VIII. Appartement

Salim reçoit un appel. Il décroche. Il s’approche de la télévision et l’allume.  

Commentateur. L’escalade de la violence a atteint son point d’orgue alors qu’un jeune homme âgé d’une vingtaine d'années,  s’est fait abattre sur la place de la République. Nos correspondants sur place tentent de joindre les forces de police alors que les combats entre les deux blocs de manifestants sont de plus en plus virulents. A l’heure actuelle nous n’avons aucune information quant à la provenance du tir. 

Salim. Ils l’ont abattu. Ils l’ont abattu. Ils l’ont abattu comme un chien ! C’est ce qu’on est pour eux, des chiens, des nuisances, des parasites. Mais jusqu’à quand ? Jusqu’à quand ? 

Samira. Yacine. 

Djamila. Il avait l’âge de ma fille, il avait l’âge de ma fille. Il avait ses yeux et sa bouche, il avait son visage. Ma fille, ma fille, ils ont tué ma fille ! 

Commentateur. D’après nos dernières informations, le jeune homme abattu est Yacine Boussaïd âgé de 24 ans, d’origine algérienne connu par les forces de police pour des délits mineurs il semblerait qu’il était armé et présentait un comportement dangereux. 

Salim. Origine algérienne, délits mineurs, armé ? Vous essayez de justifier son meutre alors que son sang est encore chaud, étalé à ses côtés. Il n’a pas été abattu parce qu’il était armé, il est mort parce qu’il était arabe. Parce que sa tête ne vous revenait pas. Son nom était Yacine, il était mon ami ! Son nom était Yacine, il était mon frère ! Son nom était Yacine, il aurait pu être votre frère, votre fils, votre ami, votre amant. 

Samira. Son nom était Yacine et aujourd’hui il est mort mais je ne vous laisserai pas raconter son histoire. Je ne vous laisserai pas salir sa mémoire. Je vous ne laisserai pas en faire votre bête de foire. Je ne vous laisserai pas en faire votre bouc émissaire. Son nom était Yacine et ce soir nous serons des milliers de Yacine ! 

Commentateur. Un important mouvement de foule arborant des slogans d’extrême-droite entoure le corps du jeune homme et empêche les forces de l’ordre de l’atteindre.

Djamila. Ma fille. Ils ont abattu ma fille, en pleine rue. Et maintenant elle gît dans une mare de sang, face contre terre. Ma fille a froid, elle a peur, elle ne bouge plus  ! Sana ! Sana ! 

Pierre. Djamila, calme toi je t’en prie. Sana va bien, elle est chez son père. 

Djamila. Je ressens la douleur de sa mère. On a tué son fils et je pleure pour elle. Je hurle pour elle. On a tué son fils et j’ai vu ma fille mourir avec lui. Tu as vu ton fils, toi aussi Samira. Je sais que tu l’as vu comme je sais que tu sens les cris de sa mère brûler dans ta poitrine. 

Samira. J’irai récupérer son corps pour faire cesser les cris de sa mère. Quand je le prendrai dans mes bras je sais qu’elle arrêtera de pleurer car elle sentira ma peau contre la sienne et elle saura que son fils n’est plus seul. 

Anouar. Si tu pars, je sais que tu ne reviendras pas, Samira. 

Samira. Reste auprès d’Isa, je reviendrai avant que le soleil ne se lève. 

Anouar. Tu ne reviendras pas. Tu es déjà partie. Tu n’es plus là. 

Samira sort suivie de Salim. Anouar prend un dictionnaire et le lit. 

Anouar. “Déraciné”, Celui qui ayant été arraché à un endroit, en particulier de son pays natal, le regrette et ne parvient pas à s'adapter à un pays nouveau. Le processus inverse existe t-il ? S’il existe des déracinés, y a- t-il des enracinés ? J’ai été déraciné, je n’ai pas eu mon mot à dire. Donnez-moi une pelle, je creuserai la terre, je m’y allongerai et je resterai là immobile jusqu’à prendre racine, jusqu’à que mon corps ne fasse plus qu’un avec la tiédeur de la terre, jusqu’à que mon souffle se mêle à la poussière, jusqu’à que la lumière ne disparaisse, jusqu’à qu’enfin mon nom soit appelé et là je renaitrais pour ne plus jamais quitter la terre qui m’a porté.

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