait désormais les cents pas dans la chambre.
Que lui arrive-t-il à la fin ? J’envisage sérieusement de lui poser la question à l’écrit une bonne fois pour toutes.
C’est là que ma mère se jette à une vitesse affolante vers la fenêtre, m’apportant avec elle dans sa folle trajectoire. Elle l’ouvre en grand. On ne va tout de même pas sortir par là ?
Les volets étaient déjà ouverts, car je suis plus rassurée à l’idée que la lune éclaire ma chambre de sa douce lumière blanche au cas où je me réveillerai en pleine nuit après que ma mère soit déjà venue éteindre les lampes.
-Attends-moi là Esther, je fais le tour des environs et je reviens te chercher.
Ma mère escalade la fenêtre. Je m’efforce de contrôler ma respiration. Je dois lui faire confiance coûte que coûte.
Au fait, où est mon père ? Je m’en veux de ne penser à lui que maintenant.
En tendant attentivement l’oreille, il me semble reconnaitre un bruit à l’intonation métallique. Je réfléchis à toute vitesse pour pouvoir déterminer la nature exacte de cette sonorité. La conclusion la plus logique me parvenant à l’esprit est que ce sont des armures s’entrechoquant les unes contre les autres. Cependant, je chasse rapidement cette pensée de ma tête. Pour la simple et bonne raison que cela signifierait donc que ce sont très probablement des soldats. Et c’est carrément inconcevable pour moi.
Que nous voudraient-ils ? Nous n’avons jamais causé de problème à quiconque. Du moins à ma connaissance.
Cela est vrai que j’ai parfois l’impression que l’on me dissimule des choses, mais tout de même pas à ce point-là. Je ne vois pas pour quelles raisons mes parents auraient des soucis avec les autorités.
J’ai machinalement commencé à me ronger les ongles, cela signifie que la situation devient trop complexe pour mon esprit.
-Monsieur et Madame Rousseau, je vous conseille d’ouvrir cette porte immédiatement si vous ne voulez pas avoir de problème. Respectez votre devoir envers la famille royale, je vous prie. Gronde une voix puissante qui m’évoque le tonnerre.
Ma mère revient tout essoufflée. Je la fixe avec une grande détresse. C'en est trop pour moi. Elle n’essaie pas du tout de me rassurer ni même de prendre le temps de revenir dans la chambre.
Avec une force que je ne lui connaissais pas, elle me fait dégringoler dehors. Sans prendre en compte la douleur que cela m’inflige. Je suis au bord des larmes, mais tente de garder la face. Me punit-elle ? Pourtant, cela ne lui ressemble guère.
-Pardonne-moi Esther de te traiter de la sorte. Dit-elle dans un souffle.
Elle a donc remarqué mes larmes naissantes. Avec son mouchoir, elle tamponne mes paumes de mains et mes genoux écorchés par le sol extérieur rocailleux.
Je tente de décrypter l’expression de son visage avec incrédulité.
Je ne comprends rien, qu’attend-elle de moi au juste ? Que signifie toute cette mise en scène absurde.
Les soldats maintenant à bout de patience, du moins je suppose que c’est ce que sont ces personnes, ils enfoncent la porte d’entrée de la maison dans un vacarme assourdissant qui a probablement réveillé tout le voisinage. En supposant que ce n’était pas déjà le cas quand l’homme à la voix de ténor s’est exprimé il y a quelques minutes. J’entends la voix de mon père résonner au loin, mais ne parviens pas à comprendre les mots qu’il prononce.
Je suis terriblement inquiète pour lui. Devrai-je intervenir ? Je serre les poings de frustration, que pourrai-je donc faire pour lui ? Je ne cesse d’être inutile pour eux.
Ma mère détourne mon attention de la maison en prenant mon visage en coupe entre ses mains. Ses yeux noirs brillent d’émotion.
-Je t’en conjure Esther, cours le plus vite possible jusqu’à cette forêt où tu as été tant de fois avec ton père, sans jamais te retourner. Quelqu’un t’attend là-bas, il te viendra en aide et t’expliquera toute la situation.
Elle est forcée de marquer une pause, car sa voix se brise. La situation est encore plus critique que je l’imaginais. J’essuie du bout des doigts les larmes sur ses joues creuses.
- Fais-moi confiance Esther, et surtout n’oublie jamais que je t’ai aimé sincèrement durant toutes ces années.
Tout est mis sens dessus dessous dans la maison. Il y a un tel méli-mélo de voix à l’intérieur de celle-ci que je n’arrive même pas à discerner des phrases complètes.
-Va-t'en vite Esther. Dit-elle, les paupières closes.
Mon cœur se serre douloureusement. Se débarrassent-ils de moi ? Je peine à refouler mes larmes. Non. Je secoue la tête. Je ne dois pas douter de mes parents.
Ma mère escalade de nouveau la fenêtre, puis ferme les volets sans un dernier regard pour moi.
J’hésite quelques secondes, mais je finis par m’élancer à toute allure en direction de cette fameuse forêt. Heureusement que je connais le chemin par cœur, car au vu de l’obscurité, je ne peux pas trop compter sur ma vue. Je ne me retourne pas une seule fois et pourtant je suis morte de peur. Durant ma course, je m’efforce de ne penser à rien et au bout d’un certain temps, je m’aperçois avec grand soulagement que je suis parvenue à destination. Cependant, malgré ma respiration devenue sifflante sous l’effort, je ne me repose pas sur mes lauriers pour autant, car je ne suis pas encore sortie d’affaire. J’aperçois le soleil se lever au loin, mais à contrecœur, je m’enfonce dans la forêt. Je n’ai aucune idée à présent de l’endroit exact où je dois aller et dans la panique, je finis par tourner en rond. Qui est au juste cette personne qui doit me venir en aide ? Et où se trouve-t-elle ?
L’adrénaline s’étant allée, je tremble comme une feuille, je suis seulement vêtue d’une chemise de nuit à manches courtes. Désespérée, je me laisse tomber par terre. Je grimace en apercevant l’état laborieux de mes pieds. Sans chaussures, le résultat ne pouvait pas être différent. Ce qui m’étonne en revanche bien davantage, c'est de m’apercevoir de cela seulement maintenant.
Soudainement, je me sens lessivée, je replie mes jambes menues contre mon ventre et les entourent de mes bras couverts de chair de poule. Je pose alors la tête sur mes genoux et ferme les yeux, juste un instant...
*
Je me réveille en sursaut, toute étourdie de mettre assoupie dans un lieu si incongru. Un homme gigantesque, tout vêtu de noir, s’approche de moi d’un pas lent, mais déterminé. S’arrêtant net à mes pieds nus et meurtrit par ma course, je lève la tête à m’en faire presque mal à la nuque pour pouvoir observer son visage. Il me fixe intensément de ses yeux gris effilés. Lui me connaît-il ? En tout cas, au premier abord, il ne m’inspire pas du tout confiance. Ses cheveux sont couverts par une capuche qui avale tout son front. Il est complètement inexpressif. Je remarque aussi avec stupéfaction qu’il porte au niveau de sa ceinture deux petits poignards, un de chaque côté. Instinctivement, je recule. Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il va sortir de mon corps.
Je suis vraiment perplexe, je ne parviens pas à l’imaginer comme étant la personne dont ma mère m’a parlé. Et si j’ai bien raison, cela signifie qu’il est certainement là pour me livrer aux soldats. Je tente de me lever, mais il me retient fermement par les poignets, puis me contraint à me rassoir.
Ce n’est pas mon sauveur ! Que faire ?
-Vos parents m’envoient vous mettre à l’abri des soldats, mais vous n’êtes pas du tout au bon endroit, alors j’ai perdu un temps fou à vous chercher dans cette foutue forêt et je déteste ça, perdre du temps, qui plus est dans les situations d’extrême urgence comme celle-ci. Alors Mademoiselle Esther, veuillez m’excuser d’avance, mais je vais devoir être un peu brutal avec vous. Dit-il très visiblement agacé par la situation.
Il s’exprime d’une voix grave et éraillait, qui serait probablement attirante s’il n’était pas si intimidant de par sa carrure d’ogre. Et comment être sûr qu’il me dit la vérité. J’ai une envie irrépressible de me ronger les ongles. Mis à part soulager mon angoisse, cela ne me sera pas d’une grande aide.
Il me décortique du regard avec insistance, ce qui a pour résultat de me mettre mal à l’aise. Jamais personne ne m’a fixé de la sorte auparavant. Tout doucement, il approche son visage du mien, la frayeur s’empare de tout mon être. Je suis complètement paralysée sur place.
-Surtout Esther, ne le répétez à personne. Me susurre-t-il à l’oreille.
Mon corps entier commence à trembler rien qu’à entendre le timbre de sa voix. J’ai si peur, mais je ne sais absolument pas quoi faire face à cet inconnu. Que veut-il dire par là et que va-t-il me faire ? Mon cerveau est en ébullition à la recherche d’une solution miracle.
Il recule enfin son visage du mien, ses mains serrant toujours puissamment mes poignets. Ils sont si frêles et sa force si impressionnante qu’il pourrait me les briser en un rien de temps.
-Ah, mais que je suis bête, j’avais complètement oublié un détail important, de toute façon, vous ne pouvez pas parler. Dit-il en ricanant.
J’écarquille les yeux d’effroi, son rire mesquin m’a sortie de ma léthargie.
Sans vraiment réfléchir, je lui assène un coup de genou dans le ventre aussi fort que possible pour qu’il me lâche. Malheureusement, je n’ai pas l’impression qu’il ait bougé d’un millimètre, ou bien sortit ne serait-ce qu’un grognement de douleur. Néanmoins, à ma grande surprise, il me lâche tout de même les poignets. Je me demande bien pour quelle raison, il m’a libéré puisque apparemment, je ne lui ai provoqué aucunes douleurs. Si je veux m’échapper, c’est maintenant ou jamais.
Alors qu’il m’observe d’un air amusé, j’en profite pour détaler comme un lapin, et ça malgré la décharge de douleur que m’envoient mes pieds déjà écorchés, à chaque foulée supplémentaire.
Je me détourne quelques fois et ne le voyant pas remuer d’un pouce, je pense être sauvée.
Cependant, quelques secondes plus tard, il me rattrape, mon avance n’a servi à rien. C’est cruel de m’avoir laissé croire que je pouvais gagner la course.
Il me plaque contre lui et même si je me débats comme un beau diable, un bras lui suffit à me maintenir en place. Je pleure de rage. Quand je le vois fouiller dans une de ses poches par instinct de survie, je lui mords l’avant-bras et ce jusqu’au sang. Cette fois-ci, il grogne, mais pas autant que je l’aurai voulu. Il ne desserre même pas sa prise sur moi. Je suis fichue ! Pardonne-moi maman, j'ai encore une fois tout raté.
-Princesse, je vous ai sous-estimé. Mais étant donné que vous êtes la sœur jumelle du prince héritier, j'aurais dû m’en douter. Grommelle-t-il entre ses dents.
De nombreuses interrogations se bousculent dans ma tête. Pourquoi m’a-t-il appelé princesse ? Et sœur jumelle de qui ? Je suis fille unique pardi. Ah oui ça me revient du prince héritier en plus !
Que raconte comme sornette cet homme, tout cela est impossible. Il m’a probablement confondu avec quelqu’un d’autre. Ou bien c’est une blague de très mauvais goût.
Alors que je cherche des réponses rationnelles à tout ce que je viens d’entendre, il plaque un bout de tissus imbibé de je-ne-sais-quoi sur ma bouche et mon nez.
Je panique instantanément. Va-t-il m’étouffer ? Je crois que je lui griffe la main. Je n’en suis pas certaine, car l’odeur de l’étoffe me monte à la tête.
-Restez calme Princesse et tout ira bien.
Très peu de temps après, l’obscurité m’envahit toute entière.
Un grand merci à toi, pour ton commentaire, qui m’encourage à poster les prochains chapitres! 😁
Et tu as très probablement raison pour les virgules! 😅
(Hors sujet: ton histoire était déjà dans ma PAL. 😉)