Victor Carmin ex machina (ben quoi ?)

62. Victor Carmin ex machina (Ben quoi ?)
(By Victor Carmin)

Ça y est c’était le grand jour, la finale de la coupe du monde, qu’on verrait pas parce qu’on serait trop occupés à niquer le système. A côté de moi, Drissou-Lapin a ouvert les yeux. J’étais pas du tout en train de le regarder pioncer, pour info, c’était un hasard. Le pauvre vieux n’avait pas dormi beaucoup la nuit dernière, et pour une fois j’y étais pour rien. Monsieur était d’humeur mélancolique. Il s’est extirpé du lit et de mes bras, non pas qu’on dorme dans les bras l’un de l’autre comme un couple de niais, surtout par cette chaleur, 31° la nuit c’est juste pas possible alors... euh... qu’est-ce que je disais déjà ? J’étais mal réveillé, c’est bon.  Diak était maintenant debout et il s’est téléguidé jusqu’à la cafetière, puis il est resté debout à la fixer en attendant sa livraison de carburant.

- Ça va ? j'ai demandé.

- Mmh.

Il nous a fait un café chacun, et il est venu se remettre au lit avec les tasses, un truc qu’il fait jamais. C’était pas juste depuis ce matin qu’il était chelou comme ça, hier aussi il était dans la lune. Ça datait de son diner avec l’autre folle.

- T’es tombé amoureux de Brigitte ou quoi ?

Il a haussé les épaules. Je me suis redressé d’un coup :

- POUR DE VRAI ?

- Hein ? Mais non crétin !

Il avait pas l’air de daigner vouloir m’en dire plus, j’ai été obligé d’insister un peu :

- Vous avez parlé de quoi au dîner ? De Santorga ?

- On a parlé de religion, si tu veux tout savoir. Je m’étais dit que la brancher sur le sujet c’était le meilleur moyen de la convaincre de diner avec moi. Je lui ai fait croire que je m’intéressais à la question, que je voulais en apprendre plus.

- Oh merde. Ça a dû être chiant à crever.

- Pas du tout, figure-toi.

Il a bu son café, l’air triste. Me dites pas qu’il a eu une illumination et qu’il a décidé de se convertir à la religion juste avant d’aller faire exploser douze mille personnes ? Bonjour le timing. Encore que, si je me rappelle bien mes cours d’histoire du collège, c’est approprié. Par contre je suis quasi sûr que la religion n’aime pas les gays. Diak avait encore bien choisi son camp.

J’étais sur le point de lui demander si oui ou non j’étais bon à aller me refaire un profil Q+, quand il s’est mis à me déblatérer :

- J’ai jamais fait attention à Brigitte quand on bossait ensemble. Et là, elle parlait de ça avec tellement de ferveur, j’ai trouvé ça beau. Et je me suis dit qu’au-delà de la couleur du ciel, des animaux sauvages, des services publics... on a perdu quelque chose d’important.

- Quoi, Dieu ?

- La foi.

Putain dire que je me suis réveillé pour entendre ça. Tous les jours je découvre une nouvelle joie de la cohabitation avec Driss Diak.

- Et j’ai compris un truc, a-t-il continué. Quand j’ai rencontré Kiwi... ça va te paraître stupide mais il avait quelque chose que j’avais jamais vu chez personne. Une force. Une lumière. Un beau jour j’allume la télé et j’apprends qu’il y a eu un braquage à l’hôpital de Sartrouville, que deux clones ont été kidnappés. C’était leur premier vol après Chibi, t’as dû voir les images aussi, le leader avec une cagoule, debout sur une voiture, qui gueule qu’ils s’appellent Kartrouville Ex et qu’ils vont libérer tous les clones du monde. J'avais adoré. J’ai mené ma petite enquête et j’ai retrouvé son identité grâce à la voiture qu’ils avaient utilisé. Sans réfléchir, j’ai effacé leurs traces, comme ça. Ensuite j’ai suivi leurs activités de loin, j’écoutais leurs conversations ce qui passait sur leurs profils internet, et je cryptais tout. Je connaissais leurs identités, leurs histoires. Sauf pour Chibi, je ne savais pas que Kiwi avait sauvé son propre clone, ça c’est toi qui me l’as appris. Quand Santorga m’a proposé un poste, j’ai accepté alors que j’étais contre leur politique, parce que je me disais que je pourrais être utile à Kiwi. J’aurais pu continuer comme ça, aider dans l’ombre, mais j’ai pas résisté à le contacter. Tout ce qu’il faisait m’attirait. Je voulais l’aider, le rendre fier, qu’on devienne amis. Des fois on passait des soirées entières à parler sur les chats, je faisais ça avec personne d’autre. Quand Prigent s’est mis en tête d’envoyer un agent infiltrer KEx, je me suis dit que peut-être Kiwi te ferait le même effet qu’à moi, peut-être qu’il te ferait devenir quelqu’un de meilleur, comme j’avais l’impression qu’il me rendait meilleur. C’est pour ça que j’ai proposé au patron de t’envoyer toi, j’en avais marre que tu sois aussi con et pro-clonage. Et hier, en parlant avec Brigitte, je me suis rendu compte que cette force de Kiwi qui m’avait attiré, c’est la foi. Cette chose qui existe plus chez personne, Kiwi l’avait encore, et ça me rendait fou de lui. Mais aujourd’hui, il l’a plus. Il l’a perdu, ce truc tellement rare et précieux, et ça me tue de penser que c’est en partie à cause de moi. J’ai tué le dernier ersatz de foi présent dans ma vie.

J’ai réfléchi. Est-ce qu’il existe au moins une personne sur cette planète qui n’ait pas été in love de Kiwi ? J’en doute. Il a même réussi à charmer Diak qui a les goûts amoureux les plus chelous et inimitables, je parle de moi. Est-ce que c’était ce qu’il disait, la foi ? J’ai pensé à Kiwi, mais c’est Dark Kiwi qui s’est imposé.

- Tu sais, j’ai fait pour rassurer Drissou-Lapin. Je crois pas que Kiwi ait déjà cru en Dieu.

- Qui parle de Dieu ?

- Ben toi ?

Il a secoué la tête.

- Non je parle pas vraiment de ça.

Les envolées lyriques à décrypter dès le réveil, j’espère que ce sera pas tous les matins ! Je dis ça mais je crois que je comprenais ce que Diak ressentait.

- Kiwi est déprimé, mais il va remonter la pente avec le temps. Litchi va le remotiver. Quand il se laisse bouffer par Dark Kiwi, c’est à nous d’avoir... euh... la foi, le temps qu’il revienne. On en est capables aussi ou pas ?

- Franchement Victor, j’en sais rien.

- Ben putain ça commence bien.

Il a souri puis il m’a poussé la couette dessus.

- Allez, trainons pas. On a un gratte-ciel à faire sauter.

Vu que Diak était réquisitionné pour décharger les bidons de nitro avec nous, il devait prendre de l’avance dans la gestion des caméras, des alarmes etc. Ça le mettait en stress, du coup on est retournés chez lui super tôt. Je cogitais sur tout ce qu’il m’avait dit, et en chemin je lui ai demandé :

- Tu voulais aider Kiwi depuis le début, mais quand les States t’ont proposé un boulot il y a six ans t’as dit oui. T’aurais lâché Kiwi comme ça ?

Ça me coutait un peu de revenir sur cet épisode pas très glorieux de ma vie, mais ça me paraissait trop bizarre qu’il ait voulu partir s’il était déjà à fond sur KEx et son leader canon. Diak m’a regardé de travers, signe que mon crime de l’époque n’avait pas été oublié. Puis il a soupiré :

- Je me disais que je trouverais bien un moyen de lui rester utile. Tant que j’ai accès à un terminal, la distance n’a pas trop d’importance. Cela dit, pour être honnête l’offre était alléchante mais pas assez pour me faire lâcher Kartrouville Ex. Si j’ai accepté c’est surtout parce qu’à l’époque, je voulais à tout prix quitter Santorga.

- Ah bon ? Pourquoi ?

Je trouve ça toujours un peu dingue qu’on puisse vouloir quitter Santorga, le salaire de fou, les primes qui tombent tous les deux mois, le patron chéri. Diak a sorti son téléphone et s’est mis à pianoter dessus pendant qu’il me balançait d’un air détaché :

- Chagrin d’amour.

Je me suis arrêté de marcher. Il me sort ça, tranquille. Je me suis rappelé comme je m’étais foutu de sa gueule quand il m’avait invité à dîner, il y a tout ce temps. Il voulait plus qu’on se fréquente après ça, alors pour le faire chier j’avais pécho la moitié de la boite juste sous son nez. Aïe. Sur le coup j’avais trouvé ça rigolo.

- Ça devait être un sale con, j’ai fait en me remettant en marche.

- T’as pas idée.

Ça me vexe un peu. J’ai répliqué :

- Mais ça devait être aussi un super coup.

- Exact, a rigolé Driss.

Je le dis, je le dis pas… j’hésite j’hésite. Bon allez :

- Je suis sûr qu’il regrette.

- Ah oui ?

il m’a souri.

- Faut pas. Je lui en veux pas.

Merde, j’espère que j’ai pas rougi ça va super mal avec ma couleur de cheveux.

- Allez dépèche, j’ai fait en le poussant. Tu voulais arriver tôt.

___

A peine chez lui, Diak s’est posé à son bureau, Il a déployé tous ses terminaux autour de lui, et il a arrêté de nous calculer. Kiwi et Grenade étaient pas levés, j’ai donc été forcé de sociabiliser avec Litchi et Noisette.

- Bon, Litchiasse, tu vas arrêter de me faire la gueule un jour, ou pas ?

Elle m’a fait un regard qui signifiait en gros qu’elle je préfèrerait boire un de nos bidons de nitro plutôt que de m’adresser la parole, et elle est repartie dans sa chambre avec un sens du drama parfaitement calibré. Quelle gamine. Je suis resté avec Noisette et on a passé le temps à parler de la météo. Sacré Noisette. Heureusement, Kiwi-Kawaii a fini par pointer son nez. Il avait les cheveux tout ébouriffés, puis c’était la première fois qu’il se levait aussi tard, je me suis demandé s’il s’était pas passé des trucs salaces ici hier soir. Ça m’a fait plaisir. Tout ce qui pouvait donner à Kiwi envie de vivre... Et ce petit pincement que j’avais dans le cœur c’était trois fois rien, c’était un faible prix à payer pour que Kiwi soit heureux, pour qu’on puisse rester potes après ce que j’avais fait. Je m’habituerai.

On a passé la matinée nerveux comme tout, aucun de nous a réussi à manger malgré le grand retour du bœuf bourguignon. Et puis ça a été l’heure. Kiwi nous regardait nous préparer sans rien faire.

- Bon courage. Soyez prudents.

Il avait pas l’air bien. Il tirait sur son T-Shirt jaune et vert, un qui avait appartenu à Chibi, Kiwi acceptait de les porter maintenant. C’était un pas de plus vers l’acceptation, donc c’était bien, mais moi ça me déprimait. Il lui ressemblait trop, avec son T-shirt, ses bras et les cheveux courts comme ça. Il manquait juste un peu de vie dans ses yeux. Chacun de notre tour, on l’a pris dans nos bras ou tapé dans le dos.

- Je suis là dans une demi-heure max, lui a dit Diak.

- Okay. Je vais mettre le foot en vous attendant.

Moi, je savais pas quoi lui dire. Il a levé les yeux sur moi et j’ai eu l’impression bizarre que je le voyais pour la dernière fois. Que c’était pas moi qui partait commettre un attentat terroriste mais lui. C’est idiot, il va rester ici à l’abri, j’ai pas de raison de m’inquiéter. N’empêche qu’il me faisait le sourire en lequel j’avais pas confiance.

- FdB, tu nous trahis pas cette fois j’espère, a-t-il plaisanté.

Ha ha. Si on est arrivé au stade ou on peut me vanner là-dessus, le stade où je fais la paix avec Litchiasse n’est plus si loin. Je ne l’ai pas dit à voix haute de peur de me faire enlever mes illusions. A son tour, Grenade est allé vers Kiwi. Il a pris ses deux mains dans les siennes, puis il s’est penché et l’a embrassé. C’était nouveau, ça. Kiwi a pas eu l’air surpris pourtant, il lui a rendu son baiser, serein. Pour eux, ça avait rien de nouveau, c’était l’histoire qu’ils avaient toujours connu qui reprenait.

- A tout à l’heure.

- A plus, a fait notre leader hésitant.

Il a refermé la porte derrière nous. Dehors, les rues étaient désertes, il y avait pas un bruit. Toute la France devait être devant la télé sauf nous, ce qui nous rend déjà hyper suspects je trouve, alors qu’on a encore rien fait. J’avais la boucle d’oreille micro de Diak sous mon masque à gaz. Litchi, qui nous suivait en voiture, en avait une aussi. Grenade et Noisette non : on allait pas se séparer.

Le plan s’est passé comme Kiwi l’avait prévu. Trop facile. A l’accueil de Santorga, la standardiste était soit une nouvelle soit une intérimaire, en tout cas je l’avais jamais vue. Elle regardait le foot sur son écran.

- Bonjour, a fait Noisette. On a une livraison d’amniofluide.

Elle a vérifié dans son ordi vite fait, elle a signé la preuve de réception, pendant que je me contorsionnais pour essayer de voir un bout de match. Toujours 0-0.

- Jean-Pierre tu de dépêche ? m’a engueulé Diak. Plus vite on termine plus vite on sera rentré.

- Ouais j’arrive rholala.

Je l’ai rejoint pour l’aider à décharger les bidons et les mettre sur des chariots, que Grenade et Noisette emmenaient jusqu’au monte-charge. Tout doux, tout doux, pas de mouvements brusques avec la marchandise. Quand on a tout vidé, Diak cogné mon masque à gaz avec le sien, d’une manière tellement rapide que j’aurais presque pu croire à un accident.

- Bonne chance, m’a-t-il glissé.

Il est parti rejoindre Litchi qui était stationnée plus loin. Dans cinq minutes il serait dans son appart avec Kiwi. Ça me rassurait, j’avais pas envie que Kiwi reste seul trop longtemps le jour où on tuait Chibi. On allait répandre la nitro vite fait et nous dépêcher de rentrer.

L’étage des containers était vide, comme prévu. De toute façon il y a quasi jamais personne ici, même en temps normal. Juste des grosses machines qui tournent toutes seules et des serveurs. On les avait stockés là comme ça ils chauffaient l’amnio, on est des écolos chez Santorga. Mais ce matin, Diak avait hacké le panneau de contrôle et fait baisser de quelques degrés la température de l’amnio pour éviter le choc thermique qui pouvait nous faire péter la nitro à la gueule. Les 12000 clones devaient avoir froid, au-dessus. Chibi Kiwi devait grelotter dans son sommeil. Putain faut pas que je pense à ça.

Diak s’était renseigné sur le fonctionnement de la machine et nous avait expliqué comment nous y prendre : ouvrir la valve qui envoie l’amnio en fin de cycle dans les eaux usées au lieu de la filtrer. Compter jusqu’à 100. Refermer la valve. Brancher les bidons de nitro aux pompes des containers, reculer un peu, même si franchement si ça explose à ce stade on a aucune chance. Heureusement, c'était pas de la nitro comme dans les films américains, en vrai c’est quand même plus stable.

- C’est bon, me disait Diak dans ma boucle d’oreille. Vous êtes dans les temps. Je vous ai en visuel. Les trois étages des chambres à clones sont vides. RAS.

- Et le match ?

- 1-0 pour le Mexique.

- QUOI ?

Grenade et Noisette se sont tournés vers moi, inquiets. Je leur ai fait part de la tragique nouvelle mais ça a pas eu l’air de les retourner. Oui je sais, on est en train de verser un liquide explosif, on est en train de faire un truc abominable... mais justement. Si je me concentre pas sur le match que je suis en train de rater, je deviens dingue.

On a vidé le dernier bidon.

- Allez on se casse.

On est repartis dans l’ascenseur. Grenade et Noisette allaient prendre le camion et le planquer loin d’ici, il servirait encore pour leur plan suivant, le sauvetage des clones des facs. Noisette m’en avait parlé : KEx avait l’intention de partir sur les routes ramasser tous les clones errants pour les regrouper dans un endroit qu’ils défendraient par la force. Champi était indispensable pour protéger les communications, les déplacements etc, mais moi personne m’avait invité. Je sais pas vraiment ce que j’allais faire après ça, après la chûte de Santorga. Peut-être que mon patron va se reconvertir dans la banque ou le cinéma et que je pourrais rebosser pour lui. Est-ce que du point de vue de KEx ce serait pas une trahison ? Là tout de suite, alors que l’ascenseur descend vers le rez-de-chaussée et que je laisse derrière moi mon pote Chibi Kiwi couvert de nitroglycérine prête à exploser, je n’ai plus tellement confiance en mon échelle de la trahison. D’ailleurs, depuis que j’ai mis les pieds dans la tour je me sens agressif, je sais pas si c’est la nostalgie, si je me sens mal par rapport à ce qu’on fait, ou bien complètement autre chose, mais ça me donne envie de... de... Kiwi m’avait dit : “tu nous trahis pas cette fois”, et je m’étais dit qu’il devait le savoir : plus jamais je ferais un truc pareil, trop de gens ont souffert de mes actes, j’ai retenu la grande leçon de ma vie : plus jamais je trahirai Kiwi. Mais dans les murs de Santorga j’étais quelqu’un de différent, j’étais quelqu’un qui se prenait pas autant la tête. On est sortis de la tour. Passer du Hall climatisé aux 38° de l’extérieur c’était brutal. Noisette et Grenade m’ont dit à plus tard en montant dans le camion. Ils ont démarré, et Litchi à leur suite. C’était fini. J’avais plus qu’à rentrer mater la suite du match, pépère avec une binouze sur le canapé entre Kiwi et Diak, ma vision perso du Paradis.

Sauf que voilà : je suis un traitre. Je prends les mauvaises décisions. Je respecte rien, je suis bête et j’ai pas de morale. Tout le monde pense ça. Alors je vois pas pourquoi je ferais des efforts qui me brisent autant le cœur. J’ai déjà trahi de la pire des manières, qu’est-ce qu’il me reste à préserver de moi dans le regard des autres ? Et depuis quand j’en ai quelque chose à foutre ? J’ai fait demi-tour.

- Pardon, j’ai fait à la standardiste. J’ai oublié un truc en haut.

Elle m’a fait un geste de la main, et j’ai couru vers l’ascenseur. Il me restait 30 minutes avant que ça pète. J’allais monter aux étages des clones, libérer Chibi et le tirer de là. C’est injuste de sauver une personne et d’en tuer 11999 ? Je m’en fous. Chibi sera malheureux, amputé à vie sans espoir d’avoir même des prothèses en plastoc, il m’en voudra de pas l’avoir laissé mourir dignement ? Rien à branler. Tout le monde me haïra pour mon égoïsme, ma stupidité et ma traitrise ? Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Je suis un connard égoïste, si y a un avantage à ça, c’est que ça me donne des libertés.

- Qu’est-ce que tu fous ? s’est réveillé Diak. Me dis pas que tu es retourné dans la tour ?

- Mais nan t’inquiètes.

- Je suis sur le point de lâcher les caméras.

- Ah euh... attends encore un peu stp.

Au lieu de pester et de rager, il est resté sans rien dire un moment. Et puis :

- Tu vas libérer Chibi n’est-ce pas ?

- Yep.

- Tu sais que...

- Cherche pas, j’m’en fous. Balec de vos théories de merde, tu dis un truc je balance ta boucle d’oreille.

Mais j’espère que tu le feras pas, quand même, parce que bon j’ai zéro plan, Chibi Kiwi sera pas capable de marcher je sais pas comment je vais arriver à le faire sortir en scred, et puis l'explosion imminente me stresse un peu.

Heureusement pour moi, il a seulement soupiré :

- Litchi a ma voiture, ça veut dire qu’il va falloir que je loue une autolib pour venir vous chercher, t’as pas idée de ce que ça va me rajouter en travail d’effacer les traces.

Mon mec putain, ce gars sûr.

- Lapinou t’es mon héros.

- Je sais.

Entre temps, je suis arrivé dans la chambre vide. Je savais dans quelle rangée était stocké Chibi Kiwi, j’y ai couru et arrivé à l’angle, je me suis figé. Je retire tout ce que j’ai pu dire à propos de notre hacker soi-disant doué.

- Euh... Diak, il est où Kiwi ?

- Sorti prendre l’air, il était trop nerveux.

- Ah. Il t’a dit où il allait ?

- Je lui ai dit de rester dans la cour de la résidence, pourquoi ?

- C’est bien, c’est bien. Heureusement que tu lui as dit ça, imagine il se serait pointé chez Santorga.

- Hein ?

- Rebranche-toi aux caméras, tu vas te marrer.

De mon côté je pouvais encore me barrer en courant... Oups trop tard, il m’a vu. Assis par terre adossé à la capsule de Chibi, son masque à gaz sur les genoux, Kiwi m’a fait un regard noir, noir, de haine, avec ses yeux rouges de larmes, et il s’est levé. Il a ricané amèrement, les yeux toujours aussi fous. Il avait un flingue dans sa main droite, il l’a levé lentement sur moi. Driss a dû trouver la bonne caméra, parce qu’il a glapi dans ma boucle d’oreille. Au même moment j’ai entendu derrière lui les sifflements qui annonçaient la fin de la première mi-temps.