Le champ de bataille était le théâtre de violence et de mort, mais il me semblait étrangement vide, comme si ce déferlement de rage n’était rien de plus qu’une banalité routinière. Comme si je m’y étais habitué… Dois-je vraiment tuer ? Et eux, ceux qui m’entourent, doivent-ils eux aussi me tuer ? Pourquoi ? Pour quelle raison ? Pour satisfaire l’ego des rois et des reines ? Pour la gloire ? Pour l’or ?
Et peut-être qu’ils ont raison.
Après tout, je suis peut-être le seul à remettre en cause cette folie… et peut-être que le fou ici, c’est moi. Mais je sais que dans tous les cas, on en ressort perdant, car la gloire se paie avec les remords, et dans un combat, les remords se paient avec la mort.
Brandissant son épée, il trancha l’air d’un coup puissant, qui envoya une dizaine d’adversaires valser au loin, avant de bondir au milieu des lignes ennemies.
Les hommes qui avaient eu le malheur de se retrouver près de lui n’eurent à peine le temps de se rendre compte de sa présence, qu’ils s’étaient écroulés au sol, la gorge tranchée ou la poitrine transpercée, se noyant dans leur sang.
Dans un rayon de quinze mètres, il était le seul debout. La posture décontractée et l’armure intacte. Sa présence effroyablement oppressante était accentuée par un étrange halo épais d’un mauve terne et froid qui émanait de lui.
Cette scène ne dura qu’un instant, avant que ses spectateurs n’en deviennent les tragiques acteurs à leur tour.
Enchaînant mort sur mort, regret sur regret, sa concentration morbide contrastait avec ses yeux vides. Il semblait ailleurs, perdu dans ses pensées, ressassant sans doute encore l’absurdité de la violence et de la mort qu’il infligeait pourtant lui-même.
Puis, soudain, un cri assourdissant attira son attention.
— Ha ! Quelle surprise, le flèau des Velarques est ici !
Un homme imposant aux traits bestiaux se dressa devant lui. Malgré le cliquetis infernal des épées, ses paroles étaient claires, comme si tous les soldats s’étaient tus par respect – ou par crainte – du géant qui lui faisait face.
— Oh ! Allons,, couvre-moi de prestige avec ta défaite et retourne voir ta noble reine et dis-lui à quel point je suis impatient de voir son royaume tomber.
Le chevalier ne bougea pas d’un pouce. Son indifférence était évidente, mais son épée oscillait, de gauche à droite, de vie à mort, tel un mauvais présage. Elle était prête à frapper à tout moment. Et soudain, ce moment arriva.
D’une vitesse anormale, il se précipita sur son adversaire et tenta de lui asséner un violent coup d’épée au cou. L’attaque fut esquivée de justesse, mais à peine le colosse avait-il eu le temps de se redresser qu’une deuxième frappe jaillissait, l’obligeant à reculer encore.
Honteusement repoussé, le titan poussa un juron et s’exclama :
— Salaud ! Tu crois vraiment pouvoir me tuer aussi facilement ?
Il marqua une pause, puis éclata d’un rire amer.
— Ha ! Imbécile… Sais-tu seulement qui je suis ?
Aucune réponse. Le chevalier se contentait de le fixer avec dédain. Une arrogance insupportable qui fit naître en lui une colère monstrueuse, à son effigie.
— Hé ! Je te parle ! rugit-il. JE SUIS LE ROI D’ASTAR ! LE FAISEUR DE VEUVE ! TU PENSES VRAIMENT QUE TU PEUX ME TUER SI FACILEMENT ?
Ses hurlements résonnèrent sur le champ de bataille. Brûlant de rage, il brandit ses haches, aussi imposantes qu’un humain, et chargea.
Sa vitesse était stupéfiante malgré sa carrure massive. Il déferla sur lui tel une bête assoiffée de sang, ses yeux rougis par la soif de vengeance.
Mais cette fois, le chevalier l’attendait. Entre témérité et courage, la nuance était faible… Le grand roi d’Astar était-il devenu fou ?
À peine eut-il franchi les trois derniers mètres qu’une myriade de coups s’abattit sur lui, comme s’il faisait face à plusieurs adversaires à la fois. Acculé, il refusa pourtant de reculer.
Trop fier, il riposta avec toute la barbarie et la force qu’il lui restait, chaque coup de hache assez puissant pour briser les os d’un homme et déloger les racines des arbres anciens. Mais aucun ne toucha sa cible. Son ennemi les esquivait avec une facilité déconcertante, comme s’il lisait dans ses pensées.
Et comme pour mettre fin aux espoirs du géant, les mouvements du chevalier s’intensifièrent d’un coup, ils s’enchaînaient de plus en plus vite tout en étant de plus en plus mortels.
Le faiseur de veuve le savait : s’il venait à être touché, la mort s’ensuivrait sans doute. Il contrait donc chaque coup, faisant éterniser le combat, mais il ne pouvait plus continuer. Il avait atteint ses limites. Il allait mourir.
Dans un instant de panique, il se jeta en arrière puis fendit le sol en deux d’un coup dévastateur. La terre trembla sous la puissance du roi, puis une immense crevasse se créa.
Séparé de son adversaire, le géant regardait fixement, avec une méfiance dissimulée, la silhouette sinistre du chevalier à travers les résidus de poussière, prêt à réagir s’il venait à le suivre.
Mais celui-ci ne le faisait pas.
Le chevalier était immobile, se contentant de regarder le visage orné de blessures et de sang du roi d’Astar avant de dire d’un ton désintéressé :
— C’est fini, barbare.
Le géant, incapable de faire un pas de plus, bouillonnait de rage, il ne pouvait pas accepter l’affront. Mais il n’avait rien à faire… le visage serré, il regardait le chevalier devant lui détourner le regard et s’éloigner.
Il se sentait honteux. Toute sa haine refaisait surface et, porté par un élan de fureur, il fit un pas vers le chevalier en criant :
— Que veux-tu dire ?! Pourquoi fuis-tu ?! Je peux encore me bat… ffttr.
Le roi sentit alors une douleur aiguë dans sa poitrine.
Il baissa les yeux et vit son sang s’écouler lentement, se mêlant à la boue froide et aux restes de ceux tombés avant lui. En relevant le regard, il ne vit que le dos du flèau. Puis tout devint noir.
— Le roi est mort ! Le roi est mort ! Fuyez ! Fuyez pour vos vies !
Le chevalier regardait les survivants fuir, puis détourna lentement les yeux vers le sol jonché de cadavres. Parmi eux, ses propres soldats. Ceux qui avaient cru en lui. Ceux qui, aveuglés par la confiance qu’ils lui portaient, le suivraient encore… jusqu’à ce que mort s’ensuive.
C’était trop. Beaucoup trop…
Néanmoins un bruit de pas derrière vint l’extirper de ses pensées sombres.
C’était l’un de ses hommes. Il était grièvement blessé, le torse tailladé à l’air libre, mais il semblait à peine capable de contenir sa joie, l’interpellant avec enthousiasme :
— Mon général ! Ne devrait-on pas les poursuivre ?
Le chevalier tourna lentement la tête vers lui puis dit :
— Non. Ils sont déjà morts. Aucun ne survivra à ce froid.
Il laissa cette phrase en suspens, puis se détourna.
Ses pas lourds le menèrent à l’attroupement de soldats restants. Tous s’écartaient à son passage par respect, et bientôt, il atteignit le centre. Il gravit alors quelques cadavres d’hommes qui l’avaient fidèlement servi pour surplomber le champ de mort.
Puis, levant lentement son épée ensanglantée, il dit :
— Aujourd’hui, nous avons triomphé.
Il resta immobile un instant. Un instant pesant, étouffant, suspendu entre victoire et désolation. Avant que ses mots ne soient engloutis par des cris de guerre et de soulagement.
Tous scandaient la gloire d’un royaume détruit.
Tous scandaient la gloire d’Artemis, le royaume en ruine.
Quelle inconscience, se disait-il. Ils ne savaient pas pourquoi ces troupes célébraient ce soi-disant triomphe. Pourtant, chacun d’entre eux, aujourd’hui, avait vu un camarade, un ami, ou même un parfait inconnu mourir aujourd’hui.
Et même si cela ne les affectait pas, ils avaient tous compris une chose : la frontière entre la vie et la mort, en temps de guerre, était si mince qu’ils pouvaient être les prochains sur la liste. Mais pourtant, ils étaient là, à festoyer, à rire, à chanter comme si le sang n’avait pas coulé.
Un enthousiasme tel qu’on sentait qu’ils pouvaient maintenant repartir sur le champ de bataille, reprendre leurs armes et combattre, encore et encore.
Ce penchant morbide pour la guerre le dégoûtait. Il l’exaspérait même. Mais au fond, ils devaient être chanceux. Au moins, eux, n’avaient pas besoin qu’on les convainque de se battre. Ils le faisaient d’eux-mêmes.
Lassé par cette vision, il décida de s’éclipser.
Il traversa le champ de bataille, les yeux rivés vers le ciel. Luttant face au déluge, qui lui fouettait le visage et qui l’obligeait presque à regarder le sol, à regarder les morts, à regarder la vérité…
Il continua néanmoins à marcher. Ce n’étaient pas quelques gouttes d’eau qui allaient le faire flancher. Et après un long moment de ruminations incessantes, il se décida enfin à quitter le champ de bataille.
Alors qu’il se dirigeait vers son campement, il aperçut au loin une ombre familière qui était immobile devant l’entrée d’une forêt,
— Eh bien, tu en as mis du temps, cette fois !
Il reconnut aussitôt la voix de Nyrelith, l’une de ses plus fidèles adjointes.
— Je ne t’ai jamais demandé de m’attendre, répondit-il d’un ton froid et monotone.
— Fhh… moi qui pensais à…
Nyrelith s’interrompit, voyant que son supérieur ne prêtait déjà plus attention à elle.
— Bon, assez perdu de temps comme ça. On rentre au campement, trancha-t-il.
— D’accord, mon commandant… répondit elle en roulant des yeux.
Durant leur marche, un long silence s’installa, seulement brisé par les quelques remarques sarcastiques de Nyrelith, qui n’arrachaient aucune réaction du commandant.
— Oh putain… C’est qu’elle fait flipper, cette forêt. Je comprends que ça soit un endroit stratégique, mais t’aurais pu choisir un lieu plus convivial pour installer le campement, non ? Je me souviens d’une fois avec le roi… elle ne put finir sa phrase qu’elle ressentit soudain ses os se broyaient et son corp se torde.
Une aura meurtrière et sinistre flottait dans l’air irrespirable à l’évocation de ce mot, le chevalier lança un regard assassin à son adjointe dont on pouvait percevoir la colère même à travers le noir, elle se tut donc immédiatement, ne voulant pas causer plus de tort avec sa langue. Puis, au bout de quelques instants, la pression disparut et la voix sans vie du commandant résonna :
— Dis-moi, qu’en est-il de nos pertes ?
Nyrelith, ayant à peine repris son souffle, délaissa son ton léger caractéristique et c’est le visage ferme qu’elle répondit :
— Désastreuses. Les trois quarts de nos forces ont été décimés aujourd’hui. Je crains que nous ne puissions plus défendre la totalité du Front.
— Hum… Je vois.
Ils le savaient tous. L’ennemi du jour était féroce. Et avec ce déluge, il était certain que les troupes allaient en pâtir.
Il reprit ensuite :
— Et qu’en est-il des chevaliers ?
Nyrelith sembla hésiter. elle ne voulait visiblement pas répondre, mais le regard insistant de son supérieur le força à parler.
— Eh bien… Elena est morte. Et… Alcen est blessé. Quant aux autres, ils vont plus ou moins bien.
Un silence pesant s’installa. Plus un mot ne fut échangé jusqu’à leur arrivée au campement.
Enfin arrivé à l’entrée, un garde portant une lanterne leur cria dessus :
— Vous, halte ! Déclinez vos identités, c’est une zone interdite !
Néanmoins celui ci à la vue de son commandant, céda instantanément le passage, baissant la tête en marque de respect.
Une fois à l’intérieur, le chevalier se dirigea directement vers sa tente, toujours suivi de Nerelyth.
Ils traversaient le campement désert et silencieux. Trop silencieux. Probablement parce que la plupart de ses occupants étaient morts aujourd’hui. Les tentes abritaient des milliers de cadavres, chacun à peine couvert par un linceule en piteuse état.
Mais cela ne l’affectait en rien. D’un pas ferme, il poursuivit son chemin.
Lorsqu’il entra sous sa tente, trois hommes se levèrent aussitôt et le saluèrent à l’unisson :
— Salutations, général !
La tente était simple. Une table au centre, entourée de sept sièges en bois. Il jeta un regard circulaire à ses hommes : Heril, Farse et Milor. Tous des adjoints de confiance.
Il leur fit un simple geste de la main
— Repos.
Ils s’assirent aussitôt.
Désormais ils se regardaient dans le blanc des yeux aucun d’entre eux ne voulant parler de cette bataille.
Mais il fallait bien que quelqu’un le fasse... Milor, un homme à l’allure noble malgré la terrible cicatrice qui lui barrait le visage, ne semblait pas autant affecté par cette pression et se lanca en premier :
— Mon général, je pense que vous le savez déjà, mais nous sommes dans une mauvaise posture. Nous avons perdu plus de quinze mille hommes et un chevalier en une nuit. C’est desastreux. Nous ne pouvons plus protéger la totalité du Front. Le fort Elling et le fort de Marey sont condamnés. L’Est et le Sud sont à la merci de l’ennemi.
Son ton pragmatique et calculateur exposait les faits. La défaite n’était plus qu’une question de temps.
Soudain Farse, un homme à la longue barbe grisâtre, qui lui donnait une apparence sage, frappa du poing sur la table et jura :
— Putain, c’est inadmissible ! Comment sommes-nous censés résister avec si peu de troupes ? La capitale ne nous envoie même pas de renforts, alors que nous sommes leur dernier rempart !
— Ils ne nous enverront rien,Et même si elle le faisait, la guerre est perdue d’avance… T’es pas d’accord, Dekan ?
Retorqua Heril, alors qu'il regardait Dekan du coin de l’œil, en attendant sa réponse.
Mais celui ci ne dit rien. Un silence s’installa. Tous les regards se tournèrent vers lui, mais il semblait ne pas y porter d’attention.,fixant un coin de la tente.
Soudain son expression s’assombrit, puis, d’une voix grave, il déclara :
— Préparez-vous. Nous avons de la visite.
Petite erreur : " enfin arrivé devant la tante ils se précipitaient vers l’entré afin de fuir la pluie et à", il manquait la majuscule. Rien de très spécial, mais un peu dérangeant lorsqu'on lit
Continue comme ça, ça a l'air très intéressant