Vie 1

Par Reven

    Landon vérifia l’adresse et le plan rudimentaire gribouillés sur son bout de papier. Avec un soupir, il se laissa tomber sur un des bancs qui jonchaient le trottoir, posa sa béquille sur ses genoux, et se frotta ses jambes douloureuses. Le magasin devait être proche, mais ce quartier grouillaient tellement de ruelles et de passages dans tous les sens, que le dessin minimaliste de Gabi revenait à de l’art abstrait. Landon se résigna, il n’allait pas trouver le magasin à lui tout seul. Il pêcha son ordiphone de son manteau. Il avait réfléchit deux secondes à demander son chemin à un des nombreux passants qui déambulaient dans les rues, mais il n’avait pas la moindre envie de se faire malencontreusement envoyer dans le mauvais sens, ou encore de se perdre dans le labyrinthe de rues suite à des directions confuses. Oséamune avait déjà trop d’escaliers en temps normal, et ce quartier avait l’air de s’être fait un point d’honneur d’en détenir le record. Sans façon que son corps allait réussir à gérer plus d’escaliers que nécessaire !  

 Mauvais plan malgré tout, tient donc. Qui l’aurait cru !   

Landon ignora la voix sarcastique dans sa tête alors qu’il se connecta au SARP pour pouvoir se servir du service de localisation. Par Lio, ce qu’il n’aimait pas faire ça ! Non pas qu’il était incapable d’apprécier le « service d’aide et de reconnaissance publique » et tout ce qu’il proposait. Le réseau étatique unique à la métropole-état servait tout aussi bien comme agenda personnel, que d’organisateur d’évènements ou encore de messagerie ou de journal quotidien, en passant par des formulaires administratifs et prise de rendez-vous en ligne. L’ordiphone est lui aussi unique à la métropole, spécialement conçu pour le SARP, ordinateur de poche de la taille d’une enveloppe, le dernier cri chez les gens fortunés, une aide précieuse pour les malades comme Landon qui a eu le sien offert par l’Etat lui-même. Que des avantages quand on était un mystère médical, décidément !   

Ce que Landon n’appréciait pas au réseau étatique était l’envergure qu’il avait pris sur la vie quotidienne. Il était un peu vieux jeu, à préférer le passé au présent. Cela le mettait mal à l’aise que le SARP attribuait des points bonus aux achats de produits locaux, points qu’on pouvait par après échanger contre des tickets de cinéma ou de théâtre.

D’un air songeur, il observa l’appareil calculer le chemin. Les visuels épurés de la carte informatique tranchaient tellement avec la réalité de l’endroit, les passerelles à tous les niveaux, les bâtisses à l’architecture carrée et vieille d’un demi siècle, les gens si nombreux qu’il était difficile de ne pas leur marcher sur les pieds, le brouhaha des voitures, bus et trams, sans oublier les minuscules follets à la recherche d’endroit pour leur tanière d’automne. Landon avait lâché le regard de l’ordiphone pour en suivre un du regard. Il se demandait avec un sourire, si cette année encore, il aurait droit à un saoni dans son appartement. Au contraire d’autres follets, avoir un nid de saonis dans son chez-soi portait chance. Landon appréciait surtout le petit tintement mélodieux de leurs minuscules ailes filigranes et la fine trainée de poudre multicolore qu’ils laissaient derrière eux. De quoi rendre fou Archibald, son majordome.     

Il appréciait également les bâtisses de pierres grisâtres par le temps de ce quartier. Elles lui rappelaient la maison de ses grand-parents où il avait passé des heures à fureter dans des vieux livres, à jouer à des jeux-vidéo aux graphismes abstraits, et à regarder la télévision sous un fond sonore de grésillements alors que le salon était empli d’un odeur de cannelle de muffins à la pomme en honneur du dieu Lio.

Un petit son léger le tira de ses pensées, le SARP avait fini son calcul.

Cinq-cents mètres. La route la plus courte regorgeait d’escaliers, ces inventions de l’enfer ! Landon se décida à prendre un chemin plus long pour détourner quelques montés et descentes en trop. Il s’imprégna le chemin, le temps de laisser reposer son corps. Droite, gauche, deuxième à gauche près de l’épicerie “Chez Anne”, monter, puis descendre, passer par en-dessous le tram, faire le tour du bloc d’habitations. Faisable. Pourquoi n’avait-il pas songé à vérifier le chemin avant, sur une carte ?

Parce que toutes les cartes dans l’appartement sont plus vieilles que toi.

Touché. Landon attrapa sa béquille et se hissa lourdement sur ses jambes. Une fois rentré de son aventure, il lui fallait un plaid, et un chocolat chaud devant un feu de cheminée.

Landon fixa les derniers escaliers qui le séparaient du magasin d’un air désespéré. Quiconque avait décidé de surélever la rue par rapport aux bâtiments n’avait jamais eu une jambe cassée. Autrement, Landon ne pouvait s’expliquer cette idée saugrenue, et il n’avait même pas de jambe cassée !

Il n’était pas arrivé si près du but pour échouer juste devant ! Il se coinça la béquille sous le bras avant d’attraper la rambarde – Lio merci pour la rambarde ! – et  de descendre prudemment, une marche après l’autre. Monter n’était pas le plus difficile, descendre était le vrai enfer, avec les coups douloureux dans les genoux à chaque pas, les risques de chutes élevées, la gravité qui l’attirait à lui.

Arrivé en bas, Landon se permit une pause de victoire, et inspira profondément, appuyé sur sa béquille, son corps une plaie douloureuse.

Et le chemin de retour ?

Ce n’était pas pour maintenant. Quand il se fut repris il contempla le magasin en face. Il se trouvait dans une rue latérale, échouée au beau milieu d’un quartier d’habitations aux immeubles de quatre étages, fins mais profonds, avec des pièces au plafond à quatre mètre de hauteur. Probablement même avec un bout de jardin dans l’arrière court, si Landon pouvait faire confiance à ses connaissances sur l’architecture d’Oséamune. Au contraire des rues principales, il n’y avait pas âme qui vive, si ce n’était pour quelques animaux. Un chat l’observait du haut de la rue, de oiseaux picoraient des bouts de nourriture tombés d’un sac poubelle éclatés qui attirait la curiosité d’une poignée d’insectes.

L’inscription « Antiquariat » sur la vitre du magasin était à moitié effacée, et un nombre incalculable  de babioles s’entassaient dans la vitrine. De loin, Landon reconnut un set de thé des années trois mille quatre-vingt à ses couleurs grossières et saturées, des vieux appareils électroniques, comme une console de jeux-vidéo, et un téléphone portable à l’allure et au poids d’une brique de béton. Des bijoux de Milarène aussi. Landon ne s’y connaissait pas aussi bien dans l’histoire du continent voisin, mais il les daterait vieux d’environ un siècle.

Son mal soudainement oublié, Landon boita vers l’entrée. Ce magasin était une véritable caverne aux trésors pour son coeur d’historien, à lui faire traverser la ville entière à pied si nécessaire. Il ne regrettait pas le chemin depuis le district Sept.

On en reparlera au trajet de retour d’une heure et demie.

Comptez sur la petit voix dans votre tête pour toujours vous rappeler à l’ordre ! Il l’écarta avec détermination.

C’est pour ça que je suis là, pour combler ton instinct de survie qui frôle le zéro absolu.

Landon poussa la porte d’entrée. Le son d’une vieille clochette résonna avec son enthousiasme d’adorateur du passé. Il fut immédiatement happé par l’atmosphère singulière de la boutique. L’odeur du vieux bois mélangée à celle de livres et de tissus anciens. Une légère note de poussière, et de tabac. Un peu de métal aussi… de l’acier ? Le parfum du passé. De la colle aussi. Il se rappela que l’antiquaire doublait en tant que relieur. Gabi lui avait parlé d’un atelier. Il y avait aussi l’odeur caractéristique des caves couplée à la froideur qui émanait des vieilles pierres imposantes. Quelle idée de transformer une cave de bâtiment en magasin d’antiquité. Landon devait l’avouer : il était déjà tombé amoureux du charme de cette caverne aux trésors, mais n’importe quel archiviste pleurerait de désarroi.

Le regard encore plus lumineux, il dévisageait les objets à l’entrée. Un cadre photo sur une commode d’environ quarte mille dix. Sa mère en avait une semblable. Sa valeur était discutable, trop jeune malgré son joli bois rouge vif. Une poupée en porcelaine se disputait le reste de la place avec des statuettes de chats sur une petite nappe brodée main. Le cadre photo datait de la même époque. Les trois chats en lapis lazuli étaient cependant plus vieilles. Et magnifique ! Assez simple dans leur forme, mais gracieuse, aux expressions travaillées. Landon en attrapa une, celle qui s’étirait d’un air nonchalant, pour l’observer de plus près. Un vrai coup de coeur ! Il décida de la prendre.

Tu vas y laisser ta fortune.

Comme s’il manquait d’argent, en tant que noble. Petit noble certes, un simple tir, mais noble quand même.

Il dépassa une armoire inintéressante – à peine dix ans de vieillesse, quelle déception – et s’arrêta à côté d’une table basse pour dévisager la lampe qui y trônait avec son abat-jour aux motifs de roses pâles. Trois mille neuf cents soixante-dix. Une époque où ils avaient un peu trop aimé les fleurs, et le vert vomitif sur fond brun. Son regard glissa sur le comptoir enseveli sous plein d’autres bricoles, bijoux et ornements divers. Un ouvre-lettre, époque quatre mille. Les bijoux aux fausses perles épaisses de trois mille neuf cent cinquante. Un appareil photo de quatre mille cinq. Mort à Oséamune, trois mille neuf sans quatre-vingt dix, une première édition.

Tu n’es pas là pour ça.

Oui, chef, bien chef. Landon décrocha son regard des petits trésors pour le poser sur l’antiquaire qui le dévisageait de derrière le comptoir, une cigarette dans le bouche, les bras croisées. Des lunettes aux verres rondes et immenses trônaient sur son nez, amplifiant son regard d’un brun déjà trop coloré. La patronne de ce lieu magique était assortie à l’endroit avec des cheveux cuivré en bataille, un pull qui devait être plus vieux que certains objets du magasin, et un tablier taché.

Landon pêcha à nouveau son petit bout de papier de la poche de sa veste.

– Voudriez-vous vous asseoir ?

La question de l’antiquaire le surprit. Il releva la tête et l’observa un peu abasourdi avant que la réalité de son état de santé finit par battre en retraite sa passion pour l’histoire. Il remarqua sa main droite qui se cramponnait autour de sa béquille à trembler violemment. La lourdeur dans ses muscles, la douleur qui débutait dans sa mâchoire pour finir dans ses orteils. Sans doute devait-il faire piètre impression de sa silhouette dégingandée au visage creux et mains osseuses qui devait lui ajouter facilement dix ans d’apparence, avec son manteau trop grand qui tombait de ses épaules comme la toge religieuse d’un prêtre sorin.

D’un geste, elle désigna une chaise en tissu avec les mêmes roses pâles de l’abat-jour.

– Merci.

Landon avait depuis longtemps avalé sa fierté personnelle et alla s’écrouler sur la chaise, comme le pauvre malade qu’il était. Le chemin de retour n’allait pas devenir une promenade de plaisir.

– Quelque chose à boire ?

Landon reporta son attention sur la patronne.

– Ca ira, merci. Juste un peu de repos.

L’antiquaire le contempla quelques instants.

– Que puis-je faire pour vous, tir Héley ?

La surprise se lisait facilement sur le visage de Landon, car elle poursuivait :

– Vous avez une certaine notoriété à Oséamune.

– Dans un milieu assez particulier.

– On soupçonnait mon fils d’être enfant millénaire.

D’un geste nonchalant, elle écrasa sa cigarette dans le cendrier qui entassait déjà une demie-douzaine de cadavres, avant de s’allumer une nouvelle. Le silence planait pendant quelques instants alors que Landon cherchait les mots.

– Je ne suis navré.

Le plus banal.

– Vous n’avez pas à l’être. Il ne l’est pas, il a juste une mauvaise santé.

– Tant mieux.

La maladie millénaire était bien un nom trop poétique pour sa nature dévastateur et

Landon n’avait pas spécialement envie de s’étaler sur le sujet.

– Vous êtes bien Kavi ?

– La seule et unique.

– Gabi m’a donné votre adresse.

– Le petit toupet blondinet ?

– Celui-là même.

– Quelque chose qui vous intéresse en particulier ?

–Les livres.

– Evidemment.

Elle expira un coup de fumée.

– Je vous montrerai quand vous vous sentirez d’attaque.

– C’est sans danger ?

Un rire sardonique s’échappa des lèvres de l’antiquaire.

– Tir Héley, vous venez convoiter des livres interdits qui vous envoient droit en prison si on vous attrape avec. – Elle tira une nouvelle fois sur sa cigarette – Mon magasin est sûr. Ce que vous faites de vos éventuels achats n’est plus de mon ressort.

Franchement, tu t’attendais à quoi ? Qu’elle te dise « Oui, bien sûr, la partie illégale de ma boutique est validée et certifiée par l’Etat d’Oséamune. Tenez, voici le certificat, sur le mur à gauche, à côté de mon diplôme de relieuse » ?

Mais, enfin.

Landon se hissa à nouveau sur ses jambes.

– Le sorinisme m’intéresse particulièrement.

– Alors je pense pouvoir faire votre bonheur. Suivez-moi.

Elle contourna le comptoir, la cigarette en coin de la bouche, les mains dans les poches de son jeans délavés, les pieds chaussés de pantoufles roses. Landon lui emboîta le pas, la voix au fond de sa tête lui rappelant une dernière fois que le marché noir était une très mauvaise idée qui pouvait lui valoir de très grands ennuis, et que, par Lio, il ne l’écoutait décidément jamais et que si c’était comme ça, elle se taira à l’avenir et puis voilà.

Et même en connaissant l’envergure des ennuis qui allaient suivre, Landon serait venu tout pareil.

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Raza
Posté le 31/08/2024
Eh bien, je viens ici, poussé par les OlymPAdes, je vois cette histoire que je crois terminée et...
Tout d'abord, c'est bien écrit, fluide et vivant. Le personnage me fait penser à un inquisiteur boiteux, j'ai oublié la ref. Il y a quelques typos (pouvait par après, ou Je ne suis navré), mais rien qui le se corrige. Une seule question : pourquoi pas de suite? C'est pourtant un jolibtecte, avec pas mal de portes ouvertes?
Reven
Posté le 02/09/2024
Coucou !
Tout d'abord, merci beaucoup que tu as pris le temps de lire! Cela m'a fait énormément de plaisir d'avoir la petite notification dans ma boîte mail, alors que ce texte a malgré tout un certain âge. Et je suis navrée que tu la croyais terminée, mais aussi ravie que tu as appréciée la lecture !

Un inquisiteur boiteux, il y a un tel personnage dans The First Law d'Abercrombie du nom de Glokta ;)

Pour répondre à ta question, il y a une multitudes de petites raisons: notamment un burn out dans la période où j'étais à fond dans ce projet, j'ai dû le laisser de côté un peu subitement, et me remettre dedans n'est pas évident. Il y a aussi une hésitation quant à la structure même du récit, une envie de changer et ne pas savoir par quel bout attaquer le monstre. Notamment une envie de faire une narration entièrement par des documents (extraits de journaux, rapport policiers, etc), ou quelque chose de plus interactive où le lecteur dois fouiller lesdits documents pour reconstituer les événements. Une autre raison, un peu idiote : avec ma coupure de plusieurs années avec l'écriture et PA, j'ai tout simplement oublié que j'avais posté le début ici. Je me remets à l'écriture plus sérieusement que depuis cette année.

Maintenant, il est vrai que cette version était pas mal avancée et recevoir des avis pourrait m'aider à reprendre ce projet (qui me tient quand même bien à coeur) en main ! Je vais déterrer la suite du récit histoire de voir si c'est postable ;)

Encore merci !
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