Il avait craché cette phrase comme un seul mot mal mâché.
― Euh… Pardon…
Mais l’inconnu ne l’écoutait déjà plus. Il souleva le fusil et visa un point derrière Bell. Elle n’eut pas le temps de faire un geste que l’homme avait tiré. Un cri de surprise lui échappa et son cœur faillit se décrocher.
― Saleté de bête. Dégage, gamine, tu gênes.
Bell ne voyait plus le loup dans la pénombre. Une vague de panique la submergea, et elle éclata :
― Vous allez pas bien ? Il est avec moi.
― De qui tu parles ? Je tire sur un loup. Ils mangent nos bestiaux. Celui-là était sacrément gros.
Après cela, l’homme prit un temps de réflexion et baissa légèrement son arme. Alors qu’il considérait face à lui Bell dont il ne voyait que l’ombre agitée. Il reprit d’une voix forte :
― S’il est avec toi, je te conseille de déguerpir avec ta bête. Allez file. On veut pas te voir dans les parages.
Il pointa son arme sur Bell qui le fusilla du regard. Crapouille cracha. Dans la pénombre, un grondement sourd se répandit, comme un orage qui roulait sous la terre. Les mains de l’homme se mirent à trembler, ainsi que les murs de la ferme, le sol sous leurs pieds. L’homme ouvrit la bouche, et cela fit comme un grand trou noir au milieu de son visage. Il recula d’un pas. Une main osseuse se posa alors sur son bras, et les secousses s’arrêtèrent. Bell n’avait pas bougé.
― Allez. Rentre, ça vaut mieux. T’occupe pas de ça, fit une voix féminine et froide.
L’homme recula d’abord sans quitter Bell de ses yeux caves, puis il tourna la tête vers la personne qui avait parlé.
― C’est une meneuse, lâcha-t-il d’une voix enrouée.
La tête d’une femme apparut par l’ouverture de la porte. Elle posa sur Bell un œil indifférent, scruta l’obscurité autour d’elle et, comme si une guêpe l’importunait, elle cracha :
― Ouste.
La porte se referma dans un claquement sec. Bell entendit qu’on la verrouillait de l’intérieur. Elle tremblait de rage, et se dépêcha de rejoindre le sentier principal. À son plus grand soulagement, le loup la rejoignit un peu plus loin. Il n’était pas blessé. Elle avait envie de hurler et d’aller insulter cet homme. Elle ne savait que faire de toute cette matière ardente qui l’envahit tout d’un coup, la secoua tout entière et qui ne demandait qu’à sortir. Elle se mit à pester de plus en plus fort contre l’homme, contre la froideur des gens, contre leur égoïsme, leur indifférence, leur cruauté. Le loup la laissa faire.
― Je pense qu’il vaut mieux que je ne sois pas avec toi pour demander l’hospitalité. Je pars de mon côté. Tu gardes Crapouille. On se retrouve demain matin.
― Non. On ne recommence pas. On dormira dehors cette nuit, c’est tout.
Cela lui était égal, de réveiller tout le hameau. Elle voulait que tout le monde l’entende.
― Ne t’inquiète pas pour moi, le bonhomme n’est pas sûr que je sois un loup et il ne partira pas à la chasse en pleine nuit. Il a peur de nous, de toute…
― Je reste avec toi, hurla Bell.
Ce ne fut que quand le loup recula de plusieurs pas qu’elle s’aperçut que la colère l’avait débordée. Une vague de honte vint tout éteindre. Elle se mit à genoux face à son ami et tendit la main. Il s’approcha sans attendre et elle le serra dans ses bras.
― Pardon, je voulais pas te crier dessus. J’ai eu peur pour toi.
Quelque part, une porte s’ouvrit à la volée. Le loup sursauta encore, et voulut détaler. Bell serra sa main dans sa fourrure et il resta près d’elle, alerte et menaçant.
― Bon, alors, c’est fini, ce boucan, oui ?
La silhouette d’un autre homme se dessina dans la nuit, grande, mince et nerveuse. Il se planta devant Bell dont la fatigue venait de prendre le pas sur la honte. Dans la pénombre du soir, le nouveau venu se pencha légèrement sur Bell et s’insurgea :
― Vous pouvez pas faire moins de bruit ? Vous avez vu l’heure ?
― Désolée. C’est moi qui crie comme ça, avoua-t-elle, platement. On ne vous embête plus.
― Ah. Bon, fit l’homme, désappointé. C’est toi qui as tiré ? On n’a pas idée de tirer à une heure pareille. C’est dangereux, en plus.
― Je sais. C’est pas moi. J’ai frappé à la porte, là, pour demander si les gens pouvaient m’héberger pour la nuit. L’homme a vu mon loup et il lui a tiré dessus. C’est pour ça que je suis en colère.
― T’as un loup, toi ?
― C’est mon ami, rectifia Bell avec un air de défi non dissimulé.
― D’accord. T’as un ami loup, répéta l’inconnu en piétinant sur place.
Il se retourna, comme s’il allait faire demi-tour, mais resta là. Avec un mouvement d’impatience, il fit volte-face pour interroger Bell.
― T’as quel âge, gamine, si c’est pas indiscret ?
― Dix-sept ans, répliqua Bell, un peu durement, parce que le fait qu’on s’adresse à elle comme à une « gamine » commençait à l’agacer. Pourquoi ?
― Et tu dors où, cette nuit, du coup, avec ton loup ?
Bell haussa les épaules, ce que l’homme ne put que deviner dans l’obscurité.
― J’imagine qu’on peut pas te séparer de ta bestiole. C’est pas possible, ça ?
― Non. J’ai un chat, aussi.
― C’est tout ?
― C’est déjà pas mal.
― Bon. Bah si madame est d’accord et qu’elle a fini de crier, elle peut venir dormir dans l’ancienne chambre de ma fille, avec son loup, son chat, et son mauvais caractère. Est-ce que ça lui va, à madame Je-Suis-Pas-Contente ?
― Ça me va, répondit Bell, et un mince sourire se dessina sous sa colère.
― Bon. Comment tu t’appelles ?
― Isabelle.
― Moi, c’est Jeffrey, mais tu peux m’appeler Jeff. Les gens, ici, ils sont tout le temps sur la défensive. C’est pas un lieu où tu peux frapper, en pleine nuit, chez les gens, pour leur demander, est-ce que je peux dormir chez vous avec mon loup de compagnie, tu comprends ? De mon temps, on le faisait, ça posait pas problème, mais maintenant, tu t’imagines pas ce que tu risques ! Qu’est-ce que tu fais, à traîner à cette heure-là, d’ailleurs, on t’a pas éduquée, ou quoi ? J’y crois pas… Bon, tu me suis ?
"Cela lui était égal, de réveiller tout le hameau. Elle voulait que tout le monde l’entende." -> j'ai tiqué un peu sur cette phrase. Parce qu'elle hurle ? Ce n'était pas clair à ce moment du récit :)
Petit point de clarification : elle voyage de village en villages du coup ? Parce que tu parles de passants qu'ils croisent, puis de hameaux.. J'ai un peu de mal à visualiser l'itinéraire sur lequel ils se trouvent, mais je ne sens plus qu'on est en forêt. C'est juste un détail mais je voulais te le partager.
Bon au moins, elle a pu trouver quelqu'un de gentil pour l'héberger. Ça aurait peut-être été intéressant de le décrire d'ailleurs, pour qu'on puisse vivre le don qu'a reçu Bell. Et peut-être de confirmer que c'était une "bonne personne" même si je garde en tête que ça peut facilement varier, même au cours de la journée.
À bientôt ! :)
Un graaaaand merci pour ta lecture et tes commentaires,
À très vite !
Ce n'est pas qu'il n'est pas bien décrit, c'est qu'il l'est peu, dans ce chapitre en tout cas ! Mais en effet il fait sombre. Ça va peut-être venir au chapitre suivant ?
Oula, c'était donc un sale type, ce monsieur au fusil x'D
Heureusement que le loup n'a pas été touché !
Et heureusement que Bell semble avoir trouvé où dormir avec ses amis pour la soirée. J'espère que cet homme est quelqu'un de bien cette fois, je me méfie maintenant ^^"
Merci pour ce chapitre,
J'ai hâte de découvrir la suite ! : )
Contente que ce moment lecture t’ait plu, j’ai hâte d’avoir un peu de temps au calme pour te lire aussi.
A vite vite !
"Bell ne se formalisa donc pas. Crapouille avait aussi ses moments d’amnésie.", juste avant que la chatte ne les rejoigne. Sauf que c'est elle Crapouille, pas le loup (je me demandais si j'avais raté le passage où elle lui donnait un nom, et qui était le "elle" qui apparaissait au paragraphe suivant, si Crapouille était le loup...)
J'ai l'impression qu'il y a quelque chose de louche dans ce village...
Merci beaucoup pour cette remarque et pour ta lecture ! Je vais regarder ça attentivement.
A très vite
Merciiiiii
J'aime bien qu'une forme de bulle sociale protectrice se forme autour de notre héroïne qui en a bavé dans son enfance.
Bon courage pour la suite de l'écriture !
En effet, Crapouille est souvent là quand il faut tisser du lien ou dénouer une situation, même si parfois il peut y avoir des ratés ^^
Merci encore de partager ton regard sur ce projet.
A bientôt