François, la caisse de matériel dans les bras, poussa la porte de sa maison avec le dos.
— Maman ? appela-t-il. C’est moi !
Il monta à l’étage et pénétra dans la chambre d’une vieille dame, allongée dans son lit.
— Maman, répéta-t-il en déposant son carton et en s’approchant, je suis là !
Il posa délicatement sa main sur le front ridé et moite. Les implants de Quercus et de Corylus qui entouraient son crâne de leur couronne de feuilles fragiles et jaunâtres remuèrent légèrement. Sa mère battit des paupières.
— Fiston ? murmura-t-elle encore à moitié endormie.
— J’ai eu un contretemps, la rassura-t-il. Mais je suis rentré.
François se saisit du matériel médical à sa portée et entreprit de prendre les paramètres de la vieille femme qui se laissa faire en bougeant à peine.
— Tout va bien, commenta son fils à l’issue de son examen. Comment te sens-tu ?
Sa mère tourna la tête pour le dévisager de ses grands yeux délavés. Elle lui sourit imperceptiblement, d’un léger mouvement qui agrandit les rides autour de ses lèvres. Les tiges de ses implants frottèrent sur l’oreiller pour se remettre en place après ce tremblement de tête. Une feuille se détacha et tomba au pied du lit.
— Je suis fatiguée, répondit-elle dans un soupir.
— Tiens, dit-il en lui tendant un gobelet muni d’une paille, bois un peu, tu en as besoin.
Se redresser pour saisir le verre à deux mains demanda un grand effort à la vieille dame qui était extrêmement faible. Les quelques cheveux blanc filasse qui lui restaient étaient à peine dissimulés par le maigre feuillage sur son crâne, que son fils inspecta de quelques gestes rares et d’un regard froid. Les plantes étaient peu vigoureuses, cependant les points de greffes semblaient sains. Ses premières interventions n’avaient pas suffi à améliorer sa santé, bien que son état soit resté stationnaire. Les implants vivotaient avec le même manque de vitalité que sa mère.
François déballa le matériel qu’il venait de ramener du laboratoire et l’installa devant la grande fenêtre de la pièce où avait été aménagé un jardin d’intérieur. Des lianes montaient le long du châssis, des plantes en pots entouraient un large bac rempli de terre et transformé en litière sur le modèle de celui qu’utilisait Jeff pour dormir dans sa serre. Son assistant termina de reproduire le dispositif en y intégrant l’équipement qui permettait de vérifier l’état d’implants racinaires.
— Ton nouveau lit est prêt, déclara-t-il en revenant près de sa mère. Quand je t’aurai installé tes derniers implants, tu pourras t’y reposer. Tu verras, ça va t’aider à retrouver de l’énergie.
— Fiston ?
— Oui, maman.
— Pourquoi est-ce que tu veux que je dorme par terre ? s’inquiéta la vieille femme. Je ne peux pas faire ça.
— Tu ne vas pas dormir par terre, esquiva son fils. Tu vas guérir, je te le promets.
Il reprit le verre de ses mains et prépara une seringue anesthésiante. Sa mère se recoucha sur son oreiller et ferma les yeux. Elle avait retrouvé sa totale immobilité.
— Je ne guérirai pas, tu sais, chuchota-t-elle. Je ne suis pas malade.
— Les plantes vivent plus longtemps que nous, rétorqua François en continuant ses préparatifs. Les implants racinaires vont te redonner la santé.
— Je suis vieille et fatiguée, ajouta-t-elle dans un souffle.
— Non, maman ! Je vais m’occuper de toi !
François se saisit délicatement de son bras et y introduisit l’aiguille de la seringue.
— Voilà, dit-il. Ne t’inquiète de rien. Quand tu te réveilleras, tu auras des racines et de nouvelles forces.
Le scientifique resta un moment au chevet de son cobaye, le temps de s’assurer que l’anesthésie avait agi et que ses paramètres étaient toujours sous contrôle. Puis, il entreprit de se désinfecter et de s’équiper pour l’opération qu’il avait déjà pratiquée quelques années auparavant sur son patron. Il avait à présent rassemblé ici le matériel suffisant. Il avait l’expérience des tests réalisés au laboratoire. Alors, maintenant que les autorités menaçaient de démanteler leurs installations et que l’état de sa mère déclinait, il ne pouvait plus attendre.
François, avec le plus grand professionnalisme, déshabilla la vieille dame et la couvrit d’un drap opératoire qui ne laissait que son dos accessible. Sous la peau fripée, les côtes et les vertèbres ressortaient de manière particulièrement visible. Il approcha le robot médical en se rassurant sur le fait qu’il n’aurait aucune difficulté à trouver les points d’ancrage des implants racinaires.
Après le long moment de concentration que dura l’intervention, François examina le résultat, suspendu au faible souffle de sa mère endormie. Son dos se couvrait de sept racines mi-métalliques, mi-biologique, sept appendices qui la transformaient, tels des ailes d’insectes sur sa colonne vertébrale ou des vers de terre collés sur sa peau, sept racines extraordinaires qui devaient la relier à un sol nourrissant, lui redonner de l’énergie et la maintenir en vie. Le fils contempla son œuvre, à la fois plein d’espoir et d’inquiétude. Puis, il prit cette nouvelle humarbre dans ses bras et vint la déposer sur la litière organique qu’il avait soigneusement préparée. Elle ne pesait pas plus lourd qu’une feuille en automne.
Bienvenue parmi nous, vieille humaine. Il est temps pour toi de retourner à la terre, de rendre ce que tu as reçu à la vie du sol, d’entreprendre une nouvelle existence dans la décomposition de ce que tu fus, pour transmettre tes cellules à la future vie que tu seras. Merci de partager ce qu’il te reste de vie avec nos semblables, avec tes sœurs arbres. Bienvenue chez nous, vieille branche.
Ce qui m'a un peu gênée :
- pénétra dans la chambre d’une vieille dame, allongée dans son lit ==> je ne sais pas trop dire pourquoi mais je trouve la formulation bizarre
Mes phrases préférées :
- après ce tremblement de tête ==> haha j'adore
- Je ne guérirai pas, tu sais, chuchota-t-elle. Je ne suis pas malade ==> c'est très beau
- Bienvenue chez nous, vieille branche. ==> oh j'adore ! il y a beaucoup de petites expressions comme ça au fil du livre qui sont parfois téléphonées et parfois très à propos, celle-ci est géniale !
Remarques générales :
Hoho ! Quelle surprise de voir que François tient le rôle dans ce chapitre ! Ca me plait d'explorer les personnages secondaires :) C'est très intéressant ! Et touchant de la part d'un personnage si exaspérant au chapitre d'avant. Cette touche d'humanité à laquelle on peut se raccrocher, c'est pour moi qui manque encore à Harry ;)
A bientôt pour la suite !