Vendredi 11 Octobre

Par Aude JB

La sonnette de l’interphone sonna à 19h pétante. Ambre reconnu immédiatement la psychorigidité caractéristique de Mélis. Pour elle, il fallait être à l’heure, toujours ! Ambre était prête à parier qu’elle se considérait même en retard en arrivant pile-poil à l’heure. Après avoir passé la matinée à rassurer les filles sur son état et son silence de la vieille, elle avait négocié pour ne passer à la soirée qu’une petite heure. Étrangement l’idée d’y aller la terrifiait moins qu’avant comme si quelqu’un lui avait, enfin, insufflé un peu de courage. Elle fit monter les filles qui lui sautèrent au cou quand elle ouvrit la porte.

- Plus jamais tu fais ça !

Anna était définitivement en colère contre elle. Son visage était fermé et ses yeux lançaient des éclairs. Anna était une jeune femme calme qu’il ne valait mieux pas énervé. Lucas, l’un de leur collègue de promo, s’en souvenait toujours. Pendant les trois premiers mois de la L1, il avait harcelé Anna sur son physique. Son métissage sénégalais et chinois avait fait d’elle une beauté à part et lui avait valu, de la part de Lucas, le surnom de dragon d’Afrique. Anna l’avait calmement recadré pendant des mois quand il vantait les mérites de son cul, de sa poitrine ou de son vagin aux autres garçons de la promo. D’après lui ce métissage l’avait probablement rendu étroite et sauvage au lit. Anna se fichait pas mal de l’opinion des gens sur son physique et sa sexualité et quelques piques bien placés avaient tendance à calmer les abrutis. Mais un jour Lucas était allé trop loin en impliquant sa mère dans ses délires. En expliquant comment sa mère avait dû apprécier de se faire défoncer par « une bite de noir » il avait déclenché sa colère. Celle-ci s’était levée calmement pour planter son visage à 2 cm du sien. Personne n’avait entendu ce qu’elle lui avait dit, mais il n’avait plus jamais recommencé. Depuis, personne n’avait osé s’en prendre à elle ou à ses amis. Elle avait d’ailleurs toujours refusé de dire aux filles de quoi elle l’avait menacé. 

Ambre savait que les choses n’en arriveraient pas là, mais elle préférait rester prudente. 

- Désolés Anna, je voulais pas te faire peur

Elle était sincère. Ce ne l’amusait pas de mettre les filles en colère même si elle ne comprenait pas bien pourquoi. Anna se radoucit et lui envoya un bisou pour enterrer la hache de guerre.

La session de préparation/relooking se passa bien. Les filles commencèrent par un shot de l’amitié avant de forcer Ambre à se laisser faire. Après 3 shots de tequila et un verre de Vodka pomme, Ambre se laissa convaincre de porter la jupe en similicuir et les bottines noires à talon dont elle n’avait jamais enlevé l’étiquette de prix. Mélis était en train de lui lisser les cheveux pour pouvoir ensuite faire des boucles, concept qu’Ambre avait du mal à saisir. Entre deux passages de fer à lisser, Mélis se mit à fixer le reflet d’Ambre avec insistance. 

- T’as changé meuf

Anna acquiesça sans lever les yeux de son téléphone. Ambre ne savait pas quoi répondre ni comment le prendre. Elle avait aussi l’impression d’avoir changé, mais en même temps d’être restée la même. Et puis comment expliquer ou justifier ce changement. Être traumatisée par le regard d’une inconnue et revenir d’un bad-trip de 24h ne faisait pas vraiment sérieux. Cela ressemblait plus à un aller simple pour l’asile. Les filles semblaient avoir perçu son trouble car Mélis enchaîna.

- C’est pas un reproche hein ! T’as juste l’air plus détendu, ouverte. Perso, ça me fait plaisir. T’as toujours l’air tellement triste et renfermé, même nous, tu nous laisses pas entrer.

Ana leva les yeux de son téléphone pour fixer ceux d’Ambre dans le miroir.

- Des fois, on a carrément l’impression que tu ne nous aimes pas ou qu’on te fait chier.

Elles continuèrent à se fixer pendant que Mélis baissait les yeux pour reprendre son travail. Cette dernière phrase avait jeté un froid. Une fois encore l’esprit d’Ambre se ferma. Il n’était pas possible de l’apprécier ou de l'aimer, c'était comme ça, son fardeau. Les gens pensent l’apprécier alors qu’en réalité, ils ont juste pitié d’elle. Un jour, probablement à la fin de la Licence, quand elles iraient toutes dans des masters différents, les filles se rendraient compte de leur erreur et l’oublieront. Les choses se devaient d’être ainsi. Elle essuya rapidement une larme qui avait osé couler pour ruiner son maquillage. Elle n’avait pas lâché Anna des yeux. Cette dernière finit par détourner le regard quand son téléphone se mit à sonner. 

- C’est Thomas, il dit qu’il nous attend pour y aller et qu’on doit se grouiller parce qu’il commence à se faire chier.

Mélis leva les yeux au ciel.

- Hooo c’est bon ! Il est à peine 21h ! Dis-lui qu’on part dans 15 minutes et qu’il a intérêt à être beau gosse ce soir.

Elle fixa Ambre avant de continuer en riant.

- Vu qu’on l'a fait belle pour lui

Ambre ria jaune

- Laisse-moi en dehors de ça ! Y a zéro chance qu’il se passe quoi que ce soit entre nous.

- Let’s see !

Lança Anna, avant de changer de musique

 

***

Les filles retrouvèrent Thomas au métro Sèvres-Babylone pour rejoindre la station Jussieu. Thomas était effectivement très beau avec son pantalon chino beige, son sweat vert et son bomber noir. Ambre avait toujours eu un faible pour son style vestimentaire faussement négligé et bobo. Un pur produit parisien. Ils se firent la bise avant de rentrer dans la station. Anna et Mélis prenaient un malin plaisir à laisser Ambre et Thomas derrière. Ce petit manège avait le mérite de l’exaspérer et elle se sentait de plus en plus mal à l’aise. Thomas ne semblait pas remarquer le malaise et entama la conversation avec Ambre.

- Tu vas mieux ?

Ambre rougis

- Heu ouais ouais, merci

- Tant mieux, on était vachement inquiet avec les filles hier … Chelou quand même cette mononucléose éclair

Qu’est-ce que les filles étaient parties sortir à Thomas ! Et aux autres de la promo ! Elle entendu les filles pouffer devant elle. Ça leur ressemblait bien. Ambre se promit de leur faire payer cette histoire débile. Elle balbutia une vague approbation avant de changer de sujet.

- Tu sais qui sera là ?

- Pas vraiment, les garçons vont peut-être venir

Il hésita.

- J’y vais surtout pour faire plaisir aux filles, elles m’ont cassé les couilles pour que je vienne.

Ambre ouvrit grand les yeux de surprise.

- Non ?! Sérieux ?! À toi aussi elles ont fait le coup

Ils se mirent à rire avant que Thomas n’ajoute. 

- A priori, je ne suis pas le seul à me faire manipuler.

Ce moment de complicité alluma une mèche d’espoir dans l’esprit d’Ambre et pour une fois, elle ne chercha pas à l’éteindre.


 

***

 

L’appartement des parents de Sophie, l’hôtesse de la soirée, était impressionnant. Un monstrueux duplex sur l'Île Saint-Louis avec une vue imprenable sur les quais et l’Institut du Monde Arabe. Ambre ne connaissant pas vraiment Sophie et elles se contentèrent de se dire bonjour à la fac. Tout ce qu’elle savait, c’est que ses parents étaient riches et souvent absents, such a cliché ! Sophie avait invité la majorité de la promo ainsi que ces différents groupes d’amis. Au bas mot 150 personnes circulaient librement dans l’appartement haussmannien. A priori, elle n’avait pas peur de la casse. Les filles et Thomas se dirigèrent vers l’immense bar aménagé dans ce qui devait être le salon. À leur grande surprise de vrais barmans étaient occupés à servir de vrais cocktails aux invités. Anna était aux anges, elle allait pouvoir boire à l’œil de l’alcool de qualité et Dieu sait à quel point elle aimait boire. Sa tolérance à l’alcool était impressionnante et elle battait à plate couture 99% des gens sur ce terrain-là. Elle avait froissé plus d’un ego masculin en réussissant à finir des bouteilles d’alcool plus vite que les autres et sans être complètement bourré. Elle restait, la plupart du temps, la plus responsable du groupe même après une cuite monumentale. Ou du moins, c’est l’impression qu’elle donnait. Elle fixa ses trois amis un à un en les pointant du doigt en demandant :

- Shot de l’amitié ? Shot de l’amitié ? Shot de l’amitié ?

Ça n’avait en réalité rien d’une question, juste un ordre déguisé. Tout le monde accepta plus ou moins de bon cœur. Pendant qu’Anna se frayait un chemin jusqu’au bar et que Mélis et Thomas discutaient des cours, Ambre se mit à observer le lieu. On aurait dit une boite de nuit géante. Dans ce qui semblait être le salon, l’entrée et la salle à manger les lumières étaient éteintes pour laisser place à des spots lumineux bleu, rose et violet. Le bar prenait toute la largeur de la pièce et 4 barmans et barmaids s’affairaient derrière. Elle réalisa subitement qu’un DJ mixait derrière le bar. Sophie avait définitivement les moyens de se faire plaisir ce qui rendit Ambre un peu jalouse. Non pas qu’elle avait manqué, ses parents avaient des revenus confortables, mais rien de comparable à ça. Toutes les fenêtres étaient fermées, volets compris. Une piste de danse géante prenait plus de la moitié de la pièce et les canapés avaient étaient poussés contre les murs. De l’autre côté de l'entrée, la cuisine était restée allumée et des gens passaient leur temps à en sortir et à y entrer. De nombreuses personnes faisaient également des aller-retour à l’étage. Anna venait de revenir et de lui tendre son shoot dans un petit verre en plastique.

- Buvez pas tout de suite, on va dehors, je vais fumer

- Comment ça dehors ?

Demanda Thomas

- Sophie nous laisse aller sur le toit pour fumer.

La musique était bien trop forte pour une véritable conversation donc tout le monde suivi Anna à l’étage. Ils se frayèrent tant bien que mal un passage dans les escaliers. Entre les personnes qui descendaient et celles qui s’y étaient installées, la montée fut compliquée, surtout avec un verre à la main. À l’étage de petites boules de lumières étaient posés au sol le long des murs comme pour guider les invités. Ambre remarqua qu’une boule était posée devant chaque porte comme pour en interdire l’accès seul deux pièces faisaient exception. Sur ces dernières, des feuilles avaient été collées avec l’inscription « TOILETTE interdiction de baiser là » écrite à la main. Ambre pouffa et attrapa Thomas par l’épaule pour lui montrer. Il se mit à rire et lui fit signe de s’arrêter. Il sortit son portable l'entraîna avec lui devant l’une des portes et fit un selfie d’eux devant le panneau. Il lui montra la photo et Ambre fut surprise d’apprécier ce moment. Elle se sentait étrangement à sa place et avait le sentiment que rien ne pourrait mal tourner. Elle lui fit signe de la main pour lui dire que la photo était parfaite. Même loin du salon la musique restait trop forte pour parler sans crier. Arrivé au bout du couloir, un nouvel escalier les attendait. Ils montèrent une dizaine de marches et débouchèrent sur le toit ou plutôt sur la terrasse aménagée. Une vue digne des rooftop les plus select les attendaient. Des gardes fous leur arrivant à la poitrine et protégés par des bacs de fleur les protégeaient du vide. Ils avaient vu sur tout Paris, la Seine, ses lumières, sa vie, son énergie. Ambre se rappela pourquoi elle aimait tant cette ville. Elle retenait de justesse une larme. Elle n’avait jamais compris pourquoi cette ville et ces vues imprenables de la vie parisienne avaient tant d'effets sur elle. Elle laissa les autres partir dans une autre direction tandis qu’elle se dirigeait vers les rambardes. L’une des plantes n’était pas aussi haute que les autres ce qui lui permit de prendre appui directement contre une barrière. Elle observa, respira Paris et se laissa transporter loin de son corps. Elle parcourait lentement le paysage des yeux s’attardant sur les monuments qu’elle voyait au loin sans les reconnaître. La Seine et ses bateaux-mouches. La musique et les murmures de la soirée en fond sonore. Elle aurait pu passer la soirée à fixer ce Paris, mais elle se devait de rejoindre les autres. Elle inspira à plein poumon une dernière fois et fit ses adieux à la vue. Elle repéra rapidement ses amis assis sur un ensemble de canapé de jardin. Mélis l’apostropha. 

- Ha, bah, t’es là ? On t’attendait pour boire.

Anna enchaîna avec un clin d’œil.

- Et tu sais à quel point je déteste attendre pour boire, vilaine.

Ils se mirent à rire avant de trinquer. Un haut-le-cœur général suivi. Thomas toussa avant d’incendier Anna.

- Mais c’est quoi cette merde meuf, c’est immonde !

Anna éclata d’un rire faussement machiavélique.

- Il se pourrait que j’aie demandé des shots de Pastis.

Un torrent de haine suivi dans la plus grande des confusions : non mais t’es malade ? Personne ne boit du Pastis ? Pourquoi cette connasse de Sophie a mis du Pastis au bar ? Tu ne commandes plus rien pour moi ce soir ? 

Anna les regardait toujours en souriant puis éluda la question d’un geste de la main.

- Vous devriez me remercier ! Après ça, rien de pire ne pourra vous arriver ce soir. Et puis il faut qu’on discute de l’objectif principal de cette soirée : baiser !

Le sujet favori de Mélis était enfin sur la table. Son regard s’éclaira et elle se frotta les mains.

- Carrément ! J’en ai marre de me taper Etienne

Ambre et Thomas parlèrent en même temps

- Tu te tapes toujours ce blaireau ?

- Le mec de 40 piges ?

- Alors oui Thomas, le vieux et oui Ambre, je n’ai rien trouvé de mieux pour l’instant. Peut-être que je devrais me trouver une meuf cette fois ?

Mélis s’enfonça dans sa réflexion pendant que Thomas et Ambre levaient les yeux au ciel. Anna suggéra.

- Ou sinon tu arrêtes ton délire de ne coucher qu’avec une personne à la fois et tu couches avec qui tu veux quand tu veux.

Depuis 6 mois Mélis avait en effet décidé d’être fidèle avec ses plans culs. Elle refusait toujours les relations sérieuses, mais ne couchait plus qu’avec une seule personne qu’elle voyait régulièrement. Le dernier en date, Étienne 42 ans qu’elle voyait depuis mi-septembre. D’après elle multiplier les conquêtes d’un soir était mauvais pour son karma. Bullshit aux yeux d’Ambre qui aurait tout donné pour pouvoir coucher avec qui elle voulait quand elle voulait. Son manque de confiance en elle avait toujours raison de sa sexualité et elle se retrouvait à coucher uniquement bourrée. Bien bourrée !

Anna déplaça son attention son elle.

- D’ailleurs, Ambre crois pas que je t’oublie ! Ce soir tu baises meuf ! Je vais te faire boire jusqu’à ce que tu trouves quelqu’un.

Elle lança un regard furtif vers Thomas.

- Et toi Don Juan ? Ton objectif de la soirée

Il se mit à rire.

- Ne pas rentrer déchiré. J’ai tennis demain.

- Ho excusez-moi Monsieur Bobo, j’avais oublié que tu ne vivais que pour bien de ton corps et que tu refusais tout ce qui peut être drôle

Ce genre de joutes verbales entre Anna et Thomas étaient courantes et personne ne faisait plus attention quand ils commençaient. Le téléphone de Thomas se mit à sonner.

- Les gars sont là, je vais les voir. Je vous rejoins plus tard. Et pas de bêtises les filles

Il leur envoya un bisou avant de partir pendant qu’elles le lui rendaient en grimace. À peine avait-il quitté le toit que les filles se tournèrent vers Ambre en souriant de façon malsaine. Mélis brisa le silence.

- Donc toi ce soir tu tentes ta chance avec Thomas

Elle n’eut pas le temps de répliquer qu’Anna enchaîna.

- N'essaye même pas de te défiler ! Ça fait 2 ans et demi que ça dure et ça s’arrête ce soir. Soit-tu lui plait et il se passe un truc, soit tu ne lui plais pas et dans ce cas on t’en trouve un autre bien mieux que ce bobo de mes deux.

Ambra tenta une technique de repli qui ne fonctionna pas. Les filles la prirent par les bras et se dirigèrent vers l’entrée.

- Toi ce soir, tu bois et tu portes tes ovaires.

Au ton d’Anna, elle comprit qu’elle n’allait vraiment pas y échapper et qu’elle n’allait pas pouvoir s’éclipser dans une heure comme elle l’avait prévu.

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