Une voix d’enfant l’appelait

Par Selma

26 février 2050

Irène sortait sur le quai, baignée dans une nuée de voyageur qui, comme elle, descendaient à la gare d’Angers. Elle se retrouvait plongée dans le bruit et le tumulte, si différents de l’atmosphère feutrée des montagnes. Toutes ces personnes autour d’elle avançaient droit vers un but, une destination. En était-ce ainsi de leur vie également, ou bien erraient-elle comme Irène ? Elle ne faisait pas attention à ces gens pressés, alors qu’elle aurait pu remarqué tant de choses qui les séparaient de ceux qu’elle côtoyait, jadis, dans sa petite ville allemande.

Elle entendit soudain son nom prononcé dans la foule. Une voix d’enfant l’appelait. Elle aperçut Blanche, un peu plus loin, accompagnée d’un garçon qui la dépassait d’une tête au moins. Elle les rejoignit.

_ Bonjour Irène ! S’exclama Blanche, je te présente mon frère Léon.

Le jeune homme affichait un air sérieux, ses cheveux plaqués les uns contre les autres avec du gel et une écharpe à carreaux entourant soigneusement son coup.

_ Enchanté, répondit-il en tendant une main à Irène, un sourire peinant à paraître sur son visage.

Elle la prit, la serra. Puis elle suivit le frère et la sœur vers le hall de la gare où la musique envoutante d’un piano accompagnait les voyageurs. Ils la conduisirent ensuite hors de la gare, sur le parking, puis le long de boulevards, de rues et de ruelles.

_ C’est ici que papa achète toujours des fleurs pour maman, expliqua Blanche lorsqu’ils passèrent devant un fleuriste.

Lorsqu’ils aperçurent une cathédrale percer entre les toits des vieux immeubles, elle continua,

_ Et c’est ici où Léon a fait sa première communion et que je ferais la mienne l’année prochaine.

Blanche était une véritable guide touristique tandis que son frère avançait impassiblement à travers la ville.

_ Elle est très bavarde, excusez là, dit-il alors que la fillette partageait avec Irène tout ce qu’elle savait à propos d’un mendiant qui était assis au pied d’une fontaine, entouré de tourterelles.

Blanche lui lança un regard féroce.

_ Est-ce qu’on t’a sonné toi ?

_  Pas besoin de me demander mon avis pour que j’intervienne de manière à sauver la réputation de notre famille, répliqua t-il avec un sourire narquois.

Irène se rendait à peine compte de l’échange entre le frère et la sœur. Les immeubles anciens qui l’entouraient lui rappelaient le quartier ancien de la ville où elle avait étudié. Ces ruelles pavées étaient semblables à celles qui donnaient sur les lieux de rencontres qu’elle peinait parfois à trouver.

_ C’est pas en étant indifférent aux personnes pauvres que tu sauveras ta réputation ! S’indigna Blanche alors que la sonnerie du téléphone portable de son frère retentissait.

Il lui lança un regard amère avant de répondre. Irène dû repenser à ce que Thomas avait décrété en lui tendant le sien, dix ans plus tôt.

 

8 mai 2040

 

_ Le progrès est en effet quelque chose d’étrange, d’imprévisible. Pendant vingt ans le téléphone portable a évolué à la vitesse de l’éclair puis depuis plus de vingt ans maintenant, il n’a plus évolué du tout. Quand j’étais petit, je m’imaginais avec mes amis que nous aurions des écrans tatoués sur la peau, en 2040…

Irène ressenti un chatouillement au creux de son ventre qui s’apparentait aux prémices d’un rire qui n’arrivait cependant pas à émerger. Elle s’en était déshabituée. Elle était allée pour la première fois prendre son petit déjeuné à table, où le jeune médecin était venu la retrouver. Elle se redressa sur ses béquilles, branlante. Elle aurait dû tendre sa main pour intercepter le portable qu’il lui tendait, mais c’était techniquement impossible. Leur regards se croisèrent. Les yeux d’Irène souriaient et déstabilisèrent un instant Thomas   qui réalisa son erreur au bout d’une fraction de seconde interminable.

_ Oh, excuse moi ! Je t’accompagne jusqu’à là bas, pour que tu puisses discuter tranquillement.

Il désigna le bout de la table, aussi longue que la largeur du hangar. Il suivit Irène, les yeux rivés dans son dos, sur ses longs cheveux emmêlés qui donnait tant de charme au malheur. Elle s’assit finalement sur une chaise en bout de table, pris le portable que lui tendait Thomas, et composa le numéro.

_ Allo ?

_ C’est Irène papa, c’est moi !

_ Irène ! Éléanore, c’est ta sœur au bout du fil !

Mr Tellier avait levé le combiné pour interpeler sa fille qui écrivait une carte sur la table à manger. Son futur mari était à ses côtés. Ils se précipitèrent vers le vieil homme à l’annonce de celle qui appelait.

_ Ça fait des semaines que je t’appelle pour prendre de tes nouvelles ! Je tombe sur le répondeur, à chaque fois !Qu’est-ce qui t’es arrivé, ma fille ?

Irène sentait la chaleur l’envahir. Cette voix familière lui avait tant manquée ! Elle lui rappelait qu’elle n’était pas seule, qu’il y avait quelque part, sur cette Terre, quelqu’un qui pensait à elle.

_ Je vais bien, maintenant. J’ai été prise dans une inondation, j’ai la jambe cassée… Mais je vais guérir, ce n’est pas si grave que ça…

_ L’inondation ? Je te l’avait dis Éléanore, que c’était ça. Je me suis fais du soucis pour toi, Irène. Mais tu es saine et sauve, Dieu merci.

_ L’inondation a envahit la ville où t’étudies ? Je croyais que c’était à quelques kilomètres de là.

Éléanore  avait pris possession du combiné.

_ Non, mais je faisais une sortie avec des amis, souffla Irène.

La chaleur en elle s’était dissipée. Elle avait été remplacée par un goût acre.

_ Ma pauvre, quelle malchance ! S’exclama Éléanore et ajouta, dans un souffle, et que sont devenus tes amis ?

Irène porta une main à son front qui devenait douloureux.

_ L’un d’entre eux a disparu…

Un silence s’ensuivit durant lequel elle ne pouvait que distinguer la respiration de sa sœur à l’autre bout du fil.

_ Je suis tellement désolée, Irène.

_ Je… J’aurais besoin de votre aide pour revenir en France. Il faut commander un avion, m’emmener à l’aéroport. Toute cassée comme je suis, je ne peux pas y a arriver seule.

_ Oui, bien sûr. Il faut qu’on en parle à Sissi et Nora, elles pourront sûrement venir te chercher en Russie. Dani et moi préparons notre mariage alors tu comprends…

Le visage d’Irène s’illumina d’un sourire. Elle avait oublié que sa soeur se mariait. C’était une étape importante dans une vie et Irène fut bouleversée en réalisant qu’une chose aussi belle puisse encore exister.

_ Évidemment ! J’espère que je pourrais y assister.

_ Oui, hum, je te passe papa, il veut te parler de l’actualité, tu sais, ça le passionne depuis quelques temps.

Éléanore laissa échapper une petit rire complice avant de tendre le combiné à son père.

_ Irène, est-ce que tu as entendu parlé du coup d’État ?

_ Quoi ! En France ?

_ Non, non, mais pas loin de là où tu es, toi. C’est en Pologne. Un coup d’État par des salauds qui proclament être le Parti International. Il ne sont pas encore arrivé chez toi ?

Irène fut envahit de nausée. Un coup d’État ? Le mot la rendait mal à l’aise. Le parti ? Comment était-ce possible ?

_ Comment ça, un coup d’État ?

_ Ils ont pris le pouvoir, et imposent leurs mesures, tu n’en as pas entendu parler ?

_ Non, ça s’est passé il y a combien de temps ?

_ Peut-être trois semaines…

Ils organisèrent le rapatriement d’Irène puis la jeune femme promis de rappeler quelques jours plus tard pour qu’ils se mettent d’accord sur les derniers détails.

Elle raccrocha puis regarda autour d’elle. Elle localisa le jeune médecin au chevet de blessés, un peu plus loin. Elle sentait la tendresse et l’attention dans chacun de ses gestes. Se focaliser sur ses mouvements apaisait Irène. Ils lui faisaient oublier les choses douloureuses que la conversation téléphonique avait évoquées en elle. Après avoir administré un médicament à un enfant, Thomas vint la rejoindre. Il rangea une petite boîte qui contenait des médicaments dans sa blouse blanche et se mit à boutonner et déboutonner distraitement un bouton de son col.

_ Merci de me l’avoir prêter, fit Irène en lui tendant le portable.

_ Mais de rien ! Répliqua t-il avec un sourire resplendissant, l’appel s’est bien passé ?

Thomas regretta sa bonne humeur. Il pouvait lire dans les yeux de son interlocutrice qu’elle était nerveuse. Il devinait qu’à l’intérieur, elle était agitée, qu’elle vivait une tempête semblable à celle à laquelle elle avait survécue, quelques jours plus tôt. Elle prit un couteau de cuisine qui reposait sur la table.

_ Est-ce que vous pouvez me rendre un service ? Demanda t-elle en faisant tournoyer l’instrument entre ses mains.

Il fixa l’objet, les sourcils froncés. Qu’allait-elle lui demander ?

_ Oui ?

_ J’ai besoin de me débarrasser de mes cheveux, je sens qu’il est grand temps que je tourne une page… Une page de ma vie.

Soulagé, il lui prit le couteau qu’elle lui tendait. Cependant, il hésita à empoigner ses longs cheveux blond lorsqu’elle se retourna. Il avait l’impression de porter atteinte à quelque chose de sacré. Ces cheveux lui paraissaient intouchables. Mais ce n’étaient que des cheveux… Il avait déjà empoigné les membres de blessés avec bien moins de scrupule. Il finit par lever la longue crinière et à la cisailler au niveau des épaules d’Irène.

_ Vous devrez retourner au coiffeur, je crains que ce ne soit très régulier, fit-il avec une grimace quand la masse de cheveux reposa entièrement dans sa main.

Irène avait la tête baissée. Elle ne se retourna pas lorsqu’elle  sentit que sa chevelure était devenue plus légère. Elle sentit la main du médecin se poser furtivement sur son épaule.

_ Voulez vous les garder ? Demanda t-il en considérant les cheveux qu’il tenait toujours.

Elle secoua la tête.

_ D’accord, souffla t-il avant d’aller rejoindre son supérieur qu’il lorgnait du coin de l’œil.

Il entortilla les cheveux pour en réduire le volume puis les fourra dans la poche de sa blouse qui ne contenait pas les médicaments.

 

26 février 2050

 

_ Voilà, on est arrivé, c’est notre maison !

Blanche pointa une haute maison ancienne du doigt. Elle avait plusieurs étage et des fenêtres sous les combles. On pouvait apercevoir une rivière se profiler un peu plus loin. Irène s’était imaginée la maison lorsque Blanche la lui avait décrite mais à présent, elle n’arrivait plus à retrouver cette représentation dans ses souvenirs.

_ Blanche, regarde !

Léon donna un coup de coude à sa sœur.

_ Regarde le, ce gars, tu voix bien comment il espionne.

Irène suivit le regard du frère et de la sœur qui s’étaient dirigés vers le bas de la rue. Un jeune homme emmitouflé dans une doudoune était assis sur le socle d’une statut, sur une petite place.

_ Qu’est-ce qui te fait dire qu’il espionne ? Il regarde même pas dans notre direction. On dirait qu’il attend quelqu’un !

_ Ce n’est pas qu’il ne nous regarde pas maintenant qu’il nous a pas regardé en arrivant. Je l’ai déjà vu plusieurs fois…

Léon plissait les yeux, certain de tenir un suspect entre ses mains. Sa sœur soupira puis sonna à la porte d’entrée.

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