VI . Marchandage et chahuterie

Par Eldien

La rue principale du Quartier marchand était bondée lorsque Carssa y déboucha d’une rue parallèle. Comme chaque fois qu’elle empruntait les artères de Tredor, la jeune femme se retrouva serrée entre un groupe de soldats transpirant dans leur lourde armure étincelante et un chariot vide au propriétaire pressé brinquebalant le long des pavés.

Les convois descendaient la pente raide de leur mieux en direction de la rotonde. Chacun des transporteurs luttaient contre la gravité qui les poussaient en direction du lac rougeoyant au bas de la rue. Le crissement plaintif des freins luttant contre le poids des denrées retentissait régulièrement, tout comme le cri des marchands tentant d’amener leur stock à bon port.

Elle se faisait l’image d’une secte acheminant son sacrifice tout droit dans la gueule béante d’un maître démoniaque, éternellement insatisfait. Ce devait être un démon guerrier très généreux, car la plupart des paquets qui remontaient péniblement la route vers l’entrée de la ville semblaient uniquement constitués d'armes ou d’armures flambant neuves.

Se laissant porter par le flux de la foule comme un passant anonyme de plus, il fallut étonnement peu de temps pour que Carssa n’atteigne le Quartier marchand situé de l’autre côté de la ville. Alors qu’elle commençait à se détendre, profitant du trajet pour observer les étals et présentoirs disposés sur les trottoirs devant les échoppes, elle sentit un frisson lui parcourir la nuque. Elle reconnut instantanément ce sentiment désagréable que des années passées à chercher l’anonymat avait aiguisé. On l’observait...

Elle profita d’un mouvement de foule pour se retourner et jeter un coup d’œil rapide derrière elle. Elle parvint à apercevoir une forme indistincte remontant rapidement le courant de badauds dans sa direction.

Une main à découvert, l’autre remontant vers une lame cachée dans les plis de sa tunique, la rôdeuse prit un tournant serré au coin d’un convoi avant d’attendre ce poursuivant inconnu. La forme étrange s’avéra être accompagnée, car après le passage de deux badauds passant nonchalamment, une bande de gamins essoufflés déboula devant la jeune femme. Ils avaient le visage cramoisi de l’avoir suivie à travers la foule et un air perdu se peignait sur chacune des bouilles du troupeau d’enfants excités.

L’un d’entre eux, un garçon particulièrement dépenaillé et plus grand que ses camarades finit par la remarquer. Ses yeux s’ouvrirent aussi grands que sa bouche lorsqu’il l’aperçut et, une fois le choc passé, il émit un petit cri en la pointant du doigt comme s’il avait trouvé le Roi de Maerosa en personne.

« Dites les mioches, vous allez me pister longtemps comme ça ? cingla la jeune femme, un léger sourire moqueur atténuant la dureté de son ton. J’ai des courses à faire et aucunement le temps de jouer la gardienne ! »

Avant qu’elle n’ait le temps d'ajouter quoi que ce soit, la troupe de minuscules créatures se jeta sur elle avec un cri d’enchantement.

Complètement désarçonnée, la jeune femme fit de son mieux pour tenir debout et éviter que la marée baveuse ne la submerge complètement. Elle se faufilait entre les petites têtes, tentant de les calmer et de les repousser sans leur faire de mal. Mon arrivée à été bien moins discrète que je ne l'aurais espéré.

Elle compta six têtes l’entourant et tirant sur ses manches, posant toutes sortes de questions sans lui laisser le temps de répondre :

 

« Comment tu t’appelles ? Tu fais quoi dans not’ ville ? Pourquoi tes cheveux sont gris ? C’est vrai que t’a mis une dérouillée aux gars du Maire ? Comment t’as fait pour venir tout’seule ? T’as été attaquée par des Cendrequins ? Des Écorceurs ? »

Leurs yeux brillaient de curiosité, la figeant de stupeur quelques instants. Le souvenir des enfants lui courant après dans la capitale lui revenait. Comme la situation avait changé en quelques années...

« Il suffit les mômes ! » maugréa-t-elle en saisissant l’un des gamins qui commençait à lui grimper sur le dos. Le tenant par le col et le fondement, Carssa le fit aisément passer au-dessus de sa tête en une petite pirouette qui le vit atterrir le dos droit et les pieds dans la terre, sans qu’il comprennent ce qui lui était arrivé.

Le même air, mi-choqué, mi-admiratif s’afficha sur leurs visages sales. Puis, comme saisis par la même idée, tous regardèrent l’aventurière, prêts à se jeter sur elle pour avoir la même chance que leur camarade.

« Hophophop, les arrêta la jeune femme en levant un doigt. Le premier qui tente de me grimper dessus, je l’envoie au fond du lac ! »

La menace sembla faire effet. Ils restèrent cois, sans que leurs regards ne montrent le moindre signe de remords. Il était clair qu’elle ne se débarrasserait pas d’eux si facilement...

La jeune femme soupira :

« Si vous voulez des réponses à vos questions, vous allez devoir vous rendre utile. Est-ce que vous sauriez où trouver Guedi ? Le vendeur de cristaux ? »

D’une seule voix, les enfants se mirent à répondre en un brouhaha incompréhensible en recommençant à l’agripper. Ils la poussèrent néanmoins vers le haut de la rue, formant un cordon de sécurité entre eux et le reste de la populace assistant à ce convoi des plus curieux avec une bonhomie intriguée.

Les oreilles sifflant des cris des enfants, Carssa finit par apercevoir un panneau accroché à la devanture du magasin vers lequel ils se dirigeaient. Sur celle-ci était peint un cercle composé de six pierres colorées, signe universel de l’ordre des joailliers du royaume. Le cristal rouge ressortait bien plus que les autres, fraîchement repeint d’une couche vermillon et d’une taille deux fois supérieure à celle des cristaux des autres contrées. Certains étaient même si défraîchis qu’ils auraient pu être absents de la pancarte...

Amusée, Carssa se demanda si elle n’avait jamais vu une échoppe de cristomanciens qui n’avait pas peint le cristal de sa contrée plus gros que les autres. Les panneaux placés devant les échoppes étaient des trésors de créativité, chacun se permettant toutes sortes de folies tant que le signe de la guilde était reconnaissable. On pouvait même deviner la quantité de marchands de cristaux dans une ville à la taille du cristal peint, chacun rivalisant de patriotisme pour se démarquer de la concurrence. Il était d’ailleurs admis par tous que ce sujet était la source de la plupart des rixes agitant l’organisation des marchands de pierres.

Au prix d’un ultime effort, la jeune femme parvint à s’extirper de l’emprise de l’escouade de diablotins que le démon du lac semblait lui avoir envoyé et rentra dans l’échoppe. Les six petits monstres vinrent coller leur bouilles au verre de la vitrine, se contentant cette fois de chuchoter pour ne pas réveiller le garde en armure somnolent censé surveiller l’entrée de l’établissement.

Carssa passa de lourds velours couvrant l’entrée et fut accueillie par une ambiance des plus ésotériques.

La boutique regorgeait de bibelots et accessoires en tout genre. Des vitrines emplies de pierres posés sur des coussins de velours emplissaient la pièce, formant un U qui permettait au client d’apercevoir toute la variété de produits que le magasin avait à offrir. Celle-ci était d’ailleurs plutôt fournie pour l’échoppe d’une ville perdue dans le désert. Les rubis de toutes tailles attendaient d’être choisis, projetant des reflets sanglants sur les verres qui les protégeaient. Ils étaient présentés avec goût. Les plus belles pièces ciselées d’une main experte trônaient sur des coussins de velours bleuté tandis que d’autres plus larges mais plus grossiers s’étalaient en fines files. De l’autre côté des meubles était aussi présentée une large section de bagues, bracelets, boucles d’oreilles et autres joailleries de tous types.

Les étagères au-dessus, quant à elles, présentaient des serre-tête, bandeaux et autres équipements contenant des emplacements destinés à enchâsser des cristaux.

À l’opposé, les murs de pierre étaient nus, reflétant simplement une lumière rouge rappelant la lueur provenant du lac. Le plus étrange était qu’ils semblaient bouger de la même façon, éclairant la pièces de formes éthérées aléatoires.

Pour alimenter cette ambiance mystique, le marchand n’avait pas hésité à fermer les rideaux pour plonger la pièce dans une semi-obscurité et à brûler une poudre qui produisant une fumée légère mais tenace captant les rayons produits par les cristaux.

Le dénommé Guedi patientait derrière ses vitrines, savourant l’effet que son échoppe produisait sur sa nouvelle cliente. La lumière tamisée de la boutique éclairait un visage d’oiseau de proie subtilement caché sous une large capuche. Ses yeux étrangement cernés et enfoncés dans leurs orbites faisaient ressortir les os de son crâne lui donnant un air de masque mortuaire.

« Bienvenue dans mon humble échoppe mademoiselle, fit le marchand sur un ton mystérieux qu’il avait dû longuement travailler. En quoi puis-je vous être utile ? »

Nullement impressionnée par le jeu d’acteur du commerçant, la jeune femme plaqua ses deux cristaux de la taille d’une pièce de monnaie sur un présentoir de bois sombre et poli sur lequel l’homme devait faire ses manipulations.

« Maître Margor m’a dit de venir vous voir pour mes besoins en cristaux. Il semblait penser que vous étiez le plus compétent de la ville en la matière. »

Dérouté par l’assurance dont elle faisait preuve, le dénommé Guedi enleva sa capuche et tira sur un fil derrière lui. Un rideau se leva légèrement et la pièce se retrouva sensiblement plus éclairée.

« Toutes mes excuses, Maîtresse. Vous savez, pour faire affaire par ici, on prend de mauvaises habitudes. La clientèle habituelle n’est pas ce qu’on pourrait appeler une foule éclairée, si vous voyez ce que je veux dire », plaisanta l’homme sur le ton de la confidence.

Sans répondre, la jeune femme poussa les deux cristaux dans sa direction. D’après ses précédentes expériences, une attitude mystérieuse aidait à adoucir ce genre de transaction. Soyez trop amical avec un marchand et il vous le fera payer. D’un autre côté, une attitude froide poussait les commerçants à s’imaginer toutes sortes de choses à votre sujet, que ce soit une fortune imaginée ou un manque de patience pour les tentatives d’arnaque...

Sans se formaliser de son manque de manière, le cristomancien poussa un sifflement ravi et posa une paire d’immenses lunettes aux multiples lentilles sur son nez anguleux. Totalement plongé dans ses observations, il se plia en deux pour examiner les cristaux à la lueur de l’une des rares flammes présentes dans la boutique :

« Par Thelu ! Une voyageuse de Paesca ! Ce n’est pas courant par ici. Bienvenue chez nous », marmonna-t-il d’un air absorbé.

S’il avait manifesté un intérêt pour Carssa à un moment, celui-ci avait complètement disparu lors de l’apparition des pierres. Le marchand sifflotait, marmonnant pour lui-même des remarques qu’elle ne comprenait pas. Il rappelait à la jeune femme ces écureuils volants que les marins de Paesca aimaient voir courir sur leurs amarres, passant d’un bâtiment à l’autre à la recherche de la moindre coque à se mettre sous la dent.

Il finit malgré tout par lever le nez des cristaux et braqua ses yeux d’aigle sur elle:

« Vous manipulez les deux pouvoirs ? »

Peu encline à répondre, la jeune femme hésitait encore entre objecter et carrément ignorer la question lorsqu’un cri de joie résonna à l’entrée de la boutique. L’armée en culotte courte déboula à toute allure dans le magasin !

« Qu’est-ce-que vous faites ici, bande d’avortons ! Sortez de chez moi ! Enlevez vos pattes crasseuses de mes vitrines ! Herto ! Fais-moi sortir ces pestes de chez moi ! Herto ! »

Malgré les cris probablement destinés au gardien de la boutique somnolant à l’entrée, personne ne fit son apparition. L’air moite et lourd de la ville avait sans doute eu raison du vigile lourdement vêtu.

La petite mêlée entoura Carssa qui l’observa avec amusement. Les enfants des rues pointaient chaque élément du doigt, maculant de poussière les étagères durement entretenues par le marchand, commentant bruyamment les pierres qu’ils découvraient de leurs yeux ronds.

- C’est un cristal du pays des poissons là ? C’est un vrai ? s’éberlua une petite tête rousse qui avait réussi à se faufiler jusqu’à quelques échantillons de saphirs brillant faiblement, projetant quelques teintes bleutées qui venaient se lier aux reflets rouges en de fins échos violacés.

- Il paraît qu’avec ce genre de pierres, tu peux parler aux poissons ! s’exclama une jeune fille du groupe.

- N’importe quoi, répondirent les autres à l’unisson.

Le marchand s’agitait en vain, s’acharnant à repousser les enfants du bout de son balai, mais chaque bouille qu’il repoussait se voyait instantanément remplacée par une autre. Pourtant, malgré les peurs du marchand, les enfants ne faisaient qu’observer le décor, bien conscients qu’un larcin de pierres si précieuses ne leur apporterait que de gros problèmes...

- Si, c’est vrai ! reprit la petite. Mon papa a dit qu’il allait économiser et que, quand la guerre serait finie, il achèterait un cristal bleu pour qu’on aille s’installer là-bas !

Le plus grand ricana :

- Tu peux pas changer de contrée aussi facilement ! C’est des conneries qu’il raconte ton père. Déjà, il peut toujours bosser, il aura jamais assez d’argent pour acheter un cristal assez gros pour vous tous. Et puis, si les Keltiens passent la frontière, leur peau, elle devient des écailles et tu peux mourir !

Un petit blond leva le nez de la petite foule.

- Si, c’est possible ! Sinon, comment elle serait là, elle ?

Toute la petite troupe se tourna à l’unisson vers Carssa dans l’attente d’une explication.

 

« Ça suffit maintenant ! Vous envahissez ma boutique, perturbez mes clients et réduisez mon art à des boniments de paysans !

s’écria le marchand avant que la jeune femme n’ait le temps de répondre. Évidemment qu’on peut passer d’une contrée à une autre, bougres d’anguilles ! Il suffit d’avoir la pierre appropriée ! »

La petite classe se retourna vers le vieil homme, peu impressionné mais pourtant curieuse. Malgré la frustration qu’il exprimait, le visage du marchand restait d’une pâleur incroyable, uniquement rehaussée par une légère coloration des pommettes accompagnée de quelques veines violacées prêtes à céder.

- Ce n’est pourtant pas compliqué, s’exclama le marchand de cristaux qui commençait à reprendre son calme. Ici, vous vivez bien sans avoir le mal de l’Éther, non ?

Tous les enfants hochèrent la tête à l’unisson.

- Vous devez cela au pouvoir du cristal rouge gisant au fond du lac qui nous protège de ses effets. Vos parents ont bien dû vous expliquer que, si vous sortiez de la ville, vous ne tiendriez pas cinq minutes ?

- Ouais ! Même qu’au bout d’un moment, tu brûles tout d’un coup si t’as pas de pierre ! C’est le génie des flammes qui te brûle si tu partages pas ton feu !

Le petit qui n’avait pas pu se retenir de crier sa remarque se recroquevilla sous l’intensité du regard noir du joaillier.

- Corniaud d’abruti, bien sûr que non. Les effets de l’Éther sont toujours les mêmes, où que l’on soit, et ça n’a rien à voir avec un génie. La réalité est bien moins jolie à voir et encore moins à vivre...

Un frisson parcourut le groupe face au marchand qui se fondait toujours un peu plus dans son nouveau rôle d’instructeur.

« D’abord, vous ressentez un grand froid qui semble venir du sol. Petit à petit, il vous envahit, commençant par vous prendre les jambes avant de remonter le long du corps et de vous priver de toute votre énergie. Au bout de quelques minutes, épuisé comme vous êtes, vous ne pouvez plus bouger d’un pouce. Après, lorsque le froid atteint le ventre, vos organes s’arrêtent les uns après les autres. Vous ressentez d’abord des vagues de nausées, puis les douleurs deviennent de plus en plus fortes. C’est après une longue agonie que vous mourrez ! Et ça c’est sans vous parler des diarrhées, de l’hémor... »

Carssa se racla bruyamment la gorge coupant net Guedi, qui se tut brutalement lorsqu’il vit l’air abattu des enfants. Beaucoup de ces gosses des rues étaient des orphelins, abandonnés de tous lorsque leurs parents disparaissaient. Que ce soit à la guerre ou lors d’une expédition, il était courant que l’intoxication à l’Éther soit la cause de la mort de ceux qui s’étaient aventurés au dehors des murs protecteurs des cités des Hommes. La situation pouvait vite mal tourner. Il suffisait de surestimer l’énergie de son cristal, qu’on vous le vole ou qu’un accident vous en sépare pour se retrouver condamner à cette fin horrible. Elle-même avait d’ailleurs été proche d’en faire l'expérience, se remémora-t-elle en frissonnant.

L’air légèrement coupable, le vieil homme reprit.

- Écoutez, le fonctionnement des cristaux est simple. De son Éther, il vous protège de celle de l’extérieur. De plus, chaque contrée est différente et nécessite un cristal de couleur spécifique pour être protégé contre son énergie nocive. Pour vous protéger de l’air toxique de Paesca, par exemple, vous devrez avoir avec vous un cristal bleu, le lapis des côtes, avec assez d’énergie pour vous protéger vous et ceux qui vous accompagnent. Vous pouvez chacun en avoir un petit, ou un assez large pour protéger tout votre groupe, c’est pareil. Assurez-vous juste d’être équipé lorsque vous sortez !

Le froid était passé, le groupe se rassemblait, mué par cette curiosité enfantine surpassant leur peur.

- Et du coup ils parlent pas aux poissons ? demanda la jeune fille d’une voix chevrotante, comme si son rêve le plus fou venait de disparaître.

Guedi soupira, excédé :

- Les cristaux ont certes chacun des pouvoirs différents, mais ils ont des limites. Notre cristal rouge permet de manipuler l’énergie et les flammes, ça vous le savez déjà. Le cristal bleu de Paesca permet de manipuler les liquides. Il a permis au peuple de Paesca de devenir une puissance maritime incroyable, mais pas de parler avec les poissons... Le vert de Grohna permet de manipuler les végétaux, le cristal jaune d’Altior le vivant, l’orange de Bün la terre et le violet de Maerosa l’esprit.

- C’est trop bien ! Et si je voyage dans toutes les contrées, je vais apprendre tous leurs pouvoirs ! s’exclama fièrement le plus âgé du groupe.

Le vieil homme fit claquer sa langue avec dédain.

- Tu ne peux pas apprendre à manipuler tous les cristaux, petit. Plus tu en manipules, plus tu te retrouves sensible à l’Éther. De plus, il y a une limite aux pouvoirs que peuvent déployer les humains. Apprendre à maîtriser un autre pouvoir, c’est comme accepter de subir l’empoisonnement de deux Éthers différents. Personne ne peut faire ça sans conséquences ! Le mage le plus puissant des six Contrées en manipulait trois, et pas de force équivalente. 

Le vieil homme leva les yeux au ciel, un sourire carnassier sur son visage. 

- Il a fini complètement brisé sur un fauteuil roulant, si j’ai bonne mémoire.

Le jeune garçon baissa la tête, penaud.

- Mais pourquoi on peut utiliser le feu alors ?

- Enfin une bonne question, bougonna le vieil homme. Tu as grandi toute ta vie dans la contrée de Kelta gamin, non ? Hé bien, ton corps subit les dommages de l’Éther en quantité infime chaque jour ! C’est comme t’entraîner à manier un rubis keltien et améliorer ta résistance à cette souche d’énergie. Chaque habitant d’une contrée se retrouve plus ou moins apte à manier un cristal. Certains seront malheureusement incapables de créer plus qu’une flammèche tandis que les plus chanceux pourront déployer des pouvoirs incroyables ! Qui sait, vous serez peut-être les futurs héros qui mettront un terme à la violence des Écorceurs ! 

Les enfants se regardèrent les uns les autres, des étoiles dans les yeux à l’idée de contrôler par la pensée des torrents de flammes.

- Et les Guerriers tutélaires ? demanda tout doucement la jeune fille.

Un silence épais s’étala dans la pièce.

Carssa et le marchand regardèrent la jeune fille, aussi étonnés l’un que l’autre avant que le vieil homme ne brise le silence :

- On ne parle pas souvent des guerriers maudits, petite.

Il parut hésiter un instant, jeta un coup d’œil vers l’entrée de son échoppe avant de finalement reprendre. 

- Pour faire court, les Guerriers tutélaires étaient une compagnie indépendante de cent mages monstrueux. Apparemment, chacun d’entre eux maîtrisait plus de cristaux que les humains normaux. Ils pouvaient se déplacer sans restriction entre les contrées, comme insensibles à l’Éther et maîtrisaient pour la plupart quatre cristaux différents. Il faut savoir que le cristal de Maerosa, celui de l’esprit, est le seul permettant de voyager entre toutes les contrées ! C’est pour ça qu’il est aussi cher, de sorte que seule la noblesse de cette contrée peut se l’offrir. Ils sont les élus de l’Éther, les descendants du grand Baelok, ce qui fait donc d’eux les plus aptes à diriger le royaume face aux hordes de la Nature ! Les Guerriers tutélaires donc, ces soldats démoniaques, que Thelu jette leur nom à l’Éther, profitaient de leur pouvoir pour asservir, manipuler et tuer à tour de bras ! Heureusement pour nous, ils agissaient il y a plus de 2 siècles et il aura fallu que le roi de l’époque réunisse une armée assez puissante pour les vaincre et rétablir la paix dans le royaume. C’était d’ailleurs le roi Reb 2 qui av...

Carssa posa soudainement une bourse sur la plaque de bois du comptoir.

- Merci pour la leçon, marchand, mais cela devrait suffire comme cours d’histoire. Pourrions-nous en revenir à nos affaires ?

Guedi la regarda d’un air de chouette éberluée, lui-même surpris d’avoir tant parlé. Il se rabroua :

- Heuu, oui ! Mes excuses, ma dame ! Vous les mômes, décampez de ma boutique ! Vous avez déja fait fuir assez de clients comme ça avec vos mains crasseuses ! Allez ! Ouste ! Fichez le camp !

Le marchand les houspillant à nouveau de son balai, les enfants s’enfuirent vers la rue en riant, touchant autant de vitres que possible à leur passage. Le marchand revint derrière le comptoir en maugréant et en s’excusant à nouveau. Il reprit ses instruments et se mit à analyser les deux pierres avant de s’interrompre, l’air interloqué.

- La pierre bleue est simplement vidée de son énergie. Je peux la remplir par simple transfert à l’aide de mes instruments, ça ne sera pas un souci. La pierre rouge, quant à elle, semble avoir été comme brisée de l’intérieur, elle ne pourra plus servir.

Il ausculta la pierre plus en détail.

- Très curieux... je n’ai jamais vu ça. Vous avez fait ça comment ?

- Aucune idée, éluda Carssa. Je l’ai trouvée ainsi. Je vous prendrais donc une pierre rubis de quatre lunes, si vous avez ça sous la main.

Elle observa les pierres de plus grande taille ou plus finement taillées, hésitante. Une pierre de sept lunes aurait été plus adaptée en cas de problème éventuel, mais dépassait largement ses moyens…

Le marchand passa les quelques minutes suivantes à tenter de lui vendre des bijoux et anneaux aussi laids qu’inutiles, ce qu’elle rejeta de façon ferme et définitive. Malgré tout, ravi de faire affaire avec la jeune femme et de vendre deux éléments dans la journée, le vieux marchand empocha la large bourse que lui tendit la jeune femme et la salua avec moult courbettes lorsqu’elle sortit de son magasin, lui souhaitant de revenir au plus vite.

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