Dans sa petite cellule sombre et humide, seule une fenêtre laissait entrer la lumière du jour. Allongé en boule sur son lit de fortune, Slim ne cessait de pleurer. Il n’arrêtait pas de penser au fait qu’il n’était qu’un bon à rien et que sa vie finirait sur un bûcher pour endiguer toute malédiction ou découpé en morceau pour étudier son anatomie. Sentant les rayons du Soleil sur son visage il releva la tête. À travers la lucarne, il observa la divinité censée lui offrir ses pouvoirs. Il lui en voulait d’avoir fait de lui un Enfant du Vide. Au plus profond de son être, Slim savait que ça n’avait pas de sens de haïr une boule de feu sans âme et pourtant, il ne cessait de penser que si elle existait vraiment, il aurait bien eu quelques mots à lui dire. Puis, repensant à son état et son funeste destin, il se remit à pleurer. Ses larmes s’arrêtèrent lorsque la fatigue l’autorisa enfin à fermer l’oeil.
Des bruits du coups sortirent Slim de son sommeil. En vérifiant la porte, il distingua à travers la petite ouverture les yeux glacials de sa grand-mère, perçant même l’obscurité de la nuit tombée.
–Grand-mère Frelsi ! C’est bien toi ?
–Oui c’est nous ! murmura à haute voix Yulia. Fais attention, on va ouvrir la porte.
Soudain, la lourde porte voltigea à l’autre bout de la pièce. Frelsi apparut sur le pas, paraissant plus forte que jamais. Sous ses airs de femme à la santé fragile, elle venait de défoncer un objet de quelques centaines de kilos à mains nues. Slim fonça dans ses bras et la serra très fort contre lui.
–Comment avez-vous réussit à rentrer ? demanda Slim. Le temple est fermé et des miliciens montent la garde…
–On n’a pas le temps pour ces questions, le coupa Yulia, qui portait sur le dos un sac. On doit partir.
Frelsi prit alors la main de son petit-fils. Ce dernier remarqua qu’elle portait des gants. L’air suffocant qui emplissait l’obscur sous-sol fait de roches humides laissa soudain place à une douce brise parcourant le ciel éclairé par le Soleil de Nuit. Slim observa tout autour de lui. Il était dehors. Et plus précisément à la sortie du village, là où débutait la longue descente vers la vallée. Yulia tomba à genoux sur le sol, cherchant sa respiration, mais dès que Frelsi flancha, elle oublia sa douleur pour rattraper avec réflexe sa bien-aimée.
–Frelsi ! Tu vas bien ?
–Oui, ne t’inquiète pas ça va aller. J’ai un peu trop forcé sur mon Solaris avec la porte. Une bonne nuit de repos et je serai remise. Toi ça va ?
–J’ai la tête qui tourne mais ça va passer. C’est moins pire qu’à l’aller.
Slim, lui, ne sentait aucun effet secondaire à ce voyage instantané. Il mit ça sur le compte de ses séances d’entraînement qui portaient enfin leurs fruits. Mais très vite il revint sur l’exploit de sa grand-mère.
–Grand-mère Frelsi, ton Solaris est trop puissant ! Tu peux briser des portes et te déplacer très rapidement ! Je n’ai rien vu passer c’est aller trop vite ! C’est incroyable !
D’aussi loin qu’il se souvienne, il n’avait jamais observé le Solaris de sa grand-mère. Vu son fragile état de santé, il était parti du principe qu’elle n’avait plus la force d’utiliser son énergie.
–Moins fort Slim, lui ordonna Yulia. Tu vas nous faire repérer.
Quand tout le monde reprit des forces, loin derrière un des lointains sommets le Soleil commençait à montrer le bout de son nez. Avant même que Slim puisse dire quelque chose, Frelsi s’approcha de lui et posa ses mains sur ses joues :
–Mon enfant, les villageois sont complètement fous, ils ont peur et sont prêts à faire une grosse bêtise s’ils te recroisent. Alors, je sais que c’est encore tôt pour toi mais tu vas devoir…
–…quitter le village, l’interrompit le garçon.
Frelsi et Yulia se regardèrent. Slim poursuivit.
–Ne soyez pas surprises. J’ai beaucoup pleuré mais la nuit m’a porté conseil. Ils m’ont insulté de démon et d’enfant maudit. Je ne veux pas rester ici. Je ne peux plus rester ici.
La décision du jeune homme paraissait mature, mais au fond de lui, Slim cachait une profonde angoisse. Et de la tristesse. Peut-être était-ce là encore une capacité unique de Frelsi, mais elle fut capable de deviner les émotions de son petit-fils.
–Slim écoute-moi. C’est ok d’être triste, mais sache une chose. Il est vrai que la Bienveillante n’a pas réussi à déverrouiller ton Solaris. Mais ça ne veut en aucun cas signifier que tu es un bon à rien, ou un Enfant du Vide. Rappelle-toi que de telles choses n’existent pas. Personne n’est un bon à rien. Personne n’est un Enfant du Vide. Cela fait trop longtemps que ce village empêche ton potentiel de s’exprimer. Il est temps pour toi de prendre ton envol.
Sans attendre plus longtemps, Yulia posa son sac sur le sol et l’ouvrit. Jamais ses grands-mères ne laisseraient partir leur enfant sans équipement.
–Je t’ai ramené ta combinaison, commença t-elle. Je te conseille de l’enfiler, elle te servira dès le départ. Et voici ton sac, on l’a remplit avec des aliments secs, de l’eau, de quoi camper, de quoi te laver et assez d’argent pour t’en sortir au moins trois mois. Enfin, jusqu’à ce que tu parviennes au tournoi d’Omega.
Devant une telle attention, Slim ne put s’empêcher de sourire. Il effaça ses mauvaises pensées et se focalisa sur le présent. Il se déshabilla, sauta dans la combinaison, se sentit léger, puis revêtit sa tunique, se sentit élégant, et enfila le sac à dos. Il se sentit prêt.
–Alors c’est maintenant que commence mon aventure ?
–Oui, c’est là que commence ton aventure, Yulia pointait son doigt vers la vallée. File droit devant dans la descente, il n’y a qu’une seule route tu ne peux pas te tromper. Lorsque tu croiseras une rivière, longe la jusqu’en bas. Une fois dans la vallée, dirige toi vers l’Est. D’ici trois à quatre jours de marche, tu tomberas sur Kistan, une ville où tu devrais trouver des indices sur le tournoi d’Omega.
Slim plissa des yeux pour percevoir au loin le chemin à emprunter. Mais devant se dévoilait qu’une mer d’arbres et de dénivelés presque aussi abruptes que les parois qu’il avait escaladé par le passé.
Frelsi le ramena à la réalité en lui tapant sur l’épaule. Elle lui présenta alors un objet unique.
–Voici mes gants. Ils m’ont énormément servi dans ma jeunesse. Je les ai chargés de mon Solaris, en attendant que tu déclenches le tien. De plus, voici une note t’expliquant comment les maîtriser.
–C’est grâce à ces gants si tu as réussi à briser cette porte ?
Frelsi hocha la tête et Slim s’empressa de les ranger dans son sac. Il comptait bien sûr utiliser cette arme, mais avec précaution. Il s’agissait de ne pas consommer trop vite le Solaris de sa grand-mère.
Les adieux furent bref car le temps était compté avant qu’on ne remarque son évasion. Slim prit dans ses bras ses deux grands-mères. Il les serra très fort contre lui, comme s’il ne voulait plus les laisser s’éloigner pour le reste de sa vie.
–Vous allez me manquer.
–Allez fonce, rétorqua Yulia, dont les yeux commençaient à se remplir de larmes.
–Envole toi mon héros, ajouta Frelsi. N’oublie pas de penser à nous quand tu deviendras célèbre.
Alors que le Soleil continuait de s’élever, Slim se retourna d’un pas décidé et fila à toute vitesse à l’assaut de Yörd. Frelsi et Yulia restèrent à la sortie de Everest, à regarder leur enfant s’éloigner d’elles.
–Tu crois qu’on a fait le bon choix ? questionna Yulia.
–Oui, j’en suis certaine. Nous n’avons fait qu’attiser la braise qui brûlait déjà en lui depuis son plus jeune âge. Et avec nos passés respectifs, nous ne pouvons pas être surprises qu’il nous quitte à l’aube de ses seize ans.
–Oui tu as raison, il est bien notre petit-fils.
Yulia prit la main de sa bien-aimée.
–Allez viens, rentrons à la maison.